Chapitre 39

Jeudi 28 février 2018, 5h05.

Lorsqu'une personne décède, les choses se répartissent en deux catégories distinctes et bien ordonnées : avant, et depuis.

Un exemple ?

Avant, Charlie se réveillait avec l'odeur du bacon frit et des pancakes que sa mère préparait pour le petit déjeuner. Depuis, c'était à elle de le préparer et c'était presque toujours des céréales ou des aliments déjà prêts.

Avant, Nolan offrait à ses sœurs et sa mère des fleurs qu'il faisait lui-même pousser dans le jardin sans qu'il n'y ait d'occasion spéciale. Depuis, ses plantes et ses fleurs avaient été laissés à l'abandon.

Avant, Zac emmenait les triplés au hangar près du lac pour qu'ils l'aident à construire et améliorer son voilier. Depuis, leur père n'y mettait plus les pieds et n'en parlait même plus.

Avant, Charlie avait un programme pour les quelques années à venir : avoir son diplôme puis aller dans cette université d'art qui lui avait fait tant envie. Depuis, elle ne savait même pas ce qu'elle ferait le jour suivant.

Avant, tout allait bien dans leur vie. Depuis, c'était comme si le monde s'était écroulé.


Jeudi 28 février 2018, 14h51.

À peine réveillée ce matin-là, Charlie avait sniffé les derniers grammes de cocaïne qui lui restaient -elle devait vraiment mettre la main sur ses ecstasys- et avait avalé une bière presque d'une traitre. Elle n'avait pas pris la peine de se doucher, s'était emmitouflé dans un gros pull et était allée se cacher dans la forêt jusqu'à ce que la maison soit vide. Elle avait comaté pendant trois bonnes heures à même le sol froid et humide avant de revenir vers chez elle.

L'après-midi était désormais bien entamé et l'adolescente était allongée sur le sol de son salon, entre le canapé et la table basse. Un de ses bras recouvrait ses yeux et avec sa main libre, elle traçait des motifs abstraits sur le parquet. Elle avait enfoncé ses écouteurs dans ses oreilles et se laissait porter par la musique.

Le calme avant la tempête.

Soudainement, son téléphone se mit à vibrer alors que la musique s'arrêta. Charlie retira les écouteurs de ses oreilles, arracha l'embout branché à son téléphone et décrocha.

Ouais, allô ?

Charlie ? C'est Léo.

Il y eut un blanc de quelques secondes avant qu'il reprenne :

Il faut qu'on parle, toi et moi.

Qu'est-ce qui a ?

Uhm, écoute, j'ai trouvé quelque chose dans ma voiture.

Sa voix était terne et distante, incertaine. La jeune fille se redressa difficilement en position assise et se concentra un peu plus sur la voix de son petit ami.

Et, qu'est-ce que tu as trouvé ? Demanda-t-elle, tendue.

Nouveau blanc de quelques secondes.

Des comprimés d'ecstasys. Sous le siège passager.

Quoi ? Non ! Non, non, non.

Ce n'était pas possible. Charlie était sûre qu'elle avait posé les petits cachets bleu ciel quelque part dans sa chambre. Il fallait juste qu'elle se souvienne l'endroit exacte. Elle devrait peut-être ranger sa chambre aussi mais ils étaient quelque part chez elle. Peut-être qu'elle hallucinait cet appel !

Ils sont à toi ?

Oui ! Enfin, non... Pas vraiment.

Pas vraiment ? Répéta-t-il bêtement. Ce n'est pas une réponse ça.

Ils sont à une amie.

Ne me mens pas, Charlie. S'il te plaît, quémanda Léo. Si tu éprouves des sentiments pour moi-

Tu sais bien que oui, le coupa-t-elle.

Laisse-moi finir, Charlie.

Un bruit de reniflement retentit dans le combiné.

Si tu en éprouves, réponds à ma question : es-tu dépendante, Charlene ?

La jeune fille était coincée dans des sables mouvants et aucune solution s'offrait à elle.

Je- Uhm, je- Enfin...

Elle ne savait pas quoi dire. Elle ne pouvait pas nier, Léo saurait sûrement qu'elle mentait et il serait extrêmement vexé et penserait qu'elle ne l'aimait pas. Cependant, lui dire la vérité le décevrait et le mettrait très certainement en colère. Elle pria n'importe quel Dieu pour qu'il vienne la sortir de ce pétrin mais apparemment son silence -ou ses bredouillements- furent révélateurs puisque Léo renchérit :

Ça ne peut pas continuer comme ça, Charlie. Je ne peux pas faire comme si de rien était, il faut que ça s'arrête. Immédiatement.

L'air contenu dans les poumons de l'adolescente s'expulsa d'un coup et elle sembla se dégonfler comme un ballon. La tempête avait laissé sa place à un puissant ouragan qui détruisait tout sur son passage et qui emportait avec lui le cœur sanguinolant de Charlie. Elle ouvrit sa bouche mais aucun son n'en sortit. Elle resta bêtement là, à faire le poisson pendant une longue minute avant que son petit ami ne la ramène à leur conversation :

Charlene ? Tu es toujours là ?

Elle déglutit et lança, incertaine :

Tu veux rompre ?

Mais non, c'est une façon de parler !

L'air revient emplir ses poumons et l'ouragan s'éloigna doucement, laissant son cœur retomber au sol.

Même si on rompait, je continuerais de m'inquiéter pour toi, déclara le jeune homme avec émotion. Je m'inquiéterais jusqu'à la fin de ma vie à cause de ce que tu prends et... je ne supporte pas l'idée que tu sois en train de risquer ta vie et que je ne puisse pas te protéger.

Pourquoi ? S'indigna-t-elle. Parce que je suis une fille ?

Parce que je t'aime, putain !

