Red


Il était une fois dans un petit royaume sans prétention, des temps quelque peu tumultueux car récemment rythmés par des attaques répétées.
Un peu à l'écart, non loin de l'orée de la forêt, une humble chaumière se dressait fièrement dans un paysage d'un blanc presqu'immaculé. En effet, un jeune homme passait le porche...

— C'est vraiment plus possible ces attaques. Je dis à grand-mère en époustant la neige de mon manteau sur le pas de la porte.
Ils sont hystériques au village. Le boulanger veut organiser une battue.

Grand-mère me regarde et dans ses yeux je vois une once de panique qu'elle chasse tout de suite. Mais je l'ai quand même vu. Qu'est-ce qui se passe ? Elle n'a jamais eu peur des loups.

— Grand-mère ça va? Je demande inquièt.

— Bien sûr que oui voyons ! Qu'est-ce qu'il pourrait nous arriver de toute façon ?

En disant ça, elle finit d'aiguiser la pointe de sa flèche et l'enclenche dans son arbalète.
Ma grand-mère est une incroyable chasseuse. Elle ne rate jamais ses cibles et c'est elle qui m'a tout appris. D'ailleurs c'est aussi elle qui m'a élevé.

—Pourquoi étais-tu en ville ? Avais-tu ta cape?

Je soupire. Elle n'aime pas que j'aille là où il y a du monde. Elle me l'a répété bien trop souvent à mon goût. Et je n'ai pas le droit de sortir sans ma cape. C'est la seule condition pour pouvoir mettre un pied hors de la maison.
Ça ne me dérange pas vraiment, j'adore cette cape. D'un velours rouge magnifique, elle me tient bien chaud en hiver et repousse la chaleur en été.
Je ne sais pas comment grand-mère se débrouille mais cette cape grandit au fil des ans en même temps que moi. J'ai l'impression de l'avoir toujours eu.  Elle m'a même valu un surnom que je n'aime pas spécialement, mais disons que je m'y suis habitué.

Je l'enlève aussi, puis mes bottes en peaux de lapins et je vais m'asseoir au coin du feu, près de grand-mère.
Je me pose par terre malgré la chaise juste à côté, je préfère être en contact avec le sol, j'ai l'impression de le sentir respirer, de sentir la vie parcourir la dessous à travers mes mains et mes pieds. C'est un phénomène plutôt récent que je ne comprends pas vraiment. Ça a commencé il y a plusieurs semaines déjà. Mais entre les rêves étranges que je fais et les absences que j'éprouve, sentir la terre respirer c'est un plus vraiment agréable.

— Ma, qu'est-ce qui se passe ?

Je sais qu'elle ne resiste jamais quand je l'appelle comme ça.  Elle soupire et en me regardant droit dans les yeux elle me répond:

— Ses attaques sont effectuées par le même loup j'en ai bien peur. Et je crains de savoir lequel est-ce.

Perplexe je la regarde secouer la tête et se lever. Qu'elle ait déjà pisté la bête sauvage ne m'étonne pas vraiment mais j'ai l'impression qu'elle essaye de me faire passer un message que je ne comprends pas. 

— Red, avec l'approche de la lune grise les attaques vont certainement augmenter. Je ne veux pas que tu sortes plus que nécessaire et encore moins durant la nuit c'est compris?

Le fait qu'elle utilise ce surnom dont on m'a affublé me rebiffe et je proteste de suite:

— Je n'ai pas peur des loups !

Grand-mère se rapproche et me carresse la joue:

— Je le sais mon petit, je le sais.

Cet air de tristesse dans ses yeux est dérangeant. Je ne comprends pas pourquoi Grand-mère passe par tous ces états aujourd'hui.

— Mangeons veux-tu ?

Le repas se passe dans un silence morne et bien que la soupe soit bonne j'ai envie de viande. J'annonce à grand-mère que je vais chasser un peu cet après midi et elle s'énerve en me disant que je ne l'écoute pas, qu'elle vient juste de me demander de ne pas sortir.
Je ne réponds rien mais il semble certain que je ne resterai point enfermé à la maison sous des prétextes plutôt douteux. De toute façon je dois voir Freija tout à l'heure et je ne risque pas d'annuler. Je dois lui parler et lui dire ce qui m'arrive.

Freija est tout ce que je recherche chez une compagne. Dynamique avec un éclat sauvage dans les yeux, ses cheveux courts sont comme des petits épis qui partent toujours dans tous les sens. Elle est plus courte que moi mais a du repondant, du mordant même. Elle ne laisse personne lui marché sur les pieds ni la traiter en petite princesse. Et ça me plait. Tout en elle me plait, même ses défauts, comme sa manie de toujours vouloir gagner quand on fait la course et de faire la tronche quand elle perd. Parfois quand je ferme les yeux, je la vois danser, tourbillonant avec le vent en riant. Je sais que je peux compter sur elle.
Il y a quelques jours je lui ai parlé des rêves étranges que je fais, où je vois toujours plein de sang. Je lui donnais tous les détails plutôt morbides pourtant elle est resté stoïque et a réussi à me réconforter.
Je crois que je peux dire que je suis amoureux. Oui, j'aime profondément Freija...

