Non Omnis Moriar - Gwenda
Nous étions désemparées. Cela ne ressemblait pas à Jason. Il n'aurait jamais fait ça seul, sans qu'on l'ait poussé. Ses nouveaux amis avaient dû avoir une très mauvaise influence sur lui.
- Sarah, reste ici, avec...
J'ai regardé Luis, toujours la main sur celle de ma fille. Je n'arrivais pas à croire ce que j'allais dire.
- ...avec Luis, ai-je achevé.
Même s'il s'agissait d'un fantôme, la savoir en sa présence me rassurais plus que de la savoir seule. Et si vraiment il y avait n'importe quel ennui, il s'arrangerait pour faire voler des livres ou des assiettes en l'air, pour faire fuir les éventuels troubleurs.
- Je vais aller voir le shérif.
- Mais, maman, le commissariat est fermé à cette heure, m'a fait remarquer ma fille.
J'ai regardé l'horloge accrochée depuis peu au mur : dix heures du soir déjà. Mais ce n'était pas grave, j'allais tout de même sonner chez le shérif. C'était une affaire des plus urgentes.
- Ne t'inquiète pas, je vais trouver un moyen, l'ai-je rassurée.
Je me suis rendue en voiture devant la petite maison du shérif. Une pièce était allumée - il ne dormait donc surement pas. J'ai toqué à sa porte.
- Shérif, ai-je crié, c'est Mme. Robinson ! J'ai besoin de vous d'urgence !
J'ai entendu des pas vers la porte, et une injure qui m'a bien fait comprendre que je n'étais pas la bienvenue à cette heure-ci. J'ai entendu une clef tourner de l'autre côté, puis la porte s'est entrouverte, bloquée quand même par l'entrebâilleur.
- Bonsoir Mme. Robinson, que me vaut cette visite si tardive, m'a-t-il demandé sur un ton sarcastique.
- Eh bien... Mon fils et ses amis, sont portés disparus depuis le début de l'après-midi, je vous avais d'ailleurs appelé et je pense savoir où ils sont : à Phantom Manor.
Il a baillé très longuement et a répondu :
- Oui je me rappelle de votre coup de fil, j'ai envoyé des hommes patrouiller pendant la nuit, du côté du bois.
- Mais, ils sont à Phantom Manor, ai-je répété impatiente.
- Comment pouvez-vous le savoir, m'a-t-il rembarré.
Il était bien évident que je ne pouvais pas lui parler de l'oncle Luis et du don de Sarah. Il penserait que je déraille totalement.
- L'instinct maternel, ai-je proposé hésitante.
- C'est ridicule, vraiment...
- JE NE VEUX PAS QU'IL SE PASSE LA MÊME CHOSE POUR MON FILS QUE CE QU'IL S'EST PASSÉ POUR LE PAUVRE AMI DE CE STEVE, l'ai-je coupé en criant, ET NE FAITES PAS L'HOMME QUI NE SAIT PAS DE QUOI JE PARLE !
- Qui vous en a parlé, a-t-il demandé à moitié surpris, à moitié horrifié, cette histoire doit être gardée secrète !
- J'ai mes sources.
Il a soupiré et m'a promis d'aller au manoir en personne le lendemain.
- Mais non ! Je ne peux pas attendre demain !
Il était déjà trop tard, il venait de me fermer la porte au nez. Je suis restée plantée devant sa maison pendant plusieurs minutes sans savoir quoi faire. Je ne pouvais pas attendre autant de temps. Il fallait absolument trouver un autre moyen.
꧁꧂
- Appelons la police, je ne vois pas d'autre alternative, a proposé Mme. Evers.
- Je viens d'aller voir le shérif Johnson en personne. Il ne veut pas aller voir avant demain.
- Alors attendons demain, a-t-elle retoqué.
- Mme., il s'agit de nos enfants ! Leur vie est en danger ! Nous ne pouvons pas attendre plus longtemps. À ce moment ils nous attendent peut-être, espérant revoir leur famille !
Elle a lâché une larme, puis a hoché la tête. Nous nous sommes donc retrouvée toutes les deux dans ma voiture en route pour Phantom Manor. Et en quelques minutes à peine, nous étions arrivées. C'est à ce moment que je me suis rendue compte que Thunder Mesa était un village vraiment minuscule.
