L'oncle Luis - Gwenda
Ce chant. Ce chant que j'ai entendu toute la nuit, en dormant. Ce chant qui m'a réveillée en sursaut, à qui appartenait-il ? J'avais reconnu une voix de femme, j'en étais sûre. Mais de quelle femme s'agissait-il ? Je n'étais pas folle !
Au même moment, Jason est sorti sur le perron. J'étais toujours assise sur le rocking chair, le livre ouvert sur mes genoux.
- Maman ? Tu as dormi dehors ?
J'étais un peu déboussolée. Ce chant m'avait complètement retourné le cerveau.
- Je... suppose, oui, ai-je répondu.
Reprenant mes esprits peu à peu - et pour ne pas paraître ridicule aux yeux de mon fils -, je lui ai demandé s'il avait bien dormi.
- Pas tellement, a-t-il baillé.
- Pourquoi, me suis-je précipitée, tu as entendu quelque chose d'étrange cette nuit ?
- Non ... m'a-t-il répondu soucieux, juste le matelas qui est cassé.
C'était bon. Je passais pour une malade mentale.
- Comment-ça ?
- Bah, il est tellement vieux qu'hier soir, des ressorts ont transpercé le tissu ... Et j'ai dû dormir par terre ...
Il a soupiré et il y eu un petit blanc jusqu'à ce que je reprenne la parole.
- Je t'en achèterai un nouveau...
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Quelques semaines plus tard, Sarah et Jason ont fait leur rentrée. J'avais alors décidé, profitant d'être seule pour le faire, de ranger les dernières affaires emballées. Je n'arrivais pas à me sortir cette voix du crâne. Je l'entendais pratiquement tous les jours. Ce chant me faisait réfléchir : j'avais l'impression de l'avoir déjà entendu, mais j'avais beau me casser la tête, je ne retrouvais pas où et dans quelles circonstances.
D'après ce que j'avais compris, Jason allait manger avec deux ou trois camarades de classe, qu'il avait rencontré pendant la fin des vacances. Sarah, elle, allait revenir manger à la maison.
J'avais prévu l'après midi d'aller déposer des CV un peu partout, voire même jusqu'à la supérette de ce pauvre Steve. Plus le temps passait, plus je devais me serrer la ceinture. D'ailleurs, en parlant de Steve, je n'étais pas allée voir le shérif, et m'étais résignée à le faire : qu'est-ce qu'une jeune mère comme moi allait pouvoir faire contre un officier ?
Je voulais aussi aller jusqu'à Phantom Manor pour le voir d'un peu plus près. Je ne voulais tout de même pas y entrer. Même si personne ne vivait dans ce manoir, c'était tout de même une propriété privée... Et il était vrai que cette histoire ne me laissait tout de même pas indemne. Je rangeais les derniers livres sur la bibliothèque en y pensant, lorsque Sarah est arrivée en trombe dans le salon.
- Chérie, dis-je étonnée, tu es déjà là ?
- Oui ! Il est l'heure.
J'ai pu constater, en regardant mon téléphone, que c'était bien vrai ! Je n'avais pas vu le temps passer, occupée comme je l'étais.
- Va t'asseoir, lui ai-je indiqué, on va manger.
Assises toutes les deux autour de la table en bois, nous avons parlé de sa nouvelle classe. Elle semblait plutôt heureuse, et moi aussi. Jusqu'à ce qu'elle me pose une question qui m'a fait avaler de travers.
- Tu as déjà entendu parler de Phantom Manor, maman ?
- Euh... Oui... C'est le manoir en haut de la colline chérie, ai-je répondu surprise, pourquoi cette question ?
Elle a hésité à répondre, puis a fini par articuler, jouant avec les spaghettis dans son assiette :
- Parce que des grands m'ont raconté son histoire pour me faire peur.
J'en suis restée bouche bée... Je ne savais pas quoi répondre...
- Il ne faut pas croire à ces bêtises, l'ai-je rassurée, sans croire vraiment à ce que je disais, et puis il est hors de question que des élèves viennent t'embêter ! J'appellerai ton école plus tard. Ils ressemblaient à quoi, ces gamins ?
