Chapitre 58
Dimanche 28 avril 2018, 15h33.
Alors que Charlie fuyait vers l'étage du bâtiment comme si elle avait le diable à ses trousses, sa camarade de chambre l'avait remarqué et n'avait pas hésité pour la suivre. Depuis un long moment maintenant, cette dernière était assise au bord du lit et Charlie était adossée à la tête de lit, les jambes ramenées contre sa poitrine et ses bras les enveloppant. Son front était appuyé sur ses genoux et ses yeux étaient fermés. Gwen avait essayé de la faire parler mais c'était comme parler à un mur. Finalement, quelqu'un frappa sur la porte et la voix de Jasper retentit de l'autre côté du bois.
‒ Euh, Charls ? J'entre.
La jeune fille vient appuyer sa joue sur son genou et regarda la porte s'entrouvrir. Jasper passa le haut de son corps dans la pièce et leva timidement les yeux vers elles.
‒ Hé, euh... Mikey m'a envoyé pour te dire que ta famille va reprendre la route. Tu veux aller leur dire au revoir ?
Détournant son attention du nouvel arrivant, Charlie refusa d'un mouvement de la tête.
‒ Bien, d'accord. Je vais aller prévenir Mikey alors.
‒ Non, laisse. Je vais m'en charger, assura Gwen en se levant du matelas. Prends ma place, ici.
Jasper hocha la tête, la laissa sortir de la chambre avant d'entrer à son tour et s'assit aux côtés de Charlene. Celle-ci attendit que la porte se referme puis fondit en larmes. Cachant son visage à l'aide de ses mains, elle mordit sa lèvre inférieure afin de retenir ses sanglots.
‒ Oh, allez sweetheart, murmura le jeune homme en venant frotter tendrement son dos. Ne t'inquiète pas, on va y arriver. On ne fera peut-être pas mieux que les autres mais on ne fera pas pire non plus.
Délicatement, il attrapa son avant-bras et tira légèrement dessus afin de voir son visage baigné par les larmes.
‒ On va y arriver, crois-moi.
L'adolescent retira son autre main, essuya ses larmes avec la manche de son t-shirt et lui sourit.
‒ Il faut juste que tu tiennes le coup, Charlie. La clé de la réussite, c'est le temps.
Cependant, Charlene ne se sentait pas capable de « tenir le coup ». Elle l'avait dit à sa famille, elle était à bout. Elle ne voulait plus souffrir à cause du manque. Maintenant que ses émotions n'étaient plus annihilées, la jeune fille ressentait pleinement la mort de Nolan, et ça faisait bien trop mal. Elle voudrait être insensible. Elle voudrait pouvoir s'enfuir, se faufiler dans un trou pour ne plus en sortir, ou mourir.
❁
Vendredi 3 mai 2018, 00h26.
C'était le milieu de la nuit quand Charlie sortit en douce de sa chambre et descendit à pas de loup les grands escaliers. Elle se rendit dans la salle réservée aux téléphones, referma lentement la porte et n'alluma pas la lumière afin qu'on ne la repère pas. Tout aussi silencieusement qu'elle avait fait tout ça, elle glissa dans le téléphone le jeton d'appel qu'elle avait subtilisé à l'insu de Donna dans la journée et composa le numéro de chez elle. Elle priait pour tomber sur son frère, elle était sur le point de craquer et avait besoin de lui pour la rebooster, en espérant qu'il ne lui en voulait pas de son comportement de dimanche. Julian saurait être dur et la remettre dans le droit chemin.
‒ Oui, allô ?
C'était bien quelqu'un de familier qui répondit mais pas son triplé, ni son père. C'était la même voix endormie qui la réconfortait enfant quand elle avait fait un cauchemar.
‒ Maman ?
‒ Charlene ? S'étonna Jenna après un bruyant bâillement. Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi tu m'appelles en pleine nuit ? Il y a un problème, chérie ?
