Chapitre 44
Dimanche 10 mars 2018, heure inconnue.
Lorsque Charlie rouvrit ses yeux, son petit ami la regardait. Son visage ressemblait au soleil, la réchauffait, illuminait l'air environnant.
‒ Je flotte, murmura-t-elle abasourdie.
‒ Oui, tu flottes, souffla-t-il en se pencher vers elle.
Leurs visages se rapprochaient, leurs lèvres étaient de plus en plus proches...
‒ Charlie !
Léo se redressa d'un coup, et l'adolescente sombra dans les ténèbres.
Cette fois, quand elle ouvrit ses yeux, ce fut pour de bon. Elle eut besoin d'un moment pour comprendre ce qui l'entourait.
Elle se trouvait toujours dans la voiture et dehors, la pluie tombait plus furieusement encore que quelques heures plus tôt. Quelqu'un sanglotait et hurlait son nom à sa gauche mais ça semblait étrangement lointain aux oreilles de Charlie. La radio sautait et crachotait sans cesse la même phrase.
I can't- I can't even walk- even walk- walk- walk.
Baissant les yeux vers ses jambes, Charlie remarqua qu'elles étaient comprimées entre son fauteuil et l'avant de la voiture ainsi que le tableau de bord. Du sang recouvrait son bras droit et imprégnait son jean. Elle amena une main à son front qui la faisait souffrir et grimaça de douleur quand ses doigts tapèrent contre un épais morceau de verre planté juste au-dessus de son sourcil. Une rapide évaluation lui appris qu'un second était légèrement enfoncé au milieu de son front.
‒ Charlie ! Sanglotait-on à ses côtés. Oh mon dieu ! Charlie !
Cette dernière ne répondit pas à l'appel et continua à faire le point sur la situation.
La voiture s'était visiblement encastrée dans un arbre en contre-bas de la route si on en croyait la partie gauche qui était plus élevée et une des roues qui tournait dans le vide. La carrosserie s'était décemment rétrécie de tous les côtés -sûrement à cause de de tous les chocs reçus du sol ou des arbres- et Charlie avait l'impression qu'elle allait étouffée dans un espace aussi petit.
I can't even- even walk. I- I can't.
Son crâne pulsait de douleur et les cris de Lucy n'arrangeaient pas son état.
‒ Charlie !
Au son d'un énième appel, cette dernière tourna lentement sa tête vers son amie.
Du sang coulait du nez de l'ancienne blonde, son mascara tâchait ses joues de noir et se mêlait avec le sang et ses larmes. Son visage était tordu en une étrange grimace alors qu'elle sanglotait bruyamment et son épaule semblait être sortie de son axe -elle était sûrement déboitée.
‒ Char- Oh seigneur, Charlie ! S'étouffa-t-elle avec ses sanglots.
‒ Merde Lucy ! Ferme-là, tu me donnes mal à la tête ! Et arrête de chialer putain, ça ne résoudra rien !
Mais la jeune fille n'arrêta ni de pleurer, ni de crier. Comprenant qu'elle n'obtiendrait rien de son amie, Charlene passa à autre chose et essaya de détacher sa ceinture de sécurité mais elle avait du mal à bouger alors elle réfléchit à une autre solution.
Dehors, la nuit commençait à s'assombrir nettement et, ainsi en contre-bas, leur voiture serait plus difficilement visible pour ceux qui empruntaient la route.
Au bout d'un moment à tenter de s'affairer pour sortir du véhicule, l'adolescente finit par tomber de nouveau dans les pommes. Au fond de son esprit, la radio crachotait toujours et Lucy n'avait pas encore cessé de hurler et pleurer.
I- I- I can't even walk- even -even walk.
Dimanche 10 mars 2018, heure inconnue.
Alors qu'elle redressait lentement le haut de son corps, Charlie grimaça et grogna à cause de la douleur qui lui causaient ces mouvements. Son regard passa à travers le pare-brise fissuré et fixa la forêt qui s'étendait dans la nuit noire devant elle. Perdue, il lui fallu une poignée de secondes pour qu'elle se rappelle ce qui s'était produit plus tôt. La jeune fille évalua alors rapidement la situation : Lucy s'était à son tour évanouie, avachie sur le volant, et son visage n'était pas visible. La pluie tombait toujours plus fort et quelques éclairs éclataient parfois. Des gouttes d'eau s'infiltraient par les vitres et le pare-brise brisés.
I can't even- can't even- even walk- walk.