Je reviens à la réalité en voyant grand-mère mettre son manteau.

— Tu sors?

— Oui mon petit. Je vais essayer de calmer le boulanger et les autres.

— Ho, d'accord.  je pensais que tu serais plutôt pour cette partie de chasse. Dis-je étonné.

— Pas cette fois, répond-elle tristement en passant la porte.

Je ne sais pas ce qu'a grand-mère mais je me promets de le découvrir rapidement. En attendant, je me prépare en vitesse, pressé de pouvoir arriver dans la forêt.  J'ai remarqué que je me sens mieux quand je suis en elle. Je suis serein, presque complet.
Je mets ma cape sans prendre la peine de remettre mon manteau, il m'est inutile ces temps ci j'ai l'impression de ne pas du tout ressentir le froid. Je le mets seulement pour ne pas attirer l'attention. Mais sous les arbres denses de la forêt,  personne ne me verra. Je file par la porte de derrière et me mets presqu'aussitôt a courir.

Ça me fait un bien fou. J'ai tout le temps envie ou besoin de me depenser. Je me sens plein d'énergie sans arrêt. Par contre après mes mauvais rêve je suis complètement épuisé. C'est très bizarre. Enfin bref. Je chasse ses pensées de mon esprit et pousse sur mes jambes pour aller plus vite. Je vois les arbres défiler à une vitesse vraiment anormale, pourtant j'arrive à capter chaque détail. Ça c'est encore un des nouveau phénomène qui me hante en ce moment, mais celui-ci est plutôt plaisant.
J'adore la vitesse. J'arrive dans une petite clairière et l'odeur entêtante de violette envahit mes narines. Freija est là je le sais.
Je stoppe ma course a quelques pas d'elle. Elle est assise dans la neige et son visage est fermé.

— Ma douce, que t'arrive-t-il? Je demande en m'installant autour d'elle et en l'enlaçant.

— Il y a eu un carnage dans l'étable de père. Il était furieux mais je sais bien qu'il s'inquiète pour nous.

— Comment ça ? Que s'est-il passé ?

— Père pense que toute une meute a attaqué notre troupeau. On n'a plus une seule chèvre, toutes mortes, complètement éventrées ou déchiquetées. Les poules ont simplement disparu. On n'a retrouvé quelques plumes ici et là. Impossible qu'un seul animal ait fait autant de dégâts.

Alors qu'elle me raconte ses deboirs je sens ma tête tourner et la chaleur de mon corps grimpe atrocement. J'ai si chaud que j'ai l'imression d'avoir mon sang en train de bouillir.
Des images défilent sans cesse dans mon esprit. Mon cauchemard, celui que je voulais lui raconter, elle vient de me le décrire. Il ne manque plus que le cheval...

— Même Angus s'est fait mordre. Son flanc droit est dans un très mauvais état. Père ne pense pas qu'il passera la nuit. J'ai vu ses blessures et je ne crois pas que ce soit un loup le coupable. La taille de la machoire est beaucoup trop impressionnante pour que ce soit

Elle s'interrompt quand je bondis sur mes pieds et m'éloigne d'elle.

Qu'est-ce que tout ça signifie ? Je fais des sortes de rêves prémonitoires? Mais pourquoi ? Quel serait le but? Empêcher les attaques ? Pas vraiment puisque cela arrive dans la même nuit...
Et ces nouvelles... Aptitudes? Symptômes ?
Que m'arrive-t-il réellement ?

Je me sens d'un coup, happé par les souvenirs de mes rêves, ils me hurlant quelque chose de très clair mais je n'arrive pas à le déchiffrer. Une peur indescriptible s'installe alors dans mon estomac. Je me retourne vers Freija qui me regarde incertaine. Elle s'avance vers moi mais je recule de suite, que cette distance continue de nous séparer. Son regard se voile de tristesse mais elle n'avance plus.

— Corynn que t'arrive-t-il? Pourquoi tu m'évites tout à coup ?

Je la regarde dans les yeux et je vois la colère s'y former. Je n'y peux rien tout mon être est révulsé et veut s'en aller.

Je continue à reculer tandis qu'elle crie mon nom sans bouger :

— Corynn! Explique-moi! Corynn!

Je me retourne et m'enfonce dans la forêt quand je l'entends hurler :

— RED!

