Chapitre 62
Mardi 21 mai 2018, 3h21.
La forme floue de son frère entra dans le champ de vision de Charlie et ses lèvres s'étirèrent en un sourire vague.
‒ Nolan, tu es là, marmonna-t-elle à cause de sa mâchoire engourdie. Tu as mis du temps à revenir me voir.
‒ Qu'est-ce que tu racontes Charlie ? Peu importe, viens, il faut qu'on sorte de là.
Son triplé retira sa boisson et son joint de ses mains, les abandonna sur le premier meuble qu'il trouvait et attrapa son avant-bras pour la remettre sur ses pieds. Charlie fronça ses sourcils alors qu'elle eut un vertige et s'accrocha à la veste de son frère.
‒ Où sont tes chaussures ?
‒ Mmh ?
‒ Tes chaussures ?
‒ Oh.
La jeune femme baissa les yeux et mordilla l'intérieur de sa joue quand elle remarqua qu'elle était pieds nus. Avait-elle des chaussures en arrivant ?
‒ Uhm... je crois que j'en avais pas.
‒ Tu n'avais pas de chaussures ? répéta le jeune homme. Comment est-ce que tu- non, laisse tomber. Suis-moi.
Un étau se forma autour de son poignet alors qu'elle était tirée en avant parmi les autres jeunes. Sa vision n'arrivait pas à prendre en compte tout ce qui se passait autour d'elle jusqu'à ce qu'ils s'arrêtent finalement dans le hall près de la porte d'entrée. Charlie était fatiguée, elle ne pouvait pas restée debout ou ses jambes la lâcheraient. Trouvant un espace libre, elle s'appuya contre le mur, se laissa glisser jusqu'au sol, remonta ses genoux contre sa poitrine et cacha sa tête entre ses bras à moitié somnolente.
A un moment donné, on vient la porter comme une mariée et elle sentit qu'elle était déplacée mais elle était bien trop épuisée pour ouvrir les paupières.
Quand elle rouvrit les paupières une première fois, elle se trouvait dans une voiture, avachie près d'un homme familier. Elle crut un instant qu'elle rêvait quand elle reconnut son ami Boone tant il avait changé. Elle ne le quitta pas des yeux, elle avait peur que si elle détourne le regard un instant, il disparaisse. Le jeune homme dut sentir son regard puisqu'il tourna son visage vers elle.
‒ Hé C, l'accueillit-il avec un sourire indulgent. Comment tu te sens ?
‒ Tu es vraiment là ? marmonna-t-elle d'une voix basse.
‒ Euh... oui ?
‒ Tu ressembles à une illusion.
‒ Pourquoi tu aurais des illusions de moi ?
‒ Parce que tu as disparu de ma vie toi aussi. Comme Nolan. Comme Lucy.
Mal à l'aise, Boone ajusta sa position alors qu'il se frottait la nuque.
‒ Elle est morte.
‒ Je sais.
‒ Tu n'étais pas là.
‒ Je sais. Je suis désolé.
Charlie détourna son visage vers la fenêtre, ne supportant plus de lui faire face, et appuya son front sur la vitre froide. Alors qu'elle se sentait de nouveau lentement dériver vers le sommeil, la jeune femme remarqua finalement que la voiture roulait. Une dernière pensée vient à son esprit avant qu'elle ne s'endorme : où est-ce qu'on l'emmenait ?
La jeune fille reprit conscience à la voix d'un inconnu qui parlait près d'elle mais elle n'eut pas la force d'ouvrir ses yeux pour s'enquérir de la situation. Elle entendit cependant des bouts de phrases.
‒ ... perfusion pour la maintenir hydratée... pas la garder sans raison valable... jusqu'à ce que la drogue quitte son système puis nous...
‒ ... préféré que vous la gardiez sous surveillance plus longtemps... l'éducateur du centre vienne lui rendre visite, soupira la voix familière de son triplé. J'ai peur qu'elle réussisse à s'enfuir de la maison si on la ramène.
‒ Malheureusement, ce n'est pas possible. Je suis désolé monsieur. On...
