Chapitre 54
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Dimanche 31 mars 2018, 11h56.
L'adolescente se réveilla lentement alors qu'une douce chaleur l'envelopper. D'une main, elle tira un peu plus sa couverture sur son corps et de l'autre, elle dégagea les cheveux de devant son visage. Un bâillement bruyant résonna dans la pièce alors qu'elle papillonnait des paupières pour dissiper le flou de sa vision. Charlie resta quelques instants à fixer les rayons du soleil qui tapait timidement sur le mur en face de son lit tandis qu'elle laissait la conscience revenir doucement à elle et lui rappeler qu'elle se trouvait au New Life Center.
Un coup d'œil sur son réveil lui indiqua qu'il était presque midi et que c'était pour cette raison que le soleil était déjà levé. Fronçant les sourcils, Charlene regarda vers le lit de sa camarade de chambre mais elle ne s'y trouvait pas alors elle s'empressa de s'habiller et descendit les escaliers pour rejoindre les parties communes.
Elle ne croisa personne. Même Donna semblait être absente, l'accueil étrangement vide sans sa présence.
Charlie parcourut tout le rez-de-chaussée jusqu'à ce qu'elle tombe sur Gwen. Cette dernière était affalée dans un fauteuil, à moitié endormie et des écouteurs enfoncés dans ses oreilles. Délicatement, afin de ne pas l'effrayer, la brune lui toucha l'épaule et attendit genti'ment qu'elle réagisse. Gwen ouvrit ses yeux, lui sourit quand elle la reconnut et retira ses écouteurs de ses oreilles.
‒ Hé Charlie, bien dormi ?
‒ Euh, oui... ? Pas si mal, répondit celle-ci distraitement. Dis-moi, pourquoi personne ne m'a réveillé aujourd'hui ? Ou sont les autres ? Et Donna ?
‒ Ah, tu n'as pas regardé ton planning ? Le dimanche est consacré à la détente, rétorqua Gwen en s'enfonçant un peu plus dans le dossier de son fauteuil. On a le droit de dormir toute la matinée si on le veut et le reste de la journée nous appartient. Chacun fait ce qu'il veut tant qu'il reste dans le centre, qu'il avertit son éducateur et que celui-ci donne la permission. Parfois, nos familles peuvent venir et il arrive que l'on ait des exercices à pratiquer avec eux.
‒ Oh d'accord... alors je vais me recoucher un peu.
Encore fatiguée malgré ses nombreuses heures de sommeil, Charlie remonta dans sa chambre, enfila son pyjama et se recoucha sur son matelas. Elle se tourna difficilement sur son flanc et s'endormit une poignée de minutes plus tard.
Lundi 1 avril 2018, 7h49.
Alors que Charlie récurait la salle de bain attenante à sa chambre, un sentiment d'accomplissement se diffusait dans son esprit. Ses muscles protestaient de la douleur causée par la force qu'elle mettait dans son nettoyage mais elle ne s'arrêtait pas pour autant.
Une fois que les tâches ménagères furent finies, le groupe avait une heure et demi de temps libre alors ils se rejoignirent devant la télévision dans les parties communes pour regarder un film choisi par Ricky. Ils s'entassèrent tous sur les canapés, à moitié affalés les uns sur les autres mais ça ne dérangeait personne. Ça ne prit pas plus d'une dizaine de minutes pour que Charlene soit endormie, la tête sur l'épaule de Jasper.
Du bruit résonnait dans la nuit et provenait du pack de bières dans ses bras dont les bouteilles s'entrechoquaient légèrement et de ses pas sur le trottoir. Fronçant les sourcils, Charlie resserra son emprise sur son achat et regarda par-dessus son épaule pour vérifier si personne ne la suivait mais il n'y avait personne. Elle n'arrivait pas à mettre le doigt sur le pourquoi mais cette nuit lui semblait familière.
