Chapitre 56
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Jeudi 11 avril 2018, 9h48.
Penchée sur la cuvette des toilettes communs du rez-de-chaussée, Charlie vomissait ses tripes alors que des larmes involontaires coulaient le long de ses joues. Quelques instants plus tôt, elle était en train de nettoyer le hall avec Tom et soudain, elle s'empressa d'atteindre les toilettes. Pliée en deux, elle sentait son ventre se tordre alors que son estomac semblait vide. Une main sur son ventre, elle se cramponnait à la cuvette avec sa main libre d'une telle force que ses doigts blanchissaient.
‒ Charlene ? Entendit-elle à travers son voile de douleur. Tu es là ?
Un gémissement franchit la barrière de ses lèvres tandis que quelqu'un frappait doucement à la porte.
‒ Est-ce que tu vas bien sweetheart ? Ca fait un moment que tu as disparu du hall.
La poignée se baissa alors que la femme tentait de la rejoindre.
‒ Tu veux bien m'ouvrir la porte ?
Charlie aurait bien voulu déverrouiller la porte pour Donna mais ses muscles étaient engourdis et elle se sentait incapable de se déplacer. Avec beaucoup de difficulté, elle rampa sur le sol, tendit un bras vers le verrou et le tourna pour l'ouvrir. Elle se laissa retomber sur le sol en ayant l'impression que toute son énergie était épuisée. Donna poussa la porte et vient s'accroupir devant elle. Une main fraîche se posa sur son front puis se déplaça sur ses tempes.
‒ Hé Charlene, chuchota-t-elle d'une voix douce. Tu vas aller te recoucher, OK ? Je reviens dans un instant, je vais chercher quelqu'un pour t'aider à te rendre dans ta chambre.
Les yeux fermés et les sourcils froncés, l'adolescente resta allongée contre le carrelage froid tandis que le claquement des talons de Donna s'éloigna rapidement. Tellement prise dans sa souffrance, elle ne l'entendit pas revenir avec des renforts. Quelqu'un souleva Charlie qui geint de douleur dans le mouvement, l'emmena dans sa chambre et la déposa dans son lit.
Pendant deux longues et interminables heures, Charlie se tortilla sous sa couverture avant de finalement se sentir assez bien pour se lever. Elle changea ses vêtements trempés de sueur pour des plus propres et descendit dans les salles communes. C'était l'heure du déjeuner alors son groupe était rassemblé autour de leur table, il l'accueillit avec des sourires tandis qu'elle s'affala sur la chaise à côté de Jasper. Ce dernier enroula une main apaisante autour de sa nuque et Gwen s'empressa d'aller lui chercher une assiette d'œufs brouillés.
‒ Contente de voir que tu vas mieux Charlie, déclara leur éducateur alors qu'il passa derrière eux.
‒ Ouais, marmonna-t-elle, sa mâchoire était ankylosée. Bien sûr.
Jeudi 11 avril 2018, 18h22.
Charlie récupéra le seau d'eau que lui tendit Jasper, grimaça au poids et le vida dans l'abreuvoir du box. Elle attrapa ses béquilles et rejoignit Jasper qui l'attendait près du puit où il tirait un autre seau.
‒ Je pense qu'on a fini, déclara Charlie.
‒ Ah, d'accord. Je vais le laisser ici pour la prochaine ronde de corvées.
Ils commencèrent à marcher vers le bâtiment principal tout en discutant. Ils avaient terminé leurs corvées et c'était l'heure de leur temps libre.
‒ Quand est-ce que tu vas enlever ton plâtre ?
‒ Justement, je dois en parler avec mes parents aujourd'hui. Le docteur Miranda pense que c'est pour bientôt mais elle aimerait discuter avec le médecin qui m'a soigné d'abord. J'espère qu'elle approuvera et qu'ils me le retireront.
‒ C'est génial ! Putain, je suis content pour toi ! S'exclama le jeune homme en passant la porte d'entrée. Je vais appeler ma petite amie, elle est sensée venir me voir dimanche mais elle n'a pas encore confirmé auprès de Mikey. Elle lui confirme toujours deux semaines à l'avance d'habitude alors... tu sais ?
‒ Ouais, tu veux juste t'assurer qu'elle vient toujours, mmh.
‒ Oui. C'est pas dans ses habitudes. Je suis un peu inquiet.
‒ Je suis sûre qu'elle a juste oublié.
‒ J'es-
‒ Hé Jasper ! L'appela leur éducateur qui attendait près du comptoir. Je peux avoir un mot avec toi un instant ?
‒ Euh, ouais. Bien sûr, confirma-t-il après avoir échanger un regard avec Charlie. On se retrouve plus tard ?
‒ OK !
Elle le regarda s'éloigner en trottinant et suivre Mikey dans son bureau puis elle alla récupérer les jetons d'appels auprès de Donna. Elle dut attendre un court moment puisque tous les téléphones étaient pris avant de pouvoir composer le numéro de téléphone de sa maison. On décrocha presque directement et la voix de son triplé la salua.
