Chapitre 13


— Lan Zongzhu ?... fit une voix, où perçait une hésitation apeurée.

Une voix dont la timidité était si caractéristique, que Xichen, la reconnaissant immédiatement, rengaina sur-le-champ Shuoyue.

— Wen Ning, c'est toi ?

— Oui, Lan Zonghzu ! fut la réponse soulagée de son interlocuteur derrière la porte. C'est Wei Gongzi qui m'envoie.

Tout en désactivant le glyphe protecteur, Xichen se tourna vers Meng Yao et lui confirma joyeusement :

— C'est Wen Ning, nous n'avons rien à craindre !

Voilà qui était vite dit ! pensa tout bas l'autre occupant des lieux. Qu'est-ce qui lui prouvait les intentions réellement pacifiques de ce nouveau-venu ? Et d'abord, qui était ce Wen Ning ?

Xichen ouvrit alors la porte en grand, et la réponse à la question qu'il se posait cloua Meng Yao de stupeur. Car devant eux, se balançait d'un pied sur l'autre une créature gigantesque à l'allure menaçante. Un être dont le regard était dépourvu de pupilles, et le cou, zébré de craquelures noirâtres. Non un humain, mais...un cadavre féroce ! Lequel cadavre, se tournant vers Xichen, lui demandait le plus naturellement du monde :

— Est-ce que Sizhui et vous allez bien ?

— Je me porte comme un charme, et ton cousin préféré se repose à l'intérieur, en parfaite santé ! Mais entre donc pour le vérifier par toi-même...

Xichen émit une sorte de gloussement, avant d'ajouter :

— Ainsi, tu pourras faire ton rapport à mon frère et à Wei.

Meng Yao s'appliquait à faire siennes toutes les informations qui s'ouvraient à lui, de l'acceptation d'un cadavre féroce par un chef de secte, aux relations familiales étranges qui liaient toutes ces personnes. Malgré sa crispation, il s'efforça de conserver une attitude et un visage neutres, à l'entrée du cadavre féroce qui s'inclina profondément devant lui.

— LianFang-Zun, fit-il simplement, avant de rejoindre la pièce que Xichen lui indiquait, et où se trouvait Sizhui.

Meng Yao observa Xichen avec une pointe de stupéfaction.

— Eh bien... tes fréquentations doivent vraiment être source de discussions animées, Zewu-Jun !

Il sourit en utilisant à dessein ce terme honorifique. Le chef de secte Lan, caché dans une bicoque indigne de son rang, avec un criminel ressuscité en fuite, un cadavre féroce, et un jeune cultivant quelque peu dérangé...

Wen Ning revint cependant assez vite et attendit que les deux hommes le regardent, puis que Xichen lui fasse un signe de tête, avant de s'autoriser à parler :

— Zewu-Jun... est-il vrai que Jin Zongzhu est très sérieusement blessé ? Je n'ai pas osé m'approcher, Jiang Zongzhu semblait assez irrité comme ça... Qu'allez-vous faire ?

Xichen sourit au cadavre féroce, à la fois amusé et attendri de constater que celui-ci ne doutait pas une seconde de sa volonté d'agir, lui gardant toute sa confiance. Il se tourna alors vers Meng Yao :

— J'attendais le bon moment pour ré-aborder ce sujet, fit-il en secouant légèrement la tête, face au sourire un rien canaille d'A-Yao.

Ce n'était définitivement pas le moment d'admettre, devant un témoin qui en avait déjà bien assez vu, qu'il avait quelques minutes rêvé d'une autre vie et eu envie d'abandonner celle-ci...

— Je pense que nous devrions y aller, A-Yao. C'est ton neveu, et même si tu ne t'en rappelles pas, tu l'as pratiquement élevé comme un fils...

— Mais ?... l'encouragea Jin GuangYao, percevant son ton hésitant.

— Eh bien... votre dernière réunion ne s'est pas très bien passée.

La mine de Wen Ning, qui essayait de se rendre invisible à côté d'eux, donna suffisamment d'indices à Meng Yao pour traduire de lui-même. Donc, à ce jeune homme aussi, il avait fait du mal...

