Histoire De Famille - Gwenda

La fumée bleue tournoyait sans s'arrêter devant mes yeux et me brouillait ma vue. Même si j'essayais d'en sortir, la fumée me suivait.

— Mme. Leota, je vous en prie arrêtez, l'ai-je soudoyée.

Pas de réponse, alors j'ai crié, et la fumée s'est dissipée. J'ai regardé autour de moi, sans trop comprendre ce qui s'était passé. J'ai regardé autour de moi. Je n'étais plus dans le manoir, mais en pleine forêt. J'ai regardé mon accoutrement : une robe jaune. D'ailleurs, en observant bien mes mains, j'ai pu remarquer que ce n'était pas les miennes. Les doigts étaient plus fins, plus longs. Je les ai portés à mon visage. Je ne reconnaissais plus mes traits. Ma bouche, mon nez, mes dents... J'étais différente, j'étais une autre personne.

Un ours est sorti d'un buisson m'a regardé férocement et s'est en allé. Drôle d'animal. Il venait sûrement avoir mangé sa proie car ses dents et ses babines étaient recouvertes de sang.

Voulant trouver une sortie, j'ai commencé à avancer exactement là où l'ours venait de sortir. En poussant les buissons, j'ai vraiment cru que j'allais tomber dans les pommes. Un homme - ou ce qu'il en restait plutôt - était éventré, déchiqueté, démembré au sol. Quelle horrible vision ! C'était digne d'un film d'horreur très slash !

Je me suis baissée, le nez pincée entre le pouce et l'index de ma main gauche pour ne pas sentir l'odeur de la chaire et du sang. J'en ai d'ailleurs trempé le bout d'un doigt, et il était encore chaud. L'ours ne s'était donc pas nourri, mais avait simplement tué.

Cette histoire me rappelait quelque chose... Un homme tué par un ours...

— BON SANG, ai-je crié.

J'ai décroché l'une de mes mèches de ma queue de cheval, et je l'ai regardé. Ils étaient roux. J'étais dans la peau de Mélanie Ravenswood ! L'homme mort était l'un de ses prétendants, vu sur l'un des quatre tableaux !

La fumée bleue est revenue, et m'a de nouveau embarquée dans un nouveau décor. Un grand hangar, avec tout un tas d'outils et de machines. Un homme, à genoux, m'a demandé :

— Je sais que c'est un peu informel mais, Mélanie Ravenswood, ma bien aimée, voulez-vous devenir ma femme ?

Que devais-je répondre ? Visiblement rien puisque l'homme a affiché un grand sourire et m'a expliqué :

— Alors, comme je n'ai pas prévu d'alliance, j'en suis désolé, l'idée de vous épouser m'est venue ce matin même, avant de venir à votre rencontre, considérez ce présent comme gage de mon amour.

J'avais compris, j'étais dans le corps de Mélanie certes, mais je voyageais dans ses souvenirs ! Et quoi que je fasse ou dise, cela n'affecterait pas le cours des évènements.

Il me tendait un petit collier en or surmonté d'une sorte de breloque ovale. Je l'ai attrapé. Il a sorti une clef et a ouvert une boîte qu'il m'a collé dans les mains avant d'aller s'asseoir devant moi sur une machine à couper le bois.

— Votre mère est d'accord, mais je n'ai pas encore demandé à votre père.

C'était drôle de le voir parler tout seul. J'ai soulevé le couvercle de la boîte et j'ai découvert deux photographies. L'une était une photo de famille des Ravenswood, et l'autre un autre manoir. Je les ais remises à l'intérieur sans y prêter vraiment attention. Je savais que si cet homme était l'un de ceux des tableaux, il allait mourir d'une minute à l'autre.

— Nous allons être le plus heureux couple, a-t-il claironné, de tout Thunder Mes...

Bingo. Coupé en deux par une scie circulaire.