Oui, maman. J'ai un problème, je sombre, je coule. Je ne vais pas m'en sortir, j'ai besoin d'aide, pensa la jeune fille mais elle retient ces mots. Elle ne pouvait pas dire ça à sa mère parce qu'elle lui répondrait que c'était pour cela qu'elle était au centre. Pour qu'on lui apporte l'aide dont elle avait besoin. Mais Charlie avait plutôt l'impression qu'ils renforçaient sa souffrance et lui ajoutaient des problèmes.
‒ Charlie ?
‒ Non, maman, ça va. Ne t'inquiète pas, mentit-elle à la place. Je n'arrivais juste pas à dormir alors j'ai pensé que je pourrais appeler à la maison pour parler un peu. Je pensais tomber sur Julian en fait.
‒ Oh, il n'est pas à la maison, chérie. Il y avait un match de basket ce soir et, son équipe a gagné alors ils fêtent leur victoire.
‒ Ah, d'accord...
Son frère continuait à sortir célébrer ses victoires. Il poursuivait à le faire même si, six mois plus tôt, ses triplés s'étaient faits agressés alors qu'ils achetaient de quoi fêter une victoire des Wolves. Il continuait à le faire alors que Nolan était mort ce soir-là.
‒ Charlie ? L'appela sa mère, la faisant sortir de ses pensées. Dis-moi ce qui ne va pas. Je sens dans ta voix qu'il y a quelque chose.
‒ Il n'y a rien. Tout va bien, maman, assura Charlene dans un autre mensonge. Je suis juste un peu fatiguée. Et je suis un peu déçue, je voulais entendre la voix de Julian.
‒ Peut-être que tu devrais retourner dormir ? Tu te sentiras beaucoup mieux après une bonne nuit de sommeil.
La colère de la jeune fille commençait à monter alors qu'elle entendait les mots de sa mère.
Une bonne nuit de sommeil ? C'est ça la réponse à tous mes malheurs. Il faut juste que je dorme et tout ira mieux ? Non, la vie c'est pas ça.
‒ J'ai dit que je n'y arrivais pas, cracha-t-elle d'un ton sec. Tu m'écoutes quand je parle ?
‒ C'est vrai, j'avais oublié. Excuse-moi.
Ne répondant pas, Charlie ferma ses paupières et se concentra sur sa respiration afin de contrôler ses émotions. Mikey avait essayé de leur apprendre ça pendant un atelier cette semaine.
‒ Uhm, tu, reprit Jenna, hésitante. Est-ce que tu as le droit d'appeler à cette heure-ci, chérie ? Je pensais que tu avais des jours et des horaires planifiés.
Elle lui faisait un reproche ? Parce qu'elle n'avait appelé au bon moment alors qu'elle avait besoin de son frère ?
‒ Ecoute, chérie, je pense que le mieux serait que tu retournes te coucher et que tu essaies de t'endormir. Demain matin, j'appellerais ton éducateur et on pourra discuter d'une solution, d'accord ?
‒ Non, c'est pas la peine. Je fais juste une petite insomnie. Papa en a déjà fait et vous n'avez jamais décidé d'aller voir quelqu'un pour ça, pourquoi ce serait différent pour moi ? Je vais très bien, pas besoin d'en parler avec Mikey.
‒ Charlene, il-
Le surveillant de nuit ne devait pas être très loin parce qu'elle entendait son léger fredonnement.
‒ Je dois y aller.
‒ Char-
Sans prêter attention à ce que sa mère allait dire, l'adolescente raccrocha le téléphone et appuya son front sur le métal froid de la cabine téléphone. Elle prit quelques respirations profondes pour se recentrer mais ça n'aidait en rien, ses pensées étaient éparpillées et ses émotions l'assaillaient de toutes parts. Charlie resta immobile un long moment dans la pièce puis elle se décida à bouger et sortit dans le hall. Alors qu'elle s'apprêtait à monter les grands escaliers, elle se retrouva éblouie par le faisceau d'une lampe-torche.