Je ne sais pas pourquoi mais l'entendre de sa bouche est pire que tout le reste et me donne une impulsion aussi intense qu'un électrochoc.
Je me remets à courir aussi vite que le vent. J'entends ce dernier siffler dans mes oreilles alors que l'écho de son cri résonne dans ma tête en même temps que claque ma cape à cause de la vitesse.

Red red red red. Je n'en peux plus de ce surnom. Je ne sais pas pourquoi il me rend fou. Arrivant à la maison plus vite que jamais, j'ote cette fichu cape, je la roule en boule et la jette dans un coin.
Je ne veux plus du tout la voir. Je m'enferme dans ma chambre et laisse échapper un cri de rage. Je frappe ma table de chevet qui s'écrase comme un château de cartes. Plusieurs échardes sont enfoncées dans ma main mais je ne sens rien.
Les battements de mon coeur s'accélèrent je le sens. Je suis en sueur et je tremble mais je ne ressens aucune douleur. J'enlève les morceaux de bois et je constate avec stupeur que ma peau se referme instantanément.
Alors ça c'était vraiment inattendu!

La porte de ma chambre s'ouvre soudainement et je vois à peine grand-mère se précipiter vers moi tandis qu'une profonde léthargie m'envahit. C'est le noir complet.

À mon réveil je suis anxieux. Grand-mère est à mon chevet, elle me regarde tristement.

— Qu'est-ce qu'il m'arrive Ma? Tu le sais n'est-ce pas ? Je demande.

— Bien sûr que je le sais mon petit, mais pour le moment tu n'es pas en état. On discutera plus tard.

— Non! J'ai besoin de savoir, de comprendre! S'il te plaît...

Ma voix se brise au fur et à mesure que l'angoisse monte en moi.

— Chuuut. Ne t'inquiète de rien, je veille sur toi.

Elle m'embrasse et s'éclipse avec le linge froid qui était sur mon front. Mais je ne veux pas rester ici. Si Ma ne veut pas me donner de réponses alors j'irai les chercher moi-même.
Je sors de mon lit et discrètement ouvre la fenêtre puis je saute dans la neige.

Encore une fois je constate que je ne crains pas le froid malgré le peux de vêtement que j'ai sur moi. Je me sens si léger, presque libre. Un peu comme si j'avais un poids qui m'entrave habituellement. Alors qu'aujourd'hui je me sens complètement entier. Un souffle me pousse en avant et je me dirige naturellement vers la forêt. Je marche d'un pas rapide, voulant m'éloigner au plus vite de ma demeure.
Un petit vent glacé me pousse à lever la tête. Le soleil décline et la lune est déjà là. Pleine et completement grise. C'est un spectacle magnifique dont je me délecte avec plaisir quand une douleur sourde me coupe le souffle et me plie en deux.
J'halete un peu en secouant la tête. C'était plutôt étrange...
Enfin, je continue à marcher puis à courir. Je réalise que je suis à quatre pattes mais ça ne me dérange pas. C'est naturel. De plus en plus vite je cours, j'ai l'impression de voler. Cette sensation grisante me pousse plus loin. Je suis enfin moi.
À ce moment j'hume une odeur que je reconnaîtrais n'importe où et je la suis sans hésiter.

Freija est là, assise sur un gros tronc couché. Et je fonce vers elle.
Quand elle me voit, un cri de terreur déchire mes tympans et je ne sais pourquoi mais ça m'excite. Sa frayeur est de l'adrénaline pure qui coule dans mes veines, transpire par tous mes pores et me persuade que je dois lui sauter dessus. Ce que je fais sans plus y réfléchir. Gueule ouverte, je lui déchire la gorge, enfonçant mes griffes dans sa chair. C'est un délice parfait.

— Corynn NON!

La voix de grand-mère me sort de ma transe et d'un coup la monstrueuse vérité s'abat sur moi. Je baisse la tête et vois le sang de Freija s'écouler abondamment hors de son corps.

Une douce complainte, une apaisante litanie, une étrange mélancolie s'échappe de ma gueule. J'hurle à la lune, j'hurle à la mort.

Grand-mère s'approche doucement et enveloppe mes larges épaules poilus de ma cape rouge. Je comprends pourquoi seulement lorsque je vois à nouveau mes mains et quand je sens les larmes dévaler mes joues.
Je les regarde l'une et l'autre, vivante et morte.
Une envie de mourir, un sentiment de dégoût, un profond désarroi, un intense désespoir...
Quand j'ouvre la bouche pour parler, je n'arrive à rien dire d'autre que :

— Ma... C'est moi le loup.

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Inspiré du petit chaperon rouge version Once Upon A Time (série que je recommande à tous ceux qui aiment les Disney et tous les autres aussi ^^)
Pour le tournoi des 24plumes

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