Chapitre 21
En raison de la brusque aggravation de l'état de santé du jeune zongzhu de la secte Jin, leur XianDu dans la nuit même avait adressé à tous les chefs de clan un parchemin d'alerte les convoquant à une conférence de discussion exceptionnelle.
Aussitôt que Meng Yao, escortant Xichen, arriva sur les lieux, il fut accueilli par les gémissements de Xianzi, qui se frotta à sa jambe comme pour le supplier de sauver son maître. Contournant de son mieux le chien spirituel, Wei Wuxian les conduisit au chevet de Jin Rulan.
Le cou et désormais les deux bras entachés de traces de malédiction, Jin Ling avait sombré dans une sorte de coma. Ses croutes noirâtres avaient viré au rouge sanguinolent, et la température de son corps avait augmenté. Seule sa respiration était paisible, mais il avait perdu connaissance en début de soirée, et depuis, son état restait stationnaire.
— Il faut d'urgence alléger les effets de la malédiction, recommanda le guérisseur, autrement le zongzhu ne passera pas la nuit.
— Mais comment peut-on faire ? trépigna Huaisang, en se tordant les mains.
Wei Wuxian et Lan WangJi se regardèrent, avant de s'écrier d'une même voix :
— Un transfert !
— Comment ça, un transfert ? s'inquiéta Lan Xichen. Un transfert sur qui ?
Sizhui aurait tant voulu se porter volontaire, afin de récupérer le mal qui frappait son ami. Il était vraiment prêt à tout pour qu'A-Ling sorte enfin de son affreuse léthargie ! Hélas, quelle que fût l'intensité de ses sentiments, il savait bien que c'était impossible.
Alors que tous les regards se tournaient vers Jin GuangYao, seul un long silence répondit à Zewu-Jun, que Jiang Cheng brisa au bout de quelques minutes.
— À ton avis ?... Il me semble que c'est l'un des tout premiers cours que l'on nous enseigne à GusuLan : un transfert ne peut s'effectuer qu'entre les membres d'une même secte et d'une même famille.
— Au fond, ce ne serait que justice ! estima Huaisang, en fusillant Jin GuangYao des yeux. Après tout, cette malédiction t'était bien destinée à l'origine !
— C'est ridicule ! protesta Xichen. Si c'était vrai, le transfert aurait dû marcher dès la première fois.
Meng Yao posa la main sur son bras, avant de lui sourire et de hocher doucement la tête.
Ce n'est pas la peine de te mettre à dos tout le monde de la Cultivation pour moi. C'est le moins que puisse faire quelqu'un qui a tué de façon barbare un frère d'armes, et décimé les derniers survivants d'un clan entier, sur les seuls ordres de son père.
— C'est bon, A-Huan, je vais le faire.
HanGuang-Jun ne put retenir une légère grimace à cette appellation familière. Néanmoins, l'important était que LianFang-Zun ait accepté de coopérer, et c'est avec satisfaction que le XianDu l'observa apposer les mains sur les blessures du malade.
— S'il vous plaît, les interpella le médecin. Je crois qu'il serait préférable que l'ancien Jin-zongzhu et moi restions seuls avec le patient, aussi je vous prierais tous de sortir pour que nous puissions opérer.
L'heure suivante parut à chacun l'une des plus longues de sa vie. Et lorsque la porte enfin s'ouvrit sur un Jin GuangYao s'épongeant le front, tout le monde se précipita pour l'interroger :
— Alors ?
— Mais tu n'as finalement pas récupéré sa maladie ?
— Comment se fait-il que tu sois toujours blanc comme neige ?
Face à ce déluge de questions, Meng Yao chercha Lan Huan des yeux, avant de leur avouer :
— Je suis désolé mais cela n'a pas marché. J'ai eu beau me concentrer pour entrer en contact avec Jin Ling et le supplier de me transférer sa malédiction, rien n'y a fait. Je sentais les ondes maléfiques sous ma main, sans qu'elles puissent me contaminer.
