Chapitre 43

Samedi 2 mars 2018, 1h24.

Cela faisait environ deux heures que Lucy et Charlie étaient arrivées dans le squat d'Ogden. Elles s'étaient défoncées et avaient bu en compagnie de leurs nouveaux amis.

Freya et Liberato -surnommé « Lib » par tous les autres- étaient frère et sœur. Ils venaient d'une ville paisible d'Espagne et avaient respectivement vingt-cinq et vingt-trois ans.

Les deux en avaient eu marre du train-train quotidien alors quand Liberato avait atteint sa majorité, sa sœur l'avait entraîné avec lui en France mais, après deux mois, ils se sont rendu compte que le pays ne leur convenait pas. Ils ont alors voyagé en Angleterre où ils sont restés presque deux ans puis ils ont débarqué aux Etats-Unis il y avait trois ans. Une étudiante sympathique les avait pris sous son aile et les avait emmenés de soirée en soirée jusqu'à ce qu'ils rencontrent une nouvelle personne qui leur fit découvrir d'autres endroit puis une autre personne, etc... La drogue était venue à eux avec ce train de vie.

On est arrivé dans l'Utah, il y a quoi... tout juste deux mois ? Indiqua Liberato en jetant un coup d'œil à son aînée qui hocha la tête avec enthousiasme.

C'est ça, confirma-t-elle. On a rencontré Koby pendant une soirée et il nous a amené ici. C'est pas le pire endroit où on a créché. Et le proprio fait des genres « formules » pour le mois.

Si on avait demandé à Charlie de décrire Koby en trois mots, elle aurait surement choisi : surfeur californien stéréotypé. Le jeune homme âgé de vingt huit ans portait ses cheveux blonds mi-longs et avait des yeux dont la couleur s'accordait avec la mer. Son corps ne correspondait pas tellement à ce cliché en dépit du fait qu'il possédait encore quelques muscles secs.

Lui aussi avait perdu des êtres chers, sa femme et sa fille. Elles s'étaient retrouvées piégées dans un immeuble en flamme cinq ans plus tôt et Koby avait, lui, sombré dans la drogue. Depuis toutes ses années, il vivait de squat en squat parce qu'il n'avait pas eu la force de trouver un nouvel appartement et parce qu'il m'était le peu d'argent qu'il gagné dans sa dope.

Hé, fais passer la vodka, Iku, demanda Charlie en tendant sa main vers lui.

Kikuma détestait son prénom et avait choisi d'être surnommé « Iku » quand il était arrivé aux Etats-Unis deux ans plus tôt. Il était un jeune asiatique de vingt ans aux cheveux et aux yeux noir profond.

Etant le plus intelligent de son lycée, il avait obtenu une bourse pour Harvard et ses parents lui avaient forcé la main pour qu'il fasse de grandes études bien que le jeune homme aspirât à un métier de photographe. Le jeune japonais avait vite cédé à la pression et avait commencé à consommer des stimulants après un an... Puis, il y a deux mois, il avait abandonné l'université et était venu s'installer dans ce squat paumé.

Et vous, pourquoi vous êtes ici ? Questionna Koby en passant la bouteille d'alcool d'Iku à Charlie, après avoir lui-même pris une gorgée. Vous avez dit que vous veniez de l'Idaho, c'est ça ?

Oui, confirma Lucy alors qu'elle s'allumait une énième cigarette. On est là parce que le petit copain de Charlie a découvert qu'elle prenait des ecstasys de temps en temps. Il veut en discuter avec ses parents pour qu'ils trouvent tous ensemble un moyen de la « soigner ».

Elle appuya sur le dernier mot avec dégout alors qu'elle levait les yeux au ciel. Sur le transat troué, la brune ne prêtait pas vraiment attention à la conversation. Elle mit un cachet bleu pâle sur sa langue et le fit glisser dans sa gorge avec une longue lampée de vodka.

À coup sûr, ils vont vouloir t'envoyer dans un centre de désintoxe, déclara Liberato avec un reniflement désapprobateur.

Ces trucs-là, c'est de la merde, ajouta Koby alors qu'il se levait de sa chaise et venait près de la table basse pour se préparer un rail d'amphétamine. On m'a envoyé dans un de ces centres après la mort de Lily et de ma petite Kiara et j'ai pas du tout aimé ça. C'était plein de conneries sur l'acceptation de la drogue comme étant une maladie et tout le bordel.