‒ Hé Charlie, une seconde je vais te mettre sur haut-parleur.
Refermant sa bouche, elle tendit l'oreille et distingua en fond les voix de sa famille, de ses amis et de son petit ami qui discutaient les uns avec les autres. Il est là, se fit-elle la remarque. Comme il me l'a promis.
‒ Salut tout le monde.
‒ Kitten ! Ta voix m'avait manqué ! Comment tu vas ?
‒ Bien, mentit l'adolescente en mordillant l'intérieur de sa joue. Merci Nina.
‒ Ton éducateur nous a envoyé un email hier, continua son père. Il nous a donné un peu de tes nouvelles d'un point de vue extérieur, il a dit que tu t'en sortais très bien.
‒ S'il le dit alors.
‒ Et il a ajouté quelques photos de toi pendant tes activités.
‒ Ah oui ? Je ne savais pas qu'il faisait ça.
‒ Mmh mmh, il y en a une en particulier qu'on apprécie tous, n'est-ce pas ? C'est celle où vous êtes un petit groupe à l'extérieur et vous êtes tous tâchés de peinture. Tu as un si beau sourire dessus.
‒ Oh oui ! Elle a été prise hier matin, pendant notre activité du mercredi. On devait peindre quelque chose pour décorer la salle de réunion mais un des membres de mon groupe m'a lancé de la peinture dessus et j'ai dû riposter, bien entendu. Et, évidement, ça ne s'est pas arrêté là. Ce que Mikey n'a pas dû vous dire c'est qu'il a aussi participé à notre bataille de peinture. C'était vraiment sympa.
‒ Et, donc, reprit Julian en laissant sa voix traîner. Ce sont les membres de ton groupe sur cette photo ?
‒ Mmh mmh, confirma-t-elle dans un fredonnement. Jasper, Ricky et Kam. Et il manque Gwen et Tom sur la photo, ils étaient trop malades.
‒ Ils sont sympas ? Questionna son petit ami.
‒ Oui, très ! Je les apprécie vraiment beaucoup, et leurs présences m'aident. Les garçons sont de vrais gentlemen et sont très attentionnés. Bon, Tom est un peu agressif mais notre éducateur dit que c'est normal. C'est sa façon d'extériorisé son mal-être, apparemment. Mais bon, il n'est pas si méchant, convint Charlie avec un haussement d'épaules qu'ils ne pouvaient évidement pas voir. Et Gwen, elle... elle est super. On partage la même chambre. Elle est plutôt jeune par contre, elle a, uhm... quatorze ans.
‒ Oui, en effet.
‒ Mmh mmh, marmonna-t-elle dans ses pensées. Oh ! Le docteur Miranda aimerait le numéro du médecin qui s'est occupé de moi.
‒ Docteur Miranda ?
‒ Oui, c'est le médecin du centre. Elle a parlé d'enlever mon plâtre bientôt et aimerait voir ce qu'en pense le docteur Salomon.
‒ Ah, d'accord. Tu as de quoi noter ?
‒ Non, euh, un instant. Ne raccrochez pas !
Charlene posa le téléphone sur le dessus de la cabine, attrapa ses béquilles et se dépêcha d'aller demander un morceau de papier à l'accueil. Elle emprunta aussi un stylo puis retourna rapidement auprès du téléphone en espérant que personne n'avait pris sa place et raccroché.
‒ C'est bon papa.
Ce dernier dicta le numéro que sa fille retranscrit d'une écriture bâclée et rangea le papier dans la poche de son pull.
‒ Bon, et si vous me racontiez un peu ce qu'il se passe à la maison ?
Et, pendant les quelques minutes qu'il restait, chacun donna un peu de ses nouvelles à l'adolescente.
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Dimanche 14 avril 2018, 10h53.
Charlie attendait sagement assise sur la table d'examen et attendait que le docteur Miranda revienne de son bureau. L'adulte était en conférence vidéo avec Loretta Salomon et avait une discussion privée avec elle depuis quelques minutes déjà.
En ayant marre d'attendre, elle laissa son regard errer et il finit fixé sur le placard à médicaments. Il était bien évidement fermé à clé et rien ne laissait transparaître qu'il y recelait tout un tas de cachets. Quelque chose qui pourrait calmer le manque. Elle pinça ses lèvres entre elles alors qu'elle jeta un regard vers la porte de la salle. Elle souffrait, était seule dans la pièce et la tentation était bien trop grande. Alors qu'elle allait se lever et essayait de forcer la serrure, la porte s'ouvrit sur le docteur Miranda qui portait son ordinateur portable d'où une voix retentit.
‒ Bonjour Charlene, je suis ravie de te voir en dehors que dans un lit d'hôpital.
‒ Bonjour docteur Salomon, répondit-elle avec un sourire crispé. Je suis contente de vous voir aussi.