Arrivée à sa voiture, elle fouilla dans la poche de son manteau et récupéra ses clés tout en observant les alentours. Les lampadaires éclairaient faiblement les rues tandis que les néons de l'épicerie de Bill Brown rejetaient une lueur rougeâtre sur son visage. Quand elle fit un pas en arrière pour ouvrir la portière de sa voiture, elle eut l'impression de marcher dans une flaque d'eau. La jeune fille baissa ses yeux alors que tout en elle criait « non » et lâcha un halètement horrifié à la vue de l'énorme mare de sang qui s'était formée à ses pieds. Elle la remonta pour trouver sa provenance, étendu immobile sur le sol : Julian.
Tétanisée par cette vision, Charlie lâcha le pack de bières et ne prêta pas attention alors qu'il allait s'exploser sur le béton et déversa son précieux liquide qui se mélangea avec le sang de son triplé.
Murmurant son prénom dans un souffle, elle avança d'un pas pour le rejoindre et se retrouva soudainement projeter dans une chambre d'hôpital dénuée de chaleur et de gaieté.
Son frère était allongé sur le lit, ses parents l'entourait et un médecin les regardait d'un air distant et compatissant.
‒ Monsieur et madame Clark, je voudrais vous adresser mes plus sincères condoléances.
Non !
‒ Votre fils n'a pas survécu à...
Pas encore une-
‒ Charlie ? Charlie, réveille-toi.
Une main se posa sur son épaule et la secoua légèrement, déclenchant une myriade de douleurs dans tous son corps.
C'était juste un cauchemar. Julian va bien.
Un grognement franchit la barrière de ses lèvres alors qu'elle ouvrait les paupières pour faire face au visage fatigué de Gwen.
‒ Allez, il est temps de bouger.
Avec un vague hochement de tête, Charlene repoussa son cauchemar au fond de son esprit puis se leva pour reprendre sa journée.
❀
Mardi 2 avril 2018, 6h14.
Charlie ne pouvait pas sortir de son lit ou même bouger le moindre muscle ce matin-là. Chacun d'entre eux la faisait atrocement souffrir. C'était exactement comme jeudi dernier : la douleur sourde et dérangeant qu'elle supportait habituellement avait laissé sa place à une plus vive.
Sa jeune camarade de chambre avait tenté de la réveiller quand elle avait fini de se préparer mais l'adolescente lui avait grogné dessus alors Gwen était partie chercher leur éducateur. Ce dernier lui avait ordonné le repos une nouvelle fois et que le médecin passerait dans une heure ou deux pour voir si elle se sentait mieux.
Après le petit déjeuner, Jasper monta lui rendre visite. Il épongea la sueur de son front à l'aide d'un gant froid, le nettoya puis le laissa reposer sur sa peau chaude. Il s'assit à ses côtés sur le matelas -le faisant bouger et provoquant de nouvelles douleurs à la jeune fille.
‒ Hé Charlie... ça va passer, assura-t-il avec un ton plein de compassion et de confiance. Je sais que tu n'en as pas l'impression pour l'instant mais les choses vont s'arranger. D'ici un mois ou deux, tu n'auras plus que des douleurs minimes. Tiens le coup.
N'ayant pas le courage de parler ou d'émettre le moindre son, Charlene hocha la tête même si elle n'était pas convaincue. La souffrance commençait à prendre le pas et la plongeait dans une sorte de brouillard, elle semblait se déconnecter petit à petit de la réalité.
À onze heure trente passé, la jeune fille sortit de sa chambre, lavée et habillée pour la journée. En marchant jusqu'au hall du bâtiment, elle mâchait distraitement un chewing-gum afin d'essayer de détendre ses muscles crispés par la douleur. Alors qu'elle allait sortir, Donna l'arrêta :
‒ Bonjour Charlie, j'espère que tu te sens mieux ?
‒ Oui, merci. Est-ce que tu peux me dire où sont les autres ?
‒ Hors du centre. Ils sont partis en activité ce matin, indiqua la femme. Le docteur Miranda s'attend à se que tu passes la voir maintenant que tu es réveillée.
Charlie la remercia et fit tranquillement son chemin vers l'infirmerie. Le médecin l'accueillit avec un grand sourire et l'incita à s'asseoir en face d'elle.
‒ Charlene ! Je suis contente de voir que tu es déjà debout. Tu te sens comment ?
Elle sortit un dossier d'un placard et commença à écrire dessus.
‒ Bien.
