Chapitre 12


Quand il revint dans la salle à vivre, quelques minutes plus tard, Meng Yao s'était approprié le fauteuil que Sizhui avait laissé vacant. Ses robes formaient autour de lui une corolle blanche et pourpre. L'ombre d'un instant, Xichen fut tenté de l'approcher pour éprouver du bout des doigts la finesse de ce tissu, les yeux plongés dans les siens ; d'en soulever délicatement les pans, en admirant ses pupilles engloutir ses iris sous l'attente...

Calme-toi, bon sang, ce n'est vraiment pas le moment !

Sans compter qu'A-Yao ne cessait de le fixer de son regard inquisiteur, comme s'il était en train de lire dans ses pensées. Mais Xichen était tellement troublé qu'il mit un moment avant d'envisager que Meng Yao puisse seulement vouloir poursuivre leur conversation, interrompue un peu plus tôt.

— Je crois que nous étions en train de parler de ton neveu, se rappela-t-il avec un sourire, en s'asseyant en tailleur sur la dalle en pierre étincelant de propreté.

— Ainsi que celui de l'époux de ton frère, compléta Meng Yao dont la mémoire eidétique était apparemment restée intacte, même si les souvenirs n'arrivaient pas encore à affleurer en surface.

— C'est bien cela. Jin Rulan est le fils de Jin Zixuan, qui était ton demi-frère, et de Jiang Yanli, qui était la sœur de lait de Wei Wuxian.

— Pourquoi « était » ?

Xichen avait oublié à quel point Meng Yao était un homme attentif, capable de déduire, par la seule analyse des mots qu'il entendait, un grand nombre d'informations. C'est donc avec un soupir qu'il lui confirma :

— Parce qu'ils sont morts tous les deux.

Un long silence accueillit cette dernière révélation, puis Meng Yao osa demander encore :

— Comment sont-ils morts ?

À cet instant, Xichen s'il l'avait pu, aurait voulu s'évader ailleurs. Dans une autre dimension, où les êtres que l'on aimait ne seraient pas de vils assassins. Il s'étira longuement, en levant son visage vers le ciel, enfin ferma les yeux.

— A-Yao, je sais que tu es curieux de toutes les choses de ton passé, et c'est bien normal. Mais je te demande provisoirement l'autorisation de ne pas répondre à cette question. Je t'en serais infiniment reconnaissant.

Le silence persistant de longues secondes, Xichen en déduisit que Meng Yao avait accédé à sa demande. C'est alors qu'il perçut dans l'air un effluve ambré, et que la minute d'après, il sentait sur ses genoux s'appesantir quelque chose, ou peut-être... quelqu'un ? Une matière incroyablement douce venait également de frôler son avant-bras. Alors, vite, il rouvrit les yeux, pour vérifier que son intuition était la bonne. En tombant sur la masse lisse des longs cheveux parfumés d'A-Yao, il crut que son cœur allait éclater dans sa poitrine. Ses jambes tremblèrent, quand ce dernier se souleva légèrement pour remettre ses robes en place, avant de se blottir dos à lui.

— Lan Huan ?

— Oui, A-Yao ? répondit-il, d'une voie altérée.

— Pourquoi ce garçon m'a-t-il appelé LianFang-Zun, et toi Zewu-Jun ?

Xichen poussa un soupir désespéré. Allait-il réellement devoir expliquer, à son ancien frère juré, ce qu'avait représenté la Triade Vénérée ? Alors que son désir le plus cher était seulement d'enrouler ses bras autour de sa taille, et de le serrer fort contre lui ?

— Te donner les détails serait trop fastidieux. Dis-toi que c'est juste une autre façon de nommer une personne, en fonction, par exemple, de ses réalisations. Il s'agit en quelque sorte d'un titre honorifique, que l'on donne à quelqu'un, pour différentes raisons.

Il vit qu'A-Yao l'écoutait attentivement, et ne fut donc pas surpris par sa question suivante :

— Dans ce cas, pourquoi mon titre est-il LianFang-Zun ?

Parce que tu t'es illustré par plusieurs actions d'éclat, lors de la Guerre du Crépuscule ? Que tu as d'abord été un espion émérite, rendant de fiers services à toute la Cultivation, puis celui qui nous a débarrassé du chef de clan Wen, cet homme assoiffé de pouvoir... avant d'utiliser ta nouvelle position pour assouvir des vengeances personnelles ?

Non, décidément, il ne pouvait pas lui révéler de telles horreurs ! Le Meng Yao d'aujourd'hui n'avait aucune idée de tous les crimes que « l'autre » avait pu commettre. Et comme disait le Patriarche Yiling, son beau-frère, le passé doit rester dans le passé. LianFang-Zun avait déjà suffisamment payé pour ses fautes.

Face à son silence, Meng Yao se retourna pour lui faire face, et poursuivit sur un ton doux et conciliant, que Xichen l'avait si souvent entendu utiliser :

— Zewu-Jun... Tu as conscience, n'est-ce pas, que même si mes souvenirs se sont enfuis et que tu refuses de me les rendre, tes silences sont autant d'indices préoccupants pour moi ?

Il approcha son visage de celui de Xichen, emprisonnant son regard du sien.

— Rappelle-toi, souffla-t-il, je suis amnésique, pas incapable de réfléchir. L'étais-je avant ?