Jamais Xichen n'avait vu à A-Yao une expression de si profonde amertume. Un air tellement affligé que, pour une fois, personne ne songea à mettre en doute sa sincérité. Après un moment de réflexion, Wei Wuxian fixa Jin GuangYao et traduisit :
— Cela veut dire que le sceau de résurrection a fonctionné, puisque tu es vivant, mais pas la bannière-cible. Du moins, pas jusqu'au bout et pas comme il faut.
— Patriarche Yiling, que veux-tu dire ? l'interrogea Meng Yao.
— Apparemment, le sort ne peut plus t'atteindre car elle ne te reconnaît pas, elle ne reconnaît plus ton bras. Mais elle a marché sur Jin Ling, qu'elle a dû prendre pour toi, parce que vous avez le même sang.
« Tu ne peux donc même plus mourir à sa place, espèce d'inutile ! » pesta tout bas Jiang Cheng, sans toutefois laisser voir aucun signe de ses réflexions hostiles, pendant que son frère poursuivait à l'intention de Jin GuangYao :
— De plus, tu as dû manifester un désaccord spirituel particulièrement virulent, ainsi qu'une très forte résistance à l'appel, puisque tu as été jusqu'à effacer ta mémoire pour ne plus les entendre et avoir à leur obéir.
— Ce qui veut dire ? s'impatienta Jiang Cheng, qui en avait assez d'écouter Wei Wuxian pérorer sur le sujet des bannières d'attraction spirituelle dont tout le monde savait qu'il était le créateur.
C'était même l'une de ses toutes premières inventions dans la Cultivation démoniaque. Il avait créé une sorte de négatif des talismans repousse-esprits, qui étaient utilisés pour éloigner les esprits mauvais, et dont la formule était généralement enseignée aux disciples vers l'âge de quinze ou seize ans. Le maniement des talismans d'attraction spirituelle, dessinés avec du sang humain, requérait plus d'expérience et de maturité.
Le Patriarche Yiling avant de lui répondre échangea avec les deux frères de Jade un long regard d'intelligence. Zewu-Jun, qui connaissait déjà la réponse, empoigna d'instinct Liebing et serra furtivement Meng Yao contre lui.
— Eh bien, à mon avis, commença prudemment Wei Wuxian, la malédiction ne s'éteindra que lorsque nous lui aurons donné ce qu'elle veut... C'est-à-dire soit le bras coupé de LianFang-Zun, soit l'Amulette du Tigre stygien.
— Quoi ? bondit Jiang Cheng, en fusillant Jin GuangYao du regard. Tu veux dire que Jin Ling va continuer de brûler ainsi, tant qu'on n'aura pas retrouvé le bras de Monsieur l'amnésique ou récupérer cette maudite amulette ?!
Et dire que Jin Ling aurait tant voulu que ses oncles Jin et Jiang s'entendent ! Seul Zewu-Jun savait qu'il avait toujours espéré en secret qu'ils se réconcilient, comme cela avait fini par être le cas, entre son oncle Jiang et le Patriarche Yiling. Qu'ils puissent au moins se tolérer assez, pour se croiser de temps en temps.
Il est vrai qu'à la mort de Jin GuangYao, la question ne s'était plus tellement posée. Mais depuis les derniers évènements, elle revêtait à nouveau une brûlante actualité. Xichen inspira profondément, avant de poser les conditions de leur association à venir ; les exigences de cette quête, qui se trouvait sans cesse retardée par les doutes des uns et les peurs des autres.
Sa demande fut accueillie par un silence choqué, voire indigné, et il nota sans en faire mention la sidération de Huaisang. Mais tous ces contretemps avaient convaincu Xichen de demander aux trois oncles de former une nouvelle triade, qui pour le bien de Jin Ling s'engagerait à ne plus jamais se quereller ni à l'obliger à choisir entre les uns et les autres. Et c'est ainsi que devant la couche du jeune homme inconscient, les trois hommes avaient accepté de se plier au petit rituel, que Zewu-Jun exigeait d'eux.