Le docteur arrêta de noter un instant, la pointe de son stylo survolant à peine le papier, et haussa un sourcil dans sa direction.
‒ Et en vérité ?
Pinçant ses lèvres entre elles, Charlie détourna le regard un instant et le fixa sur le diplôme universitaire accrochée au mur.
‒ Charlene ? Tu es toujours avec moi ?
‒ Uhm, oui oui, dit-elle en reconcentrant ses yeux sur son interlocuteur. Mes muscles sont plutôt douloureux.
‒ Je m'en doutais. Eh bien, je peux les masser afin de les décrisper. Installe-toi sur la table d'examen.
Tandis que le médecin mettait de côté son dossier et faisait le tour de son bureau, l'adolescente alla s'installer le plus confortablement possible sur la table. Miranda commença à masser et malaxer ses muscles. Elle se détendît considérablement après quelques minutes et s'endormit presque.
Mardi 2 avril 2018, 17h46.
Le front appuyé sur le métal froid de la cabine téléphonique, Charlie entortillait son index dans le fil. Elle savait qu'on attendait son appel chez elle mais elle avait besoin d'un moment pour elle. Après quelques instants à faire le point sur ses pensées, elle composa le numéro de chez elle et n'attendit même pas deux sonneries avant qu'on lui réponde.
‒ Oui, allô ? Décrocha Zac Clark.
‒ Papa ? C'est Charlie.
‒ Oh ma chérie ! Ton frère nous a prévenu que tu nous appellerais aujourd'hui. On attendait ton appel avec impatience !
‒ Ah oui ? Qui est là ?
‒ Eh bien, ta mère, ton frère, ta sœur et ta bande de copains. On a mangé ensemble et on s'est réuni dans le salon en attendant, raconta-t-il. Léo n'est pas encore arrivé , il travaille encore.
‒ Oh, lâcha la jeune fille en tentant de cacher sa déception. C'est pas grave... Une autre fois.
‒ Oui bien sûr. Ah, ta petite sœur veut te parler ! Attends, je te mets en haut-parleurs.
L'adolescente entendit des bruits étouffés de froissements et de mouvements avant que la voix enfantine d'Ellie se résonne à ses oreilles.
‒ Charlie !
‒ Hé mon ange, salua-t-elle d'une voix douce. Comment tu vas ?
‒ Bien bien, mais tu me manques !
‒ Tu me manques aussi.
‒ Mmh. Tu t'amuses bien dans ton...
‒ ...centre de soin, souffla Jenna quelque part en fond.
‒ Oui oui, je m'amuse, mentit-elle alors qu'elle fermait ses paupières. Mais si tu me racontais plutôt ce que tu as fait aujourd'hui à l'école ?
Immédiatement, la fillette commença à parler joyeusement de sa journée. Charlie plaça de temps à autre un marmonnement mais son esprit dériva et se concentra pour empêcher les nausées de remonter jusque dans sa gorge. Un long moment plus tard, Ellie arrêta soudainement de parler et Zac prit sa place.
‒ Comment se passe ta cure, Charlene ? Ce n'est pas trop dur.
‒ Si ce n'est pas trop dur, répéta celle-ci hébétée alors qu'elle détachait son front de la cabine téléphonique. Tu me poses vraiment la question papa ? Mon corps entier est souffrant et me crie de partir d'ici en courant. Chaque cellule en moi réclame un petit cachet ou un gramme de quoique ce soit qui pourrait m'apaiser.
Un silence pesant prit place de l'autre côté du combiné. De son côté, Charlie lâcha un long soupir découragé et amena sa main libre pour gratter son cou. Un rapide regard vers les autres cabines téléphoniques lui apprit que son groupe était rentré au centre par la présence de Kam à l'une d'elle.
‒ Je... je ne sais pas si je pourrais le faire, reprit l'adolescente quand personne n'osa parler. Je ne peux pas gérer tout ça, c'est trop pour moi. Je veux rentrer à la maison. Venez me chercher s'il vous plaît.
‒ Charlene, soupira son père. On ne peut pas, chérie. Si tu es dans ce centre, c'est pour ton bien et tu le sais.
‒ Je ne tiendrais pas, papa. Tout me fait si mal.
