Lui, juste lui...
Cinq minutes déjà que je le regardais, et qu'il faisait de même. J'étais, je dirais, subjugué par sa beauté. Ses longs cheveux blonds lui descendaient jusqu'au bassin, ses cils longs, fins et délicats, ses doigts si fins et sa peau si blanche. Sa peau qui, comparée à la mienne, était bien plus opaque. On voit mes veines de loin... Les siennes, non. Je ne pouvais distinguer les siennes. Ses yeux d'un gris-bleu paradisiaque me fixaient toujours, non par insistance mais par curiosité. Dans sa main il tenait un verre à pied remplit d'eau qu'il faisait lentement remuer. Il y avait déposé une petite pastille qui s'était presque instantanément dissoute. Suite à cela, l'eau avait perdu sa transparence pour prendre une teinte d'un rouge cristallin comparable à l'éclat d'un rubis. Cet homme devait être bien plus âgé que moi... du moins je suppose que c'est un homme. Il ne semble pas avoir de poitrine et malgré les traits fins de son visage, il avait un air masculin. Moi c'est l'inverse, tout le monde me prend pour un garçon manqué, une garçonne... alors que garçon, je le suis vraiment. Mes cheveux bruns sont certes assez longs pour un garçon, mais ils ne dépassent pas mon menton. Mes grands yeux verts et mon petit nez en trompette me donnent un air de "petite fille mignonne" selon les amis avec lesquels je suis venu dans ce restaurant. Ce sont d'ailleurs ces mêmes amis qui m'ont laissé là, seul à regarder un homme qui doit avoir la vingtaine, aux allures de mannequin, aux lèvres fines qui sont presque de la même couleur que son visage. Seulement un peu plus foncées. Malgré le fait qu'il soit assis, sa taille m'impressionnait, à moins que ce soit la minceur de son corps qui me donne cette impression. Je le vis apporter son verre jusqu'à ses lèvres délicates et le vis boire le liquide rouge d'un traite. Je ne vis même pas sa pomme d'Adam bouger. En buvant, il ne me fixait plus, et je ne perdis pas une miette de ce spectacle presque surnaturel. Quand il reposa son verre, son regard croisa le mien.
Peut-être que lui aussi est intéressé par moi depuis tout ce temps. Mais il doit sûrement se dire que je suis trop jeune, je ne suis que lycéen et je ne suis pas très grand pour mon âge. Ou pire, il doit se dire comme tout le monde que je suis une fille, et dès qu'il saura la vérité, il sera dégoutté, offusqué. Il y a bien trop peu de chance qu'il ait la même manière de penser que moi. Je ne suis ni gay, ni hétéro, ni bi, ni tout ce que vous voulez, j'aime ceux dont je tombe amoureux. Quelle que soit la personne. Je ne me place pas dans une case à laquelle on a attribué un nom. Et lui, je crois bien que je l'aime. Son apparence, sa façon d'être, les petites mimiques de ses doigts qu'il fait de temps en temps, ses longs cheveux blonds légèrement en bataille, ses yeux d'un gris-bleu profond, ses lèvres délicates, sa peau blanche tel le marbre, tous ces éléments m'ont séduit. Mais avec ma chance légendaire, il y a forcément un hic quelque part. Est-il venu accompagné ? La place devant lui est vide. Il n'y a pas de couvert, ni de chaise d'ailleurs. Cette place vide me donnait encore plus l'envie de le rejoindre. Je laisserai un mot sur la table pour Antonio qui était parti au toilette et un autre pour Maxime qui était parti faire un tour. Mais j'hésite, les laisser en plan comme cela, c'est indigne de leur meilleur ami. Remarque eux ils m'ont bien laissé seul à cette table, et ainsi m'ont permis d'observer un tableau vivant sans qu'ils ne se moquent de moi alors ils sont pardonnés.
Tout de même, dix minutes aux toilettes, qu'est-ce qu'ils fichent ? Je lance un dernier regard à l'homme aux magnifiques cheveux blonds... Je ne rêve pas, il s'est mordu la lèvre ! S'en est trop. Tant pis les gars, je suis persuadé que vous auriez fait pareil à ma place. Je laisse un seul mot sur la table et prend ma chaise pour la placer devant le buste enroulé dans un grand imperméable noir du phénomène que je regarde depuis quinze minutes maintenant. En face de lui, je distingue certains détails que je n'avais pu voir de profil comme la petit croix d'argent qui pend à son cou, la rose rouge ornant de l'autre côté de son chapeau noir ou les gants, noirs eux aussi, dans la poche du devant de son immense imper sombre taillé juste au corps.
"-Puis-je me joindre à vous ? lui demandai-je."
Et avec un petit sourire qui me fit fondre il me répondit :
"Bien sûr..."