Le sommeil entraîna de nouveau Charlie dans les ténèbres.
❀
Date inconnue, heure inconnue.
Les jours suivants se déroulèrent dans un flou de confusion et de douleur. Elle n'arrivait pas à différencier ce qui était réelle et ce qui ne l'était pas. Elle ne savait même pas où elle se trouvait ni même qui étaient les personnes l'entouraient. Elle entendait qu'on lui posait parfois des questions et, les rares fois où elle en avait conscience, elle se retrouvait incapable de formuler une phrase correcte comme réponse. Cependant, elle s'entendait souvent supplier quiconque pour une dose.
Charlene sentait que son corps souffrait du manque. Ses muscles criaient de douleur et l'empêchaient de bouger la plupart du temps mais la jeune fille se souvient avoir rampé jusqu'à une porte pour essayer de sortir. Celle-ci était verrouillée, vraisemblablement pour la garder à l'intérieur.
À un moment donné dans le flou de ses quelques jours, elle se rappelait avoir été assez lucide pour voir que Nolan lui tenait compagnie dans la pièce. Il ne lui avait pas adressé un seul mot, il s'était contenté de la fixer avec un regard désapprobateur. Elle s'était endormie pour une sieste rythmée par la souffrance et, quand elle s'était réveillée à peine quelques instants plus tard, son triplé avait disparu. Il revient après un certain temps -un long moment mais Charlie ne pouvait pas être sûre de combien de temps précisément- et reproduisit le même comportement que la première fois. Ce coup-ci, la jeune fille vit le moment où il s'apprêta à partir. Angoissée à l'idée que Nolan s'éclipse de nouveau, elle força sa bouche à fonctionner.
‒ Non, attends, bafouilla-t-elle en essayant de se redresser de sa position allongée. Ne disparait pas encore une fois. S'il te plaît Nolan... j'ai encore tellement de choses à te dire.
La tristesse teinta le regard du jeune homme alors qu'il vient près d'elle et l'obligea à se rallonger.
‒ Dors Charlie.
‒ Mais...
‒ Tu as besoin de repos.
‒ Je veux pas que tu partes No, supplia Charlene en agrippant le tissu de son t-shirt pour le retenir. Reste.
‒ D'accord, d'accord. Je vais m'asseoir ici et, à ton réveil, je serais encore là. Mais tu dois dormir un peu, ok ?
La jeune fille hocha la tête en accord et se laissa retomber contre quelque chose de moelleux alors que ses doigts demeuraient crispés sur le t-shirt. Son frère les détacha lentement et entrelaça leurs mains tout en s'asseyant à même le sol. Il croisa ses bras sur le matelas où elle était allongée et appuya son menton dessus. Il déposait un baiser sur le dos de sa main et garda son regard sur celui de sa triplée tandis que celle-ci s'endormait lentement malgré la douleur.
❀
Vendredi 31 mai 2018, 15h01.
Allongée sur le flanc, Charlene regardait sans le voir un documentaire sur les animaux sauvages du Canada. Les draps du lit étaient trempés à cause de sa sueur. Les tremblements de son corps étaient dus au manque et, plus d'une fois, elle avait renversé la soupe ou le thé que sa famille lui apportait pour la garder hydratée.
Un coup à la porte signala la présence de quelqu'un mais la jeune fille n'eut ni la force ni la motivation pour regarder de qui il s'agissait.
‒ Charlie, je rentre.
Une clé tourna dans la serrure et Julian poussa la porte une fois déverrouiller. À peine il pénétra dans la chambre qu'il émit un soupir et se dirigea vers la fenêtre pour l'entrouvrir. Leur père avait bricolé un système à l'aide de morceaux de bois et de clous pour éviter que Charlie puisse l'ouvrir en grand et s'échappe de la maison par là.
‒ Maman te prépare un bain et papa va venir changer tes draps, l'informa-t-il en venant se tenir au pied de son lit. Comment tu te sens ? Mieux ?
Un regard froid sur le visage, la jeune fille se tourna difficilement pour que le haut de son corps lui fasse face. Un rictus déforma momentanément ses lèvres quand ses muscles douloureux protestèrent vivement aux mouvements.
