Chapitre 61

Samedi 18 mai 2018, 16h24.

Le regard fixé sur sa petite amie à travers la vitrine du préteur sur cage, Julian passa une main dans ses cheveux mal coiffés et ajusta sa prise sur son téléphone. Son père l'informait qu'une femme aurait « possiblement » vu Charlie dans une gare routière à Kuna et qu'il allait s'y rendre avec Léo.

Je ne donne pas trop de crédits à ce que cette femme a dit mais on ne sait jamais, soupira l'homme de l'autre côté du combiné. Et puis de toute façon, on n'a pas d'autre piste à part celle-ci.

Certains membres de la famille Clark et des amis s'étaient organisés aujourd'hui pour partir à la recherche de Charlene dans Nampa, Boise et leurs environs.

Et vous, vous avez quelque chose ?

Non, toujours rien.

Voyant que Mary sortait du magasin, le jeune homme se redressa, boucla sa ceinture d'une main et démarra le contact.

Micky a dit qu'elle devait sûrement essayer de se faire de l'argent pour s'acheter de la drogue alors on fait le tour des préteurs sur gages.

Mmh, c'est une bonne idée.

Papa, je vais reprendre la route, indiqua-t-il alors que sa petite amie s'installait sur le siège passager. On se tient au courant.

D'accord. À ce soir.

Julian raccrocha et fourra son téléphone dans la poche de son jean tout en regardant Mary qui secoua la tête.

Bon, où est le prochain préteur ? demanda-t-il avec un soupir de dépit.

Je pense qu'on devrait s'arrêter quelques minutes.

Mary...

Non, laisse-moi finir. Je sais que tu es inquiet pour Charlie, on l'est tous, mais tu conduis depuis ce matin Julian. Et tu as peu dormi dernièrement. Tu dois faire une pause.

Tu as entendu comme moi ce qu'a dit l'éducateur du centre : plus les jours passent moins on a de chances qu'elle soit en vie. On doit la retrouver rapidement, rétorqua l'adolescent, l'urgence dans sa voix. Je ne peux pas la perdre elle aussi, tu comprends ?

À ces mots, la réalisation fit son chemin dans les yeux de sa petite amie. Elle se pencha par-dessus le levier de vitesse et attrapa sa main dans la sienne.

Oh Julian...

Ce dernier détourna le regard et le braqua sur la vitre du préteur qu'elle avait quitté un instant plus tôt.

Hé, insista Mary en mettant plus de pression sur son emprise. Ne t'enferme pas dans ta carapace. Parle-moi.

Gardant son attention fixée sur le magasin d'en face, l'adolescent mordilla l'intérieur de sa joue pour tenter de calmer sa nervosité et entrelaça ses doigts avec ceux de Mary. Il savait qu'il aurait du mal à se confier s'il avait un contact visuel avec son interlocuteur alors il maintient sa position.

Il m'arrive parfois à avoir du mal à me souvenir du visage de Nolan. C'est étrange, pas vrai ? Puisque c'est le mien. Mais... ça ne m'est jamais venu à l'esprit que c'est moi que je voyais quand je le regardais. Il était sa propre personne et j'étais la mienne... Toute la période autour de son enterrement est floue dans ma mémoire mais je me rappelle que certains de nos proches ont évoqué notre ressemblance. Ils ont dit que grâce à moi, il resterait toujours auprès de nous. Parce qu'il vivrait à travers moi.

C'est une lourde charge à porter que d'être le souvenir vivant de son frère, compatit Mary.

Elle porta leurs mains à ses lèvres et déposa un chaste baiser sur le dos de celle de son petit ami.

Tu ne devrais pas avoir à la supporter.

Je sais, j'ai pas choisi de le faire mais... d'un autre côté, je ne veux pas qu'on l'oublie, tu sais, avoua-t-il, incertain. Pourtant, No et moi sommes très différents alors... est-ce que ça veut dire que si je reste moi-même, le souvenir de mon frère va s'effacer ? Si on veut préserver sa mémoire, ne vaudrait-il mieux pas que je deviens plus comme lui ? Mais dans ce cas-là, je crains que ce soit moi qu'on oublie. Je-

Julian se coupa lui-même la parole, pinça ses lèvres entre elles et récupéra sa main pour la remettre sur le volant avec la seconde.

