Si tu sors ...

 Cela va faire dix jours que je suis ici. Cloîtrée dans cette petite bibliothèque avec quatre autres personnes. Eux sont ici depuis plus longtemps que moi. Joseph est là depuis quatre semaines, pour le passionné de lecture qu'il est, il n'a pas vu le temps passer ; Marie est ici depuis quatre-vingts jours, et en est fière, elle aime ce chiffre car il est dans le titre de son roman préféré : "Le tour du monde en quatre-vingts jour" ; Claude ne m'a pas dit depuis combien de temps il croupit dans ce trou. Trop longtemps je suppose, il passe son temps à écrire sur un calepin de notes, je me demande bien quoi d'ailleurs... ; et moi, cela fait seulement dix jours et je craque !

Pourtant, lire j'aime ça ! Les romans, comme les magazines, comme les mangas, comme les bandes-dessinées. D'habitude rien ne m'arrête ! Mais rester enfermée par un si beau temps pendant si longtemps... c'est insupportable. On voit les passants dans la rue, on voit les oiseaux dans le ciel à travers les fenêtres, on voit la porte d'entrée qui n'est jamais fermée ! Mais on ne peut pas sortir... Enfin, on le peut, c'est juste qu'on n'a pas le droit...

Chaque jour, nous allons dans une petite salle à côté du rayon manga pour manger. On ne voit jamais celui ou celle qui apporte nos repas, on ne voit jamais celui ou celle qui apporte les nouveaux magazines chaque semaine, on ne voit jamais celui ou celle qui répare les livres déchirés, qui en apporte de nouveaux, qui fait le ménage. Et pourtant, chaque lendemain, tout est comme neuf... C'en est presque terrifiant ! Mais le plus frustrant de tout, c'est quand même cette porte... elle donne directement sur l'extérieur, elle est à portée de main, elle n'est pas fermée, et on n'a pas le droit de l'ouvrir...

Mais aujourd'hui, je craque ! Je m'approche de la porte, pose la main dessus... mon cœur bat à tout rompre. Je vais juste ouvrir une porte, bordel ! Joseph accourt vers moi : "Tu es malade ! Tu ne vas quand même pas l'ouvrir ?

-Et pourquoi pas !

-Tu ne te souviens pas du discours de la personne qui t'a amenée ici ? me hurla-t-il.

-Si, parfaitement. Elle m'a dit...

-Attends, attends... Viens me raconter tout ça en détails, d'accord ?

-Si tu veux..."

Je pris un critérium et une feuille à carreaux pour me remémorer les choses importantes.

Plus j'écrivais en racontant à Joseph ce moment, plus j'avais l'impression de le revivre...

J'étais assise sur une chaise depuis je ne savais combien de temps... Les murs d'un bleu blanchâtre me donnaient mal à la tête... Je touchai mon crâne et senti une bosse, j'avais réellement pris un coup. Une dame en blouse blanche entra. Elle s'assit en face de moi. Un bureau de la même couleur que le carrelage nous séparait, le carrelage était bleu également (soit-dit-en passant). La femme ouvrit la bouche : "Est-ce que tu sais pourquoi tu es ici jeune fille ?

-Non...

-Quels sont tes souvenirs les plus récents ?

-Vous entrant par cette porte.

-Avant d'arriver ici ! hurla-t-elle si soudainement à tel point que je sursautai.

-Heu... un homme immense me donnant un coup de matraque.

-Et tu sais pourquoi il te l'a donné ? reprit-elle plus calmement.

-Non...

-Parce que tu as tenté de te suicider.

-Ah bon... sa réplique me fit remonter d'un coup des souvenirs douloureux, mais aussi quelque chose de plus grave.

-Tu connais la nouvelle loi ?

-J'aurais aimé répondre non...

-Ta vie ne t'appartient plus désormais, tu as voulu la quitter, elle n'est plus à toi. Tu appartiens au gouvernement maintenant, et en ce moment-même, l'état est en train de te vendre à un milliardaire.

-Qu'est-ce que je vais devenir ?

-Tu vas vivre dans une des petites bibliothèques de cet homme jusqu'à nouvel ordre. Sache que tu ne dois jamais sortir. Jamais ! Sinon la sentence arrivera, pas dans l'immédiat mais elle viendra sois-en sûre."

"-Sur ce, continuai-je on m'assomma et ses derniers mots ont résonnés dans ma tête pendant plusieurs heures.

-Et donc tu veux mourir ?

-Elle n'a jamais dit que la sentence était la mort, et puis ce serait idiot. Nous sommes des suicidaires, on ne craint pas la mort, normalement.

-Alors ils nous réservent un sort pire que la mort...

-Hé bien tant pis, au moins j'aurais essayé !

-Je ne te retiens pas..."

Je me lève et fonce vers la porte, Marie me voit et me crie "Qu'est-ce que tu fais !" Je ne lui réponds pas et d'un coup sec j'ouvre la porte ! Une passerelle en bois m'amène vers un escalier de béton. Je descends les marches et me fonds dans la foule.

"-Où est Sonia ? demande Claude.

-Elle est sortie...

-Je la plains...

-Qu'est-ce que tu fais ?

-Je note son nom sur mon calepin.

-C'est la combientième personne qui part sans jamais revenir ?

-La quarante-sixième.

-Depuis combien de temps tu es ici, Claude ?

-...

-Réponds moi.

-Quatre ans... que je note ceux qui partent sans jamais revenir nous chercher. Crois-moi, la sentence existe... J'ai des amis qui sont partis, qui ont promis de revenir me chercher, et qui ne sont jamais revenus..."

"-J'ai maintenant quatre-vingts-six ans, et j'attends toujours la sentence... Je finis par penser qu'elle n'existait pas.

-Et vous n'êtes jamais allée chercher vos amis là-bas ?

-Je n'ai jamais eu le courage d'y retourner... Vous allez me tuer ?

-Non, c'est ce que vous auriez voulu, votre vie ne vous appartient plus. La sentence met du temps à arriver mais elle vient toujours, soyez-en sûr. Il vous reste dix ans à vivre, et pendant ces dix ans vous allez souffrir, sans arrêt. Je ne suis pas bourreau, mais homme de main, comme celui qui vous a donné ce coup de matraque. Il ne me reste plus qu'à vous dire une chose... vous allez souffrir, adieu.

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