Il s'arrêta de parler un instant pour se pencher en avant et sniffa deux lignes avec une rapidité née de l'habitude. En se redressant, il se frotta le bout du nez et s'adossa contre le canapé en velours.

Un conseil, reprit-il. N'y va pas. Quand tu sortiras, ils vont tous s'attendre à ce que tu rechutes et c'est ce que tu vas faire. Parce qu'ils vont tous mettre trop de pression sur toi.

Alors qu'elle faisait passer l'alcool à la personne -Freya ?- à sa droite, Charlene haussa les épaules.

Bien sûr qu'elle n'irait pas.


Samedi 2 mars 2018, 7h29.

Rouvrant ses paupières, Charlie coupa l'eau de la douche, attrapa la serviette qu'elle avait emporté avec elle, s'enroula dedans et sortit de la pièce pour se rendre dans sa chambre. Lucy était assise sur leur matelas sans draps et se séchait les cheveux avec une serviette prêtée par Freya.

Je crois que je mangerais bien un truc, pas toi ? Questionna distraitement Charlene en se rendant à son sac à dos.

Pas vraiment. Mais il nous reste de la viande séchée si tu veux.

Oui, merci.

Après avoir revêtu des habits propres, la brune s'assit sur le lit, récupéra le sachet que lui tendit son amie et commença immédiatement à manger.

Qu'est-ce qu'on va faire aujourd'hui ?

Lucy ne répondit pas tout de suite et sembla prendre une minute ou deux pour réfléchir.

Oh ! Il y a le SeaQuest Interactive Aquarium tout près d'ici ! Il se trouve à Layton, environ trente minutes en voiture. J'adorais m'y rendre quand je vivais encore ici !

Oui, pourquoi pas. On peut faire ça.

Génial !

Les deux amies finirent de se préparer, remballèrent leurs affaires et sortirent de leur chambre commune. Dans le salon, Freya et Liberato partageaient un paquet de céréales en guise de petit déjeuner à la table de la salle à manger tandis que Kikuma somnolait encore dans le canapé -à l'endroit même où il s'était endormi la veille.

Hé, vous partez déjà ? Demanda la jeune hispanique en faisant la moue.

Ouais, on était que de passage par ici.

Oh, d'accord.

Où est-ce que vous allez ensuite ? Questionna son frère.

Où le vent nous portera, gloussa Lucy. Pour l'instant, on a juste l'intention de se rendre au SeaQuest Interactive Aquarium.

Celui qui se trouve à Layton ? 

Mmh mmh.

Oh, j'adore cet endroit ! S'exclama Freya avec un grand sourire.

Moi aussi, parla mollement Iku depuis le canapé.

Est-ce qu'on peut venir avec vous ?

Le japonais se redressa en position assise, frotta son visage froissé par le sommeil et amena ses mains à ses cheveux pour tenter de les dompter. Lucy jeta un regard à Charlie et haussa un sourcil interrogateur. Cette dernière hocha la tête afin de signifier que ça ne la dérangeait pas.

Oui, bien sûr, accepta alors l'ancienne blonde. Vous êtes prêt à partir maintenant ?

À leur tour, les trois jeunes hochèrent leur tête malgré qu'ils soient habillés à la va-vite et mal peignés. Charlie ne s'en soucia pas plus que ça et les entraîna l'extérieur pour rejoindre la voiture.


Samedi 2 mars 2018, 11h44.

Les mouvements élégants que faisaient les méduses dans l'aquarium hypnotisaient Charlene. Cela devait faire dix bonnes minutes qu'elle les regardait nager dans une espèce de danse lente et aérienne. Elle ne s'était même pas rendu compte que le reste de ses amis avait avancé sans elle et qu'elle se retrouvait seule. Fascinée, Charlie avait ses deux mains appuyées sur la vitre de l'aquarium et son visage se trouvait à quelques centimètres alors qu'elle observait l'ondulation de leur corps.

Le poids d'une méduse est composé de quatre-vingt-dix-huit pourcent d'eau. Et elles n'ont pas de cerveau.

Charlie sortit de ses pensées et tourna légèrement son visage dans la direction d'où venait la voix aigüe. Un petit garçon -environ sept ans- se tenait à ses côtés et regardait lui aussi les méduses avec un grand sourire.

Wahou.

C'est dingue, hein ?

Ouais !

Tandis que l'adolescente se reconcentrait sur le ballet incessant des méduses, le garçon reprit :

Ce n'est pas vrai qu'il faut faire pipi sur une piqure de méduse. Il faut frotter doucement la peau avec du sable chaud. C'est oncle Samuel qui me l'a-

Tommy !