‒ J'ai l'air d'aller bien ?
‒ Non.
‒ C'est pire que ça.
Son triplé pinça ses lèvres entre elles mais ne répondit rien à cela.
‒ Allez, lève-toi. Je vais t'aider à te rendre à la salle de bain.
‒ J'ai pas envie de bouger.
‒ En fait, je te laisse pas le choix. Soit tu te lèves, soit je te porte mais dans un cas comme dans l'autre, tu sortiras de ce lit.
Déterminée, Charlene se remit dans sa position précédente et braqua son regard sur la télévision où le documentaire s'achevait. Avec un nouveau soupir, son frère se rapprocha du côté du lit, enroula un bras dans le haut de son dos et passa l'autre sous ses genoux avant de la soulever et de sortir de la chambre. Charlie n'avait pas assez d'énergie pour se débattre alors elle se laissa porter jusqu'à la salle de bain parental -la seule avec une baignoire.
Jenna attendit que son fils reparte et referme la porte derrière lui puis aida sa fille à retirer sa tenue -un t-shirt et un vieux jogging tout aussi trempés de sueur que ses draps. Difficilement, elle plongea Charlie dans l'eau et la lavait avec précaution. Tout au long du bain, la mère de famille essaya de faire la conversation avec la jeune fille mais cette dernière resta muette et s'assouplit presque grâce à la chaleur qui détendait ses muscles. Même si elle se montrait peu enthousiaste, elle attendait avec impatience l'heure du bain. Son seul soulagement dans cet enfer.
Une trentaine de minute plus tard, Charlene était hors du bain et portait des vêtements propres -ce qui, il ne fallait pas mentir, était une sensation agréable. Julian revient la chercher mais au lieu de la ramener dans sa chambre, il l'assit sur le canapé et resta sourd à ses questions alors qu'il prenait place sur le fauteuil en face d'elle. Jenna les rejoignit quelques minutes plus tard et tenta de nouveau d'engager la conversation avec sa fille.
On sonna à la porte. Zac dévala les escaliers avec les draps sales dans ses bras, les abandonna sur une marche un fois en bas et alla ouvrir la porte d'entrée. Charlie tendit l'oreille pour écouter.
‒ Bonjour, je me trouve bien chez les Clark ?
‒ Uhm, oui c'est bien ici. Monsieur Cochran, je suppose ?
‒ C'est moi, en effet. Enchanté.
‒ Enchanté, répéta Zac, semblant nerveux. Entrez et laissez-moi vous débarrasser de votre manteau.
‒ Merci. Je suis désolé de n'avoir pas pu me libérer plus tôt.
‒ Ce n'est pas un souci. Nous comprenons parfaitement pourquoi.
Fronçant les sourcils, Charlie dirigea son regard vers l'entrée du salon où son père apparut avec un inconnu d'une quarantaine d'année. Jenna se leva immédiatement de son fauteuil et alla lui serrer la main en se présentant puis envoya Julian préparer du café.
‒ C'est notre fille, Charlene, indiqua-t-il en la désignant d'un geste de la main.
‒ Oh, enchanté Charlene.
‒ C'est juste Charlie, grogna-t-elle en réponse.
‒ Bien, Charlie alors. Je suis ravi de faire enfin ta connaissance.
‒ Monsieur Cochran, asseyez-vous, encouragea Jenna avec un sourire crispé. Voulez-vous du sucre dans votre café ?
‒ Non merci.
Incertaine de ce qui se passait, la jeune fille s'enfonça un peu plus dans les coussins du canapé alors qu'elle faisait des aller-retours entre ses parents et cet inconnu. Zac vient s'asseoir près d'elle et échangea un regard avec son épouse avant de s'adresser à sa fille.
‒ Monsieur Cochran travaille à Second Chance. C'est une maison de transition après un centre de désintoxication.
Un court silence s'installa dans la pièce avant que Charlie ne comprenne ce qui se tramait.
‒ C'est une intervention, n'est-ce pas ? Vous avez organisé une putain d'intervention pour me renvoyer au centre.