‒ Qu'est-ce que vous faites ici ?
La voix rauque du surveillant de nuit la fit se raidir. Elle prit le temps de déglutir avant de répondre.
‒ Euh... j'avais soif.
‒ Mmh, vous avez un lavabo dans la salle de bain de votre chambre.
‒ Oui mais, euh- j'avais besoin un peu de marcher alors... mais je remonte me coucher toute suite.
Le faisceau de lumière s'éloigna de son visage et fut pointé sur le sol. Charlene put distinguer dans la pénombre le regard sceptique de l'homme.
‒ Bien. Dépêchez-vous.
Hochant vivement la tête, la jeune fille baissa les yeux et s'empressa de rejoindre sa chambre alors que le surveillant continua sa ronde.
Vendredi 3 mai 2018, 15h08.
Charlie avait passé une très mauvaise nuit, encore plus après la conversation avec sa mère. Elle n'avait évidement pas pu se rendormir et avait cogité. Le matin, elle s'était retrouvée avec des cernes encore plus profondes mais ça avait au moins abouti à une décision qui la rendait plus sereine.
Mais pour l'instant, tout ce qu'elle devait faire était de se concentrer sur la réunion de groupe. Ils s'étaient rendus au lac et se retrouvaient désormais sur le ponton, assis à même le sol en cercle. Jasper, Gwen, Ricky et Kam étaient enroulés dans des serviettes de plages, les cheveux plaqués sur leurs fronts et leurs joues. Ils avaient profité du beau temps pour se baigner tandis que Tom et Charlie étaient restés assis en silence à les regarder. La jeune fille avait profité du calme pour faire le point dans ses pensées et organiser son plan.
‒ Charlie ? Tu es avec nous ?
‒ Euh, ouais ouais, assura-t-elle en revenant au moment présent. Je suis totalement là.
‒ Tu semblais perdue dans ta tête. Quelque chose à nous partager ?
Son éducateur la regardait, dubitatif. Passant distraitement son pouce sur ses lèvres, Charlene ouvrit la bouche pour se confier. Elle devait continuer à faire comme si de rien était si elle voulait pouvoir mener son plan à bien.
‒ J'avais ce sentiment quand je prenais de la coke... Tout mon corps brûlait. C'est pas comme maintenant quand il me brûle à cause du manque. Non, c'était une chaleur douce, irrésistible... J'avais l'impression qu'elle embrassait mon cerveau et le dorlotait. C'était terriblement bon.
Fermant les yeux, elle se laissa aller aux souvenirs de cette plaisante sensation.
❁
Dimanche 5 mai 2018, 2h07.
Silencieusement, Charlie attrapa un gros sweat à capuche, l'enfila par-dessus son t-shirt et fourra dans la grande poche centrale la lampe-torche qu'elle avait volé la veille. Après un rapide coup d'œil à Gwen qui formait toujours, l'adolescente sortit de la chambre et se faufila à travers les couloirs jusqu'au hall éclairé à l'aide des lumières indiquant les issus de secours. Elle sortit de la poche de son jean une épingle à cheveux, s'approcha du bureau d'accueil et crocheta la serrure du tiroir dans lequel Donna gardait toutes ses clés. Remerciant silencieusement Boone et Lucy pour lui avoir appris à le faire, elle n'hésita pas une seconde et récupéra le trousseau de clés. Elle entendit soudainement des pas venant des salles communes et se dirigeant vers elle alors la jeune fille referma le tiroir et se cacha sous le bureau.
‒ ... can't hurry love, chantonna le surveillant de nuit en balayant le hall de sa lampe-torche. You'll just have to wait.
Il effectua sa ronde dans la pièce avant de monter les escaliers vers l'étage.
‒ Just trust in a good time.
Le cœur battant à vive allure, Charlie se força à contrôler sa respiration et attendit que l'homme s'éloigne puis elle sortit de sa cachette et courut jusqu'à la porte d'entrée du centre. Elle essaya plusieurs clés avant de trouver la bonne qui déverrouilla la sortie. Abandonnant le trousseau sur le dessus du bureau de Donna, l'adolescente ne perdit pas une minute de plus et s'élança dans la nuit noire.
