Conforme - Mélanie

J'étais exténuée. Totalement épuisée. Et c'est pour cela que je m'étais allongée une dizaine de minutes sur mon lit. Ce matin-là, je m'étais réveillée très tôt et avais géré tout un tas de choses dans le manoir. Aller payer tel valet pour sa journée supplémentaire, donner un coup de main en cuisine - ma mère avait fait irruption tout à coup et m'avait crié dessus en me sermonnant sur le fait que ce n'était pas à moi de préparer le déjeuner. Puis, pour terminer, j'avais aidé mon père pour les comptes de sa compagnie.

D'ailleurs, celui-ci avait l'air de faire comme s'il ne s'était absolument rien passé la veille. Ce qui m'arrangeait car avec le recul, je m'étais rendue compte que j'avais peut-être été trop dure. Mais j'espérais tout de même qu'il changerait de comportement vis-à-vis des personnes qui travaillaient pour et avec lui.

J'ai soupiré. Je me suis extirpée de mes pensées, et j'ai fermé mes yeux. Je pouvais enfin me reposer un peu. Mon dos endolori s'est enfoncé dans le matelas mou et les couchages en satin. Quelqu'un a toqué à la porte.

— Entrez, dis-je exaspérée.

Ma mère est apparue de derrière la porte. Un large sourire arborait son visage.

— Mélanie, a-t-elle claironné tout haut, il faut te préparer pour ce soir !

J'ai grogné et j'ai mis mes mains sur mon visage.

— C'est dans plus d'une heure mère, ai-je râlé, je ne mets pas autant de temps pour enfiler une robe et passer un nœud dans mes cheveux.

Elle s'est figée.

— PARDON, a-t-elle hurlé, MAIS TU OUBLIES QUE TU DOIS TE MAQUILLER CHÉRIE !

— Je n'ai pas besoin de maquillage, ai-je continué, laissez-moi dormir un peu, je suis épuisée...

Elle s'est approchée à grands pas vers moi puis m'a soulevé la tête avec sa main gauche.

— MAIS OUI PARDI, a-t-elle braillé en fichant son index droit sous mes yeux fatigués, TU AS DES CERNES !

J'ai grogné pour la seconde fois.

— Viens ma fille, nous avons du pain sur la planche !

Elle m'a tiré le bras pour me mettre debout.

— Allez ! Une jeune femme de ton rang se doit de se tenir impeccablement.

Nous sommes allées jusque dans sa chambre, pour utiliser sa coiffeuse. Elle a ouvert sa grande penderie où se trouvaient des centaines de robes différentes.

— Tout d'abord, cherchons une robe qui t'ira à merveille, tout en prenons en compte que nous sommes en printemps. Donc ni trop chaud, ni trop court.

Elle s'est engouffrée dans sa jungle de tissus. De la tulle, de la soie, du velours...

— Mère, est-ce vraiment nécessaire, ai-je demandé en connaissant déjà sa réponse, pour un homme comme Barry Claude ?

J'avais prononcé son nom avec un ton qui frôlait de prêt l'irrespect.

— Surtout pour un homme comme Barry Claude, a prononcé le morceau de dentelle qui cachait ma mère et qui bougeait au rythme de ses paroles. Tient, essaye donc ça, et je te prie de l'appeler M. Barry.

Elle avait choisi une robe des plus affreuses, bleu ciel, avec des manches bouffantes et courtes qui pesait une demi tonne lorsqu'elle me l'a posée dans mes bras. J'avais l'impression de porter une caisse entière de pépites d'or.

— Allez, a-t-elle de nouveau braillé en me pointant le paravent du doigt, ne perdons pas de temps !

Je me suis traînée jusqu'à derrière celui-ci et j'ai commencé à enlever mon vêtement actuel pour essayer l'horreur qu'elle venait de me passer.

— Je sais pourquoi vous faites tout cela, pourquoi vous voulez à tout prix me confier à M. Barry ai-je déclaré à ma mère en insistant bien sur le " M. Barry ".

J'ai surgi de derrière le paravent, en me sentant comme une grosse botte de paille à cause de tout ce tissu.

— Ah oui, m'a-t-elle répondu, et de quoi s'agit-il ? Tourne voir s'il te plait.

Je me suis exécutée, et je me suis mise dos à elle. Les volants volèrent lorsque j'ai pivoté. Je détestais cette robe. J'avais l'impression que les manches étaient en train de m'engloutir les bras.

— Vous me vendez à cet homme contre la certitude de recevoir du bois jusqu'à sa mort.

Elle m'a agrippé les bras, et m'a refait pivoter, dans un envol de tulle.

— Mmh... Non cette robe ne va pas, a-t-elle susurré.

Elle s'est mis un doigt sur la bouche pensante puis a recommencé son expédition dans sa penderie.

— Que disais-tu chérie, a-t-elle dit plus fort.

— Que vous me vendiez à Barry Claude pour du bois.

Elle est sortie une nouvelle fois, et m'a donné une robe rose.

