Chapitre 14
À YunShen Buzhi, Wei Wuxian se montra particulièrement soucieux des nouvelles apportées par Xichen. Il considérait, à priori, que laisser Jin GuangYao seul avec un jeune cultivant et un cadavre féroce crédule n'était pas la meilleure idée de Lan Zongzhu, mais après tout, il en avait eu de pires. Il ne put cependant qu'approuver sa décision d'aller visiter Jin Rulan au plus vite.
La fatigue commençait à peser sur les épaules de Lan Xichen. Mais il s'offrit tout de même le luxe d'afficher sa mine la plus innocente aux cultivants qu'il croisa « par hasard » à l'entrée de YunShen Buzhi, au moment de rejoindre la secte Jin. Ceux-ci avaient bien remarqué son retour – et donc déduit son absence – mais sans pouvoir en découvrir les secrets.
— Évidemment qu'en tant que chef de clan, je dispose de certaines issues inconnues. Mais pour quelles raisons cela vous interpelle-t-il, Messieurs ? Dois-je en conclure que certains Zongzhu estiment nécessaire de me faire surveiller ?
Cette remarque ironique eut l'avantage de couper court aux interrogations et regards suspicieux, et Lan Xichen laissa les cultivants Jin l'accompagner jusqu'à Lanling.
Une fois arrivé sur les lieux, il opposa au regard acide de Jiang Cheng et au sourire faux de Huaisang un calme olympien et distant.
— Jiang Zonghzu, je m'attendais bien à te trouver au chevet de ton neveu, déclara-t-il après les salutations d'usage. Comment va-t-il ?
— Mal ! résuma Jiang Cheng d'une voix claquante.
Xichen laissa glisser ses doigts sur la tête de Xianzi venue le saluer. Après un regard pour l'animal, qui n'avait pas jusque-là quitté son maître, Jiang Cheng enchaîna :
— Nous sommes retournés sur place. Rien ne semble apaiser ChiFeng-Zun, et nous contenons la malédiction qui a atteint Jin Ling à grand-peine. Nous devons trouver des réponses ! acheva-t-il, avec un regard intense pour le nouvel arrivant.
L'inquiétude de Huaisang le rendait livide, et Xichen se demandait s'il se faisait plus de souci pour son frère, qui ne pouvait trouver le repos, pour le retour de LianFang-Zun, ou pour le destin de Jin Ling. Le chef de clan Nie trouva cependant le courage – ou l'audace ? – de l'interroger à son tour d'une voix douce, où perçait la même attente que lorsqu'il était plus jeune :
— Tu penses avoir une idée de ce qu'il faut faire, Zewu-Jun ? Nous avons désespérément besoin d'un peu d'espoir.
Tout, dans son attitude, appelait au conseil, à la protection. Mais Xichen ne s'y laissait plus prendre. Il avait eu bien assez de sept ans pour comprendre tout ce que le jeune Zonghzu « maladroit » avait manigancé. Et s'il n'avait jusqu'alors jamais éprouvé l'envie d'exercer une quelconque vengeance, il était hors de question qu'il se laisse aujourd'hui duper.
— Wei Wuxian et Wangji nous rejoindrons demain. À nous tous, nous trouverons bien un moyen de guérir Jin Rulan.
Jiang Cheng était plus tendu que jamais.
— Tu sais bien qu'il n'est pas question de cela ! Où est-il ?!
— J'ai très bien compris ce dont il était question, Jiang Zongzhu, mais il me semble que nous savons tous trois que je refuserai de le livrer à votre colère. Aussi, épargnons-nous la comédie de l'incompréhension.
Xichen resta de marbre face aux mines outrées des deux Zonghzu.
— Il n'en reste pas moins que les intérêts de Jin Rulan me tiennent énormément à cœur, aussi ferai-je mon possible pour lui venir en aide.
S'il l'avait osé, il aurait pris le temps de remercier Xianzi de quelques caresses, lorsqu'elle le conduisit d'elle-même jusqu'à son maître, ce qui lui épargna d'avoir à demander aux deux hommes de l'accompagner.
