Sawyer Bottom - Mélanie

Une année était passée depuis ce malheureux événement. Et personne n'avait remarqué que la tombe de Barry Claude avait été profanée. Celui-ci semblait d'ailleurs appartenir au passé. Tout le monde avait repris sa vie normalement, sans jamais l'évoquer ou avoir une pensée pour lui. À vrai dire moi aussi, je considérais cette histoire comme appartenant au passé, je ne voulais plus y penser. D'ailleurs, le morceau de ruban violet était toujours coincé entre les pages d'un de mes livres du " bien savoir se tenir en société pour une lady " que ma mère m'avait offert à mes six ans. Je ne les avais jamais lus, ils m'avaient seulement étés utiles pour caler des objets ou créer des aires de jeu pour mes figurines de bois.

J'avais fait don à mon père de l'entreprise, jugeant bon de la lier à la Big Thunder Mining Company. Il était donc très heureux, ne devant plus rien débourser à ce niveau et en vendant du bois à d'autres compagnies aux alentours. Que de bénéfices.

Ma mère, elle, était aux anges. En effet, un homme, Sawyer Bottom scieur dans son atelier, avait réussi à me séduire, et nous nous étions beaucoup rapprochés. Il était attentionné, doux, grand et avait de beaux cheveux blonds dans lesquels j'adorais passer mes doigts. Ce qui déplaisait au plus haut point à mon père. Il ne supportait pas l'idée que je me rapproche d'un potentiel mari. Il était des plus désagréable avec celui-ci lorsqu'il venait dîner avec nous. J'avais eu l'idée de lui composer une petite mélodie à lui chanter lorsqu'elle serait fin prête. Je m'y entraînais chaque jour !

Le mystère de cette quatrième personne à table avec nous au Cowboy Cookout n'avançait pas. J'avais déjà sondé Alice et Louise, mais elles n'avaient pas su me répondre. Et lorsque j'avais demandé des informations à ma mère, elle ne m'a pas longtemps écoutée et m'a répondu " Quelles sottises ma fille ! ". J'avais donc fini par croire que mon imagination m'avait joué un tour.

Je faisais de plus en plus de cauchemars, toujours troubles. Je n'arrivais jamais à m'en souvenir. J'aurais aimé qu'ils s'éclaircissent.

- Ma Mélanie ?

Je me suis retournée, toujours les mains dans les cheveux, enfilant des épingles par-ci par-là pour me coiffer. C'était Sawyer.

J'aimais lorsqu'il m'appelait comme ça, c'était mignon, même si le " ma " laissait sous-entendre que j'étais à lui et à lui seulement. Ce que je ne cautionnais pas forcément.

- Oui ?

- Que dirais-tu de te préparer et d'aller faire un tour sur le Molly Brown tout à fait spontanément, m'a-t-il proposé un sourire en coin, s'approchant de moi pour me prendre dans ses bras.

- Mmh, ai-je fait en rigolant, très bien, mais à condition que vous portiez le costume que je vous ai offert !

- Justement...

Un majordome est entré, une longue boîte blanche dans les bras. Il s'est rapproché et a soulevé le couvercle.

- Surprise !

Magnifique ! Il avait fait créer une robe pour moi dans le même tissu que celui de son costume ! Nous serions assortis !

- Il est unique ! Comme toi !

- Merci Sawyer ! Il est somptueux !

Je n'ai pas attendu plus longtemps. Je l'ai enfilé sans plus attendre, et j'ai retrouvé Sawyer devant le manoir.

- Il vous va à merveille, s'est-il écrié.

J'ai tourné sur moi-même pour faire tourbillonner les volants.

- Allons-y maintenant, ai-je rigolé.

Le Molly Brown était un immense bateau à vapeur, tout comme le Mark Twain. Il naviguait sur la calme River Of The Far West, qui entourait la Big Thunder Mountain. Le capitaine était tout à fait charmant !

- C'est parti, a dit Sawyer lorsque le bateau a démarré.