Ju... Attends.

Non, laisse tomber Mary. Je ne veux plus en parler.

Sans un mot de plus, il redémarra la voiture et s'inséra dans la circulation.

Lundi 20 mai 2018, 16h57.

Passant une main dans ses cheveux en bataille, Julian lâcha un soupir avant de remercier la personne à l'autre bout du fil et de raccrocher. Il attrapa un crayon et barra le nom du refuge pour jeunes sans-abris sur son bloc-notes. C'était le quatrième qu'il appelait en l'espace d'une heure et cela se soldait toujours par une déception. L'adolescent se leva du canapé et se rendit dans la cuisine pour se servir un verre d'eau, son regard se dirigeant vers Léo qui faisait les cent pas dans la pièce en parlant dans son téléphone collé à son oreille. Quand leurs yeux se croisèrent, ils secouèrent tous les deux la tête pour indiquer à l'autre qu'il n'avait rien de plus. Avec un nouveau soupir, Julian abandonna son verre vide sur la table et retourna au salon. Des coups à la porte d'entrée le firent dévier de son chemin pour venir ouvrir après un instant d'hésitation. Boone se tenait sur le perron, les mains dans les poches, les épaules voutés et le regard incertain.

Euh, salut ?

Salut, je peux entrer ?

Sans un mot, l'adolescent se décala d'un pas et lui fit signe vers le salon. L'invité pénétra timidement dans la maison, observant autour de lui comme s'il découvrait l'endroit pour la première fois. Impatient de savoir la raison de sa présence, Julian appuya son épaule contre l'encadrement de la porte, croisa ses bras sur son torse et se recala la gorge. Boone sursauta presque au bruit et se retourna vers lui.

Je n'ai pas eu de nouvelles de Charlie, commença-t-il immédiatement. En fait, je ne pense pas qu'elle m'appellera. On a pas eu de contacts depuis l'accident de voiture qu'elles ont eu Lucy et elle.

Ca remonte à plusieurs semaines...

Deux mois environ, confirma le jeune homme. Comme je vous l'ai dit quand vous êtes venus, je ne touche plus à rien et... c'était trop dur de rester clean en continuant à voir les filles. J'ai comme qui dirait coupé les ponts. Je me sens coupable de les avoir abandonnées. Surtout en vue de ce qu'il leur ait arrivé...

Julian aurait voulu pouvoir lui crier dessus, déchaîner un peu de sa colère et de sa peur sur Boone mais il n'en avait pas la force aujourd'hui. Tout ce qu'il voulait, c'était retrouver sa sœur.

Et ? Tu es venu jusqu'ici pour me dire que tu te sens coupable ?

Uhm, pas seulement. J'ai... ma petite amie m'a poussé à venir vous voir. Elle pense que je peux vous aider même si j'étais convaincu du contraire. Elle a fait valoir le point que... pendant tous ces mois j'ai traîné avec ta sœur et je lui ai fais connaître des tas d'endroits et des tas de personnes.

La voix dans la pièce d'à côté se tut et Léo entra dans le salon avec un froncement de sourcils pour leur invité surprise.

Qu'est-ce que vous faites ici ?

Tu peux me tutoyer, assura le jeune homme alors qu'il passait une main dans ces cheveux. Je disais à Julian que je pourrais éventuellement vous montrer quelques lieux où pourrait zoner Charlie et des personnes qui l'auraient vu.

Oh, soudainement tu veux nous aider ? Qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ?

C'est pas ça... je voulais vous aider mais je... les gars, vous savez pas à quel point c'est dur de sortir de cette vie et, j'avais pas envie d'y retourner. Je ne pensais pas pouvoir vous aider parce que les dernières infos que j'avais sur C commençait à dater. Ce n'était pas de la mauvaise volonté, je veux que vous retrouviez Charlie et qu'elle soit en sécurité. Alors... ouais, je veux vraiment vous aider. Si vous me le permettez.

Les deux bruns échangèrent un regard avant que Julian ne consulte l'heure.

Et tu es prêt à nous montrer ces endroits et ces personnes tout de suite ?

Lundi 20 mai 2018, 19h08.