***************
Pendant ce temps, Meng Yao dans leur gîte secret venait de se réveiller. Compte tenu de l'heure tardive à laquelle il s'était couché, il fut étonné de se sentir ce matin en si bonne forme. Une chance, car Wen Ning et Lan Sizhui l'attendaient déjà de pied ferme, et d'après eux, le chemin pour se rendre jusqu'à Jinlintai était assez long. De plus, pas question cette fois d'utiliser de nouveau la téléportation. HanGuang-Jun sur ce point avait été formel : Sizhui n'était autorisé à l'essayer qu'une seule fois, pour transporter Zewu-Jun en ce lieu, mais ne devait en aucun cas prendre de risques inutiles.
Les yeux posés sur les talismans bleu foncé, Meng Yao se demanda s'il serait capable d'en activer un, lui aussi. Il y a quelques jours, lorsqu'il avait dû s'arrêter au bord de cette rivière pour se reposer, il avait senti que quelque chose, au creux de lui, recelait une énergie formidable. Et lorsque d'instinct il s'était assis en tailleur dans l'herbe, le dos bien droit, pour se ressourcer, des ondes bienfaisantes s'étaient aussitôt répandues dans tout son corps.
Il n'eut pas vraiment l'occasion de réitérer cette intéressante expérience, Wen Ning venait d'écarter les bras, et de décoller plusieurs mètres au-dessus du sol.
— LianFang-Zun, dit-il en tournoyant au-dessus de lui, vous voulez que je vous prenne sur mon dos, ou vous pensez pouvoir vous débrouiller seul ?
— Euh...
Meng Yao n'en savait rien, mais plutôt mourir que de devoir voyager accroché au dos d'un tel phénomène ! En principe, un cadavre féroce n'est qu'une sorte d'enveloppe sèche, animée seulement par quelques émotions rudimentaires, telles que la colère ou la rancœur. Et tout aussi évolué qu'il fût – ce qui, en soi, était déjà un concept inhabituel – il n'était pas censé vous faire la conversation, et encore moins vouloir vous aider !
En cela, Wen Ning constituait une exception, et s'il l'avait pu, Meng Yao aurait bien demandé à Sizhui quelques explications à son sujet. Lan Huan lui avait fait comprendre qu'il était la « créature » de Wei Wuxian, à qui il vouait une indéfectible fidélité. Et rien que pour cela, Meng Yao aurait aimé faire la connaissance de cet homme, qui à n'en pas douter devait être très doué ! Hélas, la présence perpétuelle de Wen Ning à aucun moment ne lui en laissa l'occasion.
Voyant la tête qu'il faisait, Sizhui vint lui aussi se mêler de la partie.
— Si vous préférez, LianFang-Zun, nous pouvons cheminer ensemble sur Suibian.
Compte tenu pour son jeune âge de sa maîtrise exceptionnelle de l'art de l'épée, Wei Wuxian, après avoir longtemps observé son fils adoptif, avait en effet décidé de lui léguer Suibian. Depuis qu'il avait perdu son noyau d'or, cette arme ne lui servait plus à rien. Bien sûr, quelques aménagements spirituels avaient été nécessaires, pour rendre opérationnel le transfert de propriété. Mais à l'issue d'une petite cérémonie, incluant un pacte de sang, l'ancienne épée de Wei Ying avait reconnu Lan Yuan comme son nouveau maître.
Lançant un dernier regard vers Wen Ning, Meng Yao acquiesça tout de suite à la proposition du jeune Lan, et grimpa sans plus de cérémonie sur son épée. Ils cheminèrent ainsi, Wen Ning "volant" toujours derrière eux par bons successifs pour surveiller leurs arrières, et Meng Yao eut besoin d'un peu de temps pour se faire à ce mode de transport. Bientôt, il prit cependant plaisir à observer autour de lui. Il espérait toujours qu'à un moment ou l'autre, quelque chose pourrait déclencher en lui un quelconque souvenir, qui en amènerait d'autres... Mais rien ne vint, et au bout de quelques heures, alors qu'ils avaient survolé de nombreuses régions et se rapprochaient de Lanling, la fatigue commença à se faire ressentir.
— Et si nous faisions une halte pour nous rafraîchir et nous restaurer ? proposa Meng Yao.