— Sur la tête de Jin Rulan, aujourd'hui à l'article de la mort, veuillez s'il vous plaît prêter serment et promettre de conjuguer vos forces afin de sortir votre neveu de ce très mauvais pas.
— Je le jure, fit aussitôt Wei Wuxian en s'inclinant pour toucher le sol de son front.
— Hum ! grommela Jiang Cheng, en jetant un regard oblique à Jin GuangYao. Quand on sait ce que valent les serments de certains, on se demande si tout ceci est bien utile.
Meng Yao lui adressa son sourire le plus humble, avant de se prosterner à son tour :
— Je le jure, moi aussi.
Jiang Cheng hésita quelques secondes. Allait-il une fois de plus passer pour un jaloux sans cœur et sans talent ? L'empêcheur de guérir en rond, qui deviendrait la honte du monde de la Cultivation ? Et si par sa faute, par la faute de son manque de coopération, Jin Ling venait réellement à décéder ? Un frisson d'horreur le parcourut à cette perspective, et c'est presque avec frénésie qu'il s'aplatit plusieurs fois pour appuyer sa promesse.
— Bien sûr, je le jure, moi aussi !
Comme l'avait espéré Xichen, Meng Yao se trouva libéré d'un poids à la suite de cette pourtant bien peu protocolaire cérémonie. Il n'objecta nullement lorsqu'il fut décidé de garder cette alliance secrète, ce qui ne manqua pas d'étonner ceux qui l'avaient connu des années plus tôt. Le cultivant avide de reconnaissance, qui ne se nourrissait que de l'attention des autres, avait bel et bien disparu.
Libéré du regard scrutateur d'autrui, assuré de faire partie d'une équipe, Jin GuangYao put mettre tout son esprit à l'ouvrage. Il était déterminé à dénouer cette situation, quoi qu'il lui en coûte moralement, et demanda qu'on veuille bien lui dresser la liste de ceux qui avaient œuvré à ses côtés par le passé, conscient qu'il ne pouvait avoir agi seul quels qu'aient pu être ses talents.
Après quelques heures, leur petit comité put faire état de ses connaissances ou suppositions fondées aux autres cultivants et chefs de clans. Ils devaient retrouver toute chose qui soit en relation avec Jin GuangYao, à commencer par son bras, ce qui ne manqua pas de faire grimacer certains anciens, et d'allumer une lueur d'intérêt morbide chez quelques jeunes hommes.
Parallèlement, une formation confidentielle chargée de rejoindre le tombeau qui faisait tant parler de lui ces derniers jours fut constituée, afin d'y étudier la possibilité d'en extraire l'amulette, sachant qu'entre eux et cet artefact se trouvait rien moins que le cadavre féroce de ChiFeng-Zun ! Seuls ceux qui avaient hâte de se frotter à pareille mission furent sélectionnés.
Il fut décidé que Huaisang et Wei Wuxian conduiraient l'expédition vers le temple Guanyin. Le jeune chef Nie aurait refusé que quiconque soit chargé de régler cette affaire à sa place. Et sa connaissance du tombeau était un atout, tandis que les capacités de son ancien condisciple permettaient à chacun d'espérer pouvoir affronter un cadavre féroce et y survivre.
HanGuang-Jun et Jiang Cheng se rendraient quant à eux dans la province, où la secte Moling Su avait connu une courte histoire. L'habileté et le rayonnement du premier leur assureraient une certaine écoute, tandis que le tempérament et le fouet du second encourageraient les bavardages.
Chaque duo partirait avec un groupe de pratiquants. Enfin, Lan Xichen et Jin GuangYao resteraient à JinlinTai veiller sur le jeune zongzhu. Le regard ombrageux de Jiang Cheng n'avait pu dissimuler ses doutes, face au fait de laisser son neveu seul aux mains de Meng Yao. Mais s'il doutait régulièrement de la clairvoyance de Xichen, du moins ne doutait-il pas de sa loyauté envers Jin Rulan, et il accepta cette organisation.
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