Jetant un regard en biais à Boone qui pinçait ses lèvres entre elles, le lycéen s'arrêta dans l'allée en graviers et coupa le contact de sa jeep. Il tourna ensuite sa tête vers la maisonnette miteuse qui se tenait debout dieu sait comment au milieu de la clairière. Elle avait l'air de pouvoir s'effondrer au moindre coup de vent un peu violent. De la lumière tamisée filtrait à travers les immondes rideaux à fleurs accrochés aux fenêtres et le bruit d'un film était faiblement audible depuis la voiture.

C'est ici ? questionna Léo, incertain, depuis la banquette arrière. C'est là où vit votre dealer ?

Mmh mmh, ouais, marmonna Boone, les yeux dans le vague. C'est le seul chez qui j'ai emmené Charlie. Le meilleur des environs.

C'est assez loin de chez nous.

Deux heures de route n'est rien quand la promesse de bonnes dopes est au bout. Les choses qu'on est prêt à faire pour ces merdes, vous imaginez même pas.

L'ancien drogué détourna le regard de la maison, ferma les yeux et prit une profonde inspiration puis l'expulsa lentement par le nez et rouvrit ses paupières.

Une fois à l'intérieur vous ne ditez rien, je suis celui qui parle, d'accord ? Il ne faut pas qu'il devienne méfiant. Et, ne me laissez pas seul dans une pièce, c'est la première fois que je retourne ici depuis...

Hé respire, ordonna Léo en pressant son épaule de manière rassurante. On est là avec toi.

Ouais, approuva Julian avec un hochement de tête déterminé. Et merci. Merci de retourner là-dedans pour ma sœur.

Mmh mmh.

Eh bien, on y va ?

Les trois jeunes hommes descendirent de la voiture avec une fausse assurance et traversèrent l'allée jusqu'à la porte d'entrée sur laquelle Boone cogna dans une sorte de rythme. Julian regardait la clairière qui entourait la maison en attendant qu'on vienne leur ouvrit mais une poignée de minutes plus tard, personne n'était venue. Il se balança d'un pied à l'autre alors qu'il commençait à s'impatienter. Boone tapa une nouvelle fois sur la porte et, après un moment d'attente, jura dans sa barbe. Il leur ordonna d'attendre sur le perron pendant qu'il faisait le tour de la maison, sachant que son dealer ne fermait les rideaux devant sa grande baie-vitrée.

Qu'est-ce tu en penses toi ? Tu crois que ta sœur serait revenue ici sans Boone ? Cet endroit semble vraiment... abandonné par Dieu. Je vois pas Charlie venir toute seule.

Moi je pense qu'elle le ferait, rétorqua Julian en passant une main dans ses cheveux et amenant son regard à rencontrer celui de Leo. Elle n'est pas vraiment du genre à se laisser être effrayée. Et puis, tu as entendu ce qu'il a dit ? Ils seraient prêts à tout pour avoir accès à de la drogue donc...

Elle n'a pas de voiture, Julian.

Mec, je comprends pas vraiment toute cette histoire de dépendance mais, pour ce que j'en sais, elle aurait très bien pu venir jusqu'ici à pieds si elle savait qu'elle pouvait se fournir.

Je-

L'ouverture de la porte d'entrée coupa Léo dans sa phrase. Les deux jeunes hommes se tournèrent vers le bruit pour voir Boone dans l'encadrement de la porte, le regard hanté. D'un signe de la tête, il les invita à entrer et s'engouffra dans la maisonnette.

L'intérieur ne semblait pas en meilleur état que l'extérieur. Les meubles étaient vieillots, abimés et dépareillés tandis qu'un tas de bibelots et des emballages de nourriture étaient éparpillés sur toutes les surfaces disponibles. Dans le salon, une fille était assise à même le sol, affalée contre le canapé en velours vert derrière son dos. Elle écrasait un petit cachet blanc sur la table basse sur laquelle des boites de pizza, des bouteilles d'alcools et des briquets se battaient la place. Boone s'avança un peu plus dans la pièce et croisa ses bras sur sa poitrine comme pour se protéger alors que les trois hommes regardaient la fille préparait des lignes à l'aide de la poudre blanche.

Al, où est Spider ?

Parti voir sa meuf.