Un homme vêtu d'un uniforme de travail SeaQuest Interactive Aquarium arriva en trottinant jusqu'à eux et attrapa le petit garçon par l'épaule.

Qu'est-ce que je t'ai déjà dit Tommy ?

Quand tu es occupé, je dois t'attendre dans ton bureau. Et de ne pas parler aux inconnus.

Exactement. Si jamais il t'arrive un truc, ta mère me tuera.

En disant cela, l'homme jeta un regard méfiant vers Charlie. Cette dernière était debout les bras ballants et les fixait d'un regard vide.

Désolé oncle Samuel.

Ce n'est pas grave mon pote, ne refais plus ça c'est tout.

Il attrapa la main du petit garçon et l'éloigna d'elle.

Allez viens, on va manger.

Pendant un moment encore, Charlie admira les méduses onduler dans leur aquarium.


Samedi 2 mars 2018, 18h54.

Après avoir fini de visiter l'aquarium en milieu d'après-midi, les cinq jeunes s'étaient séparés. Freya, Liberato et Iku avaient pris un bus pour rentrer dans leur squat à Ogden tandis que Charlie et Lucy étaient restées dans la ville de Layton et avaient trouvé un parc où zonait.

Cela faisait plusieurs heures qu'elles étaient affalées sur un banc et partageaient un joint. Charlie sondait les habitants -peu nombreux- de la ville qui se baladaient tranquillement dans le par cet Lucy avait engagé une conversation avec un sans-abri très sympathique qui cherchait apparemment de la compagnie.

Et donc, tu fais de l'accordéon ? Questionna Lucy en pointant l'instrument du doigt.

Le sans-abri l'avait déposé à ses côtés sur le banc quand l'ancienne blonde lui avait proposé de s'asseoir avec elles. Charlie posa une main sur l'avant-bras de son amie afin d'attirer son attention qui avait été détourné par un oiseau posé plus loin.

Tu lui as déjà posé cette question, L. Et il t'a déjà répondu.

La voix de Charlie était enrouée comme si elle avait une extinction de voix.

Quoi ?

Oui, il fait de l'accordéon, soupira-t-elle.

Ah ! Oui, d'accord... C'est cool, alors.

Elle marqua une pause et regarda une famille un peu plus loin puis elle regarda de nouveau le sans-abri. 

Est-ce que tu peux nous en jouer un morceau ?

Exaspérée, Charlie leva les yeux au ciel parce qu'il leur en avait déjà jouer un quelques minutes plus tôt mais le sans-abri -Denis ?- ne s'en formalisa pas, récupéra son accordéon et entama un nouveau morceau avec passion. Cependant, l'esprit de Lucy s'était déjà égaré. Charlene, quant à elle, commençait à avoir très faim alors elle fouilla dans son sac à dos pour trouver un paquet de biscuits qu'elles avaient acheté dans la journée et, entre deux taffes sur le joint, elle grignota. À son tour, son esprit s'égara.

Lundi 4 mars 2018, 2h59.

Penchée au-dessus de la cuvette des toilettes d'un appartement inconnu, Charlene vomissait tout le contenu de son estomac -essentiellement des petits fours à la saucisse et de l'alcool. Un de ses bras était tendu derrière elle alors qu'elle cherchait aveuglément du papier toilette. Au moment même où ses doigts en effleurèrent une feuille, un autre haut-le-cœur la prit et elle vomit de nouveau. Ses phalanges enroulées et crispées autour du papier, elle resta immobile un instant pour s'assurer qu'elle ne vomirait plus puis en arracha un bout et essuya grossièrement sa bouche. Charlie se leva difficilement du sol et s'aida en s'appuyant de tout son poids sur la cuvette. Elle tira distraitement la chasse d'eau -ne se rendant pas compte qu'il restait du vomi dans les toilettes- et vient se poster devant le lavabo. Elle ouvrit le robinet et passa ses mains sous l'eau. Ayant l'impression que sa bouche était sèche, la jeune fille se pencha jusqu'à l'amener sous le mince filet et but de grandes gorgées comme si elle n'avait pas eu accès à de l'eau depuis des jours. Une fois désaltérée, elle se redressa, coupa l'eau et passa une main mouillée sur son front en sueur et ses joues rougies par sa chaleur corporelle trop élevée.

Bon dieu, Charlie ! Est-ce que tu vois dans quel état tu te trouves ? S'exclama Nolan tandis que son reflet apparaissait à ses côtés dans le miroir. Tu es écarlate ! Oh, regarde ces cernes sous tes yeux ! Elles sont affreuses.