— Mais Jin Ling n'a jamais pu se résoudre à te bannir de son cœur. Il est le seul à avoir partagé ma peine... Même si j'ai pu obtenir du soutien de mes proches, et notamment de mon frère ou de Wei Wuxian, Jin Ling a été celui qui te pleurait vraiment. Et...

— Et ?... insista Meng Yao, face au mutisme gêné de Lan Huan.

N'obtenant pas de réponse, il acheva alors, d'un air morose :

— Et je le lui dois bien, pour me faire pardonner !

Wen Ning opina, avant de se raidir en se rendant compte de son geste :

— Mes excuses, LianFang-Zun, bredouilla-t-il.

Meng Yao les étudia tous les deux, tempérant son humeur à l'idée qu'ils avaient chacun connaissance de tout ce qu'avait été sa vie passée, alors que lui, non. Il échangea avec Xichen un long regard. Inutile de mettre des mots sur tout ce qui se jouait là : il ne pourrait pas rester cloîtré ici pour le reste de ses jours. Il lui faudrait forcément à un moment ou un autre affronter les anciens ennemis, qu'il s'était lui-même créés... Et s'il pouvait choisir de se mettre en danger pour une cause honorable, au moins pourrait-il débuter le chemin qui le mènerait à recouvrer une conscience plus claire, ne serait-ce que pour lui-même.

Et Lan Huan...

Mais il avait besoin de savoir quelle était cette cause, justement.

— Et pourquoi pensez-vous tous que ma présence pourrait être d'un quelconque secours à ce... à mon neveu ?

— Parce que, exposa patiemment Xichen, il a été blessé par ceux-là même qui ont provoqué ton retour. Nous les avons retrouvés, anéantis par leur propre incantation. Et lorsque Sizhui et Rulan se sont approchés, Rulan seul a été attiré par le glyphe placé entre eux. Son énergie spirituelle a été drainée, et il ne doit la vie sauve qu'à l'excellent niveau de cultivation de Sizhui. À l'heure actuelle, nous supposons que c'est toi qui aurais dû être appelé par ce glyphe... et que Jin Ling y a été sensible, parce que vous partagez en partie le même sang.

Xichen hésita à poursuivre, mais il faudrait bien, un jour ou l'autre, aller au bout des choses.

— Il est envisageable que tu aies toi-même organisé cette incantation, il y a des années. De la même manière que tu as su retrouver cet endroit, tu sauras peut-être trouver le moyen de le soigner ? Toute l'énergie que nous lui transmettons s'avère inefficace...

Meng Yao le fixait d'un regard à présent lointain, détaché, mais il ne lui laissa pas de répit.

— Et si tu ne peux rien, nul ne pourra alors te reprocher de l'avoir laissé mourir.

Meng Yao considéra plusieurs options, et aborda celle qui lui importait le plus.

— Tu penses donc que je suis responsable de cela ?

Xichen se sentit pris en faute, comme il l'avait été à l'époque dans la cité Wen, en essayant de dédouaner les propos acides de ChiFeng-Zun.

— Je... je l'ignore. Et cela m'importe peu. Quand bien même tu serais responsable, c'était il y a sept ans.

Meng Yao resta longtemps silencieux, et Xichen tenta de le rassurer :

— Je ne laisserai rien t'arriver...

Il se dirigea vers la bibliothèque, en extirpa deux rouleaux enfouis sous un monticule d'autres, et les étala sur la table.

— Assieds-toi un instant, je te prie, dit-il en s'installant lui-même.

Sur l'un des rouleaux de bambou s'étalait une carte sommaire de leur pays, les symboles des différentes sectes indiquant leur localisation ; sur l'autre, une sorte d'arbre généalogique référençant tous les membres éminents de ces clans.

— Nous avions réalisé ceci, afin de faire un point sur les forces qui demeuraient, pour lutter contre la secte...

Il lança à Wen Ning un regard embarrassé, avant de chuchoter :

— La secte ennemie.

Meng Yao émit un « Mmh » que n'aurait pas renié Wangji, après un bref coup d'œil au cadavre féroce. Zewu-Jun ne doutait pas qu'il ait saisi l'information involontairement transmise par son hésitation. Il exposa ensuite, à un Meng Yao attentif, les liens qui existaient entre les membres des sectes. Enfin il garda le silence un long moment, pour laisser la vive intelligence d'A-Yao emmagasiner tout ceci.