Boone détourna ses yeux tandis que la dite « Al » se penchait et sniffait ses rails. Julian rencontra son regard et fronça les sourcils, il n'était pas prêt à voir cette fille faire la même chose que faisait sûrement sa sœur en ce moment. Quand ils l'entendirent bouger, ils la regardèrent de nouveau pour voir qu'elle avait rejeté sa tête en arrière et l'avait appuyé sur le canapé, les yeux fermés.

Tu sais quand il reviendra ?

Devrait pas tarder à rentrer.

La fille se mouva mollement et rampa sur le canapé sur lequel elle s'avachit de tout son long, faisant remonter son t-shirt trop grand et montrant ses fesses nues à la vue des trois jeunes hommes. Pinçant ses lèvres entre elles, Julian baissa son regard sur la moquette qui avait très certainement du être beige, il y a bien longtemps.

Bien, qu'est-ce qu'on fait maintenant ?

On attend.

Sérieusement ? On attend ? répéta le basketteur dans un grognement.

Tu veux retrouver Charlie, non ?

Evidement.

Et tu as une meilleure piste à suivre ?

Eh bien...

Non, répondit Léo pour lui avec un roulement d'yeux. Non, on a rien.

Alors faites-moi confiance. On attend. Spider est notre plus grande chance de retrouver Charlie. Si elle est revenue dans le coin alors elle est sûrement venue ici. C'est le seul endroit qu'elle connait pour se fournir.

On peut pas demander à cette meuf si elle a croisé Charlie ?

Al ne nous sera d'aucune aide. C'est à peine si elle se souvient d'avec qui elle a couché la veille pour pouvoir se payer sa dose.

Qu'est-ce que tu sous entends là Boone ?

Je sous-entends rien Léo, j'énonce un fait. Vendre son corps est le moyen le plus simple pour gagner de l'argent. Je vous l'ai dit, certains d'entre nous sont prêts à tout, ajouta-t-il la dernière phrase quand il vit leurs regards stupéfaits.

Merde ! lâcha Julian, le souffle coupé.

Comme tu dis. Allez, mettez-vous à l'aise, on va attendre un bout de temps.

Cette fille, Al, a dit qu'il serait là bientôt.

Ouais, elle a pas trop la notion du temps quand elle plane. On ne peut pas se fier à elle.

Avec un soupir de dépit, ils suivirent l'ancien drogué jusqu'à la table de pique-nique un peu plus loin dans la pièce et s'assirent autour pour attendre le dealer. 

Lundi 20 mai 2018, 22h12.

Le bruit d'une porte qui claque réveilla Julian en sursaut de son état somnolant. Il redressa sa tête qu'il avait enfoui entre ses bras et décroisa ceux-ci de sur la table alors qu'il tournait son regard vers le hall d'entrée. Léo et Boone étaient debout l'un en face de l'autre dans le salon et semblait avoir été coupé au milieu d'une discussion.

Un homme d'une trentaine d'années débarqua dans le salon et s'arrêta surpris de voir autant de monde dans sa maison. Ses cheveux étaient ébouriffés dans tous les sens et ses habits étaient débraillés comme s'il s'était rhabillé à la va-vite. Une araignée tatouée sur son cou pouvait expliqué le surnom par lequel il passait pour ses affaires louches. Sa mine refrognée se détendit quand il vit Boone parmi ses invités et il s'avança dans la pièce, plus détendu et déterminé qu'avant.

Hé Boone, plaisir de te voir ici. J'ai pas vu un cheveu de ta tête depuis une éternité.

Spider.

Je pense que je n'ai pas besoin de te demander si les gars avec qui tu es venu sont cleans, mmh ? questionna-t-il rhétoriquement en scannant du regard Léo et Julian. Alors, qu'est-ce que tu es venu chercher mon pote ? J'ai changé de fournisseur de coco, je t'offre cinquante grammes, tu m'en diras des nouvelles.

Euh mec, je suis pas là pour ça. Je prends plus de drogues, je suis clean maintenant.

Ouais, c'est ce qu'ils disent tous avant de revenir en rampant, gloussa Spider avec un haussement d'épaules. Et puis, si c'est pas pour ta dose que tu es là...

Je cherche quelqu'un. Charlie.

Connais pas.

Elle est déjà venue ici avec moi.

