Chapitre 18

Meng Yao observa tour à tour les cultivants présents. Il aurait aimé ajouter que ces messieurs auraient mieux dépensé leur énergie à chercher des solutions, plutôt que ses failles, mais ses derniers mots semblaient malgré tout avoir suffisamment portés. Pour l'instant.

Wei Wuxian fit quelques pas, les yeux dans le vague, manifestement plongé dans ses pensées.

— Huaisang a conservé votre Wu Sha Mao, énuméra-t-il, et HanGuang-Jun, notre XianDu, a disposé votre épée Hensheng dans les archives de la Cultivation.

Meng Yao sentit son cœur accélérer sa course. Ces hommes s'étaient partagés ses effets comme des butins de guerre ! Quelle pratique détestable ! Il se tourna vers Lan Huan. Qu'avait-il gardé, lui ? Il espérait qu'il annoncerait ne rien avoir conservé, mais fut déçu d'entendre Wei Wuxian achever :

— Et à YunShen Buzhi se trouvent votre ceinture et votre pampille. On peut donc partir du principe qu'aucun de ces objets n'est en cause.

— Pourquoi ? fit Meng Yao, amenant les autres à se méprendre sur sa question. Pourquoi ?! répéta-t-il, sans détourner son regard de Lan Huan. Était-il bien utile de conserver ces objets, comme on garde la tête d'un cerf empaillé ?

— Et en ce qui concerne la conservation de têtes, on sait que tu maîtrises le sujet !

Le rire sec de Jiang Cheng venait de le ramener à l'instant présent, mais sa remarque l'avait plongé dans un grand désarroi.

— Il suffit ! trancha Xichen avec un regard d'avertissement.

Il se tourna vers Meng Yao et poursuivit, sur un ton de supplique :

— A-Yao, nous parlerons de tout cela plus tard. Il faut sauver Jin Ling... Je me doute que bien des choses doivent te perturber, mais nous devons garder le sens des priorités. Tous ! martela-t-il, avec un nouveau regard pour Jiang Cheng et Huaisang qui ne cachait plus son écœurement face à ces attentions malvenues.

Meng Yao hocha la tête, mais sa pâleur était telle que Xichen craignait de le voir s'écrouler. Il se tourna vers Wei Wuxian.

— Je ne pense pas qu'aucun autre objet ait pu avoir assez d'importance pour emmagasiner une quelconque énergie. As-tu d'autres idées ?

— Le corps de sa mère, fit Wei Wuxian, le ton grave.

Tous se tournèrent vers Huaisang : ils étaient pris au piège. Pris aux pièges de leurs mensonges, de leur manière de fermer les yeux et de faire comme si, tour à tour, ils ne savaient rien. Meng Yao s'assit, incapable de tenir sur ses jambes plus longtemps.

— Ma mère ? souffla-t-il.

— Où est-elle, Huaisang ? insista Wei Wuxian.

Nie Zongzhu leur indiqua ce qu'ils voulaient savoir du bout des lèvres, mais assura que le corps de la défunte n'avait pu être utilisé, il s'en portait garant. Meng Yao essayait bien de suivre les conseils de Lan Huan et de rester concentré sur Jin Ling, mais la situation ne l'aidait pas.

— Pourquoi Nie Zongzhu a-t-il été chargé du corps de ma mère ? Et pourquoi ne connaissez-vous pas même le lieu où elle repose ?

Il se releva brusquement, la mine déterminée, quand Xichen l'approcha, anticipant ses paroles.

— Je veux savoir !

Passant à un tutoiement plus amical, afin de lui faire digérer plus facilement l'information désagréable qu'il s'apprêtait à lui délivrer, Wei Wuxian lui expliqua alors posément :

— Avant de fuir, tu as voulu récupérer le corps de ta mère, que tu avais enterré dans un temple bâti pour elle. Mais tu n'y as trouvé qu'un piège, mis en place pour te contraindre à avouer le meurtre de ChiFeng-Zun. Le frère de Huaisang.