Tais-toi Nolan, marmonna la brune en fermant ses paupières alors qu'une nouvelle vague de nausées la prenait.

Tu es trempée de sueur ! Et tu as si maigri... C'est affligeant Charlie.

Tais-toi.

Sérieux sœurette, j'ai l'air bien plus en forme que toi et pourtant, je suis mort !

Putain Nolan mais ferme-là !

Le babillage du jeune homme se stoppa net et la pièce redevient relativement calme. On pouvait toujours entendre la faible musique et les bavardages venant du salon mais dans la salle de bain, seule la respiration de Charlene était audible.

Cette dernière rouvrit ses yeux pour voir que même si son frère avait arrêté de parler, il se tenait toujours là. Un sentiment de colère enfla dans la poitrine de la jeune fille et finit par éclater.

Et puis d'abord, pourquoi est-ce que tu me fais chier encore toi ? J'en ai marre de t'entendre parler et de te voir, grogna-t-elle dans la direction du reflet de son triplé. Comme tu l'as dit, tu es mort alors pourquoi tu ne me lâcherais pas les baskets, hein ? Tu pourrais aller hanter quelqu'un d'autre, non ? Histoire que tu arrêtes de jacasser par-dessus mon épaule et je ne sois un peu pénarde.

En même temps qu'elle parlait, Charlie avait de nouveau fait couler l'eau. Elle baissa son regard vers le lavabo et se lava les mains avec des mouvements lents.

Tu es une imbécile Charlene Clark.

La réplique de Nolan fut suivie d'un silence. Un rapide coup d'œil vers le miroir apprit à Charlie qu'il s'était éclipsé sans demander son reste. Tant mieux pour elle.

L'adolescente resta quelques minutes supplémentaires dans la salle de bain jusqu'à ce que la terre cesse de tourner puis elle en sortit et partit à la recherche de Lucy.

Dans le couloir qui menait à la pièce d'où elle venait, elle passa devant deux filles qui s'embrassaient à pleine bouche. L'une d'entre elles avaient perdu son t-shirt un peu plus loin et la seconde avait sa robe-chemise ouverte en grand sur ses sous-vêtements. Charlie les ignora et continua à progresser à travers l'immense appartement jusqu'à déboucher dans le cœur de la fête : le salon. La plupart des invités étaient encore debout dans différents coins à parler ou danser mais beaucoup était avachi sur toutes surfaces plates disponibles.

Déambulant maladroitement entre les corps, Charlene trébucha sur le grand canapé en cuir blanc et tomba à moitié sur une autre fille. Celle-ci était profondément endormie, ronflant légèrement, et ne se réveilla même pas quand Charlie s'écrasa sur elle.

Hé ma jolie ! Entendit-elle alors qu'elle essayait de se relever. Tu veux une ligne ?

Elle tourna sa tête et chercha qui s'adressait à elle : c'était l'hôte de la soirée. Un homme dans d'une trentaine d'années, mannequin et riche d'après les dires de Lucy. Quel était son prénom déjà ? Bryce ? Bruce ? Ou peut-être que c'était Bron ? Quelque chose en B en tout cas.

Oh là, la brunette ! C'est à toi que je parle. Tu es toute blanche, on dirait que tu vas être malade. Tu as besoin de plus de Coco ! Viens te servir.

Charlie hocha mollement sa tête, se traîna jusqu'à l'homme avec difficulté et s'assit à même le sol devant la table basse en verre. Un second homme était en train de fouiller parmi les différents petits sachets de drogues sur celle-ci et en ressortit un rempli de poudre blanche. En attendant qu'il ait fini de préparer quelques lignes, Charlie regardait distraitement les gens assis autour d'elle. En plus des deux hommes, il y avait deux jeunes femmes grandes et sveltes.

La première semblait avoir des origines polonaises ou peut-être russes et devait être à la fin de sa vingtaine, vingt-sept ans minimums. Son air béat et son grand sourire rendaient son visage amical. Elle était assise sur le canapé, le dos bien droit et les pieds nus posés sur la table basse, et sirotait une boisson de couleur étrange à l'aide d'une paille fluorescente.