Encore une fois, elle n'a pas répondu tout de suite.
- Ils étaient bleus.
Cette fois, je me suis réellement étouffée avec une pâte. Juste après avoir retrouvé mon souffle et avoir toussé deux ou trois fois, j'ai répété :
- Ils étaient bleus ?
- Oui, et pâles, presque transparents. Et ils portaient des cordes au cou qui pendaient derrière eux. On aurait dit des fantômes.
- DES FANTÔMES ?
Que me disait-elle ? À quoi jouait-elle ? Elle avait sûrement dû trouver le livre sur Thunder Mesa et lu ses histoires sur Phantom Manor et ne voulait pas me le dire. Donc elle inventait un prétexte pour ne pas se faire disputer, une personne sur qui remettre la faute, en l'occurrence, ces deux " fantômes ".
Nous n'avons plus reparlé pendant la fin du déjeuné, jusqu'à ce qu'elle parte. Je la regardais partir au loin par la fenêtre avant de me mettre à faire la vaisselle. Cette histoire de fantômes était stupide.
Je me suis jetée dans le canapé, le vieux livre posé là rebondissant à côté de moi. Je l'ai regardé et j'ai constaté qu'une page avait été pliée. Je l'ai ouvert à celle-ci : une photo, de deux enfants d'une douzaine d'années. Deux garçons. Le petit encadré disait " Otages d'un dernier indien récalcitrant à l'installation de Thunder Mesa. Pendus par ce même homme le 10 août 1857. Celui-ci a été abattu dans la même journée." Cette histoire était tout à fait sordide, d'un côté un indien avait tué deux enfants innocents, et d'un autre, il avait dû fuir et voir sa terre natale disparaitre sous la construction de la nouvelle ville. L'image des deux garçons m'a frappée : les voilà, les deux fantômes aux cordes de Sarah ! J'étais très énervée contre elle, me servir de si gros mensonges, juste pour cacher le fait qu'elle ait touché au livre !
Soudain mon téléphone a sonné. Je l'ai sorti de ma poche, et j'ai décroché.
- Allô ?
- Bonjour madame Robinson, a énoncé une voix à l'autre bout du fil, c'est le lycée de votre fils, Jason.
- Oui, que se passe-t-il, ai-je demandé me faisant déjà plusieurs scénarios de ce qui aurait pu se passer dans ma tête, il a fait quelque chose ?
- Non, justement, il n'est pas revenu en cours après la pause de midi.
- Je...
- Nous vous dirons si nous avons des nouvelles, madame.
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J'étais en panique, assise à la table entrain d'essayer pour la vingtième fois d'appeler Jason. Mais il ne répondait pas. Qu'allais-je faire ? Mon corps était secoué de sanglots, et mes joues étaient rouges.
J'ai attrapé mon sac, mes clefs de voiture et je suis sortie de la cabane en espérant retrouver mon fils, apparemment disparu. Je suis allée dans toutes les boutiques et restaurants possibles pour savoir s'ils avaient vu Jason. Mais je n'ai eu que des réponses négatives. À part Madame Evers, la mère d'une des amies de Jason, aussi en panique. Sa fille n'était pas réapparue, également.
Je suis rentrée chez moi, peu après Sarah.
- Maman ? Où est Jason ?
- Je ne sais pas...
Mes jambes se sont dérobées, et j'ai fondu en larmes. Je ne pouvais plus m'arrêter. Elle est venue me réconforter, avec un gros câlin, puis elle s'est redressée.
- Il va bien, a-t-elle affirmé.
J'ai relevé la tête, toujours à quatre pattes par terre.
- Comment peux-tu le savoir ?
- C'est... L'oncle Luis qui me l'a dit, a-t-elle continué hésitante et méfiante.
- COMMENT ? Mais Sarah ! L'oncle Luis EST MORT ! Comme ces deux enfants dans le livre de Thunder Mesa ! Pendus par un indien ! Comme peut-être ton frère à cet instant ! Ne raconte pas de sottises ! Je t'en prie !
- Non. Jason va bien. C'est Luis qui me l'a dit, a-t-elle répété.