‒ Ecoute Charlie, bien entendu que c'est dur, personne n'a cherché à te le cacher mais tu peux y arriver, assura Julian avec confiance. Tu es suffisamment forte pour t'en sortir. Je le sais parce que tu l'es depuis qu'on se connait toi et moi. Tu dois juste rester courageuse, pour nous et surtout pour toi. D'accord ?
Pinçant ses lèvres entre elles, Charlie gratta la peau de son cou et de sa mâchoire avec frénésie jusqu'à ce que sa peau irradie de chaleur et soit rouge.
‒ Charlie, d'accord ? Répéta ton frère.
‒ Oui, d'accord. Je vais l'être, mentit-elle dans un souffle. Bon, je vais devoir vous laisser.
‒ Oh, déjà ?
‒ Mmh mmh, je vous aime.
‒ On t'aime aussi ma chérie. On se rappelle vite ?
‒ Dès que je le peux. Embrassez Léo pour moi. Bye !
Elle n'attendit qu'ils lui répondent qu'elle raccrocha le combiné sur le support. Elle resta une minute sans bouger puis elle se força à aller chercher son éducateur.
❀
Samedi 6 avril 2018, 13h48.
Une main massant son ventre encore douloureux des crampes abdominales de la veille, Charlie décrocha le combiné, le coinça entre son oreille et son épaule et composa le numéro de Lucy de sa main libre. Elle attendit sagement qu'elle réponde en mordillant l'intérieur de sa joue.
‒ Ouais, allô ?
Entendre la voix de son amie -rendue rauque par tout ce qu'elle fumait- apaisa quelque peu la panique qui se diffusait constamment dans son corps et son esprit.
‒ Hé Lucy, c'est moi.
‒ Qui ça, moi ? Grogna son interlocuteur.
‒ Charlie.
‒ Oh C ! Je ne t'avais pas reconnu ! Comment tu vas ?
‒ Bien, mentit-elle pour la énième fois cette semaine. Et, toi ?
‒ Pas génial, tu me manques ! Je m'ennuie sans toi, et... je n'ai toujours pas de nouvelles de Boone.
‒ Tu me manques aussi, L. C'est dur ici, j'aurais aimé que tu sois là, soupira-t-elle en grattant inconsciemment son sourcil. Et je suis désolée que Boone ne te parle toujours pas. Je suis sûre qu'il va bientôt t'appeler.
‒ Mmh, pas convaincue. Mais peu importe.
Un court silence s'étendit entre elles pendant lequel Charlene put entendre son amie renifler bruyamment -sûrement une ou deux lignes de cocaïne.
‒ Bon, et de ton côté, quoi de neuf ? Tu as des nouvelles de ton amoureux ?
‒ Non, il n'est jamais là quand j'appelle. Je ne lui ai pas parler depuis qu'ils m'ont déposé ici mon père et lui. À tous les coups, il veut plus entendre parler de moi maintenant qu'il sait quelle pauvre fille je suis.
‒ Tu n'es pas une pauvre fille, Charlie.
‒ Bien sûr que si. Je ne suis que l'ombre de moi-même depuis quelques mois.
‒ Peut-être mais Léo t'aime à la folie.
‒ Il m'aimait, rectifia la brune. C'est du passé maintenant.
‒ Non. Votre histoire vient tout juste de commencer, ce ne peut pas être déjà fini.
‒ Mais, je t'ai dit qu'il n'était pas là quand j'appelle chez moi. Il m'évite.
‒ Il était sûrement occupé.
‒ Papa a dit qu'il travaillait.
‒ Voilà !
‒ Il ment peut-être ?
‒ Je ne pense pas. Ou alors, il n'ose pas être présent pour une raison ou une autre, proposa Lucy. Ecoute, la prochaine fois, appelle-le. Tu seras fixé.
‒ Uhm, oui, OK. Je vais faire ça, confirma la brune en regardant combien de temps il lui restait.
‒ Bien, je suis contente de l'entendre. Maintenant, parlons de Boone !
Et ce fut leur sujet jusqu'à qu'il soit temps pour Charlene de raccrocher.
❀
Lundi 8 avril 2018, 15h32.
