10.2 - L'art de gober des bananes avec classe - Jake
Emma, les joues couleur pivoine, bégaye quelque chose d'inaudible. Je croise les bras sur mon torse pendant que je l'observe baragouiner je ne sais quelle excuse bidon. Elle repousse une mèche derrière son oreille tout en souriant. Je dois reconnaître qu'elle est mignonne quand elle est gênée. Elle n'arrête pas de rougir, ce qui me pousse à me questionner. À quel point est-elle innocente ? Je me demande jusqu'où elle est déjà allée avec un mec. Est-ce qu'elle a déjà couché avec quelqu'un ? Est-ce qu'elle a déjà joui ? Peut-être qu'elle rougit de la même façon quand elle...
Je m'assène une claque mentale pour me remettre les idées en place.
Putain, Jake ! Reconcentre-toi. C'est Emma. Arrête de déconner.
Dean ricane en fixant Emma. Cette dernière relève soudain la tête vers nous. La pointe d'insolence qui brille dans son regard m'arrache un sourire.
— Ne vous méprenez pas, je ne suis pas une novice en la matière.
— Alors, raconte, insiste-t-il. Est-ce que t'as déjà vu ce genre de trucs en soirée ?
— Niveau plan foireux, je n'ai rien vu d'aussi exceptionnel que vous, mais j'ai vu la mère d'un pote faire une branlette au meilleur ami de son fils avec ses pieds dans une baignoire. Je cherchais les toilettes et ils n'avaient pas fermé la porte.
— Attends, la mère avec le pote de son fils ? répète Layla, incrédule.
Je ne peux m'empêcher de grimacer en imaginant la scène. La cougar, un étudiant... et de gros pieds dégoûtants. J'ai un haut-le-cœur.
— Quoi ? C'est tout ce qui vous choque ? Merde, elle faisait ça avec ses pieds ! répété-je, horrifié. C'est dégueulasse !
— Entre ses orteils, plus exactement, corrige Emma, non sans une certaine fierté.
— Appétissant, se marre Benny.
— Putain, arrêtez ! Ça me fout des paralysies du sommeil ce truc-là. Il n'y a rien de moins sexy au monde.
— Quoi, tu trouves ça dégoûtant ? me demande Dean. Il y a bien pire.
— Plus qu'un pied ? Non, je ne crois pas.
— Perso, voir un de ses potes se faire tailler une pipe en soirée, je trouve déjà ça horrible, grimace Raven.
— Je suis totalement d'accord, c'est ultra gênant, valide Emma avant de croiser mon regard.
En une fraction de seconde à peine, elle se fige, blêmit, puis s'empresse de baisser les yeux.
Et là, je comprends.
Une frite manque de se coincer dans ma trachée. Je me mets à tousser tout en réalisant l'horreur de la situation. Benny commence même à me tapoter le dos en croyant que je suis sur le point de crever. Je lève la main pour lui signifier que je vais bien, puis j'essaie de capter le regard d'Emma, sans y parvenir. J'ai bien entendu ? C'est ce que je crois ?
Merde, c'est ma faute si elle est aussi distante. Hier, quand j'étais dans le feu de l'action, j'ai bien vu quelqu'un m'épier par l'entrebâillement de la porte. Sur le coup, j'ai trouvé ça plutôt marrant, voire excitant, mais je ne savais pas que... Putain. Je n'avais jamais imaginé un seul instant que ça puisse être elle.
Je me racle la gorge, puis j'essaie de masquer ma panique. Vu le malaise, le mieux est encore de faire comme s'il ne s'était rien passé. Après tout, j'étais euphorique et passablement éméché, hier soir. Si j'avais su que c'était elle, j'aurais agi différemment.
Mais merde, qui lui a demandé d'ouvrir cette foutue porte ?
Les conversations se poursuivent autour de nous pendant que je la fixe sans prononcer un mot. Je ne sais pas combien de temps s'écoule, mais ce sont les paroles de Layla qui finissent par me tirer de mes pensées.
— Soit il y a de plus en plus de substances qui traînent, soit des gars mal intentionnés versent des trucs dans les verres, lâche-t-elle avec un soupir.
Mon attention se concentre immédiatement sur elle.
— Comment ça ? lui demandé-je, les sourcils froncés.
— Au moins trois recrues ont fait un malaise après la soirée de la semaine dernière, réplique-t-elle d'un simple haussement d'épaules.
— Vraiment ? m'étonné-je en me retournant vers Emma. Peut-être que toi...
Emma pose une main sur la mienne tout en remuant la tête d'une manière presque imperceptible. Elle essaie clairement de me faire comprendre de ne pas aborder son cas en particulier. Mais ça ne m'empêche pas de questionner sa co-équipière.
— Seulement les recrues, tu dis ?
— Pas que, intervient Raven. Moi aussi, je ne me sentais pas bien après une soirée récemment. Je n'ai rien dit, mais franchement, j'étais mal le lendemain.
Layla glousse et ajoute d'un ton sarcastique :
— T'imagines si ce n'est pas un mec, mais quelqu'un de l'équipe ? Comme Andréa, par exemple ?
