Oui je le sais, vous devez sûrement penser, Clara et toi, que je suis un vrai gamin de continuer à vous parler encore de l'homme au sable. Mais je vous jure ! Je vous conjure de me croire ! L'homme au sable n'est pas le fruit de mon imagination. Laissez-moi vous le prouver.

C'était un soir du mois de décembre. Un jeudi. Ce soir-là, comme tous les soirs, ma sœur, ma mère et moi allâmes au cabinet de mon père. Ma sœur était impatiente à l'idée d'entendre encore une histoire de notre père. Mais moi j'étais surtout préoccupé par l'homme au sable. J'avais compris que l'homme au sable venait une fois par semaine, le jeudi.

Une fois tous autour de la table et la cigarette de papa allumée, celui-ci commença son histoire. Il nous parla de dragons, de fées et de princes charmants, de princesses endormies. Mais j'étais trop occupé à attendre l'arrivée de l'homme au sable pour l'écouter. Ma mère me questionna plusieurs fois sur mon inattention, ce à quoi je répondis que j'étais sûrement fatigué de ma journée. En fait, j'attendais que l'horloge sonne neuf heures.

Après les histoires, à neuf heures, notre mère nous emmena dans notre chambre pour nous coucher pendant que notre père, perdu dans ses pensées, sa cigarette à la main, était enfoncé dans son grand fauteuil en cuir noir. Et je demandai encore une fois l'identité de l'homme au sable, mais ma mère me donna sa réponse habituelle : c'était juste le moment où on était fatigué et qu'elle avait appelé ça "l'homme au sable". Mais je voulais en savoir plus sur cet homme mystérieux, je voulais découvrir pourquoi on était obligé de partir quand il arrivait. Et j'étais bien décidé à découvrir son identité. Ce soir, j'allai rencontrer l'homme au sable, j'en étais persuadé.

Je me relevai une fois que ma mère fut partie et je passai la tête par l'entrebâillement de la porte de ma chambre pour vérifier qu'il n'y avait personne. Il me sembla qu'une silhouette voûtée se glissait dans le long couloir sombre qui menait à l'étage, où se trouvait le cabinet de mon père. Bizarrement je ne ressentis aucune peur, c'est plutôt ma curiosité qui s'aiguisa. Au point que je sortis dans le couloir pour suivre cette mystérieuse silhouette. Peut-être allais-je enfin savoir qui était l'homme au sable. Je suivis donc la mystérieuse silhouette jusqu'au bout du couloir, où l'ombre se mit à monter les escaliers. Je la suivis jusqu'à l'étage. Mais, au moment où je m'apprêtais à continuer ma filature en direction du cabinet de mon père, la silhouette se tourna dans ma direction. Lorsque j'aperçus son visage, j'étouffai un cri d'effroi. Je me trouvai face à un spectre. La silhouette avait un visage creusé, des poches sous les yeux, on voyait ses os ressortir ainsi que ses veines qui étaient noires. L'ombre avait les yeux hagards, comme fous. Je reculai de terreur devant cette vision digne d'un thriller, mais je rencontrai bien vite, trop vite à mon goût, le mur du couloir. La silhouette s'approcha de moi. J'étais comme tétanisé, je n'arrivai pas à bouger ou ouvrir la bouche pour crier. Il était encore plus terrifiant que dans mon imagination. Cet homme au sable, car c'était lui, celui qui me faisait fuir toutes les semaines, celui qui attristait ma mère et perturbait mon père se trouvait là, devant moi. J'osai, d'une voix tremblante, lui demander son identité. Il me révéla s'appeler Nathanaël. Comme moi ! Étrange mais pas impossible. Voyant mon manque de réaction, il continua. Et ce qu'il dit me terrifia, bien plus que son visage, car j'avais devant moi mon oncle, le frère de mon père... celui dont on ne parlait jamais. Celui dont le sujet était tabou.

En grandissant, j'appris qu'il avait une maladie et devait venir voir mon père une fois par semaine pour qu'il lui donne son traitement. Ce qui expliquait beaucoup de choses : l'inattention de mon père, le chagrin de ma mère et les pas lourds dans l'escalier. Et mes parents ne voulaient sûrement pas que leurs enfants découvrent sa maladie. Plus tard encore, j'appris qu'il était mort, à cause de sa maladie ou quelque chose dans le genre.

Mon homme au sable a bel et bien existé !