Charlie remarqua qu'elle tremblait légèrement et son esprit choisit de raviver un souvenir d'il y a un ou deux mois. Lucy, dans sa soif de savoir, avait commencé à lire tout un tas d'article sur le corps humain et son fonctionnement. Une fois, elle en avait partagé un avec la brune : lorsqu'on a froid, le corps actionne l'ensemble des muscles sous-cutanés afin de réchauffer l'épiderme sans avoir besoin d'utiliser le sang chaud, qui se concentre à ce moment-là sur les organes vitaux. Charlene savait que si elle arrêtait de trembler alors ce serait un mauvais signe, ça voudrait dire que son corps essayait de conserver son énergie parce qu'elle était en hypothermie. Et après le froid viendrait la fatigue et la confusion...
Les deux jeunes filles allaient mourir si elles ne sortaient pas d'ici très vite.
‒Lucy ? Appela-t-elle. Tu m'entends ? Lucy ?
N'obtenant aucune réponse, elle abandonna et se concentra à la place sur son sac à dos. Si elle parvenait à l'attraper, elle pourrait y récupérer son téléphone portable et appeler le 9-1-1. Charlie savait qu'il se trouvait à ses pieds mais elle ne pouvait pas le voir parce que le tableau de bord était avancé et bloquait ses jambes contre le siège passager. Pinçant ses lèvres entre elles, elle ignora au mieux la douleur et essaya de déplacer une de ses jambes sur le côté. Son hurlement de douleur était étouffé par ses dents et ses paupières étaient fermés de toutes ses forces mais des étoiles dansaient devant ses yeux. Respirant difficilement, elle arrêta de pousser sur sa jambe et réfléchit à une autre solution. Son regard se dirigea vers le petit espace entre son fauteuil et le levier de vitesse : elle pouvait sans aucun doute y passer sa main.
Après une profonde inspiration et une lente expiration, Charlie se remit en mouvement. Elle fourra le bout de son pull trempé par la pluie entre ses lèvres et, tandis qu'elle mordait dedans de toutes ses forces, se pencha sur sa gauche. Comme elle s'y attendait, tout son corps protesta et la douleur fut vive à tel point qu'elle dût crier mais, cette fois, elle ne renonça pas à glisser sa main dans le petit espace. Elle tâtonna à la recherche de son sac à dos et ne put retenir un léger cri de victoire quand ses doigts se refermèrent sur un bout de celui-ci. Elle le tira vers elle mais, évidemment, il ne passait pas là où sa main le faisait. Il était tout de même assez proche pour qu'elle puisse fouiller à l'intérieur. Cependant, elle remarqua immédiatement qu'il était grand ouvert et que la moitié de ses affaires étaient manquantes -sûrement éparpillées sur le sol de la voiture à l'heure qu'il était. Peut-être que certaines avaient été expulsé en dehors du véhicule alors que celui-ci faisait tonneau sur tonneau.
Le cœur battant à rompre sa poitrine, Charlene plongea sa main à l'intérieur et déplaça le maigre contenu mais il n'y avait aucune trace de son téléphone portable.
‒ Oh non. Non, non, non ! Merde !
Frénétique, elle se redressa avec un cri de souffrance et fit voyager ses yeux dans toute la voiture à la rechercher d'un plan C. Seulement, la fatigue et la douleur prenaient le pas et il était de plus en plus difficile pour elle de garder les yeux ouverts.
Dimanche 10 mars 2018, heure inconnue.
Quand elle rouvrit ses paupières, sa vision était floue mais Charlie remarqua immédiatement que des personnes s'agiter autour d'elle. Ça hurlait de nouveau quelque part mais ce n'était plus Lucy. En revanche, la radio sautait toujours et cette musique devenait détestable.
I can't- I can't even walk -walk.
On parla à l'adolescente quand on vit qu'elle était éveillée mais elle n'arrivait pas à comprendre les questions. Elle se souvenait avoir réussi à donner son prénom et son nom : Charlie Clark. Et le numéro de téléphone de son frère. Elle referma ensuite ses yeux parce qu'ils la faisaient souffrir. La personne qui lui avait posé toutes ses questions n'avait pas quitté son côté, il lui tenait délicatement une main et lui donnait des encouragements, des paroles rassurantes.
‒ Allez Charlie, il faut tenir le coup. On va vous sortir de là, assura l'homme d'une voix confiante. On ne partira pas sans votre amie, ni vous.
‒ Lucy.
La voix de l'adolescente était sortie dans un murmure, elle n'avait pas assez de force pour parler plus fort ou pour rouvrir ses paupières. L'homme ne répondit pas tout de suite et, pensant qu'il ne l'avait pas entendu avec tout ce bruit, elle répéta.
‒ Elle s'appelle Lucy.
‒ Lucy ? Répéta-t-il. D'accord. On va vous sortir de cette voiture, Lucy et vous.
‒ Oui, on m'attend. On doit me ramener à la maison, marmonna avec difficulté Charlie.