‒ Charlie, s'il te plaît-
‒ Madame Clark, permettez-moi, la coupa gentiment l'homme. C'est mon métier.
Avec quelques difficultés dues à son corps souffrant, la jeune fille se remit sur ses pieds et s'aida de l'accoudoir pour rester debout. Son père la retient par l'avant-bras et lui lança un regard d'avertissement.
‒ Assieds-toi Charlene, je ne te le dirais pas deux fois.
‒ Monsieur Clark, s'il vous plaît, gardez votre calme.
‒ Non papa, je vais pas m'asseoir sagement et rester silencieusement pendant que je t'écoute me dire quel genre de droguée de merde je suis.
‒ Il n'a pas dit que-
‒ Tu dois retourner au New Life Center, continua le père de famille en ignorant leur invité.
‒ Cet endroit ne marche pas pour moi ! Je souffre là-bas et tout ce qu'ils me disent c'est qu'il faut du temps pour guérir ! Un ramassis de conneries !
‒ Personne n'a dit que la sobriété était facile Charlie mais c'est un travail qui nécessite du temps et des efforts. Tu verras que-
‒ Pouvez-vous arrêter de parler un instant monsieur Cochran ? s'exclama la jeune fille en branquant ses yeux furieux sur lui. Ce serait... Ce serait plutôt sympa en fait.
Son triplé lui lança un regard noir alors qu'il déposait une tasse à café sur la table basse devant l'homme.
‒ Charlie, siffla-t-il comme avertissement. Sois poli.
‒ Pourquoi je ne peux pas rester ici ? questionna-t-elle, ignorant Julian par la même occasion.
‒ Ce n'est pas une option pour le moment.
‒ Charlie, si tes parents ont organisé cette intervention, c'est pour t'aider à reprendre ta vie en mains.
‒ M'aider à reprendre ma vie en mains ? répéta Charlene avec un gloussement hystérique. Mais merde, allez tous vous faire foutre putain !
Voulant fuir cette conversation, elle força ses jambes à fonctionner et se traîna jusqu'à l'escalier. Déterminée, elle s'agrippa à la rambarde et monta à l'étage tandis que son père lui ordonnait de revenir et que l'homme lui conseillait de la laisser partir. Une fois arrivée dans sa chambre, elle était essoufflée et épuisée alors elle se blottit sous ses draps propres et laissa son esprit dérivé jusqu'à un sommeil agité.
❀
Samedi 1 juin 2018, 1h34.
Quand elle ouvrit ses yeux, Charlie fut surprise de voir que non seulement ni son père ni son frère ne la veillaient depuis la chaise près de son lit mais aussi que la porte de sa chambre était entrouverte. Un regard vers la fenêtre lui apprit qu'il faisait nuit et le silence dans la maison indiquait que tout le monde devait dormir.
Ne voulant pas manquer cette occasion, elle roula sur le côté en gémissant à cause de ses muscles douloureux et se traina hors des draps. Tout en restant attentive au moindre bruit, Charlene retira son t-shirt sale, essuya la sueur de son corps avec et attrapa un propre pour l'enfiler. Elle se faufila hors de sa chambre jusqu'à la porte d'entrée en faisant plusieurs pauses pour son corps qui avait dû mal à fonctionner. Elle enfila ses chaussures de sport qui traînaient près de la porte et tenta d'ouvrir la porte. Cette dernière était verrouillée et Charlie ne trouva les clés nulle part près du meuble où ses parents les posaient toujours.
La jeune fille ne se laissa pas découragée et se rendit à la porte arrière mais c'était la même chose. La frustration monta en elle et elle tapa du plat de la main contre le bois de la porte en jurant. Elle n'essaya même de sortir par une fenêtre puisqu'à l'instar de sa chambre, son père avait installé le même système sur chacune d'elle pour les empêcher de s'ouvrir à peine plus que quelques centimètres.
Désespérée et l'esprit engourdi par le manque, elle oublia toute discrétion et fouilla la maison à la recherche de quelque chose, n'importe quoi, pour soulager son corps et calmer ses symptômes.