— Essaye-la, m'a-t-elle ordonné.

J'ai fait marche arrière pour retourner derrière le paravent.

— C'est ridicule Mélanie, a-t-elle fini par répondre, tu es notre fille. Et c'est M. Barry.

J'ai retiré l'immonde robe dévoreuse d'hommes, pour enfiler la nouvelle. Dire que j'aurais pu mettre trente secondes à prendre n'importe qu'elle tenue dans mes propres vêtements.

— C'est bien l'impression que cela me fait, ai-je continué, prouvez-moi que ce n'est pas pour votre propre intérêt.

J'ai rejoint ma mère, avec la robe rose, un peu plus jolie que la dernière, mais toujours aussi volumineuse.

— Je pense que quelque chose d'un peu moins gros fera l'affaire, a déduit ma mère." Sans rire " ai-je pensé

— Mais nous allons rester sur du rose.

Elle est allée - pour la troisième fois - dans sa penderie.

— Vous voyez, ai-je poursuivi, vous ne me répondez pas. Vous vous en moquez.

Ma mère à poussé un long râle et s'est retournée, énervée

— Très bien ! Si M. Barry ne te plaît pas, je ne te forcerai pas plus ! Cela te convient-il ?

Contente, j'ai retoqué :

— C'est précisément ce que je voulais ! Merci. Je ne veux pas devenir " Mme. Barry " ai-je prononcé avec une once de dégoût dans la voix.

— Bien. Maintenant, essaye celle-ci.


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Ma mère avait opté pour une robe longue et cintrée. Celle-ci me convenait bien, quoi que la couleur me dérangeait énormément. Elle m'avait paré d'un long collier en or à gourmette ronde et m'avait prêté de petits souliers noirs. Pour ce qui était des cheveux, elle m'avait laissé y passer un ruban, noir également. Elle m'avait peinturlurée de fard blanc, et m'avait redessiné les joues et les lèvres avec du rose. Pour mes cernes, elle m'avait tout simplement noirci tout le contour des yeux jusqu'aux pommettes. Je ressemblais en tous points à un mort.

J'ai descendu délicatement - comme une gentille fille de la bourgeoisie, avec son petit sac délicat dans les mains - les escaliers de pierre menant au manoir. Barry Claude était déjà présent, planté devant la grille ouverte.

— Bonsoir, Miss Ravenswood, a-t-il lancé en tendant son bras plié, puis-je vous accompagner jusqu'à notre lieu de restauration.

J'ai enlacé, à contre cœur, son bras avec le mien.

— Bonsoir, M. Barry, avec plaisir.

" Non. Absolument pas. Rien que de vous toucher me donne des haut-le-cœur" aurais-je voulu répondre.

— Je vous en prie, appelez-moi Barry Claude, où juste Claude !

Je me suis tournée et j'ai regardé ma mère, assise sur un banc, droit dans les yeux et avec un grand sourire, comme pour dire " AH ! ". Ce a quoi elle a fait une tête d'enterrement.


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Nous avons marché une bonne trentaine de minutes pour arriver au Cowboy Cookout - j'en aurai mis dix seule, mais MONSIEUR voulait prendre son temps et admirer le beau paysage de Thunder Mesa. Une fois arrivés, une femme nous a reçu et nous a fait installer dans l'un des coins de la pièce. J'ai regardé tout autour de moi, émerveillée.

— N'êtes-vous donc jamais venue ici, m'a-t-il demandé le remarquant, très chère ?

— Oh si, si, ai-je répondu, dans la lune, je suis déjà venue ici plusieurs fois, enfant, mais je suis émerveillée à chaque fois par la beauté et la grandeur du lieu !

Le Cowboy Cookout Barbecue était une vielle grange rouge, sur Cottonwood Creek Ranch, réaménagée en restaurant. D'après mes souvenirs, il avait été toujours là, depuis que j'étais née.

L'intérieur était vraiment spectaculaire ! Des roues de calèches, des tissages et des os de cerfs ornaient les murs, un énorme lustre pendait du plafond, qui était très haut. Les chaises étaient toutes différentes, à force que les habitués rapportent chacun les leurs et les laissent sur place. Des lampes à huiles et des tonneaux étaient disposés un peu partout dans la salle.

— Lorsque j'étais enfant, ai-je continué, je venais ici tous les week-ends, nous prenions toujours cette table, près des grandes portes.

J'ai pointé du doigt une table, devant deux grandes portes en bois, condamnées lorsque la grange était devenue un restaurant.

— Exactement là. La table n'a pas bougé.

Je me revoyais, je prenais à chaque fois un très gros hamburger et des frites. Je ne les finissais jamais et mon père était obligé de les terminer à ma place. Ma mère était assez réticente à venir la première fois, jugeant que le restaurant n'était pas conforme à notre rang. Mais elle aussi était tombée sous le charme. Et c'était l'un des rares moments où elle ne m'importunait pas avec ma tenue. Je finissais toujours avec du gras tout autour de la bouche et sur les mains. Alice et Louise devait entièrement me décrasser, une fois rentrée au manoir. Ces moments-là, ils seront toujours gravés en ma mémoire. Ces souvenirs d'enfance, de bonheur, de joie, avec mon père, ma mère et...