Eh bien, beaucoup de monde passe par ici, Boone. Si je devais me souvenir de tous, je-

J'ai une photo, le coupa Léo alors qu'il sortait son téléphone de son jean et le tendait vers lui.

Son fond d'écran était une photo de Charlene assise à la table d'un café, un mug entre les mains et un grand sourire sur son visage. Julian connaissait assez sa sœur pour savoir qu'elle était gênée d'être prise en photo et la très légère rougeur sur ses joues attestait de cela.

C'est elle qu'on cherche.

Oh ouais, Brunette. Elle est passée y a quelques temps.

Super, ça veut dire qu'elle est revenue dans le coin, soupira l'ancien drogué en passant une main dans ses cheveux. Tu sais où elle squatte en ce moment ?

Boone, je ne peux pas divulguer des infos sur mes clients. Secret professionnel et tout ça.

Me fais pas rire Spider, tu es la pire commère de ce comté.

Tu as peut-être raison, mais mes ragots ne sont jamais gratuits, tu le sais bien. Alors, qu'as-tu à m'offrir pour mes secrets ?

Est-ce que tu sais vraiment quelque chose sur Charlie ?

Il faut payer pour le savoir.

On ne va pas te payer pour que tu nous dises où est ma sœur, putain d'enfoiré ! s'énerva Julian alors qu'il avança d'un pas menaçant vers le dealer. Dis-nous ce que tu sais ou on appelle les flics pour qu'ils t'arrêtent !

Julian, ça ne sert à rien de le menacer, marmonna Boone en attrapant son bras pour l'arrêter.

Il a raison petit garçon, je ne serais pas un dealer aussi connu si la moindre intimidation me faisait peur.

Le basketteur serra ses mains en poings et essaya de se dégager de la prise de Boone mais celui-ci l'agrippa plus fort. Ils se regardèrent en silence un instant avant que Julian soupire de frustration et fasse un pas en arrière. Une fois qu'il fut sûr qu'il ne tenterait rien, Boone fouilla dans sa poche et sortit son porte monnaie.

J'ai vingt dollars, ils sont à toi si tu me dis ce que tu sais.

J'aime faire affaire avec toi Boone, tu es toujours prêt à payer le juste prix. Brunette est passée il y a peut-être trois jours ? ou quatre... réfléchit Spider à voix haute alors qu'il déambulait dans son salon, jetant à peine un coup d'œil à Al shootée sur le canapé. Elle est venue se réapprovisionner ici en réglant la facture avec un bijou. Un collier qui doit valoir quelques beaux billets si tu veux mon avis. Elle avait l'air perdu, elle voulait squatter ici mais j'ai refusé. Je peux pas avoir une de ces filles instables dans ma piaule, tu sais ? Mais je ne suis pas sans cœur, je lui ai parlé de Gordie.

Une bonne minute passa avant que l'ancien client du dealer n'hausse un sourcil stupéfait et lâche :

Et c'est tout ?

C'est tout, confirma-t-il avec un haussement d'épaules. Tu sais... je ne m'assoie pas autour d'une tasse de thé et de petits biscuits pour que mes clients me racontent tous leurs petits soucis.

Ouais, toi tu es juste là pour rendre leur vie misérable, grogna Boone avec un regard noir. Allez les gars, on a eu ce qu'on voulait, on y va.

Attends, l'arrêta Julian, les sourcils froncés en direction d'un petit tas de bijoux sur le comptoir de la cuisine. T'as parlé d'un collier que Charlie t'a donné, montre-le-moi.

Echanger serait un terme plus approprié. C'était une transaction. Et... pourquoi veux-tu le voir ?

S'il s'agit de celui que je pense, c'est un cadeau qu'on lui a fait.

Julian...

Boone fit un pas vers lui et lui lança un regard d'avertissement, lui demandant sans un mot de se stopper.

Oh, il a donc une valeur sentimentale à tes yeux ?

Et à ceux de Charlie.

Eh bien, elle n'avait pas l'air très bouleversé quand elle me l'a cédé pour un peu de coke. Très bien, si tu y tiens, tu peux l'avoir, décida-t-il finalement alors qu'il sortait un collier du tas et le laissa pendre au bout de ses doigts. A un certain prix, évidemment.