Les mineurs sur la montagne nous saluaient ce à quoi nous répondions par de grands sourires. Le manoir était encore plus beau et éclatant vu de là. L'air était frais et le bruit de l'eau me ravissait. J'ai fermé les yeux et me suis accrochée à la rambarde pour en profiter un maximum. Les volants de ma robe s'envolaient lorsque le vent battait.

- Ma Mélanie ? Que dirais-tu d'aller diner au Cowboy Cookout ce soir ?

- Au Cowboy Cookout, ai-je répété en rouvrant les yeux, ce soir ?

Je me voyais délirer une fois de plus sur mes souvenirs d'enfance, imaginer encore cette mystérieuse quatrième personne.

- Cela ne vous convient pas, s'est-il empressé d'ajouter, nous pouvons aller ailleurs si vous le souhaitez ! Ça m'est bien égal !

- Oh non, lui ai-je répondu, c'est simplement que...

Allait-il me croire ? Je ne préférais pas lui en parler. Je ne voulais pas qu'il me prenne pour une folle.

- Non, non, rien.

- Mélanie, je vois bien qu'il y a quelque chose qui ne va pas, a-t-il remarqué, alors dis-moi.

Après tout... Il serait le seul le plus susceptible de me croire.

- Eh bien, ai-je commencé, à chaque fois que je vais au Cowboy Cookout, je revois des passages de mon enfance, des bribes de conversation, des mots, des gestes, des visages... Je sais que j'y allais avec mes parents, mais une quatrième personne me revient en tête, mais je ne me rappelle plus de qui il s'agit. J'en ai parlé à ma mère, à mes amies du manoir - mère m'aurait tué si elle avait su que je considérais des employées comme amies - mais ça ne leur dit rien. C'est ridicule, je le sais...

- Je ne trouve pas ça ridicule, m'a-t-il assuré, pas du tout. Et qui sait, vous avez peut-être raison ! Comment à réagi votre mère ? Elle serait du genre à vous cacher des choses, elle vous le savez mieux que moi !

- Elle m'a répondu précipitamment que c'était idiot et n'en a plus parlé.

- Vous ne trouvez pas ça étrange ?

- En y réfléchissant, si.

C'est vrai que ma mère n'avait pas vraiment prêté attention à ce que j'avais dit et m'avait répondu d'une sorte qui suggérait qu'elle en savait plus que ce qu'elle laissait croire. Donc, elle aurait pu me mentir et me cacher des choses. C'était une possibilité.

- Dès que nous serons descendus du bateau, si bien-sûr vous êtes d'accord, nous irons faire plus amples recherches sur cette histoire, a proposé Sawyer tout en faisant signe de la main à un mineur de la Big Thunder Mountain.

- Je... OUI, me suis-je écriée, surprise. Vous êtes bien la première personne à me croire !

- Vous êtes ma Mélanie, je pourrais croire en tout pour vous.

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De retour au manoir, Sawyer et moi sommes allés nous installer dans la salle de bal - le lieu le moins fréquenté de toute la bâtisse - pour avoir un peu de calme et être à l'abri des regards.

- Par où commencer, a demandé Sawyer, avez-vous une idée ?

- Je ne sais pas vraiment...

- Connaissez-vous une cachette bien particulière ici, a-t-il continué.

Il y en avait une, que je connaissais par cœur. Mais je n'étais pas certaine d'y trouver quoi que ce soit.

- Oui, derrière le cadran de l'horloge dans le couloir, lui ai-je révélé, il y a une petite boîte en marbre, mes parents ne savent pas que je suis au courant de son existence. Mais je n'ai jamais fait vraiment attention à ce qui se trouvait à l'intérieur.

- Bien ! Allons voir !

Nous nous sommes levés, nous avons replacé les chaises autour de la longue table rectangulaire, et avons remonté les escaliers - la salle de bal était en contrebas - pour nous diriger vers le couloir où se trouvait l'horloge.

- Dites-moi, a commencé Sawyer, quand avez-vous eu cette vision de cette quatrième personne pour la première...