Malgré son extrême souffrance, Meng Yao put rapidement faire sienne ces informations et les recouper avec celles qui étaient déjà en sa possession. Il se tourna vers Huaisang et déclara d'une voix abattue :

— C'est pour ça que tu me hais tant. Non seulement j'ai tué ton frère, mais me voici, libéré de ton piège.

Il se rassit lentement, crispant ses poings sur le tissu de ses robes pour les empêcher de trembler.

— Non seulement tu as tué mon frère, affirma Huaisang – son ton acide surprenant tous les autres, plus habitués à le voir peser ses mots qu'à les cracher ainsi –, mais tu l'as coupé en morceaux, éparpillé aux quatre coins du pays, tandis que toi, tu conservais sa tête ici même !

Il avait achevé sa tirade en hurlant presque, pointant d'un doigt rageur le lieu même où Wei Wuxian avait fait la macabre découverte, des années plus tôt.

— Aussi, que l'on me pardonne de ne pas me montrer empressé à ton égard. De mon point de vue, tu restes suspect et capable de tout !

Voyant Xichen se tendre et se rapprocher de Jin GuangYao, Jiang Cheng posa une main apaisante sur le bras de Huaisang.

— Jin Ling... fit-il simplement.

Wei Wuxian se demanda si Huaisang accorderait suffisamment d'importance à la vie de Rulan pour taire sa juste rancune. Lan Zhan et lui avaient vu de leurs yeux dans quel marasme il avait précipité plusieurs jeunes disciples à Yi City, dans le seul but d'affermir ses preuves, et d'augmenter les témoignages et la colère à l'encontre du meurtrier de son frère.

— Le bras.

L'intervention du XianDu, qui était resté muet jusque-là, apporta un calme soudain. Meng Yao cligna des yeux avant de lever la tête vers Lan Huan.

— Que dit-il ?

Il se sentit rougir, en constatant qu'il n'avait pas directement posé la question à l'intéressé dont la calme froideur tenait tout le monde à distance. Enfin il réalisa, mal à l'aise, que chacun ici le fixait avec intensité. Le silence était tel que l'on aurait pu entendre une mouche voler dans la salle.

— Je t'ai coupé le bras, avant que tu ne meures, précisa HanGuang-Jun.

Tassé dans un coin, Sizhui écoutait horrifié toutes ces précisions sinistres. Bien sûr, il avait eu vent comme tout le monde des événements qui s'étaient déroulés dans le temple Guanyin sept ans plus tôt. Mais jamais il n'avait su les détails. Et imaginer aujourd'hui son père en train de trancher le bras de l'oncle de Jin Ling était un peu écœurant, surtout depuis qu'Oncle Ning et lui avait sympathisé avec l'amnésique.

Meng Yao ne put retenir un rire, en levant les deux bras au ciel, avant de les laisser retomber. Quelle belle assemblée ils formaient, tous !

— Merveilleux ! ironisa-t-il, un brin hystérique.

Il se reprit très vite et dressa une main devant lui, comme pour se faire un rempart.

— De grâce, je ne tiens pas à savoir ce qui m'a valu pareil châtiment !

Sans y réfléchir, il serra d'une main le bras qui autrefois lui avait été coupé, et perçut dans le regard des cultivants toute leur méfiance. Son corps semblait se rappeler, lui, quel membre lui avait manqué, et les hommes présents également. Son geste instinctif sonnait pour eux comme une preuve supplémentaire d'un doute possible concernant sa fiabilité. Se souvenait-il, oui ou non ?

Meng Yao s'étonna de voir leurs soupçons se transformer peu à peu en stupéfaction, comme si germaient dans leur esprit des conclusions qu'il ne saisissait pas. Seul Sizhui semblait partager son incompréhension, et un noyau de colère se mit à brûler en lui : il avait une sainte horreur de se sentir aussi ignorant !

