Petit Esprit Libre

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┊     "Esclave de corps, d'esprit libre."    ┊

┊                            Sophocle                               ┊

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Nom(s) de famille : inconnu(s)

Prénom(s) : aucun

Date de naissance : inconnue

Âge : approximativement 14-15 ans 

Sexe : masculin

Lieu de naissance : inconnu

Pays de naissance : inconnu ( éventuellement l'Espagne )

Nationalité : Espagnole

Parents : inconnus

Lieu de vie : Institution d'Hébergement, d'Éducation et d'Accompagnement pour Jeunes en Difficulté ( ou IAEAJD, ou encore Institucíon Delacruz )

Niveau scolaire : 2° de ESO ( redoublement )

Type de gars : personne, rien du tout, gros raté, esprit 

Même s'il ne savait pas trop à quoi cela ressemblait, Espe s'amusait, comme ça lui arrivait parfois, à griffonner sur un papier froissé ce qui se rapprochait le plus d'un papier d'identité. Le jeune garçon ne savait même pas s'il en avait au moins un, d'ailleurs. Et, comme à chaque fois, le papier allait retourner là où il l'avait pris, et là où était sa place : à la poubelle.

Il était assis au pied d'un arbre, dans le parc de ce foutu internat où il croupissait depuis aussi longtemps qu'il s'en souvienne. Depuis toujours, en fait.

D'après l'une de ces plaies d'éducatrices, Mariella, il n'était peut-être même pas espagnol. Le gamin avait été trouvé, selon elle, au bord d'une route, lorsqu'il n'était qu'un minuscule bambin, laissé là comme l'un de ces sacs poubelles écœurants que les vieilles mémés d'à côté balançaient par dessus leurs portillons.

Comme la loi le disait, "Sont espagnols d'origine [...] Les personnes nées en Espagne dont la filiation n'est pas déterminée. À cet égard, sont présumés nés sur le territoire espagnol les mineurs dont le premier lieu connu de séjour est le territoire espagnol."

Autrement dit, Espe était espagnol car son « premier lieu connu de séjour » était le bord crasseux d'une vieille chaussée de Séville.

Mais, d'après cette insupportable Mariella, l'orphelin ne ressemblait pas du tout à un espagnol. Ses cheveux blonds platines, ébouriffés par le vent, et sa peau, si pâle sous la Lune, le rendaient plutôt originaire du Nord de l'Europe, pour les imbéciles comme elle qui ont des préjugés.

En vérité, le jeune garçon se demandait si elle n'avait pas raison. Peut-être que cette ordure qui l'avait mis au monde, dans ce monde si infect, était venue de loin pour s'assurer que, quand elle se débarrasserait de son gros lourdaud de nourrisson, personne ne se douterait que c'était le sien.

Ainsi, elle pourrait fuir, loin de ses responsabilités de mère, délaissant derrière elle un enfant, seul, perdu, et sans aucune racine ni identité.

Elle pourrait être libre.

Si c'était le cas, l'enfant se devait d'admettre qu'il avait au moins un point commun avec cette inconnue qui n'avait pas su, n'avait pas voulu, être sa mère : il aspirait à être libre.

Libre. 

Libre comme l'étaient les nuages qui évoluaient à leur guise dans le ciel d'azur, sans se préoccuper du Soleil qu'ils cachaient. Libre comme l'était le vent qui filait comme il le souhaitait entre les troncs d'une forêt, décrochant les feuilles des arbres sur son passage.

Oui, Espe aimait être libre. Mais lui, contrairement aux nuages, aux rafales, et, surtout, à celle qui osait prendre le nom de mère, il ne voulait pas faire de mal à ses pairs en jouissant de sa liberté.

Non, il voulait seulement se libérer des chaînes qui le retenaient dans cette pension minable, se libérer des chaînes d'un passé qui, même s'il ne l'admettrait jamais, était trop lourd à porter.

Se libérer de sa non-existence.

Vivre.

Car l'adolescent n'était personne. Il n'avait ni nom, ni prénom, ni famille. On ne connaissait ni le lieu de sa naissance, ni le jour de son anniversaire, ni même avec certitude l'âge qu'il avait.

Il n'était rien.

Rien qu'un esprit, un espíritu.