Une femme - une bohémienne - est arrivée en courant vers nous, ses châles et foulards flottants derrière elle et ses bijoux tintant. Elle avait un magnifique visage : une bouche pulpeuse, des yeux sombres et profonds, des joues roses... Même ses cheveux noirs et ondulés étaient de toute beauté.

- ...fois, a achevé Sawyer, hébété par cette femme fonçant vers nous.

- Mélanie, m'a appelé la bohémienne en reprenant son souffle une fois arrivée devant moi, Mélanie Ravenswood !

- Oui, ai-je dit, fronçant les sourcils. Qui êtes-vous ?

- Mme. Leota, très chère, a-t-elle répondu anxieusement.

Ça avait fait tilt dans ma tête ! La voyante que mon père avait embauché ! Je ne l'avais jamais vu et n'avait point désiré la voir car d'après les rumeurs, elle jouait de sa beauté pour charmer mon père. Mais, ce n'était que des rumeurs, je préférais ne pas les écouter.

- Oh, me suis-je exclamée, oui j'ai entendu parler de vous !

- Mélanie, vous devez m'écouter ! C'est très important ! Je l'avais déjà perçu, et cette vision s'est éclairée aujourd'hui même ! Vous devez prendre garde ! Il le tuera, s'est-elle exclamée en pointant Sawyer du doigt, et il tuera les autres !

- COMMENT, a hurlé le concerné visiblement choqué.

- Il a déjà tué l'homme dans la crypte, a-t-elle continué.

Barry Claude ? C'est de lui dont elle parlait en disant " l'homme dans la crypte " ?

- Qui, ai-je demandé, qui a tué qui ?

- Et ce jour, lorsque l'oiseau se réveillera, il périra et il prendra une forme démoniaque !

- MAIS QUI, lui ai-je cette fois crié.

- Vous le découvrirez bien assez vite. Je dois m'en aller à présent, je dois partir de ce village de malheur. Partez, vous aussi ! Partez, je vous en conjure !

Puis elle a continué sa route en courant. Sawyer, totalement déboussolé, n'a eu qu'un seul réflexe, il m'a pris dans ses bras.

- Cette pauvre folle délirait totalement, a-t-il dit.

- Très certainement, ai-je conclu, une larme coulant le long de ma joue.

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J'ouvrais délicatement le cadran de l'imposante horloge, espérant trouver quelque chose qui puisse répondre à mes questions. J'ai tiré la petite boîte de marbre, et me suis assise dans l'un des fauteuils du couloir. Sawyer a posé une main sur mon épaule, pour me donner du courage, je suppose, pour me dire qu'il était avec moi, que la découverte soit bonne ou mauvaise. J'ai alors soulevé le couvercle.

Des glands, des bâtons, des pétales - mes anciens petits trésors - puis de vieilles lettres d'amour de mes parents et une clef.

- Je ne vois que ça qui pourrait potentiellement nous aider, ai-je dit en prenant la clef du bout de mes doigts.

- Il ne reste plus qu'à savoir ce qu'elle ouvre...

Effectivement.

- Si je me mettais à la place de ma mère, ai-je murmuré pour moi-même, où cacherais-je quelque chose de secret ?

La réponse me semblait évidente. Tellement évidente.

- Dans sa penderie.

- Êtes-vous sûre, m'a questionné Sawyer.

- Tout à fait.

Nous avons couru jusqu'à la pièce personnelle de ma mère, et à ma grande surprise, la porte n'était pas verrouillée.

- Il va falloir faire vite, ai-je indiqué à Sawyer, la porte n'était pas fermée à clef. Cela veut dire qu'elle était là il y a un instant, et qu'elle s'est absentée pour quelques minutes seulement.

- Vas-y, je vais faire le gai.

Je suis entrée à pas de souris dans la pièce, allant directement vers la penderie. Je me suis immiscée dans la jungle de dentelle, de tulle et de soie, écartant les robes pour trouver une boîte, un coffre, une porte cachée, n'importe quoi qui ait une serrure.

- Mélanie, a chuchoté Sawyer par l'entrebâillement de la porte, j'entends des pas !