Sans discuter, Sizhui dont le ventre gargouillait de faim depuis plusieurs minutes effectua sur Suibian un virage serré, et piqua en direction de l'auberge la plus proche.
Ils partagèrent ensemble un repas léger dans une ambiance conviviale, et Meng Yao s'en trouva étonnamment apaisé. Cependant, il ne pouvait perdre longtemps de vue le vide de son esprit, et il en profita pour essayer d'en apprendre un peu plus sur ses deux compagnons de voyage.
Il avait remarqué que lorsque le cadavre féroce était ému, ses iris aveugles reprenaient vie, et ses pupilles s'animaient à nouveau. Wen Ning était un être béni qui ne connaissait pas la rancœur. En revanche, il était incapable de mentir. Aussi, lorsque Meng Yao lui demanda comment avait péri sa famille et tous les membres de son clan, c'est sans détour qu'il lui apprit la vérité. En accord avec les deux chefs de secte Nie et Lan, Jin GuangShan avait ordonné qu'on les élimine tous sans exception. Et c'est Jin GuangYao, qui avec ses hommes s'était chargé de leur exécution.
Alors que Meng Yao retenant son souffle l'écoutait, tétanisé, Wen Ning s'interrompit pour regarder Sizhui, avant de conclure enfin :
— A-Yuan, ma sœur et moi, n'avons dû notre salut qu'au grand cœur de Wei Gongzi, qui a remué ciel et terre pour nous retrouver et nous sauver.
C'est ainsi qu'il apprit que Sizhui, né Wen Yuan, était le dernier descendant de sang du clan Qishan Wen maintenant éteint, que Lan Wangji avait recueilli après le massacre de sa famille et la mort de Wei Wuxian.
Un subtil mélange d'horreur et de révolte se disputaient en Meng Yao. D'un côté, son esprit refusait de croire qu'il ait pu se comporter en pareil bourreau. De l'autre, les sourires désolés que lui adressaient ses deux accompagnateurs plaidaient en faveur de la véracité des faits. Bien sûr, Lan Huan lui avait déjà touché deux mots de l'histoire de ces fameux « chiens de Wen ». Mais s'imaginer lui-même procéder à leur massacre, les mains couvertes de sang, lui donna à la fois envie de vomir et de pleurer.
Lan Sizhui hésitait entre la tristesse, que provoquait le rappel de ces anciens événements, et l'inquiétude de ce que Wen Ning venait involontairement de faire : lui donner des informations sur ce passé peu glorieux.
Meng Yao semblait pétrifié. Qu'en penserait Zewu-Jun ? La honte le submergea alors. Bien sûr , Zewu-Jun n'ignorait rien de tout cela, mais lui ? La prochaine fois qu'il le verrait, il saurait... Il saurait ce que le monde avait à lui reprocher. Il se jeta à genoux, touchant plusieurs fois de son front le sol poussiéreux.
— Je vous demande sincèrement pardon pour ce que je vous ai fait, à vous et vos familles !
Wen Ning et Sizhui n'en croyaient pas leurs yeux. Le jeune cultivant Lan, à qui ses deux pères adoptifs avaient raconté l'histoire de son passé scabreux, précisa tout bas :
— Ce n'était pas de votre faute, vous ne faisiez qu'obéir à votre père...
— Ce n'est pas vrai ! protesta Meng Yao. J'aurais dû au moins demander qu'il épargne les plus faibles, les vieillards, les femmes et les enfants.
— C'est ce que vous avez fait, LianFang-Zun. Vous avez proposé qu'on nous confine sur la Voie du Qiongqi, sous bonne surveillance, mais vous ne nous avez pas fait tuer.
Cette précision consola à peine Meng Yao, qui s'obstina à rester vautré dans la poussière en signe de profonde affliction.
— LianFang-Zun, relevez-vous, je vous en supplie... gémit Wen Ning, au comble de la gêne. Il n'est pas convenable que vous vous prosterniez ainsi devant moi, et de toute façon, le passé est le passé.
— De plus, ajouta Sizhui, Zewu-Jun nous attend alors ne tardons pas.
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