Nous sommes sorties et avons scruté le manoir, espérant trouver un quelconque indice sur la disparition de nos enfants. Une fois de plus, et encore plus fortement que les précédentes, mon cœur s'est emballé, mon souffle s'est accéléré, et je suis rentrée dans un état second. Une brise froide a remué mes cheveux, tandis que ce mystérieux chant qui me retournait l'esprit a recommencé à me hanter. Le manoir m'appelait.
- Au final, je ne pense pas que ce soit une si bonne idée, s'est inquiétée Mme. Evers. Allons au moins chercher de l'aide... N'y entrons pas seules...
C'était la meilleure chose à faire, tout naturellement. Nous ne savions pas à quoi nous attendre une fois à l'intérieur. Mais encore une fois, cette force au fond de moi a pris le dessus. Je ne la contrôlais pas.
- Non. Entrons.
Madame Evers était tétanisée, elle ne comprenait pas ce soudain changement d'humeur. Je ne savais pas pourquoi, mais ce manoir m'attirait de plus en plus. Comme s'il voulait que je vienne jusqu'à lui. Comme il l'avait fait pour le livre. Comme il le faisait quand je le regardais. Comme il le faisait avec ce chant. Il voulait que je découvre quelque chose.
Sur l'un des deux piliers qui encadraient le grillage se trouvait une plaque en pierre qui indiquait " Phantom Manor ". Celle-ci était entourée de gravures de serpents s'entremêlant comme des plantes grimpantes. Juste au-dessus, j'ai très vite reconnu un buste de Beethoven, mais sous une forme démoniaque et horrifiante. Peut-être un choix des habitants pour représenter le mal, car Beethoven était lui-même la victime de ses propres démons ? Elle devait surement avoir été placée là juste après le tremblement de terre et les événements qui en avaient découlé.
En bas de celle si était gravé une phrase. Une citation plutôt. " Non omnis moriar ". Je la connaissais grâce à mes maigres heures de latin au lycée. Horace, Livre III, Ode 30. " Je ne mourrai pas complétement. " Funeste prédilection.
Le portail était cadenassé.
- Comment allons-nous entrer, m'a demandé Mme. Evers toujours angoissée.
Je lui ai répondu sur un ton très froid. Trop même.
- Escalader.
Sur ces paroles, j'ai agrippé les barreaux gris et rouillés et je me suis tortillée pour monter, trouvant des appuis pour mes pieds. Une fois tout en haut j'ai sauté, trébuchant en arrivant au sol. J'ai aidé Mme. Evers à descendre également et je me suis retournée face au manoir. Je ne l'avais encore jamais vu de si près. Mais à présent, 'en repérais chaque détail. De l'encadrement des fenêtres rondes aux beaux rideaux de dentelle. Du toit dégradé à la peinture qui s'était effritée. Des marches de pierres aux cheminées fumantes.
Les cheminées fumantes ? J'ai repris mes esprits et constatais avec beaucoup de surprise que l'une des deux cheminées fumait bel et bien. Était-ce mon fils ? Était-ce Megan, la fille de Mme. Evers ? Était-ce leur ravisseur ? Où était-ce Mélanie Ravenswood ?
Je chassais tout de suite cette idée stupide de ma tête. Quelle bêtise. Cette Mélanie était morte depuis longtemps ! Et si c'était son fantôme ? Parce qu'après tout, je venais d'en rencontrer un en personne le jour même. Je pouvais croire à tout à présent.
La seule chose à laquelle je devais penser sur le moment était mon fils, qui devait être mort de peur. Je me suis remise à marcher pour arriver jusqu'à l'immense porte de bois. Avant d'essayer de forcer la porte, je frappais grâce au heurtoir. Mais il n'y eut aucune réponse. Je l'ai alors poussée et, à ma grande surprise, elle s'est ouverte.