C'était alors le petit nom qu'il s'était choisi, enfant, faute d'en avoir un. Lorsqu'il en avait ras-le-bol de s'appeler « Hé, toi ! » ou qu'on lui attribue des prénoms auxquels il ne s'associait pas.

Espe, l'esprit libre qui vagabondait entre les arbres du parc, par un chaud soleil comme sous la douce lueur des étoiles. L'esprit rêveur qui arpentait des mondes imaginaires, des mondes meilleurs, au lieu de jouer avec ses stupides camarades. Au lieu même d'écouter ces maudits cours, ce qui lui avait valu le redoublement.

L'esprit qui se réfugiait dans ses rêves, loin du temps et de la réalité, allant où il voulait quand il le voulait. 

Oui, en quelque sorte, Espe était déjà libre. Enfin, l'esprit d'Espe était libre. C'était comme si son âme était séparée de son corps. Tandis que la première allait où bon lui semblait, le second restait bloqué là où il était, dans l'affreuse réalité.

Là où le tout-puissant Espíritu n'était plus personne. 

Là où ses camarades et les adultes de ce fichu internat lui dictaient ce qu'il devait faire, comment il devait se comporter. Ce qu'il était.

Là où tous le remettaient à sa place de moins que rien, où tout lui prouvait qu'il n'existait pas. Qu'il n'était qu'une ombre, un esprit.

Un esprit à moitié libre.

C'est pourquoi, par moment, Espe ne voulait plus être un esprit. Il voulait être quelqu'un.

Peut-on être un esprit tout en étant quelqu'un ? Peut-on être libre dans la réalité ?

La réponse s'affichait progressivement dans la tête du blondinet, s'imposant peu à peu.

Oui.

Il ne serait jamais aussi libre dans la réalité qu'en tant qu'esprit, mais il pouvait être les deux à la fois. Il pouvait continuer à virevolter entre les arbres, entre les royaumes lointains de son imagination, tout en s'affirmant dans le monde présent. 

Il pouvait être quelqu'un, il pouvait exister.

Il pouvait vivre.

Ou, du moins, il le voulait.

Or, la semi-liberté d'Espe lui avait appris une chose : quand on voulait quelque chose de tout son coeur, on le pouvait.

Durant toute son enfance, il avait été un esprit libre, pensant que cela lui suffisait. Il avait rapidement renoncé à prendre sa place dans cette réalité brute qui ne semblait pas vouloir de lui.

Désormais, et il en était décidé, il voulait de cette réalité, qui lui assurerait une pleine liberté. Il serait quelqu'un.

Il vivrait enfin.

Soudain, un jeune homme arriva dans sa petite clairière, dans son petit coin tranquille, dans son refuge. Se levant, Espe allait gentiment lui dire de dégager, quand il le vit s'écrouler sur le sol, en pleurs. À l'évidence, il n'avait pas remarqué le jeune esprit, qui resta caché derrière son grand pin d'Alep, à l'autre extrémité de la petite étendue d'herbe.

L'intrus se releva subitement, avant de crier vers le ciel, comme s'il s'adressait aux étoiles elles-mêmes. Il hurlait avec douleur un prénom féminin et suppliait quelqu'un de revenir. 

Alors, Espe comprit. Cet inconnu qui avait pénétré sur son territoire avait perdu quelqu'un.

Alors, la détermination d'Espe accrut. Il avait l'occasion de se montrer, la liberté d'aider une personne qui, tout comme lui, souffrait. La possibilité de passer de personne à quelqu'un.

Alors, Espe sortit de sa planque ; Il était resté caché trop longtemps. Il avança sur sa gauche, en direction de son camarade, dont les cheveux châtains resplendissaient à la légère lueur nocturne, et s'arrêta à son côté.

L'inconnu tourna lentement les yeux vers lui, et il y vit deux abîmes noires, profondes et tumultueuses, emplies de tristesse, de culpabilité, mais aussi de crainte. L'orphelin le rassura de son regard bleu, qu'il voulut calme et compatissant.

Puis, à son tour, autant pour prouver à tous son existence que pour se libérer des chaînes qui retenaient son corps, il cria à pleins poumons :

« Je ne suis pas personne ! Je ne suis pas qu'un simple esprit ! Je suis quelqu'un ! J'EXISTE, VOUS M'ENTENDEZ ? »

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