Le Cortège Funèbre

Je ne les oublierais jamais. Leur râle morbide reviennent régulièrement à mes oreilles.

Heureusement, ils sont partis. Et j'en étais tellement soulagé. Mais si j'écris ces lignes aujourd'hui, c'est parce que vous devez avoir une explication sur ma mort. Je suis désolé d'avance que la fin de ma vie soit entourée de mystères. Vous êtes plusieurs à vous poser des questions. Vous ne m'avez pas crû, vous m'avez traité de fou. Mais désormais vous n'aurez pas le choix. Lisez-moi et vous comprendrez.

La folie, je connais, je dois l'avouer.

C'est à cause d'eux que j'ai suivi des analyses auprès de psychologues ennuyeux, depuis que j'ai l'âge de treize ans. Mais la première fois qu'ils sont venus me voir, je n'en avais que huit. A l'époque, je vivais avec ma famille dans une maison du bourg. C'était l'ancien presbytère; mais depuis de nombreuses années, le village n'avait plus de curé. L'église servait de lieu d'expositions et les rares croyants assistaient à la messe de la grande commune d'à-côté.

Un soir d'automne, froid et venteux, je m'étais couché avec une certaine appréhension. Mon jumeau avait quitté notre chambre pour s'installer dans notre ancienne salle de jeu, devenue sa nouvelle pièce à lui. Au début, j'avais trouvé ça super, mais allongé dans le noir, je me sentais désormais bien seul. J'ai alors décidé de me relever pour ouvrir mes volets et ainsi profiter de la lueur de la pleine lune.

Dans la journée, j'avais retrouvé une très vieille photo d'un enterrement. Elle était restée coincée sous une latte de parquet et je l'avais rangée dans le tiroir de ma table de nuit. Je commençais à somnoler quand j'ai entendu la porte de ma chambre s'ouvrir tout doucement. Le grincement me déclencha des frissons dans le dos, mais ce n'était que le début.

Des silhouettes inconnues entraient les unes après les autres dans ma chambre. J'aurais voulu leur demander qui ils étaient, mais ma bouche refusa de sortir le moindre mot. Chacun de ces personnages lugubres avait la peau d'un blanc surnaturel et était habillé entièrement de noir. Leur style vestimentaire semblait extrêmement désuet, d'un autre temps. Les silhouettes aux regards tristes et mornes avançaient tout doucement, sans me regarder. J'étais pétrifié.

Celle en tête du cortège était un homme, grand et squelettique, les yeux gris-bleu perçants et terrifiants. Je les entendais tous respirer difficilement; comme si on leur avait planté un tuyau dans la trachée. Je ne les voyais pas vraiment marcher; je dirais plutôt qu'ils ... glissaient.

Quand la douzaine de silhouettes fut entrée dans la pièce, elles se tournèrent brusquement vers moi. Je fis semblant de ne pas les voir, ayant les paupières à demi fermées. Je ne savais pas pourquoi, mais tout ce temps, je me forçais à ne pas respirer bruyamment.

Ils se remirent en marche toujours aussi lentement, en tournant autour de la pièce. Avant de ressortir, l'homme en tête se pencha sur moi. Je compris qu'il écoutait, sentait, humait, observait. Toujours incapable de bouger, j'essayais de ne pas paniquer, mais je sentais mon cœur battre comme jamais. Chaque individu à l'aspect putride s'arrêtait à mes côtés à tour de rôle. Je sentais un froid glacial émaner de leurs corps presque translucides. Quand chacun fut sortit, la porte se referma toute seule.

Il me fallut beaucoup de temps pour réussir à m'endormir, cette nuit-là. Toute la journée du lendemain, j'avais réfléchit à expliquer ce que j'avais vu, et ressentit. Mais j'en fut incapable et je savais que personne ne me croirait. J'ai espéré de toute mes forces, le soir même, qu'ils ne reviennent pas me hanter. Et quand je me réveilla pour aller à l'école au petit matin, j'étais si soulagé de me rendre compte que le cortège n'était pas revenu. Plein d'espoir, j'avais affronté la semaine en enfouissant ce terrible souvenir tout au fond de ma mémoire. Mais le week-end venu, ils réapparurent. Ils venaient régulièrement pendant presque dix ans; parfois ils n'étaient que quelques uns, parfois une centaine. Je réussissais la plupart du temps à retenir ma respiration tout du long, et je ne bougeais jamais. J'avais vite comprit que je devais faire le mort.

Si je ne le faisais pas, l'homme en tête du groupe, toujours le même, paraissait encore plus effrayant et menaçant. Je me suis dis que s'il savait que j'étais toujours en vie, il me tuerait. Cette règle, je la suivais sans vraiment savoir comment je l'avais apprise. Ce rituel macabre était devenu une routine.

Aujourd'hui, j'ai vingt quatre ans. Je ne les avais pas vu depuis plusieurs années et je commençais à les oublier. Mais ils sont revenus me voir, il y a quelques jours. J'ai donc décidé de filmer mes nuits. Comme vous, je me croyais fou. Mais, quand j'ai vu qu'ils apparaissaient à l'écran lors du visionnage, j'ai compris qu'ils étaient réels. Sauf que la cérémonie avait changé. Au moment où, d'habitude, le chef sortait de la chambre, là il se tournait vers la caméra. Je ne m'en étais pas rendu compte la vieille au soir, trop occupé à observer les suivants et à contenir mon souffle.

L'homme glauque parla; ou pensa, je ne sais pas bien. Il n'avait pas ouvert le bouche, mais une voix résonna à travers mon écran. Il disait : "Tu n'as pas respecté le rituel. Tu vas mourir."

Je n'aurais jamais dû tenter de filmer. Croire que tout ça ne venait que de mon esprit torturé m'allait très bien jusqu'ici. Je m'en veux terriblement car je vais payer cette erreur, cet affront.

Çà fait maintenant trois jours que je n'ai pas dormi. Je déteste le café, mais j'en ai bu des litres pourtant. Si je me couche, ils reviendront, je le sais.

Si je ne suis pas encore mort quand vous trouverez cette lettre, je vous en supplie, aidez moi.



                          C'est trop tard. Tu es avec nous maintenant.

                          A toi qui lis ceci et qui as vu la photo, tu es le prochain.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top