2.1. Les bandits
TITRE : JOURS DE SABLE ET DE BLESSURES PAR BALLE
Résumé : Le monde a été brûlé par le soleil. Louis survit du mieux qu'il peut.
/!\ meurtre, mention de cannibalisme
Un long gémissement résonnait à travers les wagons. Le vent du désert hurlait contre la carcasse du train projetée loin des rails. Pieds nus, Louis avançait à travers un des compartiments qui avaient été retournés par les tempêtes. Une épaisse couche de sable avalait le bruit de ses pas. Là dehors, sous un ciel aussi jaune que la poussière, le sol avait depuis longtemps dévoré les terminaisons nerveuses de la plante de ses pieds. Louis ne ressentait ni les brûlures, ni le froid. Le feu du sable avait endurci sa peau, mais il vérifiait chaque soir qu'aucune plaie ne s'infectât bien qu'il ne sentait jamais s'il y en avait une en premier lieu. Il enjamba un lustre de cristal à moitié enseveli, se pencha pour passer sous un fauteuil qui pendait plus que les autres du plafond. Il s'arrêta. Un serpent s'échappait par une fenêtre brisée. Il était clair. Les nouvelles mutations voulaient que plus leurs écailles étaient pâles, plus elles sécrétaient un puissant paralysant et plus leurs crocs étaient imbibés de poison. Louis n'avait pas encore recouvré l'usage complet de son petit doigt gauche depuis qu'il en avait effleuré un deux semaines plus tôt. Son attention se reporta sur la porte ouverte au bout du couloir tracé entre les sièges suspendus au-dessus de sa tête. Il perçut le poids de son revolver contre sa hanche et ses muscles se détendirent légèrement. Contre son épaule, il réajusta son fusil, ses mains le serrant avec fermeté devant lui, son petit doigt lui restait enflé et tendu.
Un hurlement s'éleva de nouveau. Celui-là était humain. Louis ne cilla pas. Ses pas ne ralentirent qu'avant de s'engouffrer dans le wagon suivant. Dans celui-ci, la plupart des fauteuils s'étaient écrasés dans le sable, une poignée seulement restait vissée au plafond. Le vent cria contre les parois, crachant du sable embrasé par les fissures et les trous dans la ferraille sur son chemin. Il grimaça quand ses chevilles et ses mollets nus en furent recouverts. Une caresse humide courut sur la courbe de son dos. Ses cheveux sales étaient trempés de sueur, qui coulait sur sa nuque et sur son torse, même dans ses yeux. Sa paupière trembla. Il soupira sans bruit, poursuivit sa route. Un autre serpent sortit sa tête du sable et ondula jusque sous un fauteuil. Il était sombre. L'ignorant, Louis évita les sièges un à un et atteint le prochain wagon. Il en traversa trois autres, ses sens en alerte, le souffle calme, avant de tomber sur deux cadavres de femmes. Leurs chairs avaient été découpées avec précision. Il n'y avait aucun charognard, aucun vers, aucune odeur, et le sang était encore brillant. Elles avaient sûrement été abattues dans l'heure, et dévorées juste après. Louis s'approcha des corps, surveilla la porte plus loin. Sur les braises d'un feu encore tièdes il remarqua un morceau de viande. Il se concentra de nouveau sur la porte. Aucun bruit. Aucun mouvement. Il se pencha et renifla l'odeur de la chair cuite. Un dernier coup d'œil devant lui puis il posa son fusil et s'empara du morceau abandonné. Il en mâcha de rapides bouchées, de l'eau ensanglantée coulant au coin de ses lèvres. Rapidement, il regarda autour de lui et repéra un bol rempli de sang bouilli. Il y baigna une main et la porta à sa bouche, en léchant le maximum. Il se releva après avoir séché ses mains dans le sable et son fusil reprit sa place devant lui.
Le goût métallique du sang hanta sa langue jusqu'au compartiment suivant. Le hurlement qui suivit était vibrant et proche. Un homme. Dans le wagon d'après. Louis marcha avec précaution, ignora l'homme qui dormait sur le sable, les jambes croisées, un flingue à la main. Il ronflait. Depuis la porte, il aperçut un homme enchaînée au mur. Il l'observa. Le prisonnier était aussi jeune que lui, plus grand. Ses cheveux longs étaient emmêlés et pleins de sable. On lui avait coupé un doigt. Il tremblait. Un homme s'accroupit devant lui et le captif lui cracha à la figure, le faisant rire. Louis reconnut le bandit. Il différencia six autres voix qui rirent ensuite. Quatre hommes, deux femmes. Il recula et regarda de nouveau le garde endormi. Sans un son, et en quelques secondes à peine, il reposa son fusil, attrapa le couteau à la ceinture du type et lui enfonça dans la gorge. Il ouvrit les yeux dans un sursaut avant de mourir. Louis partit du principe que tous ceux qui se trouvaient dans la pièce d'à côté portaient une arme à feu et possiblement une lame, alors il abandonna son fusil et empoigna le revolver à sa hanche d'une main, garda le couteau dans l'autre.