La fumée a continué à me faire voyager. Je me suis retrouvée dans une barque avec un capitaine ennuyeux, et je suis sortie de l'eau dans laquelle il m'avait poussé avant de tomber par un autre homme, le quatrième et dernier de la série des tableaux. Mais avant d'entrer ensemble dans la forêt, la fumée s'est enroulée une nouvelle fois autour de moi pour me faire atterrir dans une petite pièce. Une toute petite fenêtre donnait sur Thunder Mesa - j'étais de retour au manoir, mais toujours à l'intérieur de Mélanie. Des papiers étaient éparpillés un peu partout, par terre, sur les meubles... C'était un grand bazar ici !

— Alors comme ça, tu as enfin compris que j'étais l'auteur de tous ces meurtres.

J'ai sursauté et je me suis retournée. Henry était adossé à l'encadrement de la porte.

— Pourtant, avec tous ces indices, tu aurais pu le découvrir depuis bien longtemps ! Il aura fallu que ma servante fasse l'idiote à te montrer mes preuves à détruire pour que tu t'en rendes compte.

Je me suis rapproché et j'ai claqué des doigts à deux centimètres de son visage. Aucun réflexe, aucune réaction. Tout comme les prétendants, la scène se jouait peu importe ce que je faisais.

— J'avoue avoir été bête en faisant tomber ce ruban violet, a-t-il continué son charabia, et je croyais être cuit dès que j'ai vu que tu l'avais trouvé. Pourtant, tu n'as rien deviné !

Je suis alors revenue devant le bureau et j'ai farfouillé dans les couches de carnets et de documents qu'il y avait, tandis qu'Henry a continué de parler dans le vide. Je n'ai rien trouvé d'intéressant... Henry avait évoqué un carnet dans son discours, mais je ne le trouvais pas.

— Puis, je sais que tu as eu des doutes lorsque tu as entendu mon rire, a-t-il continué à parler à une Mélanie imaginaire. J'ai lu ton journal, quelle bonne idée j'ai eu lorsque je t'ai offert ce carnet ! Je m'étais promis d'arrêter de rire lors de mes prochains meurtres, mais c'était tellement bon de voir ces abrutis mourir que je ne pouvais pas me retenir !

De quoi ? Quels meurtres ? Les rumeurs que j'avais pu lire dans le livre étaient elles vraies ? Henry aurait-il tué les quatre prétendants de sa propre enfant ?

— JE N'AI JAMAIS VOULU TE TUER ! JE NE ME DOUTAIS PAS QUE TU IRAIS FAIRE UNE BALADE AVEC LUI ! ET CE N'ÉTAIT PAS MON BUT AU DÉBUT DE RÉCUPÉRER L'INDUSTRIE DE BOIS !

Henry s'est baissé, et a attrapé - dans le vide - ce qui devait être le visage de Mélanie, si je n'avais pas bougé de place.

— Tu ne partiras pas d'ici. Tu es à moi. Ni Sawyer, ni les autres, ni personne ne pourra t'emporter loin de moi. Jamais. Tu es trop fragile, et trop belle pour que je puisse te confier à un quelconque homme. Tu m'appartiens.

J'ai porté ma à ma bouche, totalement choquée. C'était horriblement sordide de dire ça à sa fille. De plus, j'en ai conclu que les rumeurs disaient bel et bien la vérité. Henry Ravenswood était un assassin et puis s'est transformé en horrible fantôme à sa mort.

La fumée m'a réentourée une nouvelle fois et la scène glaçante a disparu pour laisser place à une autre, un pendu, exactement là où l'avait été Mme. Evers, avant de revenir et de me transporter dans un autre lieu du manoir que je n'avais pas encore découvert. J'étais devant une grosse horloge à pendule. Au lieu d'indiquer douze heures comme les autres, celle-ci en affichait treize. La grande aiguille et la petite aiguille s'y sont rejointes, et le " tic tac " répétitif s'est arrêté. J'ai porté ma main - celle de Mélanie - au cadrant avant que celle-ci se mette à sonner bruyamment sans s'arrêter. Surprise, je suis tombée en arrière.

