Prologue

Thunder Mesa, Arizona, septembre 1871.

J'ai été réveillé par de grosses secousses. De lourdes secousses, qui ont fait tanguer mon vieux lit usé par le temps. Je me suis relevé surpris et j'ai regardé tout autour de moi.

Rien d'inhabituel pourtant; j'étais dans ma cabane en bois, allongé dans mon lit en boule, entouré de mes innombrables bibelots et fers de chevaux - j'étais très superstitieux. Je me suis mis debout et j'ai agrippé le dernier numéro du Thunder Mesa Daily Messenger, posé jusqu'à lors sur ma petite table de nuit. En lisant le titre, je me suis frappé le front :

"DE NOUVELLES EXPLOSIONS DANS LA BIG THUNDER MOUNTAIN".

Bien sûr ! J'aurai dû m'en douter dès le début ! C'était Ravenswood et toute sa clique de mineurs. Chaque jour, ils usaient un peu plus l'imposante montagne, et pillaient encore et encore l'or de l'oiseau tonnerre. Car une légende racontait que ce mystérieux indien se réveillerait un beau jour et que s'il se rendait compte qu'on lui avait volé son précieux trésor, il pourrait propager un tremblement de terre mortel sur tout Thunder Mesa. Ce si " humble " Monsieur Ravenswood ne se souciait point de ce genre d'histoires. Mais moi, j'y croyais. Ce genre de contes d'indiens me fichaient la trouille en pauvre Californien que j'étais. C'était inhabituel pour moi.

Eh oui, j'avais déménagé pour trouver un espace où vivre un peu plus calme. Mais ce genre d'événements me rendaient fou ! Ces explosions dans la mine étaient tout bonnement horribles pour mon petit cœur ! Il m'arrivait même quelques fois de regretter ma Californie où j'avais laissé ma famille...

En sortant de mon petit cabanon, je suis tombé directement face à face à la BTM, comme disent les gens du coin, en parlant de la montagne orangée.

Thunder Mesa était une ville paisible, cliché même de l'idée que l'on se fait des petites bourgades de l'Arizona en plein XIXe siècle. Les petits bâtiments de bois, le saloon, le bureau du shérif... Le sable orange virevoltant à chaque courant d'air et les innombrables cactus .Les santiags et les chapeaux de toutes sortes. Les rails et les wagons, servant à aller chercher les plus grosses pépites. Un paysage qui faisait vraiment rêver.

Je me suis arrêté, m'appuyant contre la rambarde, regardant au loin. Certains mineurs étaient déjà au boulot, levés dès l'aurore, pour récolter or et pierres de toutes sortes. En contrebas, nous pouvions voir quelques tipis, ainsi qu'un feu. Le repère du reste de la civilisation amérindienne, chassée depuis que Thunder Mesa s'était imposée. Un kayak faisait le tour de la BTM et transportait deux hommes, essayant de pêcher des poissons à l'harpon.

Je me suis redirigé vers le Lucky Nugget, pour aller prendre mon petit déjeuner, comme à mon habitude.

— Bonjour, ai-je lancé à Miss Diamond Lil en entrant, pas trop de dégâts avec les explosions de la Big Thunder de ce matin ?

— Oh rien de grave Luis, a-t-elle répondu, comme à chaque fois, des verres brisés et de l'alcool gaspillé...

Le Lucky Nugget était installé seulement à quelques mètres de la BTM. À chaque nouvelle secousse, Lil en payait les frais...

On racontait qu'elle avait pu construire son petit restaurant car elle avait été une grande chanceuse en trouvant l'une des plus grosses pépites d'or jamais piochée jusqu'à présent. Elle était très gentille avec ses clients et ses plats étaient vraiment succulents ! Elle avait un don !

— Comme d'habitude, je présume, a-t-elle affirmé, un large sourire aux lèvres.

— Tu me connais !