Plutôt cette semaine, quand elle avait élaboré ce plan d'action pour s'enfuir d'ici, elle avait convenu que prendre une voiture du centre la rendrait plus facile à retrouver. Elle avait emprunté une carte des alentours à Mikey sous prétexte d'étudier un nouveau chemin pour se rendre au lac avec le groupe. En vérité, elle avait créé un itinéraire pour se rendre à Plummer, la ville la plus proche à pieds du centre. Pleine d'assurance, Charlene s'engouffra dans la forêt sans un dernier regard pour l'immense bâtisse et usa de sa mémoire pour se souvenir du chemin à prendre. Elle espérait de toute cœur que personne ne se rendrait compte de sa disparition avant le repas du midi afin de lui laisser de l'avance.
Les pieds endoloris par trois heures de marche, la jeune fille souffla de soulagement tandis qu'elle dépassait le panneau indiquant elle était arrivée à l'église de Jésus Christ des saints des derniers jours. L'endroit n'était pas très grand mais dégageait une impression de sérénité. La porte latérale était ouverte alors, timidement, Charlie s'approcha et jeta un coup d'œil. L'église semblait déserte.
‒ Bonjour ? Appela-t-elle en faisant un pas à l'intérieur. Il y a quelqu'un ?
‒ Oui, fit une voix venant de nulle part. Je suis là.
Du mouvement attira l'attention de l'adolescente vers l'avant du bâtiment. Un homme en tenue de prêtre entrait dans la pièce principale et lui sourit aimablement.
‒ Bonjour. Je peux vous aider ?
‒ Uhm, oui. Est-ce que... est-ce que vous auriez de l'eau ? J'ai terriblement soif.
‒ Bien sûr. Venez vous asseoir par ici, je vous apporte ça.
L'homme disparut dans la pièce d'où il venait et revient une minute plus tard avec un verre en carton et une vieille couverture usée. Il enveloppa Charlie dedans puis lui donna le verre d'eau.
‒ Je suis désolée de vous avoir déranger.
‒ Non mon enfant, vous ne l'avez pas fait. Vous êtes dans la maison de Dieu et, tout le monde y est accepté quelque soit l'heure.
Mordillant l'intérieur de sa joue, elle hocha la tête et prit une gorgée de son verre d'eau. Le liquide froid apaisa sa gorge sèche et étancha sa soif.
‒ Dites-moi plutôt ce que vous faites ici, mmh ? Vous vous êtes perdue ?
‒ Uhm, j'étais en route pour rentre visite à une tante, mentit-elle sans accro dans la voix. Ma voiture est tombée en panne et comme j'ai oublié mon téléphone chez moi, j'ai décidé de marcher jusqu'à la prochaine station essence. J'ai peut-être sous-estimé la distance. Je pensais pas marcher autant.
‒ Vous en êtes encore très loin ! La seule station essence du coin est à Plummer et c'est encore à une bonne trentaine de minutes de marche.
‒ Oh. Je peux certainement le faire.
‒ Eh bien, vous êtes immanquablement blessée et l'église possède une voiture qu'elle prête à ses paroissiens. Je pourrais vous emmener à Plummer récupérer un bidon d'essence puis vous ramenez à votre voiture.
‒ C'est très gentil de votre part mais vous avez sûrement d'autres choses à faire.
‒ J'allais préparer la messe mais je vais appeler une fidèle, elle viendra le faire à ma place.
‒ Non, je vous assure, je peux le faire par moi-même.
‒ Demander de l'aide n'est pas honteux mon enfant, lui confia l'homme avec un doux sourire. Demandez, et l'on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et l'on vous ouvrira. Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux. Demandez-moi, et je vous donnerais.