La seconde devait, elle, avoir vingt ans tout juste et était blottie contre l'hôte de la fête -ou plutôt, elle était avachie sur lui. Elle embrassait son cou et lui laissait des suçons. Une main manucurée était posée sur la cuisse de l'homme tandis que l'autre était enroulée autour d'un verre à moitié vide de ce qu'il semblait être de la vodka pure. Quand elle détache sa bouche du cou de Bruce -?- et tourna sa tête pour boire une gorgée, Charlie put voir son visage. Il lui était vaguement familier. Elle dut puiser dans sa mémoire et eut finalement un flash après une bonne minute : il s'agissait de l'amie de Lucy, celle qui les avait invités à cette soirée.

Avant de se rendre dans cet appartement, l'ancienne blonde lui avait expliqué qu'elles avaient vécus dans le même orphelinat pendant quelques années. Elle lui avait même confié qu'elle allait se réfugier dans le lit de la plus âgée quand elle faisait un cauchemar ou qu'un orage éclatait à l'extérieur. Elles avaient été un peu comme des sœurs. Puis Lucy avait été adopté par les Dietrich à sept ans alors que Cathy en avait dix et n'attirait aucune famille en raison de son âge. Finalement, celle-ci avait été repéré par un agent à ses quatorze ans et était devenue mannequin. Lucy avait ajouté à ça : « il y en a qui ont plus de chance que d'autres ». Les deux filles avaient renoué le contact quelques semaines plus tôt après s'être croisé à une fête d'un ami commun.

Allez brunette ! À toi, prends la première ligne.

Charlene sortit de ses pensées, accepta le billet roulé tendu par Bruce -?- et sniffa une ligne. Elle s'éloigna ensuite en frottant le bout de son nez et reprit sa recherche de Lucy. Après un long moment, elle la retrouva endormie dans la baignoire de la seconde salle de bain. Se sentant elle aussi fatiguée, elle monta à l'intérieur, se fit une petite place et s'endormit à son tour.


Lundi 4 mars 2018, 22h09.

Payson était une jolie petite ville de l'Utah qui se trouvait à une heure et demie d'Ogden. Sous l'emprise de la cocaïne, Charlie en avait mis le double et les deux amies devaient s'estimer chanceuses d'être parvenue en ville saines et sauves. Sur la route, la brune avait eu l'impression que toutes les voitures allaient lui foncer dessus et que la route rétrécissait.

Maintenant, Charlene et Lucy étaient dans une chambre de motel, allongées sur des lits individuels dont les couvertures étaient bleu pâle. Le sol semblait être un océan déchainé et leurs lits étaient des bateaux pris en pleine tempête. Lucy en avait la nausée et Charlie devait serrée la couverture dans ses poings pour ne pas tomber. 

J'ai soif. Ma bouche est sèche, pleurnicha cette dernière, les yeux fermés. Je meurs de soif.

Bah, va boire.

La brune se tourna sur le flanc et observa le profil de son amie qui, elle, avait ses yeux fixés sur le plafond.

On n'a plus rien pour boire ici, murmura Charlene en amenant ses mains jointes sous sa joue.

À son tour, Lucy se tourna sur le flanc et lui sourit.

Il y a un distributeur en bas, dit-elle dans un chuchotement.

Je ne veux pas y aller toute seule.

Pourquoi ?

Il y a des gens bizarres dehors, ils n'arrêtent pas de nous regarder. Je crois qu'ils nous veulent du mal, confia-t-elle sur le même temps. Allons-y ensemble, s'il te plaît.

Uhm, ouais, d'accord.

L'ancienne blonde se leva difficilement et dès qu'elle fut debout, elle se rassit sur le matelas.

Wow, la terre tourne vite.

Gloussant, Charlene ne bougea pas de sa position et regarda son amie tenter de se remettre debout, les bras tendus devant elle. Elle vient ensuite aider Charlie à se lever, attrapa la clé de la chambre et de l'argent puis elles descendirent chercher à boire.

Dimanche 10 mars 2018, 17h43.

Désorientée, Charlie prit son temps pour ouvrir ses paupières et papillonna quelques fois pour tenter de reprendre une vision assez normale. Devant elle se trouvait le tableau de bord de la voiture de Lucy et au-delà, il faisait sombre. Il pleuvait aussi et... Oh, elle s'était endormie sur le fauteuil passager.

Non, non, elle ne se rappelait pas avoir été fatiguée au point de s'endormir. Ou alors, elle avait vraiment sombré rapidement... À un moment, elle chantonnait en chœur avec son amie et la suivante... Non, elle avait sûrement perdu connaissance.

La voiture était arrêtée. Et Lucy n'était plus derrière le volant.