‒ Bon, bonne nouvelle Charlene, reprit le médecin à travers l'écran. Comme nous l'avons convenu avec le docteur Pickles, ton plâtre peut être retiré aujourd'hui. Elle va te mettre une attelle.
‒ C'est vrai ? Super ! S'enthousiasma réellement Charlie.
‒ Tu pourras t'appuyer légèrement sur ta jambe et l'enlever pour aller te laver, continua Miranda. En revanche, il ne faudra pas trop que tu forces sur ta jambe.
‒ Bien entendu ! Mais c'est déjà génial, ça va changer ma vie au centre !
‒ Effectivement, approuva Miranda avec un petit sourire.
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Mercredi 17 avril 2018, 14h29.
Tirant nerveusement sur un fil dépassant de son jean, Charlene s'efforçait de ne rencontrer le regard de personne dans leur petite salle de réunion. C'était à elle de parler et leurs yeux braqués sur elle l'intimidaient. Sa langue semblait trop lourde à bouger et sa mâchoire était paralysée par la panique.
‒ Bien tout le monde, déclara soudainement Mikey.
Il tapa des mains pour ramener l'attention de tout le monde sur lui, l'adolescente sursauta au bruit. La panique ne renfloua pas mais devient légèrement plus sourde.
‒ Il semblerait que Charlie ait du mal à parler sous vos surveillances accrues. Alors voilà ce qu'on va faire : vous allez tous lui tourner le dos et regarder droit devant vous. Ca t'aidera, tu pense Charlie ?
Cette dernière répondit par un hochement de tête tendu et son groupe s'exécuta avec une rapidité qui prouvait qu'ils avaient sûrement déjà fait ça auparavant.
‒ C'est quand tu veux maintenant Charlie, continua l'éducateur alors qu'ils étaient tous dos à elle.
Se grattant distraitement le sourcil, la jeune fille lâcha un soupir nerveux.
‒ Il, euh... il était si facile de mentir. Avec le temps, ça me venait tout naturellement, avoua-t-elle. A tel point qu'il m'arrivait parfois de ne plus distinguer le vrai du faux dans mes propres paroles. Mes mensonges me trompaient moi-même.
Alors qu'elle commençait à parler, les mots lui venaient de plus en plus facilement et elle arriva à se livrer à son groupe et à leur éducateur.
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Vendredi 19 avril 2018, 9h06.
Son ventre était crispé à cause d'une douleur sourde mais ça n'empêchait pas Charlie d'être excitée pour la journée qui arrivait. Son groupe allait faire une balade à cheval. Son attelle empêchait l'adolescente d'en monter un toute seul alors son cheval serait fermement tenu par Mikey. Ce dernier et Jasper l'aidèrent à s'installer correctement sur la selle puis tout le groupe se dirigea vers la forêt. Ils papotaient tous entre eux et Mikey profita du moment et du fait que Charlene été piégée avec lui pour essayer de la faire parler.
‒ Alors Charlie, comment tu te sens aujourd'hui ? Je te questionne sur ton mental, je me doute que ton corps souffre du manque.
‒ Ca va.
L'homme jeta un regard peu convaincu par-dessus son épaule mais continua tout de même.
‒ Tu sais, la dernière fois tu m'as dite que tu ne pourrais jamais pardonner tes agresseurs. Qu'est-ce qui te fait penser ça ?
‒ Je ne vois pas comment je pourrais le faire. Ce ne sont pas seulement mes agresseurs, ils sont aussi ceux de mon frère. Leurs actions ont coûté la vie à Nolan. Ce soir-là, ils ont pris une partie de moi et l'ont détruite. Je ne sais vraiment pas comment je pourrais éprouver autre chose que de la haine à leurs égards. Et puis, ils ne méritent pas mon pardon.
‒ Eh bien, ce n'est pas d'eux dont il s'agit.
‒ Ah non ?
‒ Non. On parle de toi ici, de ton bien-être. Autant mental que physique, exposa Mikey. Ecoute, j'aimerais que tu imagines avoir devant toi une balance. D'un côté se tient la vie de ton frère, de l'autre sa mort. Aujourd'hui, tu donnes bien plus de poids à sa mort. La balance penche de son côté alors que c'est sa vie qui devrait peser le plus lourd. C'est elle qui a le plus d'importance. En pardonnant à ces jeunes hommes, tu te libères de la mort de ton frère afin de ne garder que sa vie. Est-ce que tu comprends ce que je veux t'expliquer, Charlie ?
Pinçant ses lèvres entre elles, la brune hocha distraitement la tête avant de se rappeler qu'il lui tournait le dos et donc qu'il ne pouvait pas la voir.
‒ Oui, je crois que je comprends. Mais je suis pas sûre de l'accepter.
‒ Ce n'est pas grave, tu as du temps devant toi pour méditer là-dessus.
Et il la laissa tranquille tandis qu'il se rapprochait de Jasper pour parler avec lui.
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