Une Mère
Doucement, avec beaucoup de précaution, en rythme lent et minutieux, elle appuyait de sa main par alternance sur le lit à bascule, et son bébé s'endormait dans ce bercement maternel, parmi la chanson qu'elle récitait en notes claires et ténues. Une lumière blanche tombait à travers la vitre sur le meuble blanc, mais elle s'assurait toujours qu'aucun rayon ne frappait directement le bébé. Elle était assise sur le fauteuil hérité de sa grand-mère, usé et capitonné, sa main ne cessant de battre la mesure qu'elle fredonnait, son bébé baignant dans la lueur tamisée, en sécurité comme dans un ventre, au sein du mouvement soigneux et de la mélodie tendre.
Elle ne se souciait plus que de cela : le confort de l'enfant, l'assoupissement de cette innocence, la beauté de cet amour dont elle était responsable, oh ! responsable de l'amour. La photographie du moment, clarté chaude, température diaphane, semblaient marquer sa mémoire comme une empreinte, reflux curieusement rétrospectif d'un avenir qui se signalait, impossible. Elle était libre et heureuse, soulagée, tremblante même de ce soulagement, comme sous l'émoi d'une inattendue gratitude.
Elle n'avait pas eu de chance, pourtant ; la vie avait tardé à lui offrir le bonheur – elle y songeait, là, si tard, sans rancune désormais. Elle n'avait rien épargné pour fabriquer le cocon d'une existence sereine, mais la mort précoce de ses parents, les difficultés d'argent, son mariage raté, tout cela, comme des obstacles sur le chemin limpide, avait troublé son idéal de conte de fée – rien n'avait été facile, rien !
Tout en y pensant, elle s'efforçait de calmer ses palpitations.
Même ce lit à bascule, avec ses barreaux mignons, ses patins gentils et les draps jolis qu'elle y avait mis, avait nécessité des négociations, meuble d'occasion, repeint, qu'il avait fallu justifier, parce qu'elle y tenait, parce qu'il s'en moquait, lui. C'était son seul enfant, et elle ne voulait pas, comme il disait, que cela eût été une « erreur » – il le disait impitoyablement pour la blesser, comme si cet être émané d'elle ne valait pas plus qu'une aberration, qu'un regret, qu'une chose. C'était à elle seule de s'en occuper, elle l'avait compris ; c'était ce qu'elle faisait. Elle n'avait pas eu d'enfance ; elle avait eu l'enfant ; finalement, elle saurait donner l'Enfance.
Et, comme elle se penchait sur le lit, elle inspira l'odeur merveilleusement suave de son bébé dont les boucles dorées exhalaient une fragrance amoureuse. Il dormait, sur le dos, les joues rebondies adorablement, la tête parfaitement ronde.
Elle tâcha d'ignorer l'autre senteur, issue du couloir, entrée par la porte, et d'oublier le bruit passé, vaincu, qui résonnait encore dans sa tête, l'écho d'un heurt. C'était fini, tout était bien. Elle avait donné à son fils la sécurité. Il n'aurait plus à s'inquiéter. Elle était une mère, après tout ; elle avait réussi. Ce ne lui avait pas été donné : elle l'avait pris, elle l'avait fait, malgré tout.
Et comme il était beau ! comme elle était fière ! On ne lutte pas ainsi pour rien, se disait-elle, ce serait trop injuste : il deviendrait un homme libre et heureux comme elle n'avait pu l'être. Oh ! la paix d'un bébé qui dort ainsi, sans rien savoir, sans un rêve pour agiter sa pensée ! Elle était parvenue à cette paix, son résultat, le fruit de son œuvre. Elle avait triomphé.
Avec l'autre, tout aurait été abîmé, gâché.
Elle posa le regard sur son avant-bras qu'un hématome bleuissait.
Même le silence la confortait : il était parti, ne serait plus une menace. Mais elle eut alors, là debout, un vertige qui l'obligea à se rasseoir et à cesser son chant ; cela commençait à agir maintenant, mieux valait ne plus se relever. Ce serait parfait, ça aussi ; elle s'endormirait comme l'enfant, moins naturellement bien sûr, mais comme lui et presque avec lui. Déjà, elle avait du mal à penser, ses idées n'étaient plus très claires, une lassitude immense l'envahissait comme une onde, dans la conscience langoureuse de la lumière blanche...
Alors, elle s'arrêta de bercer le lit, et ressentit un paroxysme de chaleur quand elle vit que l'enfant restait endormi hors du mouvement de sa main, en son souffle innocent, comme sous l'inertie d'une poussée bienveillante.
Elle jeta un regard à la porte ouverte, avant de fermer les yeux, de s'abandonner au succès. Elle avait vu la coulée sur le carrelage, rouge, puis elle n'y pensa plus : c'était fini, elle avait fait ce qu'il fallait, avait écarté le danger, comme l'ogre des histoires mauvaises. Elle eut alors un sursaut, une fraction d'angoisse, comme un haut-le-cœur : avait-elle bien communiqué l'adresse à la police, au téléphone tout à l'heure ? Il fallait qu'il y eût quelqu'un au réveil de son fils.
Mais oui, se dit-elle, elle se rappelait, c'eût été stupide de ne pas y penser. Et le fusil était hors de portée avec la boîte de somnifères, pour elle, pour elle seule.
Elle s'abandonna au sommeil immortel, victorieuse et plénifiée.
Elle était mère, enfin.
Elle passait.
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