Le placard où ils rangeaient habituellement l'alcool était étrangement vide. L'armoire à pharmacie ne contenait que des médicaments qui ne l'aideraient pas à apaiser le manque. Les tiroirs de la cuisine regorgeaient uniquement de pansements, compresses, etc. Dans sa recherche, elle trouva un vieux tournevis rouillé et décida de tenter d'ouvrir une des fenêtres avec. Elle alluma une lampe de chevet près du canapé et, avec ses mains tremblantes et son esprit tourmenté, commença à travailler sur le système fait maison de son père.
Cinq minutes plus tard, elle était toujours en train d'essayer de retirer le bloquer quand la voix de Zac provenant de l'entre du salon la fit sursauter.
‒ Charlene, qu'est-ce que tu penses que tu fais ?
Surprise, Charlie lâcha l'outil qui tomba sur le parquet et grogna quand son coude se cogna contre le mur. Tout en se retournant vers son père, elle pressa une main sur le lieu d'impact dans l'espoir d'apaiser la douleur battante.
‒ Je veux sortir.
‒ Tu ne peux pas.
‒ Ouais, j'ai bien vu. Tu n'as pas le droit de me garder enfermé à la maison.
‒ En fait, si, retorqua l'homme en croisant les bras sur son torse. Tu es ma fille et tu vis sous mon toit.
‒ C'est de la séquestration !
Avec un soupir, Zac se dirigea vers elle, ramassa le tournevis et le fourra dans la poche de son peignoir.
‒ C'est une précaution. Tu auras le droit de sortir de la maison pour aller à l'école ou faire du sport mais seulement si tu es accompagnée par ton frère, moi ou quelqu'un que j'approuve, exposa-t-il avec calme, ayant clairement réfléchi à cela avant. Ce sera ainsi jusqu'à ce que tu ailles mieux. Et si cette solution te plait pas, tu peux toujours reconsidérer de retourner au centre avec Mickey.
Avant qu'elle ait pu répondre, il éteignit la lampe de chevet, plongeant la pièce dans la pénombre, et retourna à l'encadrement de la porte. Alors qu'il s'apprêtait à disparaître dans le couloir, il jeta un coup d'œil à sa fille par-dessus son épaule.
‒ Tu devrais aller te recoucher. Le repos est essentiel pour la guérison.
‒ Va chier, rétorqua sa fille alors qu'il s'éclipsait dans sa chambre.
La frustration et l'énervement se mélangèrent et bouillèrent sous sa peau. Charlene tenta de garder son calme mais son esprit rationnel semblait l'avoir abandonné depuis un moment et elle tapa son poing dans le mur. Le bruit du choc couvrit son gémissement de douleur.
‒ Merde, ça fait mal, jura-t-elle en secouant la main. Merde, merde, merde.
Sachant qu'elle ne pouvait rien faire de plus cette nuit, la jeune fille retourna à contre-cœur dans sa chambre et se recroquevilla au centre de son matelas, ses chaussures toujours aux pieds. Sa souffrance mentale et physique l'empêcha de trouver le sommeil, elle resta éveillée le reste de la nuit à ruminer contre le monde entier.
Samedi 1 juin 2018, 11h08.
Les jambes tremblantes comme celles d'un faon faisant ses premiers pas, Charlie affichait un visage déterminé alors qu'elle déambulait dans le cimetière avec des pas qu'elle souhaitait assurée. Elle ne voulait pas perdre la face et montrer la moindre vulnérabilité à son chaperon du jour -son père.
‒ Tourne à droite, la dirigea celui-ci.
Ce matin-là, le cerveau de Charlene ne semblait pas fonctionner correctement et pendant un moment, elle oublia que Lucy était décédée. Elle avait exigé à la voir et était restée stupéfaire quand Zac avait accédé à sa demande et avait garé sa voiture devant le cimetière de Boise.
‒ C'est celle-là, Charlene.