— ET...?

Barry m'a regardé, comme si j'étais folle. J'avais prononcé le dernier de mot de mon monologue intérieur à haute voix.

— Et ? Et quoi, s'est-il étonné, Miss Ravenswood ?

— OH ! Rien, me suis-je exclamée, je me remémorais simplement des souvenirs d'ici.

— Ah, très bien.

Il a appelé un serveur et a demandé ce qu'ils avaient à manger aujourd'hui.

Mon père, ma mère et... ET ? Pourquoi " et " ? Une quatrième personne était avec nous ?

— Mélanie, m'a appelé Barry, que comptez-vous prendre ?

J'étais tellement absorbée dans mes pensées que j'en avais oublié d'écouter le serveur.

— Euh... ai-je bredouillé, le plat du jour...

Le serveur est parti communiquer nos commandes en cuisine. J'ai fixé la table près des deux grandes portes en bois. Mes parents, moi ET ?

— Vous avez l'air d'être ailleurs.

— Je suis désolée, me suis-je excusée, je n'arrête pas de penser à...

— Une femme n'a pas besoin de penser, m'a-t-il coupé.

J'étais sonnée. Je n'en revenais pas. Même ma mère à cheval sur les principes n'avait jamais dit une chose pareille.

— Euh... ai-je soufflé pour la deuxième fois, je vous demande pardon ?

— Une. Femme. N'a. Pas. Besoin. De. Penser.

Il avait articulé ses mots uns par uns et assez fort pour que toute la salle puisse l'entendre. Personne n'a plus bronché.

— JE NE SUIS PAS DU TOUT...

Je me suis arrêtée. J'ai pensé à mes parents, à la compagnie. J'ai mordu ma langue.

— Oublions, ai-je achevé.


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J'ai claqué la porte de ma chambre, assez violemment pour exprimer toute ma rage.

— Enfin Mélanie ! Sois raisonnable ! Je t'en prie, à crié ma mère derrière celle-ci.

J'ai arraché mon nœud de mes cheveux.

— Vous avez trahi votre promesse, ai-je hurlé de l'autre côté.

J'ai attrapé une serviette et j'ai essuyé mon visage avec. Je ne pouvais plus sentir tout ce maquillage sur ma peau.

— Enfin... Mélanie... a-t-elle imploré. Ce n'est qu'un portrait...

J'ai retiré avec colère la robe et mes chaussures, et j'ai sauté dans ma robe de chambre.

— " CE N'EST QU'UN PORTRAIT ", ai-je répété en hurlant, VOUS SAVEZ MIEUX QUE MOI CE QUE REPRÉSENTE UN PORTRAIT ! CE N'EST PAS UNE CHOSE À PRENDRE À LA LÉGÈRE ! QUELLE EST LA PROCHAINE ÉTAPE ? LE MARIAGE ?

J'ai tiré sur la chaine qui a cédé autour de mon coup. Je l'ai jeté à terre. J'ai ouvert la porte en trombe et me suis retrouvée nez à nez avec ma mère.

— Je ne veux pas voir ma tête à côté de celle de ce PORC de Barry Claude accrochée aux murs de ce manoir !

— Mélanie, s'est indignée ma mère une main sur la bouche, ton langage ! Une jeune femme ne doit pas...

— UNE JEUNE FEMME NE DOIT PAS UTILISER DE LANGAGE VULGAIRE. NE DOIT PAS JURER. DOIT SAVOIR SE TENIR CORRECTEMENT. SE DOIT D'ÊTRE JOLIE ET BELLE. UNE JEUNE FEMME "N'A PAS BESOIN DE PENSER ".

Il y eu un blanc, et j'en ai profité pour m'asseoir sur mon lit. Ma mère s'est assise à mes côtés, une main sur mon dos, l'autre sur ma jambe.

— Chérie, m'a-t-elle dit soudainement douce, c'est ce qu'il t'a dit ? Que tu n'avais pas le droit de penser ?

Je n'ai pas répondu.

— Je... Je suis désolée. C'est horrible.

— Effectivement, ai-je fini par lâcher.

— Eh bien... Après... Après ça, je comprends que tu ne veuilles plus le voir. Tu as le droit. Oublions ce portrait. Oublions-le. Ton père trouvera un autre fournisseur de bois.

Elle finissait enfin par l'avouer...

— Je suis désolée qu'il t'aie dit ça, a-t-elle bafouillé en lâchant une larme. Il ne devrait pas. Ce n'est qu'un idiot. Une femme a le droit de penser au même titre qu'un homme.

— Ce n'est rien mère. J'ai l'habitude.

Elle m'a prise dans ses bras et nous sommes restées ainsi pendant plus d'un quart d'heure.

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