— Je pourrais te donner d'autres informations, mais je pense qu'il te serait préjudiciable d'en savoir trop pour l'instant, acheva-t-il.

Il était en effet convaincu que la meilleure manière de lutter contre l'ire d'un Jiang Cheng était encore de ne pas pouvoir y répondre par des arguments censés. Il rappela, dans le seul but de le rassurer et non de l'informer, certain que cela aurait été inutile :

— Wei Wuxian et Wen Ning seront à même de te protéger, en assurant les autres de leur neutralité. Nul ne saurait douter de leur attachement à Jin Ling et de leur volonté de le sauver. Et je serai toujours là pour te permettre de fuir, si la situation devait dégénérer.

Meng Yao l'approuva d'un bref signe de tête. Il connaissait à présent les liens qui unissaient tous ces gens, et il gardait en tête qu'en offenser un revenait à en offenser dix...

— Je pense que vous devriez partir demain, conclut Xichen.

— Vous ?... répéta Meng Yao, qui n'aimait pas beaucoup ce que ce mot sous-entendait.

Xichen confirma d'un hochement de tête.

— Je vais devoir rejoindre mon frère et Wei Wuxian pour les tenir informés, puis rendre visite à Rulan, dit-il, avant de poursuivre pour Wen Ning :

— Demain, tu voudras bien accompagner Sizhui et LianFang-Zun à Jinlintai ?

Xichen avait conscience que revenir sur le lieu de l'extermination des siens ne serait guère plaisant pour le malheureux, mais il ne doutait pas de sa coopération.

Meng Yao aurait bien voulu signifier qu'il désapprouvait, mais il était le seul à qui, manifestement, on ne comptait pas demander son avis sur ce point. Son regard cependant dut le trahir, car Wen Ning marcha en crabe jusqu'à l'autre pièce, tandis que Xichen affichait un sourire d'excuse.

— Il te protègera, quoi qu'il arrive ! Wangji et Wei Wuxian pourraient me rejoindre aux aurores... Cela me permettrait de voir Rulan, pour essayer de mieux comprendre de quel mal il souffre, et anticiper de quelle manière tu pourrais éventuellement l'aider. Je ne préviendrai personne de ta future arrivée, de manière à ce qu'ils ne préparent aucun piège ou que sais-je encore !

Résigné à s'en remettre à la protection de son nouveau garde du corps, Meng Yao vint le trouver dans la chambre où sommeillait Sizhui, et l'observa du coin de l'œil pour se familiariser avec son allure effrayante. Le cadavre féroce, s'en apercevant, lui esquissa ce qui devait être l'ébauche d'un sourire.

— Bon ! conclut Meng Yao, en se retournant brusquement. Puisqu'un programme chargé nous attend tous, demain, il serait peut-être temps d'aller dormir.

— Bien sûr, LianFang-Zun ! sursauta Wen Ning. Je vais vous laisser vous reposer.

Il se leva précipitamment, salua profondément Xichen et Meng Yao, avant de marcher à reculons vers la porte et de disparaître dans la nuit.

Après le départ de Wen Ning, Xichen s'assura que Sizhui dans son sommeil respirait à nouveau de manière calme, et que son taux d'énergie spirituelle était bien remonté. Encore une bonne nuit de sommeil, jugea-t-il en tâtant son pouls, et il aurait retrouvé sa forme et son allant habituels.

Aussi, ce fut le cœur léger qu'il rejoignit A-Yao dans l'autre salle, et qu'il le trouva étendu sur un lit de fortune.

— J'ai déniché des fourrures et des peaux dans le coffre en bois, lui apprit ce dernier, en le voyant revenir. Tu penses que ça fera l'affaire pour cette nuit ?

Xichen ne lui répondit pas tout de suite, prenant le temps de l'admirer ; d'admirer la sveltesse de son cou, les lignes déliées de ses jambes et de ses bras, ou le doux arrondi de ses genoux, que dévoilait le désordre de ses robes qu'il n'avait pas tout à fait fini de retirer.

— Je pense, répondit-il la gorge sèche, que si ça ne fait pas l'affaire, je trouverai un autre moyen pour te réchauffer...