Elle donnait sur un spacieux vestibule. Entre le grand tableau aux arabesques d'or, les grands chandeliers et les tissus rouges aux murs, et le sol tapissé de velours, j'ai reconnu un style très distingué. Victorien même. Il y avait un petit tableau. Une peinture représentant la désolation. Un portrait de Henry et Mélanie Ravenswood. Il était sombre et glauque. Henry tenait sa fille par les épaules, possessif. Elle, dévastée, dans sa robe de mariée. Nous pouvions y voir le manoir, rongé par le temps, comme il l'était à présent. Il y avait également un arbre mort, avec une corde pendue, comme pour y accueillir quelqu'un et le traîner jusqu'à sa mort. Gravé dans cet arbre, il y avait quatre cœurs, tous barrés. Mélanie avait-elle eu d'autres prétendants avant son mariage raté ?
J'avais les yeux rivés sur le tableau. Je ne pouvais pas les décrocher de celui-ci. Mais, quelle ne fut pas ma stupeur lorsqu'il se métamorphosa pour devenir un tableau beaucoup plus joyeux. Pas de corde. Pas de cœurs barrés. Et le manoir resplendissant. Henry souriait bêtement, et Mélanie était d'une beauté resplendissante. Je me retournais, en prenant conscience que Mme. Evers était toujours là. Elle avait les yeux, elle aussi, rivés sur le portrait. Mais celui-ci était redevenu celui que j'avais vu avant sa transformation.
- Vous l'avez vu se changer, n'est-ce pas ?
Elle était terrorisée. Elle n'avait pas vu le tableau, non, mais elle avait peur de moi, de mon comportement des plus étranges.
- Je vais rentrer pour appeler de l'aide Mme. Robinson... a-t-elle expliqué tremblante en avançant à reculons, les bras tendus vers moi comme protection.
Chercher de l'aide pour sa fille, ou pour moi ? Elle n'a pas pu faire un pas de plus qu'une force invisible l'a poussé à terre et l'a trainée par l'une des portes de la pièce, qui avait coulissée toute seule. Elle avait hurlé d'effroi. Je me précipitais vers elle mais la porte s'est refermée trop vite. Je tambourinais, donnais des coups de pieds et de poings pour la faire céder, mais en vain.
- Chut Gwenda, me suis-je reprise, les mains sur les cuisses, réfléchis calmement, que faire ?
Mme. Evers, elle aussi martelant de l'autre côté, s'est arrêtée et a crié :
- MEGAN !
- Mme. Evers, ai-je crié m'appuyant à la porte, vous avez retrouvé votre fille ? Jason est là ?
J'ai recommencé à frapper de plus belle. Mme. Evers s'est mise à hurler, et une voix grave d'homme s'est élevée mystérieusement dans l'air, de nulle part.
- Cela ne sert à rien. Votre amie est perdue à jamais. Vous ne pourrez pas faire autrement.
C'était angoissant. J'étais prise de panique en entendant les cris de Mme. Evers venant de derrière la porte. Elle suppliait, implorait quelque chose que je ne pouvais même pas percevoir.
- Qui êtes-vous ? Que voulez-vous, l'ai-je questionné.
J'ai eu une idée : j'ai arraché l'un des chandeliers pour défoncer la porte.
- Je suis votre hôte. Je ne veux que vous accueillir dans mon humble demeure !
Au troisième coup de chandelier la porte s'est cassé. J'ai arraché des morceaux de bois, pour pouvoir passer. C'était une pièce octogonale, avec quatre grands tableaux au mur qui... S'ALLONGEAIENT ! Mais je n'ai pas pris le temps de regarder à quoi ils ressemblaient et ce qu'ils représentaient. Il fallait que je retrouve Mme. Evers coûte que coûte. Mais seule une fille, de l'âge de Jason, était étendue au sol, inconsciente. Je me suis précipitée vers elle. Elle était toujours consciente, elle respirait.
- Où est Mme. Evers, ai-je hurlé à cet homme invisible.
- Juste au-dessus de vous...
J'ai levé tout doucement ma tête vers le haut, redoutant ce que j'allais voir. Mme. Evers était pendue au plafond, ses yeux sans vie encore remplis d'effroi me regardant. L'horrible rire sadique de l'homme résonnait dans mes oreilles alors que je la fixais, sans savoir quoi faire.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top