Il repéra une voix juste derrière la porte, à l'écart des autres. Un homme qui devait être avachi par terre, profitant du spectacle. Les autres se trouvaient quelques mètres plus loin, il était inévitable qu'ils le verraient entrer dans leur wagon. Il n'aurait qu'une poignée de secondes pour en tuer la majorité après ça. Inspirant profondément, Louis pénétra leur espace et tira dans la tête de trois d'entre eux tout en donnant un coup de pied dans le fusil du garde à sa gauche pour le mettre hors de sa portée. Il leva sèchement son genou dans son entre-jambe et se glissa derrière lui en attrapant le col de son t-shirt pour le relever et s'en servir de bouclier humain. Le gars pris plusieurs balles de ses camarades, une atteint néanmoins l'abdomen de Louis. Ses oreilles se mirent à siffler. Il grogna de douleur mais se concentra pour viser deux des trois survivants qui braillaient en tirant vers lui. Ils s'écroulèrent. Le dernier homme, qui avait encore le crachat du prisonnier sur la joue, braqua son arme sur Louis avec horreur tandis qu'il laissait tomber le cadavre devant lui. L'homme tremblait de la tête aux pieds.
« Attends ! On p-pourrait s'arranger ? Hein ? Ah ah, t'es pas obligé de te servir de ton flingue !
Louis pencha la tête.
− C'est v-vrai, quoi, on p-pourrait... on pourrait discuter. Hein ? Qu'est-ce t'en dis ? »
Pendant un instant, seul le vent résonna entre eux. Louis sourit et tira deux balles dans les genoux de l'homme qui s'effondra. Il se précipita pour lever son pied contre l'arme du con et la rattrapa au vol avant de l'envoyer plus loin. Le type agonisait dans le sable.
« Sale chien ! »
Louis s'accroupit près de lui. Il passa sa main sur son visage, presque tendrement, puis vint enfoncer ses doigts dans l'une des plaies béantes du gars. Il hurla à la mort.
« Tu m'as volé ma voiture, souffla-t-il. Et mes provisions. T'aurais du me tuer, crétin. Je t'aurais laissé tranquille.
− Maintenant qu'tu l'dis, grogna-t-il. »
Quelque chose bougea à sa gauche, Louis devina l'une des femmes qui rampait vers une arme. Il se redressa et la rejoignit.
« Et toi, t'as buté mes chiens. C'était toi, pas vrai ? »
La femme poussa un gémissement étouffé par le sable. Louis empoigna ses cheveux et la traîna vers le gars, ignorant la douleur de la balle logée dans son ventre.
« Laisse-moi me rappeler, » murmura Louis en jouant avec son couteau.
Ses yeux rouges glissèrent lascivement sur les formes étrangères qui habitaient le wagon tandis qu'il replaça son revolver contre sa hanche. Louis n'avait jamais pris le train. Quand il était gamin, son père l'embarquait toujours dans son énorme Cadillac noire, parfois dans des voitures volées. Alors depuis que le monde s'était déréglé, que le soleil avait calciné chaque brin d'herbe et que le désert avait avalé la majorité de l'humanité, Louis n'avait jamais eu l'occasion de monter dans un train. Aucun ne circulait depuis plus d'une décennie. Leurs squelettes métalliques étaient alternativement avalés puis recrachés par le sable. Celui-ci n'avait pas souvent été digéré par les entrailles de la terre, mais plutôt léché par les vents. Tout y était à l'envers, comme le monde. Les sièges en l'air, les lustres par terre. Les doigts rougis par le sang, Louis leva la main pour effleurer le tissu rugueux et usé des fauteuils. Il songea aux personnes d'un autre temps, assises là. Il les voyait la tête en bas, des figures grimaçantes alors qu'elles riaient, prêtes pour un voyage dont plus personne ne se souvenait. Il s'accroupit encore. Par la fenêtre, le paysage était fixe, détestable, immuable. Ce n'était pas censé être là le destin d'un monde derrière une vitre de train. Ses mains se posèrent sur une tringle à rideaux, elle mesurait un peu plus d'un mètre. A l'arrière de son crâne, ses chiens gémissaient de douleur.
« Je me souviens, » souffla-t-il en laissant la lame de son couteau s'enfoncer dans le sable.
Il arracha la barre de métal et se releva brusquement, sa détermination implacable. La femme allongée à ses pieds lui lança un regard suppliant tandis que l'homme gémissait toujours de douleur.
« Ouvre la bouche. »
La femme se figea. Louis eut un rictus mauvais tout en faisant tournoyer la tige de fer polie par le sable depuis des années. Le sang séché autour de sa bouche et sur son menton commençait à vaguement étirer sa peau. Il y avait plusieurs semaines qu'il n'avait pas mangé de viande, encore moins humaine. Mais mieux valait humaine qu'animale.