Charlene ouvrit la bouche et voulut l'appeler mais aucun son ne sortit, sa gorge était bien trop sèche. Dans des mouvements qu'elle espérait rapidement, elle se pencha, attrapa une grande bouteille d'eau et en but la moitié avant de la reposer puis regarda autour d'elle à la recherche de son amie.

Lucy ? Cria-t-elle. Lucy !

Ouais, je suis là, grommela une voix enrouée. Pas la peine de gueuler.

La brune sursauta violement et se tapa la tête sur le toit de la voiture. Elle grogna de douleur et, une main sur le crâne pour tenter d'atténuer le mal, elle se retourna vers la banquette arrière. Son amie y était allongée de tout son long et avait un bras qui cachait ses yeux.

Tu es partie ailleurs pendant un bon moment, indiqua Lucy.

Ouais, j'avais cru comprendre, marmonna-t-elle avec difficulté alors qu'elle faisait glisser une main sur son front humide de sueur.

C'était à ton tour de conduire mais je n'arrivais à te réveiller. Du coup, comme j'étais fatiguée, je me suis arrêtée sur une aire de repos.

Je ne me sens pas super bien, je- Uhm... j'ai envie de vomir.

Ne vomis pas dans ma voiture, ordonna l'ancienne blonde toujours sans bouger.

Mmh mmh, marmonna-t-elle, incertaine de se retenir de vomir si elle ouvrait la bouche pour parler.

Précipitamment, elle sortit de la voiture et observa les alentours avec brièveté tandis que la pluie trempait ses vêtements et la rafraîchissait au passage.

La voiture était garée sur une espèce de terreplein en gravier au milieu de nul-part. D'un côté se trouvait la route sur laquelle aucune voiture ne passait et, de l'autre côté, la forêt formait un demi-cercle. Il y avait des toilettes publiques à plusieurs mètres d'elle -bien trop loin pour qu'elle espère y arriver avant de dégueuler- et contre un des murs, une cabine téléphonique. En plus de ça, il y avait deux tables de pique-nique légèrement usées par le temps.

La jeune fille s'avança jusqu'aux buissons qui se trouvaient à quelques mètres devant elle, les contourna et se plia en deux. Tout en vomissant le maigre contenu de son estomac, Charlie attrapa ses cheveux et les tient en arrière pour éviter de les salir. Les haut-le-cœur étaient particulièrement douloureux et la faisaient gémir. Quand elle eut fini, son estomac se tordait encore alors elle dut garder la même position pendant un instant encore puis, elle tendit sa main, arracha une feuille d'un buisson et essuya grossièrement sa bouche avec. L'adolescente prit son temps pour se redresser afin d'éviter au maximum des douleurs mais se figea net alors qu'elle remarqua que Nolan se tenait à un mètre ou deux d'elle, appuyé contre un tronc d'arbre. Tout d'abord, elle essaya de l'ignorer en allant s'asseoir à une des tables de pique-nique, sa tête entre ses mains, mais le fantôme vient se poster en face d'elle et la fixa du regard jusqu'à ce qu'elle craque.

Quoi ?!

Bon dieu mais Charlie, ta vie devient n'importe quoi ! S'exclama-t-il immédiatement en réponse. Je veux dire, regarde-toi ! Qu'est-ce que tu fous ici ? Tu es partie en catimini de la maison il y a plus d'une semaine, tu as zoné dans différents endroits infréquentables et tu ne donne des nouvelles à personne.

Charlene détourna le regard et le fixa sur la voiture orange de son amie. Cette dernière n'avait toujours pas changé de position ou bouger d'endroit. Nolan soupira avant d'ajouter :

Tout le monde à Nampa est inquiet pour toi.

Arrête de dire des conneries, réagit-elle finalement dans un grognement. Personne ne pense à moi. Ils sont tous bien trop préoccupés par leur propre chagrin ou leur propre vie pour avant le temps de s'inquiéter à mon sujet.

Ce n'est pas vrai. Tu n'es pas invisible Charlie, tu comptes pour nous.

Non ! Ne dis pas des merdes comme ça !

Elle s'emporta et se leva du banc mais ses mouvements brusques la firent tituber jusqu'à ce qu'elle se rattrape comme elle put à la table en bois. La nausée et des vertiges la firent fermer ses yeux pendant une poignée de secondes avant qu'elle ne les rouvre et ne reprenne la parole.

Tu- Je... Je croyais que tu ne... ne... uhm, je pensais que tu devais seulement dire des trucs qui venaient de mon esprit ? Tu es censé être mon... mon- je sais plus comment ça s'appelle... illusion ? Non ? Non. Je crois que c'est plutôt hallucination. Oui, je- Uhm.