Pendant un instant, la pensée de la cocaïne vient en premier plan mais elle la refoula tant bien que mal. C'était un homme de Dieu, il lui donnerait pas. Ou peut-être que si, qui sait ? Pourtant, elle ne voulait pas le tenter. Il était son ticket de sortie : rouler plutôt que marcher lui ferait très certainement gagner du temps.
‒ D'accord. Emmenez-moi là-bas.
‒ Bien, je vais chercher les clés du van et appeler ma fidèle. Je reviens vite.
Charlie l'observa se frayer un chemin à travers les bancs jusqu'à la pièce qu'il avait quitté plus tôt et disparaître à l'intérieur. À l'écoute du moindre bruit, elle se leva lentement de là où elle était assise et se rapprocha silencieusement de la pièce pour espionner le prêtre.
‒ ... semble aller bien. Peut-être un peu fébrile après avoir marcher autant de temps. Dans combien penses-tu arriver ?
L'homme parlait bien à sa fidèle. Alors qu'elle se sermonnait pour sa méfiance infondée et qu'elle allait retourner à sa place, Charlene se figea sur place en entendant un nom très familier.
‒ Très bien Mikey, on se retrouve à Plummer.
Des bruits de fouille pouvait être entendu puis le tintement de clés qui s'entrechoquaient.
‒ Oui, au café. Un bon petit déjeuner ne pourra lui faire que du bien et j'en profiterais pour essayer de savoir pourquoi elle est partie du centre.
Ne voulant pas être surprise en train d'écouter aux portes, l'adolescente s'empressa de retourner près de l'autel. Elle posa une main sur sa poitrine pour essayer d'apaiser le battement frénétique de son cœur et s'obligea à réfléchir. S'enfuir n'était pas une solution, le prêtre avait une voiture et pourrait aisément la rattraper. Entendant l'homme revenir, elle forma un plan rapide : profiter du trajet gratuit jusqu'à la ville et s'échapper discrètement une fois là-bas. Oui, ça pouvait marcher.
‒ On y va ? L'appela le prêtre. Vous êtes prête ?
Charlie se retourna, força un sourire sur son visage et hocha la tête.
Oui, je suis plus que prête.
Dimanche 5 mai 2018, 6h11.
Alors qu'elle fixait les yeux son propre reflet dans le miroir, Charlie ouvrit le robinet de ses mains tremblantes, les mit en coupe et se pencha pour asperger son visage d'eau froide. Elle se redressa ensuite et se regarda une nouvelle fois : elle avait toujours une sale mine.
‒ Allez, il faut que tu réfléchisses, s'ordonna-t-elle.
Charlene appuya une main mouillée sur son front, ferma ses yeux et se concentra. Le prêtre l'attendait à leur table près de la porte d'entrée, il la verra forcement passer. Il y avait une porte de service mais elle devait traverser la cuisine et les employés ne la laisserait certainement pas faire. La seule option qu'elle avait était l'étroite fenêtre au-dessus des toilettes. Elle devait se dépêcher avant que le prêtre ne trouve qu'elle prenait trop de temps et ne vienne la chercher. L'adolescente ferma la cuvette, grimpa dessus, ouvrit la fenêtre en grand et jeta un regard de l'autre côté.
‒ Merde !
Ce n'était pas si haut mais, si on considérait qu'elle devait sortir la tête la première, la chute ne serait pas une partie de plaisir. Elle avait espéré qu'il y aurait des poubelles, de quoi amortir, mais tant pis. Après une profonde respiration, elle agrippa le bord de la fenêtre de ses deux mains, se hissa à la maigre force de ses bras et se faufila vers l'extérieur. Une fois son buste passé, le poids de son corps l'entraîna et elle tomba sur le sol dans un bruit sourd. La jeune fille mordit l'intérieur de sa joue pour retenir un cri alors que la douleur pulsa dans sa jambe blessée. Il ne fallait pas qu'elle perde de temps ici alors, avec un grognement, elle s'aida du mur et se releva. Elle prit une seconde pour se situer puis se dirigea en boitant vers la gare routière qu'elle avait aperçu durant le trajet en voiture jusqu'ici.