La faible lumière du salon attrapait le pendentif et faisait briller les pierres qui formaient l'étoile. Mordant l'intérieur de sa joue pour contenir sa colère, Julian récupéra son porte-monnaie et sortit tout l'argent qu'il avait sur lui.

Vingt-cinq dollars ? C'est vraiment tout ce qu'il vaut pour toi ? se moqua le dealer. Je pense que je peux en tirer un meilleur prix en le revendant.

C'est tout ce que j'ai sur moi, grogna-t-il.

Dommage alors. Il reste ici.

Incertain, le basketteur se retourna vers Léo et Boone et les supplia silencieusement de l'aider. Le premier avait déjà sorti son propre argent qu'il lui fourra dans la main tandis que le second fouillait ses poches jusqu'à en ressortir deux billets froissés. Avec un regard de remerciement, Julian compta rapidement puis tendit l'argent à l'homme plus âgé.

Est-ce que cinquante-cinq dollars suffisent ?

Je vois bien que tu fais vraiment des efforts pour le récupérer alors disons que oui, c'est suffisant.

Le dealer récupéra l'argent et tendit son autre main afin de lui redonner le collier. Julian l'arracha du bout de ses doigts et le mit en sécurité dans la poche de son jean.

Tu as eu ce que tu voulais, on peut y aller ? demanda rhétoriquement l'ancien drogué en faisant demi-tour vers la porte.

À bientôt Boone, le salua Spider alors qu'ils étaient presque à l'extérieur de la maison. J'ai hâte que tu redeviennes un de mes clients les plus fidèles.

Ne compte pas trop là-dessus, je ne remettrais plus jamais les pieds ici.

Oh Boone, tu sais pourtant pourquoi j'ai hérité de ce nom... se moqua-t-il. Une fois que j'ai attrapé une proie dans ma toile, elle ne peut plus s'échapper.

Ne prenant pas la peine de réponde, Boone se détourna et suivit de ses deux acolytes du moment jusqu'à la voiture pour partir de là. 

Mardi 21 mai 2018, 1h00.

Julian suivit les instructions de Boone alors qu'ils traversaient la ville de Gleens Ferry pour se rendre dans un endroit perdu où se trouvait des entrepôts abandonnés dont l'un avait été racheté pour quelques billets par Gordie.

À quoi nous ferons face une fois arrivés là-bas ? questionna Léo, la tête passée entre les deux sièges avant. Ce type sera-t-il plus... utile que ton dealer ?

Déjà, ce n'est plus mon dealer.

Désolé, mauvais choix de mot. Je ne voulais pas que ça sonne comme ça.

Mmh, ça va. Je sais bien que c'était pas méchant c'est juste que... je suis un peu tendu après cette visite.

Ouais, c'est normal. Je comprends.

Bien, uhm, pour répondre à ta question, oui Gordie sera plus utile. Il est toujours défoncé mais étrangement, les infos qu'il donne sont toujours fiables. Il a d'ailleurs été un indic pour les flics y a quelques années mais Spider l'a appris et a envoyé des mecs pour le menacer de s'en prendre à sa fille s'il n'arrêtait pas.

Et ?

Et il a arrêté de parler avec les flics. C'est pour ça qu'il se terre si loin des villes, il veut pas qu'ils le retrouvent. C'est pas un méchant gars, au contraire. Il offre un squat gratuit à ceux qui n'ont pas d'endroits où aller. J'y suis resté quelques temps quand je suis arrivé par ici, c'est là que j'ai rencontré Lucy, avoua-t-il, l'émotion présente dans sa voix.

Tu penses qu'on y trouvera Charlie ? questionna Julian pour le faire sortir de ses souvenirs.

C'est pas sûr. Le squat se trouve loin de tout, et si on a pas de voiture, il faut parfois des heures avant de trouver un moyen de se rendre en ville. Quand on est en manque, c'est pas génial. Mais si Gordie a vu ou entendu parlé de Charlie, il nous le dira.

Une poignée de minutes plus tard, ils arrivèrent à l'entrepôt délabré qui servait de squat à des dizaines de toxico d'après Boone. L'endroit semblait inhabité de premiers abords mais ils entrèrent à l'intérieur par la porte latérale non verrouillée afin que chacun puisse entrer trouver refuge -toujours d'après les dires de Boone. À l'intérieur, un nombre impressionnant de tentes et de sacs de couchage se battait la moindre surface disponible du bâtiment.