Sonnée, je me suis frotté la tête qui avait frappé le sol. Je me suis relevée, constatant que j'étais de nouveau dans mon corps, avec mes mains, mes traits, mes cheveux blonds et mes vêtements. J'étais revenue dans la salle de voyance. Mais tout était calme. Mme. Leota n'était plus là, et les meubles ne volaient pas. Je suis alors sortie.

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En marchant encore un ou deux mètres, espérant trouver mes enfants et Luis, je suis tombée sur cette drôle d'horloge que j'avais vue " en tant que Mélanie " . Elle indiquait 13 heures, comme dans la vision. Elle était légèrement différentes. Elle ressemblait plus à une sorte de monstre. Des dents pointues prêtes à arracher les doigts si on s'approchait trop d'elle, des yeux rouges comme la braise, prête à transpercer du regard quiconque la touchait... 

En m'approchant un peu plus prêt, j'ai remarqué que le cadran n'était pas fermé entièrement. Le loquet était soulevé et il y avait un petit jour.  Alors, je l'ai ouvert plus grand. À l'intérieur, il y avait une boîte en marbre. Je l'ai délicatement prise entre mes mains, car elle semblait très fragile. Elle était lourde, aussi.

Derrière moi, il y avait un petit fauteuil en velours rembourré, où je me suis assise, en posant la boite sur mes genoux. J'ai soulé le petit couvercle avec beaucoup de précaution. J'ai découvert des papiers jaunis à cause du temps. J'ai décidé d'en lire un :

" J'atteste, moi, Mélanie Ravenswood, avoir mis au monde Marianne Ravenswood le 22 février 1872 à Phantom Manor, manoir de ma famille à Thunder Mesa. "

Mélanie avait eu un enfant ? Ça c'était une nouvelle surprenante !

" Mère : Mélanie Ravenswood

Père : Jake Evans ( décédé )

Grand-père Maternel : Henry Ravenswood ( décédé )

Grand-mère Maternelle : Martha Ravenswood ( décédé )

Grand-père Paternel : John Evans ( décédé )

Grand-mère Paternelle : Aurore Evans ( décédé ) "

Ce nom me disait quelque chose ... Marianne. Le nom de mon arrière-arrière grand mère... Ma propre grand mère m'en avait beaucoup parlé, elle l'admirait.

" J'atteste, moi, Anna, employée à Phantom Manor, avoir aidé Mélanie Ravenswood à avoir mis au monde Marianne Ravenswood le 22 février 1872 à Phantom Manor, manoir de la famille Ravenswood à Thunder Mesa. "

C'était une drôle de coïncidence, il me semblait bien que la Marianne de ma famille était née la même année. À moins que... 

Je me suis jetée en arrière dans le fauteuil, laissant tomber la boite en marbre par terre. Le dernier couplet de Leota parlait d'une boite de pierre, hors, je venais d'en trouver une. Elle avait aussi parlé d'un descendant, qu'Henry avait aussi évoqué après avoir joué du piano. De toute évidence, c'était moi. Le manoir m'appelait moi, pas un autre. Moi. De toute évidence, j'étais une Ravenswood.

Maintenant tout devenait plus clair : Henry Ravenswood ne savait pas que sa fille était enceinte. Mélanie ne le savait peut-être même pas elle.  Enfermée dans le manoir, elle a accouché de sa fille avec l'aide d'Anna et Jasper Jones. Peu après, elle est morte épuisée par le chagrin. Les deux domestiques sont restés pendant près de trente ans dans le manoir pour pouvoir élever et cacher Marianne, sous les menaces incessantes du Phantom attendant le bon moment pour s'évader. Elle s'est enfuie en Californie, où elle s'est mariée et n'a plus jamais parlé de cette histoire de sa vie. Et, c'en était presque drôle car, des années plus tard, sa petite fille, moi, s'est mariée à l'un des petits fils d'un des frères de l'oncle Luis.

Je n'en revenais pas. J'étais une Ravenswood. On aurait dit qu'un poids venait de s'écrouler sur mes épaules. Un poids très lourd et horrible à porter.

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