Dimanche 5 mai 2018, 12h27.
Tandis que le bus redémarra en direction de la prochaine ville, Charlie remonta sa capuche pour cacher son visage et s'élança dans les rues de Boise pour se rendre chez Lucy.
Après avoir échappé à la vigilance du prêtre dans ce petit café de Plummer, la jeune fille avait marché jusqu'à la gare routière, avait profité de l'inattention d'un homme pour lui voler son porte-monnaie et avait acheté un billet de bus pour Boise avec. Elle avait ensuite récupéré l'argent en cash et avait abandonné le porte-monnaie sur un banc avant de monter dans le véhicule.
L'adolescente finit par arriver devant la maison des Diestrich après avoir traversé la ville la boule au ventre de peur qu'on la reconnaisse. Elle ne perdit pas de temps et vient toquer à la porte d'entrée. Celle-ci s'ouvrit sur un des jeunes frères de son amie.
‒ Bonjour Damien, est-ce que ta grande sœur est là ?
Il hocha la tête, courut à l'intérieur en laissant la porte grande ouverte et cria pour sa sœur.
‒ Janet ! Il y a quelqu'un pour toi à la porte !
Hésitant à entrer dans la maison, Charlie pinça ses lèvres entre elles et fit un pas de plus sur le perron avant que Janet n'apparaisse.
‒ Oh ! Salut Charlie ! Qu'est-ce que tu fais ici ? On ne t'a pas vu dans le coin depuis un moment.
‒ Euh, hey. Ouais, désolée, j'étais un peu occupée ces derniers temps. Uhm, j'étais venue pour voir Lucy ?
‒ C'est une question ou une affirmation ? Gloussa l'adolescente.
‒ Une affirmation. J'ai perdu mon téléphone alors je sais pas comment la contacter, mentit-elle.
‒ Mmh, malheureusement je ne peux pas t'aider, soupira Janet en s'appuyant sur l'encadrement de la porte. Comme pour toi, ça fait plusieurs jours qu'on a pas de nouvelles d'elle. Mam et Pap n'étaient pas très inquiets au début parce qu'ils pensaient qu'elle reviendrait au bout de deux ou trois jours comme elle fait habituellement mais...
Ses yeux errèrent dans la rue alors que son attention se dissipait.
‒ Elle n'est pas rentrée, reprit Charlie pour elle.
‒ Non. On est allés voir les flics mais ils prennent pas sa disparition au sérieux parce qu'elle a déjà fait plusieurs fugues.
‒ Bordel...
‒ Comme tu dis.
Grattant distraitement son bras par-dessus son pull, Charlene recula d'un pas et scruta la rue à la recherche d'un visage familier. Si quelqu'un parmi sa famille ou ses amis la voyaient, ils se lanceraient à sa poursuite et la ramènerait au centre, ce qui était absolument hors de question.
‒ Euh, je crois que je vais y aller.
‒ Tu es sûre ? Tu as l'air d'avoir besoin d'une bonne douche si j'en crois l'état de tes vêtements. Tu peux en prendre une dans notre salle de bain ?
‒ Non, je ne veux pas déranger tes parents. Ils doivent avec beaucoup de choses à gérer.
‒ Ne te préoccupe pas d'eux, ils sont avec l'assistante sociale pour trouver des solutions.
‒ Bon... si tu insistes.
Avec un sourire amical, Janet la laissa entrer dans la maison, lui fournit des vêtements propres appartenant à Lucy et la guida jusqu'à la salle de bain. Charlie prit une rapide douche froide pour se décrasser de la poussière et de la sueur accumulée sur la route jusqu'ici. La température aida aussi à calmer la brûlure qui faisait rage dans son corps mais elle savait que c'était de courte durée. Elle se sécha à l'aide d'une douce serviette couleur lavande et enfila sa nouvelle tenue.