Sa bouche était comme pâteuse et sa mâchoire ne semblait pas vouloir s'entrouvrir. Mais ses efforts étaient assez puisque l'homme la comprenait.
‒ On va faire vite.
‒ La portière est complètement bloquée, déclara soudainement une seconde voix qui s'adressait très probablement au premier homme. On ne peut pas l'ouvrir et sortir cette fille, il faut scier la portière.
‒ OK. Un instant... je vais juste lui protéger son visage avec ma veste.
La chaleur qui enveloppait sa main s'en alla et Charlene sentit du mouvement à sa droite juste avant qu'un tissu ne recouvre son visage. L'homme était penché vers elle et arrangeait sa veste tandis qu'elle parla mollement :
‒ Il fait si froid et je suis si fatiguée.
‒ Je sais Charlie mais j'ai besoin que vous restiez éveillée pour moi.
Avant qu'elle ne puisse répondre -pas qu'elle l'aurait fait- il s'éloigna d'elle et de la voiture. Un bruit infernal éclata près des oreilles de l'adolescente mais elle resombrait déjà dans les ténèbres sans s'en soucier un seul instant.
Dimanche 10 mars 2018, heure inconnue.
Une sirène bruyante résonnait dans l'air à l'extérieur et Charlie était allongée dans un véhicule qui roulait à toute allure. Il lui fallut plusieurs longues secondes pour se souvenir du nom : ambulance. Ça voulait dire qu'elle était sur un brancard.
Plus de cris, plus de musique. Tout était relativement calme si on oubliait la sirène.
La jeune fille voulut changer de position mais son corps ne répondit pas. Un sentiment de panique se propagea dans tout son sang et fit accélérer les battements de son cœur. Ses yeux voyageaient frénétiquement dans l'habitacle alors qu'elle passait sa langue sur ses lèvres sèches avant d'ouvrir la bouche pour appeler :
‒ Excusez-moi ?
Un homme, attaché à l'arrière de l'ambulance, se pencha sur elle et lui donna un sourire rassurant. Il sentait bon, un mélange de mandarine et de menthe.
‒ Vous allez bien ?
Cette voix... c'était le même homme qui lui avait parlé plus tôt quand elle était coincée dans la voiture.
‒ Est-ce que...
Charlie n'arrivait pas à parler correctement, sa bouche était bien trop sèche. L'ambulancier se courba un peu plus en avant et posa une main sur la sienne. Celle-ci était douce et tiède, apaisante. Soudain, elle angoissa à l'idée qu'il la lâche.
‒ Je suis paralysée ? Parvient-elle à articuler dans un souffle. Je sens plus mon corps.
Les yeux plongés dans les siens, l'homme hésita puis se retourna et regarda les jambes de Charlene.
‒ Pouvez-vous agiter tes orteils ?
Elle essaya de se souvenir comment les bouger mais l'effort semblait lui demander beaucoup plus de concentration que d'habitude. L'ambulancier toucha alors doucement le bout de ses pieds comme pour lui rappeler où ses orteils se trouvaient.
‒ Essayez encore. Voilà.
La douleur explosa dans sa jambe alors qu'un sanglot retentissait dans l'habitacle.
‒ Vous allez bien, Charlie. La douleur, c'est bon signe, affirma-t-il en se rapprochant encore un peu pour lui faire un nouveau sourire, plus bancal cette fois.
Son odeur rassurante de nature s'enroula autour d'elle comme une couverture chaude en hiver.
‒ Je ne peux rien garantir, mais je ne crois pas que votre moelle épinière soit touchée. Vous avez l'os de la jambe fracturée, et plusieurs contusions. Mais ça va aller.
La main posée sur la sienne mouva et lui donna une légère pression. Charlie n'avait jamais autant eu besoin d'un contact humain qu'aujourd'hui. Elle avait l'impression qu'elle était en train de tomber de très haut dans un gouffre sans fond. Des larmes s'accumulèrent sous ses paupières et coulèrent le long de ses tempes jusque dans la racine de ses cheveux.
‒ S'il vous plaît, me lâchez pas.
‒ Je ne vous lâcherai pas, je le promets.
L'adolescente voulut encore parler, rajouter quelques mots de remerciement mais déjà, le visage de l'homme se brouillait dans sa vision. Moins d'une minute plus tard, elle avait de nouveau perdu connaissance.
Dimanche 10 mars 2018, heure inconnue.
Les doubles portes arrière de l'ambulance s'ouvrirent avec un claquement sonore chacune. Charlie se sentit être légèrement secouée mais son corps resta solidement attaché au brancard qu'on sortait du véhicule. Difficilement, elle ouvrit ses yeux et fixa le ciel noir au-dessus de sa tête.