Il sentit une satisfaction incroyable l'envahir, en voyant Xichen chercher ses mots, et se recula légèrement.

— Non, déglutit ce dernier, tu ne l'as jamais été. Tu as toujours été d'une intelligence... redoutable.

Meng Yao sourit et cessa ce jeu qui, finalement, ne lui plaisait pas tant que ça. Il lui était désagréable de mettre Lan Huan mal à l'aise. Pensif, il prit entre ses doigts une extrémité du ruban blanc, qui lui coulait en cascade dans les cheveux.

— Et as-tu conscience, répéta-t-il un ton plus bas, plus incertain, qu'il est très perturbant pour moi de me sentir si à l'aise, avec un homme que je n'ai – de mon point de vue – rencontré qu'il n'y a que quelques jours ?

Cette fois, il n'osa pas affronter le regard de Lan Huan, se doutant que ses propos pouvaient être outrageants. Mais plus que tout, il avait besoin de faire le point sur cela, plus encore que sur tout ce qui l'attendait au dehors. Car celui qui était là, face à lui, lui semblait pour l'heure être la meilleure raison de se battre pour cette nouvelle vie.

À présent, l'instinct qui l'avait tenu et porté jusqu'ici s'était apaisé, et il faisait preuve de réflexion, de raison. Il inclina lentement la tête, posant son front sur l'épaule de Lan Huan, tout en continuant à jouer avec le lien de ses cheveux sur son épaule opposée. Il avait volontairement ralenti son geste, pour lui laisser l'occasion de s'éloigner, ou de lui faire comprendre d'une quelconque manière que ses attentions étaient malvenues.

Au lieu de quoi, Lan Huan glissa ses mains dans son dos et l'étreignit. Agréablement lové entre ses bras, calé entre ses jambes repliées, Meng Yao tourna la tête en soupirant, posant sa joue contre le tissu ouvragé, ses lèvres à quelques centimètres de la gorge de Lan Huan.

— Tu ne m'as sans doute rencontré qu'hier, mais nous nous connaissons depuis bien plus longtemps, murmura Xichen, sans savoir si cela pouvait le réconforter ou le rassurer.

Il lui apparut que le meilleur moyen de l'armer contre toutes les horreurs qu'il finirait forcément par apprendre – des horreurs qu'il avait lui-même commises – était de lui rendre quelques-uns de leurs meilleurs souvenirs. De lui rappeler ce qui faisait de lui l'homme qu'il avait aimé au premier regard.

— Autrefois, lorsque j'étais encore un très jeune chef, les membres d'une secte ennemie nous ont attaqués. Ils ont détruit YunShen Buzhi, le lieu où résident et étudient les miens, et je n'ai eu d'autres choix que de fuir, en emportant avec moi les rouleaux et objets sacrés qui sont le fondement de notre clan. Cette secte n'existe plus aujourd'hui, mais à l'époque, elle dominait toutes les autres. Chacun de mes alliés était attaqué également.

Xichen posa quelques secondes sa joue contre le front de Meng Yao, se gorgeant de son odeur et de sa chaleur.

— Mais toi, que beaucoup considéraient alors comme de piètre importance, car tu n'étais pas l'héritier d'un grand nom, tu m'as tendu la main. Tu m'as caché ici, dans un lieu où personne n'aurait pu me chercher, puisqu'il était sans attache avec aucun membre important d'une secte.

Contre lui, Meng Yao retenait sa respiration, attentif. Il poursuivit alors de la même voix calme et apaisante :

— Je te considérais comme un ami alors, et un homme de valeur. Mais je ne pensais pas, à ce moment, que tu aurais pu ainsi, sans l'ombre d'une hésitation, me porter secours au péril de ta vie contre cette secte toute puissante... ou presque.

Xichen ferma les yeux à ces souvenirs doux-amers.

— Et à l'abri de cette petite maison, tu m'as soigné, abrité, rassuré. Nous avons mis au point le plan qui allait être pour une grande part dans la chute de nos ennemis.

Il sourit, amusé malgré tout de se remémorer avec quelle habileté A-Yao avait pu lui cacher des projets importants, à commencer par sa volonté d'infiltrer la secte Wen...

— Parce que je t'avais accepté pour l'homme que tu étais, et pas pour ton ascendance, tu m'as fait l'honneur de faire de même. Tu ne t'es pas contenté d'aider et de secourir un chef de clan, pour le renvoyer ensuite à ses devoirs. Tu m'as apporté l'appui d'un ami. Même avant de perdre la mémoire, je ne crois pas que tu te sois vraiment rendu compte à quel point tu m'as sauvé, de tant de manières possibles.

Meng Yao avait profité de chaque instant, de chaque infime seconde, parole ou mouvement, et souri sans quitter son nid douillet.

— Une chance alors que je sois revenu pour que tu me le dises !

Il sentit Lan Huan rire contre lui et releva la tête. Son sourire se fana aussitôt, et la pâleur envahit ses joues, alarmant Xichen.

— Quelqu'un à la fenêtre... avertit Meng Yao.

Xichen se releva sans lâcher son précieux fardeau, mais Meng Yao se détacha de lui, pour lui permettre de s'emparer de son épée. Ils firent tous deux face à la porte, prêts à toute éventualité.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top