« J'ai dit, ouvre la bouche. »
Plaquée au sol, une balle juste sous le cœur, la femme réalisa qu'elle était déjà morte. Une ride avait disparu de son visage, comme lorsqu'on trouve la réponse à une question. Elle ne l'acceptait pas, non, mais elle comprenait. Elle fut soudain affligée d'avoir survécu à tous ces jours d'enfer, à toutes ces fusillades, puisqu'elle allait mourir aujourd'hui, comme une chienne. Louis n'y trouvait aucune satisfaction particulière, il s'agissait simplement de survie. S'il les laissait en vie, rien ne lui prouvait qu'il ne les recroiserait pas un jour. Cette fois, ils se battraient, avec rage et animés du seul désir de tuer, comme lui aujourd'hui. Il n'y avait qu'une seule chose à faire pour avoir la certitude que ça n'arrive pas. Il haussa les sourcils et la femme entrouvrit les lèvres. Louis hocha la tête et la femme ouvrit sa bouche en grand, le vide inondant ses yeux. Le type prostré à ses côtés lança un regard horrifié à Louis, et le gars attaché au mur ne bougeait pas d'un centimètre depuis qu'il avait pénétré le wagon. Avec une bourrasque embrasée, du sable brûlant s'immisça par la rangée de vitres brisées derrière Louis, recouvrant les cadavres. Le gémissement du vent annonçait une tempête. Elle était proche. Louis baissa les yeux sur la femme et enfonça lentement la tringle dans sa bouche, jusque dans sa gorge. Ses yeux bleus se révulsèrent presque quand le métal descendit brusquement dans son corps, tordant sa mâchoire. Une dernière pression à l'aide de ses deux mains et Louis empala définitivement la femme.
« T'es cinglé, gémit le dernier survivant.
− On a tous nos mérites, déclara-t-il. Toi, c'est de ne pas t'être encore évanoui. »
Le corps raide de la femme tomba lentement sur le côté, le métal surgissant de ses lèvres. Louis fouilla les poches de l'homme, en ressorti la clé de sa voiture. Il essuya la sueur de son visage avec son t-shirt. Il repéra les deux sacs dans un coin, l'un était encore à lui quelques jours plus tôt.
« Tout ce que ta main trouve à faire avec ta force, fais-le, murmura-t-il. Car il n'y a ni œuvre, ni pensée, ni science, ni sagesse, dans le séjour des morts, où tu vas. »
Ses doigts valsèrent distraitement sur l'arme à sa hanche avant de s'en emparer et de tirer sa dernière balle dans la tête de l'homme. Le prisonnier sursauta, les chaines à ses poignets tintant dans l'air. Louis passa quelques secondes à récupérer les différentes armes à feu réparties dans le sable et ne garda que celles qui étaient le plus chargées.
« I-Ils ont des... des munitions, ah, d-dans la voiture, l'informa le bouclé, une étincelle étrange dans le regard. Pour le, le fusil, là, et les deux flingues des femmes. »
Louis lâcha alors un fusil pour ramasser le flingue de la deuxième femme qu'il venait de jeter puisqu'il n'avait que peu de balles. Il lança un coup d'œil vers le captif. Mis à part le fait que sa main saignait, pleurant l'absence d'un doigt, il avait l'air en forme. Pas de blessure, seulement un bleu au visage. Si Louis le laissait ici, il aurait peut-être une chance de se détacher seul, après que la tempête ait retourné le train encore et encore. Non. Le gars serait mort d'ici deux jours maximum. L'odeur de la chair en putréfaction des cadavres qui jonchaient le sol attireraient les créatures du désert. Le type leur servirait de dessert. Louis pourrait lui épargner ça, le tuer maintenant. Quand il y songea, le gars se raidit, ses doigts s'enroulant autour des chaines. Louis supposa qu'ils pensaient alors tous les deux à la même chose. Ses muscles s'agitèrent d'eux-mêmes, levant faiblement l'arme vers le prisonnier. Il tendit le bras. L'autre trembla et ferma immédiatement les yeux, les lèvres serrées. Sa respiration était bruyante, une légère tempête qui allait et venait dans son nez, et elle était lourde, soulevait sa poitrine irrégulièrement.
Incapable de bouger, Louis observa sa peau mouchetée scintillante de transpiration. Son torse, ses épaules, ses joues. Quelques zones avaient été brûlées par le soleil, et ses entraves irritaient ses poignets. Sa peau semblait fragile, douce, à peine abîmée par la chaleur infernale de cette décennie. Louis ne se rendit compte qu'il avait baissé son arme et qu'il s'était approché que lorsqu'une odeur de rhum et de transpiration atteint ses narines – son odeur. Le type sentait l'été. Pas l'interminable qui s'était effondré sur le monde, mais l'été d'avant, celui où les fleurs existaient encore, où les gens se réunissaient autour d'un verre au bord d'un lac, riaient, étaient heureux. Doucement, les doigts de Louis effleurèrent ceux du bouclé. Il sursauta, regarda Louis avec de grands yeux effarés. Ils étaient verts, si verts. La sueur roulait sur le visage de Louis et le vent apporta de nouveau du sable à ses pieds. Il devait partir.
Rapidement, il lâcha les armes et ne garda qu'un fusil. Il le pointa vers le type, puis vers ses chaines. Les deux coups résonnèrent dans l'habitacle en ruines et le bouclé s'écroula au sol, étourdi par le bruit. Louis partit attraper les sacs puis revint en embarquant les armes que lui avait conseillées le gars.
« Suis-moi. »
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