‒ Charlie Clark, adolescente, déclara une voix féminine au niveau de ses pieds. Elle a été victime d'un accident de la route, passagère. S'est évanouie à de nombreuses reprises. Multiples contusions sur tout le corps, brûlure sur l'abdomen et la poitrine causée par la ceinture de sécurité, plaies profondes au visage, fracture ouverte de la jambe droite causée par l'avancement du tableau de bord, hémorragie externe à la cuisse gauche et hémorragie interne au niveau du ventre.
‒ Oh pauvre chérie, murmura un homme alors qu'il se penchait au-dessus de son visage. Ce n'est pas juste ce qui t'arrive mais on va t'aider à aller mieux.
Une main froide tira sur la peau de sa pommette tandis qu'il éclairait sa pupille avec une lampe torche, faisant grommeler Charlie. Elle sentit qu'on poussait son brancard vers l'avant alors que d'autres portières s'ouvraient à leur tour.
‒ Lucy, adolescente, victime d'un accident de la route. Elle était au volant et aurait vraisemblablement perdu le contrôle de son véhicule. Epaule droite déboitée qui a été remise en place sur le terrain, poignet gauche fracturé, multiples contusions sur tout le corps, possible hémorragie interne, plaies profondes au visage, à la tête et au bras gauche. Une près de sa tempe m'inquiète tout particulièrement, surtout qu'elle n'a pas repris une seule fois conscience depuis qu-
Charlie franchit des portes automatiques et cligna des yeux quelques secondes.
Dimanche 10 mars 2018, heure inconnue.
Le plafond de l'hôpital dans lequel elle se trouvait défilait à toute vitesse au-dessus de son brancard et des visages concentrés la surplombaient et s'aboyaient des ordres les uns aux autres avec agitation. Une voix plutôt douce se démarqua finalement des autres.
‒ Emmenez-là au scanner, ordonna-t-elle avec fermeté.
Un des visages féminins baissa ses yeux vers elle, les sourcils froncés d'inquiétude.
Aidez-moi s'il vous plaît, j'ai mal, gémit Charlie dans ses pensées.
Dimanche 10 mars 2018, heure inconnue.
‒ ...essaye de les joindre.
Des voix bourdonnaient dans ses oreilles.
‒ Espérons qu'ils répondent malgré l'heure tardive.
Charlie battit des paupières plusieurs fois afin d'éloigner la brume dans son cerveau et laissa ses yeux paniqués analyser les alentours. Cependant, une minerve empêchait sa tête de bouger et donnait à l'adolescente le sentiment d'étouffer, doublant ainsi l'affolement déjà bien conséquent dans ses veines. Abandonnant l'idée de savoir où elle se trouvait, elle se mit à fixer le néon du plafond. Tout son corps la faisait atrocement souffrir. Des larmes chaudes coulaient le long ses tempes et son visage formait une grimace de douleur.
Un signal sonore resonna dans la pièce et deux portes automatiques s'ouvrirent avant que son brancard soit mis en mouvement. Se concentrant sur le plafond qui défilait au-dessus d'elle, Charlie essaya d'ignorer sa souffrance. Finalement, on la poussa au milieu d'une pièce possédant un faux plafond et on enclencha les freins de son brancard.
‒ Vous êtes prêts pour l'anesthésie ? Demanda une voix familière à sa droite. J'aimerais traiter ces blessures au plus vite.
‒ Encore un instant et ce sera bon, répondit une voix masculine. Cette fracture n'est pas très belle.
‒ Je sais.
Un visage vient se pencher au-dessus de celui de la jeune fille et elle reconnut la femme à la voix douce. Quand elle remarqua qu'elle était réveillée alors elle lui sourit gentiment. Charlie tenta de lui parler mais seulement des sons étouffés se firent entendre. L'homme venait de lui poser un masque qui englobait son nez et sa bouche. Terrorisée par tout ce qui se passait et qu'elle avait du mal à comprendre, l'adolescente se sentit suffoquer. Elle leva une main tremblante que la femme s'empressa de saisir et la serra avec toute la force qu'elle possédait.
‒ Essaye de te détendre, Charlie, lui chuchota-t-elle en hochant la tête en direction de l'homme. On s'occupe de tout, on va veiller sur toi. Tout ce que tu as à faire, c'est de respirer.
Et Charlie la crut alors elle respira à plein poumon dans le masque.
‒ Voilà, c'est ça chérie. Prends une grande inspiration et laisse ton esprit se détendre.
Doucement, sa prise sur la main de la femme se détacha et elle se sentit sombrer petit à petit.
But I realize I can't even walk.
Without you holding my hand.
Charlene ferma ses yeux et s'endormit.
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Média : La route sur laquelle les filles ont eu l'accident est assez semblable.
Vous aurez compris que Charlie s'évanouit entre chaque paragraphe.
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