Il lut également le mécontentement sur le visage de Huaisang et Jiang Cheng, comme si le fait que ce bras soit à sa place constituait une insulte de plus. Il ne l'avait pourtant pas caché jusque-là ! C'est donc tout naturellement qu'il se tourna vers Lan Huan, qui ne s'éloignait pas de lui, tout en soutenant le regard des autres cultivants.

Jiang Cheng eut un reniflement de dédain dont la grossièreté aurait fait pâlir sa mère, avant de se détourner pour chercher son frère des yeux. De toute manière, il ne tenait pas spécialement à rentrer dans les détails de ce qu'avait été la vie de Jin GuangYao. Du moment que ce dernier guérissait leur neveu Jin Ling, le reste lui importait peu.

— Assez ! tonna Xichen, en le foudroyant des yeux. Je ne te permets pas de le traiter ainsi. À aucun d'entre vous, d'ailleurs !

Le mot de trop, qui fit immédiatement réagir son frère de Jade.

— Lan Zongzhu, tu devrais...

— Il n'y a pas de Lan Zongzhu qui tienne ! le coupa sèchement Xichen, surprenant à son tour l'assemblée par ce ton inhabituel. Tu vois bien qu'il a ses deux bras ! De quelle énième faute voulez-vous encore le charger pour pouvoir le punir ?

Le regard de Meng Yao alla de l'un à l'autre.

— Que veux-tu dire ? interrogea-t-il finalement. En quoi le fait de posséder mes deux bras... change-t-il les choses ?

Un silence que rien ne venait troubler lui répondit, avant que Wei Wuxian soupire :

— Aucun sort de résurrection, aussi puissant soit-il, ne fait repousser un bras...

Il avait fait cette déclaration d'un ton morne, comme si cela ajoutait encore à la complexité de la situation, et d'une certaine manière, c'était le cas. Son opinion ne changeait pas, sa priorité demeurait Jin Ling. Mais à présent, il leur fallait vraiment considérer ces nouveaux faits comme véridiques et en tenir compte, car ils pouvaient avoir une grande importance : Meng Yao ne mentait pas. Il avait retrouvé son bras... mais perdu la mémoire.

Il échangea avec son frère un regard qui en disait long sur la conversation qu'ils devraient avoir tous les deux, devinant à l'avance que Jiang Cheng prendrait mal qu'on lui retire brusquement tout exutoire à sa colère. Tant que Jin GuangYao était jugé responsable, et qu'ils le tenaient, ils pouvaient espérer une solution rapide. Mais maintenant ?

Un autre échange muet se déroulait en parallèle, entre les deux Jumeaux de Jade. Jamais Wei Wuxian n'avait vu Lan Xichen aussi déterminé. Il se rappela alors de quelle manière à son retour Lan Zhan avait eu, à peu de choses près, la même attitude : plus rien n'avait eu d'importance, pas même l'avis de son oncle tant respecté. Seul comptait son bien-être à lui, cette seconde chance qu'il ne comptait pas gâcher... Xichen soutint le regard de son cadet, une main sur Liebing, l'autre dans le dos de son « ami ».

Maintenant que nous avons la preuve qu'A-Yao est innocent, ne compte plus sur moi, mon frère, pour parlementer encore avec les chefs de clan. Je retourne à YunShen Buzhi le mettre à l'abri, je ne vous laisserai pas continuer à le torturer psychologiquement !

Finalement prenant sur lui, il inspira profondément, avant d'annoncer sur un ton qui sonnait plus comme un défi qu'une information :

— Nous rentrons nous reposer !

Il salua les autres d'un signe de tête et entraîna Meng Yao à sa suite. Celui-ci sembla un instant vouloir poursuivre la discussion, mais se rangea aussitôt à la décision de Lan Huan, conscient qu'il ne possédait pas les informations nécessaires pour comprendre toutes les implications de la situation dans laquelle ils se débattaient.

Et même s'il désapprouvait son départ et son manque de retenue, Lan WangJi avait très bien compris pourquoi leur Zongzhu avait ainsi perdu son calme. Lui aussi avait, ici même, défié toute la Cultivation pour se tenir aux côtés de Wei Wuxian.

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