Avec une agilité qui ne pouvait qu'attester sa connaissance de l'endroit, l'ancien drogué se fraya un chemin jusqu'à un escalier qui menait à l'ancien bureau que Gordie avait décrété être son appartement personnel. Boone tapa à la porte et entra qu'une fois il eut l'autorisation. L'homme à l'intérieur ne semblait pas en meilleur état que ceux qu'ils avaient aperçu en bas et, pas pour la première fois, Léo et Julian échangèrent un regard. L'homme -Gordie- s'illumina après une minute à dévisager ses visiteurs.

Boone ! Comme ça fait plaisir de te voir mon grand ! Qu'est-ce que tu fais ici ? Tu as besoin d'un endroit où rester ? Tu sais que tu es plus que le bienvenu.

Sans s'arrêter de parler, l'homme entraîna Boone dans ses bras et le tapa énergiquement dans le dos. Bonne lui rendit son accolade avant de reculer d'un pas.

Salut Grodie, je suis content de te voir aussi.

Qu'est-ce que tu fais là mon grand ? répéta l'homme.

Je cherche une amie à moi. Elle s'appelle Charlie, expliqua le jeune homme en faisant signe à Leo de montrer une photo d'elle. Elle a disparu depuis un moment et Spider m'a dit qu'il lui avait parlé de toi.

Un instant, laisse-moi trouver mes lunettes. Mes yeux ne sont plus ce qu'ils étaient il y a plusieurs années. Oh oui, je vois qui s'est, assura-t-il après avoir poser des lunettes jaune moutarde sur le bout de son nez. Elle vit depuis quelques jours ici.

Génial, s'enthousiasma Julian en faisant un pas vers la porte. Où est-elle ?

Pas ici. Malgré mes mises en garde contre Prada, elle est partie avec elle à une fête.

Prada ?

Une fille un peu délurée. Elle est pas méchante mais elle s'attire beaucoup d'ennuis.

Tu pourrais me dire à quelle fête elles sont allées ?

Je ne suis pas sûr. Les jeunes ont parlé de deux soirées différentes. Une à Glenns Ferry et une à Gooding. Je sais pas où Prada et cette fille ont décidé d'aller.

Tu as les adresses de ces fêtes ?

Une seule. Celle de Glenns Ferry. Attends, je vais te la noter !

L'homme se retourna et fouilla sur son bureau jusqu'à attraper une facture tâchée de graisse et un stylo. Il écrivit frénétiquement dessus avant de le donner à Boone puis les fit se diriger vers la fenêtre du bureau.

Tu vois ce mec ? questionna-t-il en repoussant le rideau et pointant un adolescent qui parlait tout seul en contre-bas. C'est lui qui a parlé de l'autre fête. Il doit connaître l'adresse.

D'accord, merci pour ton aide Gordie.

À ton service mon grand.

Il avait fallu aux trois jeunes hommes seulement une minute pour convaincre l'adolescent -dans la quinzaine- de leur donner l'adresse. Ce dernier avait accepté de les guider à condition qu'ils l'emmènent là-bas. Ils avaient cédé à contre-cœur.  

Mardi 21 mai 2018, 2h37.

Dans un premier temps, les trois hommes s'étaient rendus à la soirée qui devait se trouver en ville avec l'adolescent n'arrêtant pas de parler à lui-même depuis la banquette arrière où il était assis à côté de Julian. Quand ils étaient arrivés l'adresse, ils virent une petite maison dans un quartier résidentiel plutôt sympa mais cette dernière semblait vide. La fête -si elle avait vraiment existé- devait être fini depuis un petit moment puisque personne ne traînait même autour. Ils n'avaient pas traîné dans le coin plus longtemps et s'étaient rendus à Gooding.

Tu tournes à droite, tu roules sur quelques mètres puis, au bloc d'immeubles on y est, parla soudainement l'adolescent, River.

Léo, qui avait pris le relai pour conduire, s'arrêta à un feu rouge et jeta un regard vers le plus jeune.

Tu es sûr ? demanda-t-il pour confirmation.

Certain.

Mmh.

