1.1. L'Autre Monde
TITRE : LE GARÇON DE PÉTALES
Résumé : Harry tombe amoureux du vent.
/!\ beaucoup trop de tendresse
Durant son enfance, Harry avait passé de longs étés dans le Sud de l'Italie. Sous le Soleil et libre comme le vent, il se souvenait courir à toute allure, ses jambes prêtes à se dérober sous son petit corps chargé d'adrénaline, à travers les grands vergers de son grand-père. Ces grands parcs s'étendaient sur des distances folles, comme des contrées voisines faites de labyrinthes et d'allées interminables qui commençaient à fuir dès les murs pâles d'une immense villa. Le parfum des fleurs d'orangers pénétrait sa peau au fil des heures et le soir venu, il embaumait le salon, sous le sourire amusé de son grand-père qui se lançait à sa poursuite dans les couloirs de leur petit palais. Le vieil homme finissait toujours par l'attraper au bout de quelques minutes et prenait un malin plaisir à mordiller son cou en riant, lui disant qu'il sentait aussi bon qu'une crêpe Suzette. Harry était fou de son grand-père. Cet homme aux grands yeux gris semblait si différent des autres, épris d'un rêve immuable qui ne le faisait pas vieillir. Son regard était celui d'un jeune homme qui avait été témoin de choses merveilleuses, et ça rendait Archibald Edison immortel aux yeux de son petit-fils. Le bambin brun en était convaincu.
- Monsieur ? J'ai descendu vos affaires.
La voix de fumeur du chauffeur de taxi l'arracha à ses souvenirs. Lentement, Harry sortit du véhicule. L'air chaud d'un nouvel été emplit ses poumons, et l'odeur prononcée des milliers de fleurs de la propriété démesurée le rajeunit instantanément de plus de dix ans. Une décennie que ses pieds n'avaient pas foulé cette terre de bonheur, pourtant il s'y sentit chez lui. Derrière lui, la voiture repartit dans un bruit de mécanique rouillée, levant des valses de poussière sur son passage. Et puis, le silence. Debout devant les grilles de fer colossales câlinées par des plantes grimpantes déterminées à ne jamais les relâcher, le brun ferma les yeux. Les parfums floraux s'immiscèrent jusque dans son être, emplissant ses poumons d'une euphorie qu'ils n'avaient pas savourée depuis des années. Au-dessus de lui, les oiseaux fredonnaient des airs qu'il avait oubliés. La mélodie des âges d'or, le chant ancestral du Soleil. Des pas s'approchèrent de lui, et un sourire étira doucement ses lèvres à l'entente du froissement des semelles usées sur le sol fait de sable et de gravier. La silhouette floue de son grand-père apparut, couronnée d'un chapeau de paille claire et lumineuse. Sa barbe de plusieurs jours avait la couleur d'un orage d'hiver, et ses yeux, billes intenses presque translucides, rappelaient les rivières d'eaux pures et fraîches qui sillonnaient le pays. Il lui sourit, l'embrassa fort tout contre lui.
Mais quand Harry rouvrit les yeux, persuadé d'être dans les bras aimants de celui qu'il avait tant chéri, sa solitude le glaça un instant.
- Tu n'es plus là.
Dans un souffle, ses chimères s'envolèrent à l'autre bout du monde et une tristesse sans fin le gagna vivement, écorchant sèchement son cœur. Toutes ces années perdues pour revenir si tard, et au final, ne voir personne. Se saisissant de son sac de voyage, le même qu'il prenait lorsqu'il était gamin, il s'avança jusqu'au formidable portail. Juste là, gravés sur le squelette d'un barreau, les mêmes mots nébuleux et fiers qu'autrefois :
Les portes d'un autre monde.
Harry sourit avec peine, posant son front contre les grilles fraîches caressées par le vent. Le parfum glacé du métal dansait amoureusement avec les senteurs chaudes de la nature, et dans un tremblement et des regrets, une larme douloureuse et chargée de sel roula sur la joue du brun. Doucement, ses lèvres s'animèrent d'elles-mêmes.
- L'amour est le plus doux des cauchemars.