Après s'être assuré que Janet ne l'attendait pas de l'autre côté de la porte, elle ouvrit le placard au-dessus du lavabo et fouilla à travers les médicaments. Elle tomba sur un vieux flacon de codéine, l'étiquette indiquait qu'il avait été prescrit pour le père de Lucy et qu'il remontait à plusieurs années. Les quelques pilules qui restaient ne manqueront à personne. Sans plus réfléchir, Charlene avala un cachet avec un peu d'eau du robinet et fourra le reste de la boîte dans la poche de son nouveau sweat à capuche. Elle referma la porte du placard et croisa son propre regard dans le miroir.
Qu'est-ce que tu as fait ? murmura une petite voix dans sa tête. Repose ça.
Cette voix ressemblait étrangement à la sienne mais elle ignora ses paroles tout comme elle le fit pour ses yeux scrutateurs. Cinq minutes plus tard, elle était de retour dans la rue avec une promesse de passer voir les Diestrich plus souvent. Déterminée, la jeune fille parcourut les quelques mètres qui la séparait de la station essence et réquisitionna la cabine téléphonique. Elle récupéra une poignée de pièces et les inséra dans un geste familier qui lui rappela le centre. Secouant la tête pour chasser cette pensée, elle composa le numéro de Lucy et l'écouta sonner dans le vide jusqu'à ce que le répondeur s'enclenche. Elle raccrocha et réessaya plusieurs fois avant de se décider à laisser un message.
‒ Hé, salut ! Tu es sur ma messagerie parce que je suis vraiment trop occupée là tout de suite ! Je suis avec mes meilleurs amis Boone et C et on s'amuse bien trop pour que je décroche.
Charlene pouvait presque voir son amie hausser les épaules pendant qu'elle enregistrait ce message et sa voix était pleine d'amusement, comme si elle allait rire à n'importe quel moment.
‒ Donc... ouais, laisse un message si tu as un truc important à me dire et peut-être que je l'écouterais, peut-être pas ! Mais je te rappellerai sûrement ! Ou pas. Bye !
Il y eut du bruissement, un rire lointain qui ressemblait étrangement au sien et un bip sonore disant qu'il était temps de laisser un message.
‒ Hé L, euh, c'est Charlie, commença cette dernière, hésitante. Je suis passée chez toi mais ta sœur a dit que tu étais partie depuis plusieurs jours alors... dis-moi où tu es, s'il te plaît. Je- j'ai besoin de te voir. Je crois qu'il en va de ma santé mentale, elle dégringole et je sais plus quoi faire. Si tu- si... je me suis enfuie du centre. Je veux plus être là-bas mais je peux pas rentrer chez moi, tu sais ? Ils... ouais. Où est-ce que je dois aller maintenant, L ? Qui je suis ? Pour qui je compte vraiment ? J'arrive pas à me souvenir d'à quand remonte la dernière fois où mon esprit était calme, serein... divagua-t-elle alors qu'elle s'appuyait contre le mur de la station essence. Je crois que, euh, il faut... je sais pas. J'en peux plus de tout ça. J'en peux vraiment plus.
Le « ça » englobait à la fois le New Life Center, son éducateur, le manque, sa maison, sa famille, ses amis, le décès de son frère... toutes les émotions qu'elle ressentait et qui la faisait suffoquer.
‒ Alors, euh... rappelle-moi d'accord ? Je pars à ta recherche. Si... si je te retrouve pas d'ici quelques semaines, j'irais à New York et je t'attendrai là-bas. Peu importe quand tu décides à me rejoindre, ma porte te sera toujours ouverte... Bon, je vais y aller... Tu me manques L, j'espère qu'on se voit très vite.
Retenant ses larmes, Charlie raccrocha le téléphone et se remit en route à la recherche de son amie. Celle-ci n'était ni à l'ancienne maison de Boone, ni au hangar à bateau de Zac, ni dans aucuns autres endroits où ils traînaient habituellement à Boise ou à Nampa. Après des heures à déambuler dans les deux villes, Charlene finit par s'asseoir sur un banc dans un parc municipal. Elle était épuisée et à court d'idées. Peut-être que Lucy ne voulait pas être retrouver ?
