Petite Âme Invisible
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Ma différence, ma chance !
Johann Dizant
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Ce qu'aucun des deux garçons ne sut, c'est que leurs cris, entremêlés de colère et de peine, ne s'évanouirent pas dans la nuit, comme ils l'auraient pensé. Au contraire, les échos de leurs voix furent transportés à travers le parc, ballotés en tout sens, au gré du vent.
Et c'est donc au gré du vent que ces mots, contenant une partie de l'âme des adolescents, arrivèrent, par une fenêtre entrouverte, jusqu'aux oreilles d'Alma.
Alma, c'était une jeune adolescente de treize ans, d'apparence timide mais souriante.
Sauf que, son truc à elle, c'était qu'elle était différente : elle avait toujours l'air à côté de ce qui l'entourait. C'était cette différence qui, à cause de l'incompréhension des petits comme des grands, lui avait valu sa place dans cet internat.
C'était joli, pourtant, la différence. Cela évoquait à la jeune fille une belle couleur bleue pâle, encore plus pâle que le ciel dégagé durant les belles journées d'été. La différence avait une belle odeur d'embruns, une si douce odeur qu'Alma appréciait, ainsi que la fraîcheur d'une nuit étoilée, qu'elle aimait tant que sa fenêtre restait ouverte, la nuit.
Sa différence, elle l'aimait.
Pourtant, les autres personnes ne semblaient pas du même avis.
Dans sa petite enfance, Alma avait mis du temps à se décider à parler. Elle n'en avait pas envie. Quel était l'intérêt de parler ? Elle n'en avait pas besoin. Et puis, c'était si difficile de savoir ce que l'on devait dire !
Les mots étaient plus jolis à l'intérieur que lorsqu'ils sortaient de sa bouche ; L'enfant avait toujours eu du mal à dialoguer.
Elle s'était alors mise à dessiner.
Du bout de ses doigts, elle réussissait facilement à dire ce qu'elle voulait. Et puis les mots, transformés en jolies formes et emplis de couleurs, étaient bien plus beaux.
Mais ses parents ne l'avaient pas comprise.
Pourquoi leur fille ne communiquait-elle pas ? Pourquoi restait-elle dans son coin et ne jouait-elle pas avec les autres enfants de son âge ? Pour Alma, jouer toute seule, dans sa bulle, était bien plus rassurant.
Mais, comme tous ceux qui n'étaient pas différents, ses parents ne prirent pas le temps de la comprendre.
Alors, âgée de cinq ans, la fillette fut emmenée chez le « psy », un monsieur à l'air peu sympathique qui s'occupait des personnes différentes. Mais elle ne voulait pas lui parler : comme pour les autres, elle n'avait rien à lui dire.
Alors, à la place, pendant les séances chez le « psy », elle dessinait.
La jeune espagnole grandit et commença à parler un peu à son père, puis à sa mère. Elle commençait à bien les connaître, et elle se sentait plus rassurée en leur présence. Mais, très vite, sans encore prendre le temps de la comprendre vraiment, avec, pour seuls indices, l'observation et les quelques mots qu'elle avait fini, lassée, par lui dire, le psy balança un mot à la figure de sa patiente.
Un mot affreusement laid, d'un mélange de beaucoup de gris, avec du bleu et une petite touche de brun, qui évoquait à Alma une grande mare boueuse dans laquelle elle pouvait facilement se noyer. Un mot qu'au départ elle ne connaissait pas, et ne comprenait pas.
L'autisme.
Autiste, c'était, selon lui, ce qu'elle était.
Mais elle n'aimait pas ce mot. Elle préférait « différente ».
Malheureusement, ses parents continuaient à l'employer. Ils continuaient à chercher la raison pour laquelle leur fille ne voulait pas de câlins, sans comprendre qu'elle avait horreur de tout contact physique, qui lui étaient très désagréables, et continuaient sans cesse à essayer de l'embrasser.
Ils continuaient à l'emmener voir différents « psys », sans se faire à l'idée qu'ils étaient les seuls à qui elle parlerait, sans prendre compte sa difficulté à s'exprimer et à comprendre autrui.
Mais, ce qu'Alma ne pardonnerait jamais à sa famille, c'était l'école.
Cet affreux endroit où la lumière agressive des néons l'aveuglait partout, où un bourdonnement bruyant et incessant assommait la jeune fille à longueur de journée. Cet endroit où il y avait une foule massive et effrayante d'autres enfants qui, même s'ils ne lui parlaient pas, provoquaient chez l'enfant un tel stress qu'elle se retrouvait en état de choc.
Dans cet endroit, censé lui apprendre un tas de choses, elle n'avait appris qu'une seule chose, une chose très importante. Elle avait appris - ou plutôt elle avait enfin pris conscience - que les humains ne voulaient pas vraiment connaître et comprendre leurs pairs.
Ils se contentaient de les regarder de loin, ne prenant en compte que ce que l'on disait d'eux, sans essayer, sans avoir le courage ni prendre le temps de les aborder et de faire leur connaissance. Ils se fiaient aux apparences et écoutaient les préjugés qu'ils s'inventaient eux-mêmes, ainsi que leur instinct déplorable.
C'était la majorité des humains qui avait créé la différence, à ne vouloir fréquenter que ceux qui lui ressemblait vraiment. Ces personnes qui préféraient changer pour ressembler à un maximum d'autres personnes, délaissant ceux qu'elles qualifièrent alors de « différents », la minorité de l'humanité.