Nous discutâmes de tout et n'importe quoi, il me demanda pourquoi j'étais seul et je lui répondit mais quand je lui demandai à son tour pourquoi il était seul, il changea de sujet avec un aisance parfaitement maîtrisée. Son assurance me donnait du courage. Il restait droit sur sa chaise, et moi courbé, penché vers lui, mon coude sur la table, ma main soutenant ma tête. Par moments, il rapprochait sa tête de mon oreille pour me chuchoter des choses. J'aimais ces moments, sa bouche passait non loin de la mienne ou de ma joue, la pensée qu'il me donne un baiser me faisait rougir de plaisir. Les lèvres fines et délicates tout comme ses cils qui donnaient à son regard un air majestueux. Son regard... je me perdais à l'intérieur comme dans un puits sans fond, rempli de rêve et de douceur. En voyant le grand nombre d'habits noirs qu'il portait, je lui demandai s'il était en deuil. Sa réponse ne fut pas très explicite, mais son sourire en coin me suffit. Au bout d'un moment, il me dit :
"Et si nous allions continuer cette discussion dehors ?"
Ce à quoi je lui répondis avec un semblant de révérence :
"Monsieur, je vous suis."
Il se leva en prenant dans sa main une canne noire, que je n'avais pas remarquée jusqu'alors. Je suivis l'ondulation de ses cheveux blond avec un mouvement de tête et quand il m'eut dépassé je me levai. Les autres tables ne nous permettaient pas de marcher à côté l'un de l'autre. Ainsi, j'observais sa démarche discrète et féline saupoudrée d'une pincée d'assurance.
La porte fenêtre qui donnait sur le balcon se trouvait juste derrière moi, à quelques mètres. Elle était ouverte mais pourtant, je ne sentait pas l'air frais de la nuit dans ma nuque. Il y avait des nuages ce soir là, et il régnait une pénombre intime. Nous étions presque seuls sur le balcon. Il restait juste un vieux couple qui s'en allait. On s'approcha du bord qui était longé par un banc de pierre et ce fut à cet instant que je senti une main posé sur mon thorax qui me projeta avec une violence bestiale contre le banc. Il se jeta presque sur moi, et me caressa la joue. Je lui pris la main, presque étonné. Je fini par dire avec crainte :
"Vous aviez remarqué que j'étais un garçon ?"
Il approcha une fois de plus sa bouche de mon oreille pour me susurrer :
"Quelle importance ? Nous ne nous reverrons sûrement jamais, accordez-moi juste ces baisers."
Pour toute réponse, j'en déposai un sur deux de ses doigts si fins. Il fit de même sur mon cou. Je penchai la tête pour qu'il puisse plus facilement mettre la sienne. Et je le vis ouvrir grand la bouche laissant sortir quatre immenses canines scintillantes. D'un coup sec et passionné il referma sa mâchoire. Ce soir là, j'eus le baiser le plus profond et le plus bestial de toute ma vie, mais ce fut aussi le dernier. La mort vint. Cette mort était bien plus douce que la vie en général, je ne la refusais pas.
Quand j'ouvris les yeux, je vis l'homme au cheveux blond, s'approcher de moi, un bouquet de roses d'un rouge vif et profond à la main. Il me l'offrit et susurra à mon oreille : "Mes plus sincères condoléances..." Puis il déposa un dernier baiser sur ma joue humide et glacée par la rosée du matin. Je ne pouvais bouger, je tenais dans mes bras le bouquet de roses rouges, semblables à celle qui ornait son chapeau. Il referma mon cercueil, et commença à m'enterrer. Pendant qu'il creusait, j'entendais sa voix douce dire à mon corps inerte : "Tu avais raison, je suis en deuil de mes amours. Chaque fois, ils meurent..." J'entendais les infernales coups de pelle dans la terre fraîche. Sûrement le dernier son que j'entendrai. Je refusais de croire cela ! C'est alors que dans un élan de volonté, je refusai de passer l'éternité sans cet inconnu, mon poing se leva et tapa contre la planche du cercueil !
"Tu es conscient ? s'étonna-t-il."
Il ouvrit mon lit de mort et je me levai, chancelant, regardai autour de moi. Un terrain vague ; une chaise sur laquelle était posé, un grand imper noir à ma taille, des gants noirs et une croix d'argent ; et l'inconnu, qui me regardait avec ce sourire qui me faisait fondre, il avait son grand imper noir, ses gants noirs, sa canne noire, son chapeau noir orné d'une rose rouge, sa chevelure blonde légèrement en bataille qui lui descendait jusqu'au bassin, ses lèvres à peine plus foncées que son visage, ses yeux d'un gris-blanc paradisiaque ornés de ses cils longs et délicats, sa peau blanche comme le marbre et son corps magnifiquement bien sculpté. J'allais passer l'éternité avec cet inconnu, je le savais, mais qu'importe, je le voulais. Je pris les vêtements qui étaient posés sur la chaise et trouvai dans ma poche une boite de métal. Sur le dessus, il était écrit : "pastilles de sang, à diffuser dans l'eau". Il vint vers moi, mis un genou à terre, baisa ma main gantée et me dit de sa voix douce : "Suis-moi, la route est longue jusqu'aux catacombes..."
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