La salle était immense, sur deux étages, avec une scène, où l'on pouvait admirer parfois, des danseuses de french cancan ou de vieux fermiers, jouant de l'harmonica. Je me suis installé à l'une des tables les plus proches de celle-ci. Lil m'a apporté mon plat d'œufs brouillés très peu de temps après, fumant. J'y ai mis un coup de fourchette, et porta le mets à mes lèvres. Mmmh... C'était délicieux... Ce que ce restaurant avait de différent par rapport aux autres du village, c'était que chaque plat, si simple soit-il, ne nous laissait jamais sur notre faim. Soudain, un bruit me fit rouvrir les yeux, que je ne m'étais même pas rendu compte avoir fermé.

— Cadeau de la maison !

Lil m'avait déposé un large verre de whisky sur la table.

— Oh, mais ! Je vais tout de même te payer, non ?

Elle a tout de suite pris un air renfrogné.

— Puisque je te dis que c'est un cadeau. Tu es mon client le plus fidèle Luis !

J'ai pris le verre à pleine main et j'ai bu une grosse gorgée. Puis, me souvenant que je devais travailler, j'ai attrapé ma montre à gousset, au fond de la poche de mon veston.

— Je commence dans dix minutes !

J'ai gobé mes yeux brouillés, descendu mon verre d'un trait, même que lorsque je me suis relevé, j'ai eu la tête qui tournait !


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J'ai continué à longer la River of the Far West pour tomber sur le petit port d'embarquement de la Thunder Mesa Riverboat Landing Co.

En attendant le gros bateau à vapeur pour rejoindre la BTM - je m'occupais de la réception de la Thunder Mesa Mining Co. dans une toute petite cabane au début de la galerie principale de la montagne - j'ai regardé à ma gauche en l'air comme à mon habitude : le manoir de la famille Ravenswood. Magnifique, dans une peinture blanche, éclatante. Je n'y étais jamais entré ; les personnes de mon genre n'étaient pas "conformes" aux hautes exigences d'Henry Ravenswood. On disait de lui qu'il était un homme ignoble, dur et narcissique. Je ne l'avais vu que de loin et je ne l'avais jamais vraiment rencontré, bien qu'il était mon patron. La pauvre Mélanie elle, sa fille, était déjà tombée amoureuse quatre fois. Mais à chaque coup, son fiancé mourrait " accidentellement ". L'un tué par un ours, l'autre scié en deux, le troisième noyé dans une cascade d'eau... Henry était soupçonné par les habitants de Thunder Mesa d'avoir mis en place ces meurtres sordides, mais aucune preuve ou aucun indice ne pouvait le prouver. Il détestait que l'on s'approche trop près de sa fille, et il ne voulait pas qu'un homme l'emporte loin de lui. Il la surprotégeait. D'ailleurs, celle-ci venait juste de s'appuyer contre l'une des fenêtres du manoir, en larmes.

Mélanie allait dans quelques jours se marier, avec un certain Jake Evans. Il travaillait pour la compagnie de son père. Mais pourquoi pleurait-elle ? Son père s'était-il encore disputé avec son fiancé ? Mélanie à croisé mon regard avant que sa mère, Martha, vienne la réconforter. Puis, elles ont disparu toutes les deux de derrière la fenêtre.

Perdu dans mes pensées, j'avais raté le premier passage du Mark Twain - le bateau à vapeur. Je suis arrivé en retard. Je me suis assis devant le comptoir en accrochant mon badge sur mon veston de cuir. Luis Robinson, c'est ainsi que l'on m'appelait. Plus qu'à attendre les mineurs que je devais référencer dans le répertoire.

Quelque chose, posé sur ma petite table, interpellait mon intention. C'était le journal de la ville, le numéro d'aujourd'hui. D'habitude, j'allais l'acheter moi-même, à la fin de la journée. Quelqu'un avait sûrement dû l'oublier. Le titre, sur la première de couverture annonçait :

"MORT D'IGNATIUS KNIGHT, ACCIDENT OU COUP MONTÉ ?"