Sceptique, le conducteur échangea un regard avec Boone qui haussa les épaules puis il reconcentra son regard sur le feu de circulation. Depuis qu'il les guidait, River s'était trompé plusieurs fois de route et certaines de ses indications étaient vagues et floues. Cependant, ils n'avaient pas d'autres choix que de suivre ce qu'il disait.

Alors que le feu passait au vert et que Léo s'apprêtait à redémarrer, la portière arrière s'ouvrit soudainement et l'adolescent sortit en courant et en criant joyeusement après une autre personne.

Euh, qu'est-ce qu'il fait ? questionna Julian, incertain alors qu'il le regardait depuis la portière grande ouverte. Est-ce qu'il vient juste de disparaître avec son ami ?

Ouais... c'est ce qu'il a fait.

On l'attend ? hésita Léo.

Je ne pense pas qu'il compte revenir, indiqua Boone dans un soupir. Il nous a sûrement déjà oublié.

Bien alors continuons. On a plus besoin de lui pour nous indiquer le chemin de toute façon.

Alors qu'il prononçait ces mots, Julian se pencha et referma la portière arrière. La bouche pincée, Léo démarra et suivit le chemin indiqué par River plus tôt.

La fête n'avait pas été difficile à trouver une fois que le bloc d'immeubles était en vue. Des lumières de toutes les couleurs éclairaient les fenêtres d'un appartement au cinquième étage et de la musique pouvait être entendu depuis le parking.

Les gars, je vais attendre dans la voiture, déclara Boone alors qu'ils se préparaient à sortir. Rentrer dans ce genre de soirée... ce serait beaucoup trop pour moi. Surtout après tous les endroits où on est allé aujourd'hui et qui m'ont rappelé mon ancienne vie.

Oui d'accord, aucun soucis mec.

On va essayer de se dépêcher.

Plein d'espoir et de détermination, Léo et Julian sortirent de la voiture et se dirigèrent vers l'immeuble d'où provenait la musique. Quand ils remarquèrent qu'il n'y avait pas d'ascenseur, ils grognèrent de dépit mais repoussèrent leurs fatigues et grimpèrent les marches deux par deux. Au cinquième étage, ils n'eurent pas besoin de chercher la bonne porte puisque celle-ci était entrouverte, laissant échapper des volutes de fumée. Echangeant un dernier regard, les deux jeunes hommes poussèrent la porte et s'engouffrèrent dans l'appartement.  

Mardi 21 mai 2018, 2h55.

Les yeux de Julian et Léo mirent une bonne minute à s'habituer à la pénombre qui régnait -malgré les quelques stroboscopes- et au nuage de fumée qui stagnait dans chaque pièce. La musique était plutôt forte mais ils arrivaient encore à s'entendre l'un l'autre.

On se sépare ?

Ouais, je prends le fond de l'appartement. On se retrouve ici dans dix minutes ?

Julian hocha la tête en accord, lui tapa dans la main et s'éloigna vers la cuisine assez longue mais étroite où une dizaine de personnes s'était agglutiné les uns aux autres en bavardant fort. Le basketteur scanna l'endroit mais aucun signe de sa sœur. La prochaine pièce qui fouilla était un salon/salle à manger plus grand que la cuisine mais encore plus de monde s'y était réuni. Julian dut se frayer difficilement un chemin à travers les gens qui dansaient mollement, ceux qui étaient allongés à même le sol et ceux qui tentaient de l'entraîner avec eux dans un mouvement de foule vers une autre pièce.

Charlie était là, assise sur un vieux fauteuil, le dos appuyé sur un accoudoir, ses jambes par-dessus l'autre.

Quand il repéra, le jeune homme ne reconnut pas immédiatement sa triplée tant elle était différente de ce qu'elle était habituellement. Elle portait une jupe très courte léopard avec un bustier bleu à paillettes et ses pieds étaient nus. Ses cheveux étaient ramenés dans une queue de cheval décoiffé, des mèches volaient dans tous les sens. Son mascara avait coulé sur ses joues et son rouge à lèvres rose avait bavé autour de sa bouche. Dans une main, elle tenait une bière presque vide et dans l'autre ce qui semblait être un joint.

Charlie ! l'appela-t-il alors qu'il poussait les gens pour la rejoindre.

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