Fermant les yeux et basculant sa tête en arrière pour que son visage profitait des derniers rayons de soleil de la journée, l'adolescente laissa ses pensées dériver et oublia un instant l'objectif qu'elle s'était fixée. Avec la codéine, le manque s'estompait doucement et elle se sentait bien mieux qu'elle ne l'avait été ces dernières semaines. Alors qu'elle réfléchissait à l'endroit où elle pourrait dormir, le souvenir du squat d'Ogden s'imposa dans son esprit.
Le squat d'Ogden !
Rouvrant les yeux brusquement, elle se leva, se rua vers la cabine téléphonique à quelques rues de là et fouilla frénétiquement dans sa poche à la recherche de pièces pour passer un appel. Elle se trompa plusieurs fois de chiffres et appela les mauvaises personnes mais elle persista et finit par composer le bon numéro.
‒ Allô ? Répondit une voix rauque.
‒ Freya, soupira de soulagement Charlene alors qu'elle passait une main dans ses cheveux. Hey. Tu as répondu.
‒ Oh, hé Charlie ! C'est cool d'entendre ta voix ! Comment tu vas ? Luce a dit que tu étais en désintox, tu es sortie ? C'est de la merde ces trucs là.
‒ Euh, ouais... ouais, c'est une longue histoire. Dis, tu as parlé de Lucy ? Elle est passée au squat récemment ?
‒ Oh, elle a fait plus que passer ! Elle dort ici depuis quoi... une semaine ?
‒ Génial, c'est super... Tu peux me la passer ? S'il te plaît.
‒ Ah, elle est sortie depuis un moment.
‒ Elle est partie où ?
‒ Euh, j'en ai aucune idée ! Attends, je demande aux autres. Hé Lib ! Où est allée Luce ?
Il y eut du brouhaha de l'autre côté du combinée, personne ne lui parla pendant un temps puis Freya reprit :
‒ Iku dit qu'elle est partie acheter de la dope pour ce soir. On a prévu de faire une grosse soirée. Oh ! Tu pourrais venir ! On serait tellement contente de te voir ! Et je pourrais te présenter plein de gens sympas ! En plus, on aura de quoi s'amuser. Ca a du te manquer dans cet endroit glauque.
‒ Euh, ouais... je suis pas sûre d'arriver dans les temps.
‒ C'est pas grave, débarque à n'importe quelle heure !
‒ OK, écoute je me mets en route.
Génial ! Alors à bientôt, Charlie.
Cette dernière raccrocha et utilisa les derniers sous volés pour payer un billet de bus pour Boise et un de train pour Ogden. Son sang bouillonnait d'excitation dans ses veines.
❁
Lundi 6 mai 2018, 4h57.
La ville ressemblait à un labyrinthe dans la nuit, Charlene n'arrivait pas à se repérer et ses souvenirs étaient trop brouillés pour l'aider à trouver son chemin. La dernière fois, elles s'étaient garées sur un parking désert et avaient marché à partir de là. Elle se tenait sur un parking et cherchait autour d'elle pour quelque chose de familier mais elle n'était même pas sûre d'être au bon endroit. Elle arpenta les rues alentours et, une demi-heure plus tard, se décida à rappeler Freya.
‒ Holà todos, vous êtes bien sur le répondeur de Lib et Freya ! On est super super super busy alors... rappelez-nous ! s'enthousiasmait l'espagnole.
‒ Mais ne laissez surtout pas de message ! ajouta Liberato. On ne l'écoutera pas !
‒ Bye ! finirent-ils en chœur.
Avec un soupir, Charlie raccrocha et déambula dans la ville à la recherche de l'immeuble qui abritait le squat. Peut-être qu'elle finirait par reconnaître quelque chose.
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Média : Charlie.
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