Ces mots, qui furent lancés avec colère, entraînèrent un court silence. Charlie n'eut pas le temps de répondre quoique ce soit avant qu'il ne reprenne :

Est-ce que tu es chez toi ? Julian m'a dit que tu n'étais pas au lycée.

Il avait parlé avec son frère avant de l'appeler, ça sentait vraiment mauvais cette fois.

Umh, oui. Oui, j'y suis.

D'accord. Très bien, approuva-t-il distraitement, semblant réfléchir en même temps qu'il parlait. Je finis le travail bientôt, environ quarante minutes. Je peux me rendre directement chez toi ensuite, on ne peut pas avoir ce genre de conversation au téléphone. Nous devons aborder différentes options, voir de ce qui est le mieux pour la suite. Ton père nous rejoindra dès qu'il le pourra.

Comment ça ? S'étonna-t-elle bêtement après avoir avalé avec difficulté sa salive. Quelles options pour la suite ?

Charlene... tu es une droguée. Tu as besoin de te faire soigner.

Quoi ? Non ! Non, je ne le suis pas ! Je n'ai besoin d'aucun soin !

Ecoute Charlie, parlons-en quand je serais chez toi, d'accord ?

Non, ne viens pas, supplia-t-elle. Je vais bien, je te promets.

Peu importe, je vais venir.

S'il te plaît, ne fais pas ça. C'était juste une fois. On m'a proposé et j'ai dis oui mais je ne recommencerais plus. Ne viens pas, répéta-t-elle une nouvelle fois. Je peux gérer toute seule.

À tout à l'heure, Charlene.

Il raccrocha sans lui laisser le temps de répondre.

L'adolescente resta une poignée de minutes en silence à fixer la télévision éteinte. Elle avait envie de crier, elle avait besoin de hurler, et de se taper la tête contre un mur, et de grimper aux rideaux. Il fallait qu'elle foute le camp d'ici. Il fallait qu'elle mette les voiles avant de perdre la tête. Lucy. Elle était la solution !

Dans la précipitation, elle eut du mal à déverrouiller son téléphone mais finit par réussir à l'appeler.

Allô ?

Viens me chercher, parla-t-elle sans préambule. S'il te plaît, viens me chercher. Il faut que tu viennes ! Je dois partir d'ici au plus vite.

Wow, merde C, calme-toi ! Qu'est-ce qui se passe, meuf ?

C'est Léo. Il a tout découvert. Tout. Les ecstasys étaient tombés dans sa voiture. Il va venir à la maison pour parler avec mon père et moi. Pour me faire soigner... mais je ne veux pas ! Je ne suis pas malade Lucy ! Tu le sais, pas vrai ?

Evidement que tu n'es pas malade. Calme-toi, d'accord ? Il suffit juste de respirer un grand coup et-

Non, ce qu'il faut c'est que je m'en aille !

Oui, j'ai compris Charlie. Laisse-moi juste le temps de me mettre en route. Je viens te chercher et... on ira se poser chez moi.

Non, Léo connait ton adresse. Et celle de Boone aussi.

Il habite plus là-bas, grogna l'ancienne blonde. Peu importe, prépare tes affaires. Je viens te chercher, on part de Nampa et on verra bien où on ira.

Oui... D'accord... Mais viens plutôt me chercher à la bibliothèque municipale.

OK. Je me dépêche.

Sans plus de mots, elles raccrochèrent. Le téléphone fermement serré dans sa main, Charlene se précipita dans sa chambre, se jeta à genoux à côté de son lit et attrapa le sac de voyage rangé dessous. Elle le mit sur son lit et commença à y fourrer des vêtements en boule, le tout en gardant un œil sur l'heure. Une fois les vêtements et produits de toilettes mis, elle ajouta son chargeur de téléphone, ses écouteurs, son porte-monnaie, un pull appartement à Nolan qui traînait sur la chaise de son bureau et un de ses t-shirt de basketball dont elle se servait comme pyjama désormais. Les clés de chez elle resteraient sur son bureau, elle n'en avait pas besoin. Elle devait partir maintenant si elle ne voulait pas que Léo l'arrête. L'adolescente dévala les escaliers, se rendit dans le bureau, fouilla rapidement dans les tiroirs et prit le peu d'argent qu'elle y trouva puis elle décolla de chez elle et s'éloigna de la maison par des petites rues.


Jeudi 28 février 2019, 15h59.

Dans l'agitation, Charlie avait oublié de prendre ses gants et le froid engourdissait ses mains qu'elle frottait l'une contre l'autre pour tenter de les réchauffer. Elle s'emmitoufla un peu plus son nez dans son écharpe et resserra son manteau autour de son corps afin de se protéger au mieux des brises glaciales. N'arrivant pas à calmer ses nerfs, elle se dandinait d'un pied à l'autre et arrangeait sans cesse l'anse de son sac. Alors qu'elle surveillait la rue dans l'espoir de voir arriver bientôt Lucy, elle jetait de temps à autre des coups d'œil à son téléphone qui vibrait avec un énième appel de Léo. Elle avait aussi plusieurs messages.

(4) nouveaux messages.

De Léo (15h41) : Je suis là.

De Léo (15h44) : Charlie ? C'est ouvert ?

De Léo (15h52) : Tu es où ?

De Léo (15h58) : Merde Charlene ! Ne me dis pas que tu es partie.

Quelqu'un klaxonna dans la rue, surprenant la jeune fille. Cette dernière releva la tête avec espoir et soupira de soulagement quand elle vit qu'il s'agissait de Lucy, arrêtée en double file sur le trottoir. Elle courait presque en direction de la voiture quand on la stoppa d'une main sur l'épaule.

Charlie !

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Média : Notre Charlie dans son lit avant de se lever ce matin-là.

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