Clignant des yeux, la jeune fille arrêta ses pas et, lentement, se tourna vers la pierre tombale devant laquelle elle s'était stoppée. Le nom de son amie était inscrit sur le gris terne mais ça semblait faux, irréel. N'arrivant plus à soutenir ses jambes, Charlie se laissa tomber sur l'herbe et fixa avec hébétement la dernière demeure de son amie.
‒ Elle avait l'air endormie, marmonna-t-elle après un long moment de silence, les yeux regardant sans la voir la pierre tombale. Je pensais qu'elle dormait.
‒ Quoi ?
‒ Peut-être que si j'avais remarqué plus tôt...
Elle ne finit pas sa phrase, se replongeant dans le mutisme, et son père ne continua pas non plus cette discussion. Ne supportant pas de rester plus longtemps à cet endroit, la jeune fille força son corps à lui obéir et à fonctionner pour qu'elle retourne à la voiture et rentre chez elle.
Samedi 1 juin 2018, 19h54.
Alors que Jenna ramassait les draps sales abandonnés sur le sol et sortait de la chambre, sa fille se traîna vers son lit et se laissa tomber dessus à plat ventre. Son corps protesta à cause des mouvements brusques et à la douleur qu'ils provoquèrent. Charlene rassembla ses membres contre son torse pour se mettre en position fœtale et ferma ses yeux afin d'essayer de se rendormir et d'oublier le manque.
‒ Oh Julian. Tu tombes bien, salua la femme dans le couloir avec un semblant de surprise dans la voix. Tu pourrais rester demain et surveiller ta sœur pendant un moment ? Je dois aller lui chercher des nouveaux draps.
‒ Encore ?
‒ Oui elle transpire beaucoup, son ancien éducateur a dit que c'était à cause de son état de manque. Ces draps se retrouvent vite trempés et elle peut pas se sentir à l'aise ainsi alors il faut les changer souvent... mais on en a pas assez pour faire un roulement.
‒ Euh, pour combien de temps tu en aurais ?
‒ Pas longtemps... une heure grand maximum je pense, réfléchit-elle à voix haute. Ton oncle m'a mis de côté des vieux draps, j'ai juste à aller les récupérer chez lui.
‒ D'accord mais tu dois être de retour pour quinze heures, j'ai un truc à faire après.
Sans attendre de réponse de la part de sa mère, Julian entra dans la chambre de sa sœur et referma la porte derrière lui en veillant à ne pas faire trop de bruits. Pensant qu'elle était endormie, il s'assit sur la chaise près du lit -qui avait été installée ici à partir du moment où Charlie était revenue vivre dans la demeure familiale-, sortit son téléphone et ouvrit un jeu pour passer le temps.
Humidifiant ses lèvres sèches du bout de sa langue, Charlie ferma ses paupières plus fort et enfonça sa tête plus profondément dans son oreiller mais la douleur la gardait éveillée. Après de longues minutes de combat pour trouver le sommeil, la jeune fille abandonna et finit par ouvrir ses yeux vitreux en poussant un soupir. À ce bruit, son triplé leva les yeux de son téléphone et la fixa en silence tandis qu'elle se mouvait mollement.
‒ Quoi ? grogna-t-elle agressivement alors qu'elle tentait de se mettre sur le dos sans mouvements brusques afin d'éviter de raviver la douleur. Pourquoi tu me regardes comme ça ?
‒ Comment je te regarde, uhm ?
‒ Arrête, tu le sais très bien ! Tes yeux sont remplis de désapprobation. Et ne répond pas à ma question par une autre question, je n'aime pas ça.
‒ Pourquoi tu n'acceptes pas de te faire aider ? Ne dit pas que tu n'en as pas besoin, on sait tous les deux que c'est faux, continua-t-il alors qu'elle ouvrait la bouche pour réfuter cela.
Charlene dirigea son regard vers le plafond alors que ses doigts se crispaient sur le tissu de son pantalon de pyjama.
‒ Je ne veux pas retourner là-bas.
‒ Ouais, je pense qu'on avait compris. Mais quelle raison ?
‒ Ils veulent que j'arrête de prendre ce que je prends.
‒ Eh bien... oui. C'est plus ou moins le principe d'un centre de désintoxication.