Je n'ai pas le temps de répondre que c'est peu probable. Un étudiant s'approche de la table, un bout de papier à la main. Nerveux, il le tend à Emma qui le remercie d'un sourire poli. Raven se penche pour voir de quoi il s'agit, mais la blonde enfouit le papier dans son sac avant.
— C'est son numéro ? T'as trop de chance ! s'exclame Layla, surexcitée. C'est au moins le troisième cette semaine.
Emma acquiesce. Moi ? Je serre les dents en silence. Une pointe de jalousie se mêle l'agacement déjà présent. Depuis quand les mecs du campus se permettent-ils de mater Emma de cette façon ? Layla et Raven sont mignonnes, elles aussi. Pourquoi ce mec ne s'intéresse-t-il pas à elles ? Elle a à peine dix-huit ans, merde ! C'est écœurant.
La conversation dévie sur l'invitation que certains joueurs de football ont faite aux cheerleaders au sujet d'une fête d'Halloween. Les filles mentionnent la tenue qu'elles comptent porter pour l'occasion et je me mets à ruminer la tête malgré moi. Tous ceux qui connaissent un peu les soirées étudiantes du 31 octobre savent qu'on ne parle pas de déguisement effrayant de zombies ou de momies. C'est la seule nuit de l'année où on peut se balader presque à poil sans choquer personne. Les filles en profitent souvent pour enfiler leur tenue la plus provocante qu'elles possèdent. Imaginer Peanut habillée en infirmière sexy ou en succube vêtu de cuir, c'est trop pour moi.
— Emma, je ne crois pas que ce genre de fête soit pour toi.
Elle lève les yeux au ciel et rétorque, sarcastique :
— Et pourquoi pas ?
— Tu as envie de te trimballer en petite tenue devant la moitié du campus ?
Elle extirpe une banane de son sac et entreprend de la peler pour la manger.
— Tu me crois si innocente, Jake ?
Avant que je puisse répondre, elle approche le fruit de ses lèvres boîte et commence à la manger d'une manière exagérément suggestive. Je sais qu'elle le fait exprès, juste pour m'énerver, mais...
— Putain. Dean, Benny, détournez le regard, ordonné-je.
Ma langue glisse jusqu'à la commissure de mes lèvres tandis que mes poings se serrent sous la table. Je déteste les voir la mater comme ça. De un parce que c'est Emma. De deux, parce que c'est Emma, bordel ! C'est juste insupportable.
La blonde rit, fière d'elle. Elle sort sa langue pour lécher le fruit et mon cœur fait un arrêt. Elle n'osera pas... Oh putain, si, elle a osé ! Sans attendre, je lui arrache la banane des mains et je croque dedans à pleines dents, sans ménagement. Toute la table éclate de rire, sauf Emma, qui me fixe d'un air à la fois frustré, amusé et si insolent qu'elle en devient sexy.
Benny penche la tête sur le côté pour nous regarder tour à tour. Son index fait l'aller-retour entre nous tandis qu'il plisse les paupières.
— Vous êtes ensemble, tous les deux ? demande-t-il, perplexe.
— Non, réplique Emma.
— Oui, riposté-je avec un large sourire.
À mon tour de la faire chier. Elle veut jouer ? Je ne refuse jamais une partie.
La blonde me foudroie du regard. Dommage pour elle, son expression ne fait que m'amuser davantage. Lasse, elle finit par se lever pour jeter ses déchets dans une poubelle à proximité, ce qui n'est à mon avis qu'une simple excuse pour s'éloigner de moi. À ce moment précis, alors que plusieurs hommes la suivent du regard, une idée germe dans mon esprit. Pourquoi ne pas faire croire qu'on sort ensemble ? C'est la solution parfaite à tous nos problèmes. Ça me permettrait de garder un œil sur elle comme l'ont suggéré West et Frank. Je pourrais m'assurer qu'aucune cheerleader ne s'en prendra à elle et surtout, je tiendrais à l'écart tous les mecs qui la fixent comme si elle était leur prochain repas.
— Il va falloir penser à accorder vos violons, se marre Benny.
— Il plaisante, lui assure Emma en me jetant un regard appuyé.
Elle espère sans doute me voir appuyer ses propos, cependant je ne lui fais pas ce plaisir. À la place, je jette un coup d'œil à ma montre, l'air détaché. J'ai rendez-vous chez le kiné dans moins d'une heure.
— Emma, est-ce que tu as le temps de me déposer chez moi, maintenant que tu as mangé ?
Encore debout, elle attrape son sac, puis contourne la table pour venir poser ses paumes sur mes épaules sans une once de délicatesse. Elle se penche vers moi, suffisamment pour son souffle chaud chatouille mon oreille. Un frisson agréable remonte le long de mon échine alors qu'elle articule ces quelques mots :
— Va te faire voir, Jake.
Par réflexe, je saisis son poignet en plein vol avant qu'elle ne s'éloigne. Je tire dessus pour la forcer à se baisser une nouvelle fois. Ses cheveux frôlent le bout de mon nez et je me retrouve à humer son parfum.
— Avec toi ? Quand tu veux.
Elle soupire en se redressant. Moi, je ne peux m'empêcher de sourire.
— T'es infernal, Jake.
— Je sais, bébé. Et crois-moi, tu n'as rien vu. J'adore jouer avec le feu.
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