C'était pour cela qu'Alma aimait sa différence. Car, au moins, elle n'était pas comme tous ces imbéciles. Ces adultes qui lui collaient des étiquettes, mais aussi ces enfants qui les lisaient et qui, à leur bref contenu, en déduisaient qu'il ne fallait pas venir lui parler.
C'était ce qu'il s'était passé, dans cette vaste étendue grise, assourdissante et triste qu'était la cour de l'école. Cet endroit où la fillette avait été invisible, toujours assise sur le même banc, devant lequel chacun passait sans la voir.
Cela attristait Alma.
Plus elle grandissait, plus elle voulait se faire des amis, rigoler avec eux, mais elle n'y arrivait pas.
Alors, oui, elle ne savait pas bien s'exprimer, elle avait horreur des bruits à l'intensité forte et des contacts physiques, mais ce n'était pas pour cela qu'elle ne voulait pas d'amis. Cela prouvait, encore une fois, que les jeunes espagnols ne voyaient que l'étiquette couleur boue « autiste » en regardant le visage de la fillette, au lieu d'y lire le joli mot bleu pâle « différente ».
Ou même au lieu d'y voir une personne à qui ils pouvaient parler.
Et les parents d'Alma n'avaient rien arrangé. Eux aussi avaient fait la même erreur. Au lieu de la soutenir, de l'aider, de lui donner une chance de se rendre visible aux yeux de ses camarades, ils l'avaient isolée encore plus.
Ils l'avaient envoyée loin d'eux, dans cette pension où, partout, elle pouvait voir le beau bleu de la différence. Elle s'y sentait mieux, car les néons étaient moins forts à certains endroits, car les élèves y étaient plus calmes. Mais tout lui rappelait, en plus de la différence, la mare visqueuse et infinie de l'autisme.
Et, surtout, l'espagnole était toujours invisible.
« Lydia. LYDIA ! Pourquoi a-t-il fallu que tu t'en ailles ? REVIENS ! »
Ce cri, transporté dans l'air jusqu'à ses oreilles, et jusque dans ses rêves, réveilla Alma.
Il sentait fort la tristesse, cette odeur piquante comme celle de la moutarde, brûlante comme celle d'un radiateur en surchauffe. Ce mot, « tristesse », d'une couleur entre le bleu et le noir, telle l'encre, ponctuée de petites tâches grisâtres, comme des trous, des grands vides, la jeune fille le connaissait.
C'étaient ces mêmes lettres tranchantes qui lui perforaient le cœur, chaque jour.
Elle n'eut pas le temps d'y réfléchir plus longtemps car, déjà, un deuxième message se glissa par la fenêtre et parvint jusqu'à elle :
« Je ne suis pas personne ! Je ne suis pas qu'un simple esprit ! Je suis quelqu'un ! J'EXISTE, VOUS M'ENTENDEZ ? »
Une larme perla sur la joue d'Alma.
« J'EXISTE, VOUS M'ENTENDEZ ? »
Tel un écho infini, cette phrase résonnait dans sa tête. Cette phrase qu'elle-même avait tant voulu dire, mais qu'un trou d'eau grisâtre, l'autisme, avait étouffé de ses flots.
Quelque part dans la nuit, tout près, se trouvaient deux personnes, deux jeunes garçons, capables de la comprendre.
Alors, Alma se redressa vivement, ses cheveux châtains et emmêlés tombant en cascade dans son dos. Elle ouvrit en grand la fenêtre de sa chambre, située spécialement au rez-de-chaussée, dans le cas où elle avait besoin de quelque chose.
Depuis le début, l'adolescente avait tort. Elle avait vu cette différence d'azur répandue partout comme un rappel douloureux et cuisant. En réalité, il s'agissait d'une chance.
Très vite, les pieds nus de la jeune fille de treize ans foulèrent l'herbe douce du parc, à toute vitesse.
Sa différence avait toujours été une chance. Grâce à elle, elle voyait ce monde gris et hostile comme un univers empli de couleurs et de sens.
Très vite, Alma arriva à l'orée d'une forêt. Son instinct, bien plus efficace que celui des autres, la conduisit à une clairière. La fillette que les autres qualifiaient d'autiste s'avança à la lueur de la Lune. Au bout de l'espace à découvert, deux jeunes hommes se trouvaient, l'un debout face aux étoiles, l'autre assis à côté, au pied d'un pin.
Grâce à cette différence, elle entendait les cris de détresse d'autres personnes différentes, que la société n'avait pas non plus voulu prendre le temps de connaître.
Elle les rejoignit lentement, apercevant plus nettement leurs chevelures, l'une blond pâle, l'autre châtain. Ils ne se parlaient pas, mais semblaient communiquer en silence, se soutenir de leur simple présence.
N'étant pas douée pour discuter, elle voulait quand même montrer son soutien à son tour, les aider, se faire des amis. Peut-être même être soutenue, elle aussi.
Apparaître.
Alors, elle murmura simplement cette phrase, qui pouvait avoir une multitude de sens :
« Je suis là. »
***
Et c'est ainsi que Ronaldo, Espe et Alma, aux caractères pourtant si différents, devinrent amis.
Puisse cette amitié, fondée au gré du vent, perdurer pour toujours.
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