‒ Je ne veux pas arrêter.
‒ Pourquoi ? Regarde dans quel état tu es Charlie ! Tu me dis que même avec ça, tu ne veux pas devenir clean ?
La colère montait en elle à la suite de ces mots mais elle n'avait même pas la force de la laisser se déchaîner.
‒ Si je suis comme ça c'est parce que vous m'empêchez de me procurer ce qui me soulagerait ! s'exclama la jeune fille avec toute l'énergie qu'elle pouvait rassembler. Quand je prends ma dose, je me sens si bien ! Toute la souffrance s'en va et les mauvaises émotions s'atténuent ou peuvent même être remplacées par d'autres plus douces. La joie, l'exaltation... et puis, certains jours Nolan est là.
‒ Quoi ?
‒ Il arrive que je vois notre frère.
‒ Tu as eu des hallucinations ? Charlie ça ne peut pas être une bonne chose, rétorqua Julian avec un froncement de sourcils inquiet.
‒ Bien sûr que c'est une bonne chose ! Je lui parle et il me répond, c'est comme si il était toujours là avec moi, sourit-elle avec nostalgie aux souvenirs. Comme s'il n'était jamais partie.
‒ Ecoute je sais qu'il te manque, il me manque aussi mais il est décédé Charlie. Il ne reviendra pas, on doit tous se faire une raison. Prendre de la drogue afin de le voir ne t'aidera pas sur le long temps, tu t'empêches de faire ton deuil et tu détruis ton corps.
‒ Mais je ne veux pas faire mon deuil Julian, je veux mon frère. Je peux essayer de faire avec la douleur physique mais je ne peux plus faire avec celle mentale. Je n'avais même plus envie de sortir de mon lit certains jours. Je me sentais vide.
‒ Charlie-
‒ Non, le coupa-t-elle. Tu ne comprends pas, je n'avais plus envie de vivre parce qu'il n'était plus là !
‒ Evidemment que je te comprends ! J'ai perdu mon frère aussi et ça m'a fait autant de mal qu'à toi. Moi aussi je n'arrivais pas à faire face à tout ça, s'écria Julian en se levant de la chaise, bien trop en colère pour rester sagement assis. Qu'est-ce que tu crois ? Que tu es la seule à souffrir ? Bien sûr que non ! Seulement, en plus d'avoir perdu mon frère, je suis en train de perdre ma sœur !
‒ Tu racontes n'importe quoi...
La jeune fille repoussa le drap emmêlé autour de ses jambes et essaya de se redresser pour sortir du lit.
‒ Charlie, cette merde va finir par te tuer ! Même si c'est pas tout de suite, mentalement tu t'éloignes déjà de moi, de nous tous. En fait, ça fait un moment que tu es déconnectée de la réalité, on n'arrive plus à t'atteindre ! Depuis des mois, tu es un fantôme dans cette maison. Aussi physiquement que mentalement hein !
‒ Cet endroit m'étouffe. Vous tous, vous m'étouffez !
‒ Pourquoi ? Parce qu'on essaie de t'aider à aller mieux ?
‒ Vous êtes toujours sur mon dos ! rétorqua Charlene, du feu dans le regard, alors qu'elle s'assit enfin au bord du matelas. Vous êtes convaincus que j'ai un problème dont vous me tirerez en m'envoyant dans ce centre et en me donnant toutes ces paroles d'encouragement qui me rendent plus déprimer qu'autre chose...
‒ On veut juste que tu t'en sortes Charlie ! Plus rien ne peut être fait pour Nolan mais on refuse de te laisser partir toi aussi !
La porte de la chambre s'ouvrit soudainement sur Zac. Celui-ci regarda tour à tour ses enfants, les sourcils froncés. Alors qu'il ouvrait la bouche pour demander ce qu'il se passait, Julian se tourna une dernière fois vers sa triplée :
‒ Réfléchis à ce que je t'ai dit. Parce qu'on te laisse pas tomber. Pas encore une fois.
Et il sortit de la chambre alors que la jeune fille le fixait disparaître.
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