Ricky passa nerveusement sa main dans ses cheveux pour la énième fois tandis qu'il poussait un soupir. Chacun d'entre eux gérait son anxiété comme il pouvait : Gwen rongeait l'ongle de son pouce jusqu'au sang, la jambe de Jasper tressautait, Tom semblait être dans un autre monde et Kam avait les bras croisés au niveau de son estomac comme pour le protéger d'un coup.
‒ Chaque nouvelle fois était bien meilleure que la précédente. Ça me donnait toujours envie de plus alors les doses augmentaient et devenaient plus fréquentes. J'avais l'impression que je ne pourrais jamais m'arrêt-
Un sanglot le coupa soudainement dans sa phrase et le jeune homme tira fermement sur son cuir chevelu. Leur éducateur se pencha en avant, faisant couiner le cuir de son fauteuil, et, avec un sourire compatissant, attrapa la main libre de l'adolescent dans la sienne. Il lui donna quelques mots d'encouragements et le remercia de s'être confier. Il laissa un instant de silence passer puis il pivota en direction de Charlie.
‒ À toi, Charlene, lui sourit-il aimablement. Il est temps que tu nous parles un peu de toi, tu ne crois pas ?
‒ Euh... non, c'est bon. Je préfère vous écouter.
‒ Ce n'est pas comme ça que ça marche ici. Tout le monde doit parler à un moment ou un autre. Tu as repoussé ça assez longtemps.
‒ Eh bien, je n'ai pas grand-chose à dire de toute façon, répondit-elle avec un haussement d'épaules alors que ses yeux ne rencontraient jamais ceux de son éducateur. Vraiment, il vaut mieux garder notre temps pour quelqu'un qui a besoin de se confier.
‒ J'aimerais que tu nous parles de ton frère, continua-t-il en ignorant ses paroles.
Immédiatement, Charlie se referma comme une huître. Elle s'enfonça un peu plus dans son fauteuil, croisa ses bras sur sa poitrine et pinça ses lèvres entre elles.
‒ Je ne pense pas que ce soit une bonne idée.
‒ Et moi, je pense le contraire. Tu ne peux pas espérer aller mieux sans te confier sur ce qui a déclenché ton addiction.
‒ Tu te sentiras déjà un peu mieux une fois que tu auras révélé ce qui pèse sur ton cœur, assura Jasper en se penchant pour appuyer ses coudes sur ses cuisses et entremêler ses mains ensemble. Ça a été prouvé pour chacun d'entre nous, n'est-ce pas ?
En accord avec ses mots, le reste de leur groupe hocha la tête et lui offrit différents types d'encouragements.
‒ Tu peux t'épancher librement sur tout ce que tu veux ici, Charlie, ajouta Kam qui réconfortait encore Ricky. On est entre nous, personne ne te jugera.
Ce n'était pas ça qui freinait l'adolescente mais plutôt que dire tout haut ce qu'elle ressentait rende la mort de son frère d'autant plus réelle. Jusque là, elle avait eu la drogue pour se soutenir quand c'était trop dur d'y faire face. Aujourd'hui, les sentiments et les émotions seraient mis à nus et lui arracherait le cœur, elle en était sûre.
‒ Charlie, l'appela son éducateur pour focaliser son attention sur lui. Rien ne sert de retarder ça encore. Il est temps de se libérer de ce poids. Fais-nous confiance, on est là pour t'écouter et t'aider.
Hochant distraitement la tête, Charlene frotta ses paumes moites sur son pantalon et humecta ses lèvres. Des sueurs froides coulaient le long de sa colonne vertébrale, mouillant son t-shirt, tandis que la panique commençait à remonter ses veines et l'étreignait jusqu'à rendre sa respiration légèrement essoufflée.
‒ Uhm... je- j'ai toujours grandi entourer de mes frères, commença-t-elle après que Mikey lui ait fait un signe de tête rassurant. Ils... étaient à mes côtés chaque jour et- c'est ce qu'on attend de triplés, vous savez ? Être inséparable après avoir partager le ventre de leur mère pendant plusieurs mois. Ma mère m'a dit un jour-
Sa voix dérailla, elle dut se recaler la gorge avant de reprendre, le cœur battant à tout rompre.