- Sarah, s'il te plait...
Je n'ai pas pu terminer ma phrase. Elle s'est baissée et a attrapé ma main. Elle a pointé un endroit dans la pièce. Et j'ai crié.
Un humain, bleu, flou, transparent flottait dans l'air à quelques centimètres du sol. Il portait un chapeau de cowboy et des santiags. Mais il était défiguré. Mais sous ces traits difformes, j'ai pu reconnaitre l'oncle Luis.
- Le voilà, a fini par dire Sarah.
Choquée, j'ai reculé, lâchant la main de Sarah. Et à cet instant précis, Luis a disparu. Plus rien, juste du vide.
- Sarah, ai-je chuchoté, viens là ! Il a disparu, il est peut-être encore autour de nous. Il doit être dangereux !
- Non maman, a-t-elle continué sans bouger, il n'est pas dangereux, et il est toujours là. Tu as juste lâché ma main.
Elle a retourné sa tête vers l'espace à présent vide, et a acquiescé.
- Il dit s'excuser de t'avoir fait peur. Ce n'est pas tous les jours que nous pouvons voir des fantômes.
Je me suis lentement rapprochée, fixant l'endroit où se trouvait Luis quelques secondes auparavant, et j'ai retouché la main de Sarah. Le fantôme est réapparu, comme par magie.
- Je pense qu'il n'y a que moi, qui peut les voir, a expliqué ma fille.
- C'est sa particularité, Mme. Robinson.
Un fantôme m'avait parlé ! UN FANTÔME VENAIT DE ME PARLER ! C'était fou ! Je devenais folle !
- Désolé, désolé, a dit précipitamment Luis en voyant mon air apeuré, je ne voulais pas vous effrayer !
- Non, ai-je bégayé, c'est... ma faute.
Je me suis ensuite adressée à ma fille.
- Donc... Tu es la seule à pouvoir les voir, et si tu touches les vivants, tu es capable de les faire voir à eux aussi.
- À condition que j'ai vu une image du mort avant. Et si la personne arrête de me toucher, cela rompt le lien.
J'ai attrapé le livre sur le canapé et je l'ai rouvert à la page des deux garçons.
- Donc tu les as vraiment vus, ai-je réalisé en montrant la photo. Je suis désolée de ne pas t'avoir cru chérie...
- Ce n'est rien, a-t-elle affirmé.
Je lui ai retouché le bras pour voir Luis.
- Vous êtes donc... notre ancêtre.
- Oui ! Luis pour vous servir, a-t-il plaisanté en faisant une révérence.
- Mais pourquoi n'êtes-vous pas partis de Thunder Mesa, après votre mort je veux dire ?
- Je n'ai pas pu... J'ai du rester sur mon lieu de mort, en l'occurrence ici, où je me suis fait écraser par une roche, a-t-il expliqué en montrant son visage, et je n'ai pas pu m'en aller car quelque chose doit me retenir je suppose, comme dans toutes les légendes de fantômes.
Je ne savais pas quoi ajouter... Le simple fait d'avoir découvert que les esprits existaient bel et bien me faisait encore plus douter sur la vérité de Phantom Manor. Toute cette histoire de fantôme bourreau était peut-être réelle... Mais en attendant, mon fils était toujours absent, et blessé ou pire, qui sait. Il fallait que je le retrouve.
- Vous avez dit savoir que mon fils était en vie, ai-je commencé à l'égard de Luis, en tenant toujours ma fille, comment vous le savez ?
- Je l'ai vu avec ses amis peu après midi.
- Où ça, ai-je demandé, où étaient-ils ?
Luis s'est tourné vers la fenêtre et j'ai tout de suite compris.
- Oh Jason non, ai-je simplement murmuré.
De tous les endroits inimaginables sur cette terre, de tous les endroits qu'il aurait pu visiter à Thunder Mesa, il avait dû aller là-bas. Pourquoi n'était-il pas allé simplement manger au Lucky Nugget et retourner ensuite en classe ? Pourquoi était-il allé au manoir ? Pourquoi avait-il voulu mettre sa vie en danger à Phantom Manor ?
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