Ignatius était le responsable des mines. Apparemment, il était mort dans des explosions de dynamite et TNT alors qu'il avait fait tomber son allumette pour sa pipe par terre. C'était peut-être pour cela que Mélanie pleurait à sa fenêtre. Ses quatre premiers prétendants étaient tous décédés, drôle de coïncidence. Espérons que ce certain Jake ne disparaisse pas subitement lui aussi.

Un mineur arrivait, je l'ai vu s'avancer vers mon guichet, au loin. Je me suis apprêté à lui faire un signe de la main lorsqu' il est tombé, face contre terre. J'ai senti des secousses, une fois de plus, sous mes pieds, voyant tout autour de moi trembler, bouger, tanguer de droite à gauche. Le journal est tombé par terre avant de se faire écraser par une petite roche. La Big Thunder Mountain s'éboulait ! Je suis sorti de mon cabanon, ne voulant pas me faire écraser, et j'ai bien fait : à peine quelques secondes après, un gros rocher qui faisait deux fois ma taille est tombé sur mon guichet !

Toute la ville tremblait ! Toutes les personnes présentes dans les rues étaient à terre et rampaient pour trouver un abri. Certaines se faisaient écraser par des bâtiments s'écroulant sous la violence des secousses. Des calèches, avec des chevaux plus qu'apeurés, faisait monter des habitants en panique, espérant pouvoir sauver leur peau.

J'ai couru vers le paravent devant la place d'embarquement du Mark Twain, voulant m'éloigner le plus possible de la montagne. Mais, le bateau victime de nuées de morceau de pierre faisant la taille de mon point, a coulé peu à peu, laissant les passagers seuls dans l'eau, pour ceux qui savaient nager. Comment allais-je pouvoir faire pour partir d'ici ? 

D'un seul mouvement de jambes, je me suis jeté à l'eau, et j'ai commencé à patauger pour arriver de l'autre côté. J'ai évité plusieurs bouts de roche fonçant vers moi à toute vitesse.

Des cris stridents arrivaient de tout part, des gens courraient, se bousculaient, cherchant leurs proches, attendant la mort. Le sol tremblant était horrible. J'ai peiné à rester debout.

Une petite fille seule, immobile au plein au milieu de la rue, pleurait. Je me suis rapproché, en lui demandant :

— Petite, tu ne sais pas où sont tes parents ?

Au même moment, une femme âgée l'a appelée, un châle sur ses épaules. La fillette a couru vers elle, me laissant en plan. À deux mètres d'elle, le Lucky Nugget est tombé, dans un énorme fracas. J'ai mis une main sur ma bouche, espérant que Diamond Lil s'en était sortie.

 Le manoir, lui, n'avait trop rien à craindre, perché sur la colline de Booth Hill, il était moins secoué.

Henry en est sorti paniqué, sa canne à la main, son chapeau haut de forme sur la tête, et sa longue cape violette sur les épaules. Cet homme avait des goûts très extravagants. Sa femme Martha l'a suivi, le visage marqué par l'effroi. Ils ont couru jusqu'au portail, qu'Henry a ouvert d'un coup d'épaule. Ils se sont dirigés vers la BTM où il voulait sûrement récupérer le plus d'or possible avant que les galeries se bouchent. Sa femme, deux mètres derrière lui, s'est faite écraser par un morceau de la montagne, qui était tombé beaucoup trop vite.

Henry n'était plus qu'à une dizaine de mètres de moi lorsqu'il s'est arrêté et m'a regardé avec ses yeux noirs et perçants. Il a poussé une exclamation et a montré du doigt une chose en l'air avant de se faire écraser à son tour par un morceau de roche. J'étais choqué ! Les deux personnes les plus importantes de la ville venaient de mourir devant mes yeux ! J'avais beau ne pas aimer cet homme je ne lui ai jamais souhaité la mort ! Je n'en revenais pas !

Lorsque j'ai regardé en l'air, exactement là où il avait pointé du doigt, je n'ai plus eu le temps de m'enfuir. L'oiseau tonnerre s'était vengé. J'aurais mieux fait de rester en Californie, avec ma tendre famille.

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