‒ Elle m'a dit que les premières semaines de notre vie, on ne pouvait pas dormir à moins d'être mis dans le même berceau. Elle avait des paquets de photos où on était tous les trois blottis les uns contre les autres... parfaitement heureux. Et même si on a réussi à dormir dans des lits différents en grandissant, on était toujours ensemble peu importé ce qu'on faisait.
Son sang pompait tellement fort à ses oreilles que la jeune fille n'entendait presque pas sa propre voix. Elle prit un instant pour déglutir dans l'espoir vain de déloger le nœud d'anxiété noué dans sa gorge.
‒ Mes amis sont devenus les leurs et inversement. Ils m'accompagnaient à mes cours de peinture et parfois, ils posaient afin que je fasse leur portrait, se remémora-t-elle avec un gloussement triste. Et moi, j'allais les regarder jouer au basket, assise dans les gradins avec mon père qui était heureux de partager cette passion avec nous trois... Quand on est devenu plus grand, on allait parfois camper... juste Julian, Nolan et moi. Seuls au monde. Et on nageait dans le lac, on se promenait en forêt... et on partageait notre tente comme quand on partageait notre berceau des années auparavant...
‒ Ça à l'air d'être de bons souvenirs, non ? Questionna rhétoriquement Mikey quand elle resta silencieuse une longue minute, berçant son brouillard de douleur.
‒ Ce sont les meilleurs, assura Charlie avec un sourire nostalgique alors qu'une larme chaude s'échappa de ses yeux. Mais, j'ai perdu tout ça un soir.
Le plus dur restait à venir. Pour tenter de se détourner de sa souffrance psychologique, l'adolescente pinça la peau de sa cuisse alors qu'elle parlait.
‒ Julian et Nolan avaient remporté un match de basketball alors, avec son équipe et les autres lycéens, on allait à une fête. Nolan et moi devions aller acheter de l'alcool alors nous nous sommes arrêtés à une petite épicerie dont le propriétaire était connu pour en vendre même à des mineurs, raconta Charlene comme si ce n'était pas son histoire. En sortant du magasin, on- des types sont sortis de nulle part et... ils nous ont agressé... Je n'arrive pas vraiment à me souvenir du déroulement -c'est sûrement une bonne chose- mais je sais que je me suis évanouie.
Les mots sortaient de sa bouche avant même qu'elle n'y pense, on aurait dit qu'elle voulait s'en débarrasser le plus rapidement possible pour ne plus avoir à se rappeler ce soir tragique.
‒ Quand je suis revenue à moi, ils... ils étaient partis. La ruelle était silencieuse et... Nolan- Nolan était inconscient, dans une marre de son propre sang.
Un sanglot déchirant franchit la barrière de ses lèvres alors que son esprit lui fournissait une image vive de la scène évoquée. Mikey se leva de son fauteuil et vient prendre la jeune fille dans ses bras. Il caressait son dos avec des gestes répétitifs et apaisants.
‒ Je suis désolé que tu ais subi ça et que tu ais perdu ton frère, Charlie. Merci de t'être confier à nous, tu n'as pas besoin de dire plus aujourd'hui, d'accord ?
Elle ne répondit pas, trop submergée par sa douleur émotionnelle.
‒ Tout le monde, appela-t-il d'une voix plus forte. La réunion est terminée.
Dans un même mouvement, ils se levèrent tous et se prirent la main. Charlene s'empressa d'essuyer ses larmes avec la manche de son pull et imita ses camarades en reniflant bruyamment.
‒ Dieu, accorde-moi la sérénité d'accepter les choses que je ne peux pas changer, récitèrent-ils tous d'une même voix, celle de Charlie vacillante. Le courage de changer les choses que je peux changer et la sagesse de savoir faire la différence.
‒ Merci à tous, finit Mikey en ouvrant la porte de la salle de réunion.
Gwen se précipita vers sa camarade de chambre, suivi par Jasper. Ils l'entraînèrent dans une étreinte d'ours, ravivant la douleur de ses blessures dues à l'accident. L'adolescente serra les dents, les bras ballants, et se laissa câliner sans trouver aucun réconfort. Elle était entourée mais se sentait pourtant seule. Seule, et brisée.
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Média : Réunion
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