Refermant de nouveau ses paupières, Charlie s'agrippa avec une main qu'elle espérait ferme à la table et amena l'autre à son front sous lequel la douleur pulsait. La pluie continuait de tomber et l'avait trempé jusqu'à l'os.

Non mais tu t'entends parler ? Tes phrases sont décousues de sens !

Nolan sembla bouger autour d'elle et, quand il reprit la parole, sa voix douce fut bien plus proche.

Peut-être que tu devrais appeler ton petit ami ? Il pourrait venir te chercher.

Non, je ne vais pas le faire. Il veut m'emmener loin de la maison. Loin de Julian...

Non Charlie, tu ne comprends pas. Tu as une dépendance à la drogue et il veut seulement t'aider. Et la façon de le faire, c'est de t'emmener dans un centre pour te faire soigner.

Les yeux de Charlene s'embuèrent de larmes alors qu'elle secouait sa tête. Elle le regretta la seconde d'après quand une vive douleur resserra son cerveau dans un étau.

Je ne suis pas dépendante à la drogue ! Je n'ai pas besoin de ça.

Charlie, soupira son triplé. Tu t'es évanouie et tu viens de te réveiller pour aller vomir derrière un buisson. Sois rationnelle : tu prends beaucoup trop de drogue. Regarde-toi, tu vas de plus en plus mal.

Ce n'était rien ! Et je me sens déjà mieux.

D'accord, d'accord, céda-t-il. Mais, réfléchis un instant : ton amie et toi êtes à cours d'argent et vous n'avez presque plus d'essence. Quelle sera donc la prochaine étape ? Voler à manger ? Dormir sous les ponts ? Se prostituer pour avoir de quoi payer votre dope ? Allez Charlie, prends la bonne décision. Appelle quelqu'un -n'importe qui- et rentre à la maison.

Pinçant ses lèvres entre elles, Charlie détourna le regard et enfonça ses ongles dans la paume de sa main pour essayer d'oublier la douleur dans son crâne.

Fais-le pour moi, s'il te plaît Charlene.

Cette dernière ramena ses yeux sur son triplé et le fixa pendant quelques secondes avant qu'elle ne soupire et hoche la tête.

Merde, C ! Qu'est-ce que tu fous debout dehors comme une conne ? Il pleut des cordes, tu vas chopper un rhume à cette allure ! Rentre dans la voiture ! Je vais nous préparer quelque ligne pour nous réchauffer.

La jeune fille regarda vers la voiture orange où Lucy avait entrouvert une fenêtre pour l'appeler puis elle se reconcentra sur Nolan qui lui donna un petit sourire encourageant. Après s'être recalée la gorge, Charlie cria à son amie qu'elle devait passer un coup de fil, fouilla dans les poches de son manteau pour trouver quelques rares pièces et trottina jusqu'à la cabine téléphonique. Difficilement -parce que ses mains tremblaient à cause du froid-, elle les inséra à l'intérieur et composa le premier numéro qui lui vient en tête.

Allô ? Décrocha une voix avec ce qui semblait être un mélange étrange d'espoir et de peur.

Mary, soupira de soulagement la brune. Hé...

Charlie ? C'est toi ?

Oui. Oui, c'est moi.

La voix de l'adolescente était enrouée et elle était prête à fondre en larmes. Elle ne savait pas à quel point elle était perdue et désemparée jusqu'à ce qu'elle entende sa meilleure amie. C'était presque comme rentrer à la maison après une journée particulièrement dure.

Oh bon sang Charlie, s'exclama Mary qui, elle, ne retentait apparemment pas ses larmes. Où étais-tu passée ? On s'inquiète pour toi ici. Est-ce que tu vas bien ? Et ton amie ? Dis-moi où est-ce que tu te trouves.

En voilà de bonnes questions : dans quel endroit elle se trouvait ? Allait-elle bien ? Ne pas connaître les réponses à ces questions fit qu'elle se mit à sangloter.

Mary ! Viens me chercher, s'il te plaît.

Hé, calme-toi chérie... je vais venir te chercher mais d'abord, il faut que tu me dises où tu es.

Je- je ne sais pas ! Lucy a conduit et je n'étais pas en... je... je dormais ! Mentit-elle alors qu'elle s'étouffait presque dans ses sanglots. Et... il n'y a aucun panneau autour de nous ! Et personne à qui demander.