Mince ! Il fallait faire vite ! Chercher... Chercher... Encore chercher... TROUVÉ ! Une petite boite en bois, plate, avec une serrure. J'ai couru, laissant la penderie ouverte derrière moi, et je suis sortie pour rejoindre Sawyer.

- Que faites-vous ici petites canailles, a rigolé une voix derrière moi.

Je me suis retournée ; Alice nous regardait un sourire au coin de la bouche.

- Je ne dirais rien, a-t-elle promis en pointant la boîte du doigt, mais faites vite ! Votre mère arrive !

J'ai souri en retour et j'ai recommencé à courir de plus belle, attrapant la main de Sawyer au passage. Nous nous sommes mis à rire sans s'arrêter pendant toute notre course effrénée.

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Épuisés, mais toujours en rigolant, nous nous sommes rendus dans son atelier. Il a poussé une chaise vers moi, sur laquelle je me suis assise. Lui, s'est installé, une jambe d'un côté, une de l'autre, sur un rondin de bois posé sur l'une de ses machines à couper - une machine avec une gigantesque scie circulaire juste en face de lui pour trancher n'importe quoi.

- Faites attention Sawyer, lui ai-je imploré en lui montrant le disque derrière lui.

- Ne vous en faites pas, a-t-il rigolé, tant que je ne l'actionne pas, il ne se passera rien !

La petite boîte, posée sur mes jambes, était vraiment très légère. Elle ne devait pas contenir grand-chose.

- Vous avez toujours la clef, ai-je demandé à Sawyer, inspectant toutes les minutieuses gravures dans le bois.

- Oui, mais avant tout ma Mélanie, j'aimerais vous demander quelque chose.

Il s'est retiré de la machine, pour s'accroupir devant moi, le genou gauche posé au sol. Il a attrapé l'un de mes mains et a annoncé :

- Je sais que c'est un peu informel mais, Mélanie Ravenswood, ma bien aimée, voulez-vous devenir ma femme ?

Prise de cours, je me suis précipitamment levée, faisant tomber la boite par terre.

- OUI !

- Alors, comme je n'ai pas prévu d'alliance, j'en suis désolé, l'idée de vous épouser m'est venue ce matin même, avant de venir à votre rencontre... Alors considérez ce présent, comme gage de mon amour.

Il a sorti de la poche intérieure de son manteau un petit pendentif oval en or. Il scintillait de mille feux !

— Comme il est beau, ai-je dit en me le passant autour du cou.

Je l'ai serré très fort dans mes mains. C'était tellement intentionné...

Il a agrippé la boite, a sorti la clef, et l'a tournée dans la serrure. Un petit déclic métallique s'est fait entendre, puis le couvercle s'est soulevé, juste avant que Sawyer ne me donne le tout.

- Mais, avez-vous la permission de mes parents, lui ai-je demandé toujours en état de choc et en attrapant la boîte qu'il me tendait.

- Votre mère est d'accord, mais je n'ai pas encore demandé à votre père.

Quel bonheur ! J'allais me marier ! J'allais me marier avec l'homme que j'aimais ! En y réfléchissant, c'était horrible de dire ça.

Sawyer s'est rassis sur le rondin, un grand sourire aux lèvres.

- Nous allons être le plus heureux couple, a-t-il claironné, de tout Thunder Mes...

Je n'avais rien vu venir. Rien.

À peine ce bruit s'était fait entendre que j'avais relevé la tête en sursaut. La scie circulaire s'était actionnée. Sawyer m'a regardé, la bouche ouverte. La scie avait coupé le bas de son ventre en deux dans une giclée de sang, son beau costume à présent tout taché. Il en a craché, avant de glisser et tomber sur le sol, mort. J'en ai essuyé, que j'avais reçu sur le visage, avant de regarder mes doigts et de m'évanouir en entendant un cri infâme et cruel qui venait du fond de la scierie. Jamais je n'allais pouvoir lui chanter ma petite mélodie spécialement composée pour lui.

Je pensais que la mort de Barry Claude dans ma vie n'était qu'une page qui s'était tournée, mais je m'étais trompée. Ce n'était que le début d'une succession d'horreurs.

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