Sur quoi, il s'approcha lentement, faisant rougir encore plus intensément A-Yao. Xichen s'allongea sur l'une des peaux à ses côtés, repoussant loin de ses pensées Jin Ling, et son devoir d'aller rejoindre au plus vite son frère et Wei Wuxian. Sincèrement, comment l'aurait-il pu, alors que son fantasme de la veille était sur le point de se réaliser ?

Meng Yao le fixait à présent les yeux grands écarquillés. Retenant son souffle, Xichen glissa tout doucement la main sous le volume mousseux de ses robes. À la seconde où ses doigts rencontrèrent enfin la peau veloutée de l'intérieur de sa cuisse, A-Yao laissa échapper un gémissement.

— Lan Huan... soupira-t-il, en se redressant et en le renversant avec lui dans le lit. Viens...

Penché au-dessus de son visage, A-Yao approcha ses lèvres des siennes, et tendrement, y déposa un baiser aussi léger que la caresse d'une libellule.

— Encore... chuchota Xichen, les yeux fermés.

Cette fois, A-Yao n'y tenant plus lui sortit le grand jeu. Il colla sa bouche à la sienne, et entama avec sa langue une longue valse-hésitation, qui les laissèrent tous deux à bout de souffle et étourdis. Mais au moment où Xichen sentit l'une de ses mains tenter de défaire sa ceinture, un regain de conscience le traversa brutalement :

— A-Yao, non... Je... je dois m'en aller.

— Et où donc veux-tu t'en aller ? susurra Meng Yao, la tête penchée sur le côté pour le crucifier de son sourire enjôleur.

— Tu sais bien, souffla Xichen, s'arrachant à contrecœur à son étreinte. Je te l'ai expliqué tout à l'heure. Je dois retrouver mon frère et Wei Wuxian. Ensuite, nous devons rejoindre Jinlintai pour...

— Je croyais que c'était pour demain matin ! le coupa A-Yao, plus du tout caressant mais avec des éclairs dans les yeux.

— Non, tu n'as pas compris. C'est Sizhui et toi qui devez nous rejoindre demain, sous la protection de Wen Ning.

En voyant la mine déconfite et courroucée d'A-Yao, Xichen se sentit une fois de plus partagé entre les inclinations de son cœur et ses responsabilités. Était-il possible qu'il ait pu aussi mal s'exprimer ?

— Ce n'est que partie remise, tu sais, tenta-t-il pour le consoler.

Muré dans un silence boudeur, Meng Yao ne lui accorda pas un regard. Quoi qu'il en fût, il était grand temps pour lui de se secouer. Il dégaina Shuoyue, prêt à partir, mais avant de prendre son envol s'approcha d'A-Yao pour lui chuchoter à l'oreille :

— À tout à l'heure, mon aimé...

C'était la première fois que Lan Huan l'appelait ainsi, et cela eut le pouvoir de le faire sursauter, en même temps que de le dérider d'un coup. Après son départ, trouver le sommeil cette nuit lui fut néanmoins difficile. Tant d'informations se bousculaient dans sa tête, tant d'interrogations. Et plus il en savait, plus Meng Yao avait envie d'en apprendre concernant l'homme qu'il avait été.

Il écarta la fourrure sous laquelle il était enfoui, et revint vers la table où Lan Huan avait abandonné ses rouleaux, avec leurs précieuses données généalogiques. Sa prodigieuse mémoire photographique enregistra aussitôt tout ce qui concernait le clan Jin. Ainsi, son père s'appelait GuangShan, et ses deux frères Zixuan et Mo Xuanyu ? D'après les croquis, Zixuan était le fils unique et légitime de GuangShan et Madame Jin. Son autre demi-frère Xuanyu était, quant à lui, le fils d'une certaine Seconde Dame de Mo. En revanche, Meng Yao eut beau chercher, il ne trouva nulle part traces de l'existence de sa propre mère...

Avant de sombrer dans le sommeil, une dernière question toute bête se présenta alors à son esprit, qui une fois qu'elle l'avait affleuré devint impossible à déloger : il aurait assassiné ChiFeng-Zun, leur frère d'armes, fait du tort à son neveu Rulan, qu'il s'apprêtait demain à secourir... Mais, lui-même, comment était-il mort ?

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