D'accord... est-ce que tu peux demander à ton amie ?

Non, je- j'ai... je n'ai pas assez de pièces. Je ne peux pas m'éloigner du téléphone.

Bien... Laisse-moi réfléchir une seconde...

Charlie sentait son cœur battre trop vite dans sa poitrine à cause du stress. Si jamais Mary prenait trop de temps, le téléphone couperait et elle n'aurait plus les moyens de la rappeler.

D'accord... Est-ce que- Est-ce que tu peux te déplacer jusqu'à la ville la plus proche ?

On a presque plus d'essence mais, uhm... je pense que c'est bon.

Reniflant, elle amena son poignet à son nez et tenta de l'essuyer à l'aide de la manche de son pull trempé par la pluie froide.

Très bien... C'est- ouais... Voilà ce que tu vas faire : tu vas te rendre dans la ville la plus proche de l'endroit où tu te trouves, tu demanderas à un passant de te prêter son téléphone et tu m'appelleras pour me dire le nom de la ville, d'accord ?

Mmh mmh, oui.

Quant à moi, je viendrais vous chercher le plus rapidement possible. Tout ce que vous aurez à faire pendant ce temps-là, c'est de m'attendre sagement à l'endroit exact où tu m'auras dit que vous serez. Tu as compris ?

Oui, acquiesça Charlie en séchant ses larmes. Je vais devoir raccrocher maintenant mais on se revoit très vite ?

Oui, on se revoit très vite, répéta Mary de l'autre côté du combiné puis elle rajouta : Surtout, fais attention à toi, Charlie. Et à ton am-

Bip bip bip. Pour continuer cette conversation, veuillez insérer cinquante cents dans le-

Charlie raccrocha le téléphone sur son socle et resta un instant à le fixer. Ce fut un encouragement de Nolan qui la fit bouger et elle se précipita à l'intérieur de la vieille voiture de Lucy. Assise sur le siège passager, elle se tourna vers la banquette arrière, fouilla dans son sac de voyage et échangea ses vêtements trempés contre des secs. Alors qu'elle enfilait un pull propre et chaud, elle demanda à son amie de les conduire à la ville la plus proche. Lucy accepta sans poser de questions et lui tendit le boitier de CD sur lequel étaient préparés quelques lignes de cocaïne. Charlie s'empressa de les sniffer, jeta la boîte à l'arrière, attacha sa ceinture et se laissa aller dans le fauteuil. Lucy, quant à elle, inséra dans son autoradio un CD de chansons country reprises par un groupe amateur qu'elle avait acheté à un moment pendant leur expédition et choisit une musique qu'elle aimait tout particulièrement : I can't even walk. La voix d'une femme emplit l'habitacle en même temps que celle de Lucy tandis que cette dernière démarrait la voiture.

I thought tant number on would surely be me.

Charlene commença à balancer doucement sa tête en rythme avec la musique alors Ludy tapotait du bout des doigts sur le volant. Celle-ci lança un sourire éblouissant à son amie qui le lui rendit.

I thought I could be that I wanted to be.

Les effets de la cocaïne commençaient doucement à se faire ressentir et éloignaient la douleur du crâne de Charlie.

I thought that I could build on lives.

Sinking in sad.

La brune appuya sa tempe sur la vitre froide et suivit des yeux une goutte de pluie qui la dévalait à toute vitesse comme si elle était poursuivie.

But I realize I can't even walk.

Without you holding my hand.

Chantant de toute son cœur, Lucy zigzaguait gaiement sur la route humide. Charlie ferma ses paupières un instant quand soudain... elle fut projetée du côté opposé et un grand bruit de dérapage s'éleva au-dessus de la musique.

Pendant quelques courtes microsecondes, il n'y eut plus rien sauf le silence.

L'adolescente rouvrit ses yeux pour voir que ses cheveux étaient tendus en direction du plafond. La voiture avait fait un tonneau et se retrouvait maintenant comme suspendu à l'envers au-dessus du bitume.

Puis il y eut le bruit de tôle froissée et de verre brisé ainsi que les hurlements de Lucy combinés à ses propres cris. 

__________________

Média : la route.


La musique est : I can't even walk. Impossible de savoir qui en est l'auteur.

J'ai choisi la version des Southern Gospel Revival que je vous mets là. (OK, je suis un peu fan de ce groupe -amateur?- haha)

[Il devrait y avoir un GIF ou une vidéo ici. Procédez à une mise à jour de l'application maintenant pour le voir.]

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