Les pétales moelleux d'une fleur entortillée aux barreaux essuyèrent l'eau acide sur sa joue et il se recula un peu en entendant le grincement du portail. Perplexe, il le regarda s'ouvrir sans prononcer d'autres mots, jetant son sac sur son épaule. Une brise enthousiaste venant de la grande allée qui conduisait droit à la villa s'empressa de se lover contre lui. Il la sentit s'enrouler chèrement autour de son cou, chatouiller malicieusement ses courtes boucles obscures. Archibald, de sa voix ensorcelée, lui avait toujours dit qu'il viendrait un temps où il entendrait le vent parler avec passion, murmurer des mots doux contre sa peau et chanter les plus beaux airs de romance tout contre sa bouche avant de tomber au cœur de son être. Autrefois, Harry en avait ri avec joie, mais désormais, son esprit suppliait de connaître tous les trésors fabuleux qu'avait appris son grand-père.
Alors il s'avança. D'abord d'un pas timide, comme effrayé de ce qu'il pourrait bien découvrir ici, en l'absence mordante d'Archibald. Puis de doux délices continuèrent à s'enrouler autour de lui, plus avidement. Il imaginait de fins serpents descendant secrètement d'un quelconque paradis. Ils étaient d'une blancheur sucrée, presque roses, tout comme leurs yeux semblables à des friandises au goût de framboise, et ils l'attiraient au cœur du Soleil, vers la belle villa aujourd'hui déserte. Leurs sifflements amoureux résonnaient contre son oreille en lui promettant avec charme que c'était à lui de vivre ici et de combler le vide de ce petit royaume. Le bruit lent des grilles qui se refermaient dans son dos le sortit de ses rêveries étranges et il manqua d'air, se rendant compte qu'il avait cessé de respirer un long moment. Plus il s'approchait de l'immense demeure en s'enfonçant davantage dans la propriété de son enfance, plus il se sentait... agréablement ivre. Il venait se délecter d'un alcool brumeux longtemps mis de côté, et il s'en enivrait un peu trop vite. L'air vibrait fébrilement contre sa peau, la lumière virevoltait autour de lui en petites étoiles glissant sur le vent, et les arbres, les herbes, les fleurs dansaient au rythme d'une berceuse féerique. Il se sentit tanguer gauchement comme un navire à la dérive. Ses doigts laissèrent son sac glisser lourdement jusqu'au sol, incapables de le retenir plus longtemps.
Son corps était traversé de toutes ces vagues de magie étourdissante qu'il n'avait pas rencontrées depuis une décennie. C'était comme... tomber amoureux pour la première fois. C'était doux, excitant et passionnant.
Ses pas maladroits l'avaient amené au bord d'une des vastes terrasses de la villa qui était ingénieusement bâtie en pente. Devant lui, le territoire du botaniste illuminé qu'était son grand-père s'étendait à perte de vue. Tout en bas, de florissants jardins aux couleurs folles se mariaient sous le ciel bleu, tels des mosaïques d'arc-en-ciel enracinées dans le sol. Les orangers aux allures édéniques se dressaient sur la gauche dans toute leur majesté, soufflant leurs effluves enchanteresses jusqu'à Harry. A droite, une multitude d'arbres splendides vivant les uns auprès des autres se dressaient dignement comme une cité verdoyante et prospère. Et puis, là-bas, tout au loin... se dévoilait le labyrinthe. Echappé des entrailles immémoriales du monde pour construire le sien à la surface, enveloppé de lumière éclatante, trônant sous le Soleil comme l'ultime paradis sur cette Terre, le labyrinthe de rosiers aux épines agressives et aux pétales délicats serpentait comme un roi, et en son centre gardait son trésor. Un magnifique cerisier aux fleurs innombrables dont les pétales tombaient tendrement dans l'herbe douce comme la neige légère d'un autre temps.
Harry ressentit son âme s'animer brusquement sous sa peau à cette vision. Elle se débattait dans son être, remuant jusque sous ses ongles avec vivacité. Elle dansait avec ses nerfs, elle tremblait contre sa chair. Brutalement projeté dans la réalité, Harry inspira profondément, le regard paniqué. Il avait entendu son corps lui parler avec clarté, son âme le supplier avec frénésie. Elle lui avait crié... crié de se rendre là-bas.
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