Chez moi, Chez toi...
La terre tremble. Au loin, la bataille fait rage. J'ai peur. Elle aussi. Elle est devant moi, recroquevillée, apeurée. Je suis sûr que si elle le pouvait, elle serait en sueur. C'est une petite poupée, une poupée de porcelaine. Je me suis retrouvé il y a peu dans son monde. Un monde étrange et magnifique. Malheureusement ravagé par la guerre depuis peu. Depuis mon arrivée. Est-ce de ma faute ? J'ai connu une petite fille qui sait que parfois, ça ne sert à rien de chercher un responsable. Cette petite fille j'aurais aimé la connaître plus. C'était mon rôle. Mon rôle de père. La petite poupée de porcelaine qui est avec moi m'a recueilli, dans sa cave, à l'abri des explosions. Dans cette cave on ressent le sol trembler comme je ne l'ai jamais ressenti. Comme si la terre souffrait. J'ai vu beaucoup de chose étranges dans ce monde, mais je n'ai jamais vu la terre prendre vie. J'ai peur. Moi, je suis en sueur. Elle, tremblote à tel point que j'ai peur qu'elle ne se fissure. Elle s'appelle Aïliona. Elle m'a recueillit dans son village, dans sa maison et maintenant dans sa cave. Un geste héroïque. Je suis recherché par des personnes puissantes. J'ai vu des choses que je n'aurais jamais dû voir. Pour me calmer je la regarde. Elle est mignonne. Elle fait de même. Et ça a l'air de marcher. Elle est petite, semble fragile. Elle l'est, physiquement. Faite de porcelaine, elle frôle la mort chaque jour. Mais mentalement, c'est une héroïne ! Elle est courageuse ! Et le simple fait de m'avoir caché en est une preuve ! Des personnes puissantes, riches et dangereuses veulent ma mort ou ma capture pour avoir les informations que les autres veulent enterrer. Aïliona sait que je suis officiellement un criminel. Elle sait que c'est une injustice. Et elle s'est levée contre. Moi, à sa place, je ne l'aurai pas fait. Je l'admire. Ses petits yeux bleus me calment, me rassurent malgré son regard apeuré. Elle, ce doit être mon regard rassuré qui la calme. Elle tremble de moins en moins. Elle est mignonne. Même ma fille ne rivaliserait pas avec cette petite poupée de porcelaine. Sa peau, si on peut l'appeler ainsi, est aussi blanche que le matériau dont elle est faite, ses petits yeux bleus en amande lui donne un air légèrement mystérieux et sa petite taille, sa robe bleue, sa coiffure et ses chaussures de poupée feraient fondre en larme n'importe quelle petite fille. Je sais que derrière cette aspect mignon se cache un autre visage. Si son peuple a survécu ce n'est pas parce que les autres races intelligentes de ce monde les ont pris de pitié, non. Ils savent se battre. Et guerroient parfaitement bien si le besoin de se défendre s'en fait sentir. Aïliona a toujours un couteau sur elle. Toujours le même. Celui offert par son père et pas un autre. Elle n'a peur de rien, et peut combattre n'importe qui au corps à corps. Mais pas n'importe quoi. Des explosions et des tirs d'obus sont suffisants pour la faire trembler, moi plus qu'elle. Notre situation n'a rien de rassurant. Nous sommes dans la cave de sa maison. Nous entendons des explosions, des tirs, parfois des cris de douleur. Le champs de bataille n'est pas très loin. Juste à la sortie du village. Nous entendons ses horreurs, nous ressentons le sol trembler sans cesse à chaque explosions, et nous ne pouvons rien faire. Nous sommes protégés, du moins nous le pensons. Nous entendons parfois une maison proche se fissurer et tomber en ruine sous le coup des vibrations. Pour moi, c'est le bruit d'une théière qui se casse, pour Aïliona c'est un voisin, un ami, un frère, une sœur qui perd sa vie. Au sens figuré, et parfois, peut-être même au sens propre. J'ai peur.
"Comment est-ce que l'on voit la guerre chez toi ?" me demanda Aïliona. Elle semblait s'être calmée. Parler nous fera du bien. Depuis le début nous nous taisons comme si le moindre bruit nous trahirait. Nous pouvons faire tout le bruit que nous voulons, personne ne viendra nous chercher.
"Chez moi, la guerre est ignoble." Finis-je par lui répondre. "Si ceux qui la provoquent perdent, ils sont humiliés par les générations futures. Leurs noms sont souillés.
- Et s'ils gagnent ?"
Son regard anxieux et interrogateur me faisait penser qu'il y avait en elle plus d'humanité que dans n'importe quel dirigeant politique ayant touché aux arts de la guerre. Pourtant, elle, n'est pas humaine, et eux si.
"Ce sont les vainqueurs qui écrivent l'histoire. C'est ce qu'on dit chez moi. Pas chez toi ?
-Non, chez moi on dit que seuls les êtres aux intentions nobles ne sont pas oubliés. Qu'ils soient vainqueurs ou vaincus.
-J'ai honte de ma race...
-Pourquoi ?"
Des secousses d'explosions se firent ressentir. Celles-ci étaient plus puissantes. On entendit un meuble tomber et se briser à l'étage.
"En regardant l'histoire, on voit qu'il n'y a rien de plus humain que de régler un conflit dans un bain de sang.
-Au sens propre ou au figuré ?
-Parfois les deux..."
Elle baisse les yeux et regarde le sol, puis ses pieds. J'aurais aimé qu'un silence gênant s'installe. Mais à cause des explosions, il ne trouve pas sa place.
-Chez moi, il y a une phrase qui dit qu'on ne dira jamais assez merci à la guerre...
-Pourquoi une telle phrase ? me demande-t-elle en levant brusquement la tête.
-Je ne sais pas..."
J'essaye de réfléchir un moment et dis :
"La guerre met les différent camps en compétition. Des merveilles technologiques apparaissent.
-Chez moi on n'a pas besoin de la guerre pour se mettre en compétition.
-J'ai honte de ma race..."
Je la regarde réfléchir, elle cherche quelque chose, peut-être pour me prouver que j'ai tort. Les bruits sont insoutenables, des bruits sourds grâce à la cave, mais insoutenables pour le moral.
"-Chez moi on dit que ne pas aimer son peuple, ne pas aimer sa famille, c'est ne pas s'aimer soi-même, me dit-elle.
-Tu as peut-être raison. Je regrette beaucoup de choses, des actes que j'ai commis."
Un flash lumineux passe par le soupirail suivi d'une détonation lointaine. Aïliona me regarde avec des yeux tristes, tristes et interrogateurs.
"Comme par exemple ?
-Avoir abandonné ma femme et ma fille pour mes recherches.
-Ce n'était pas trop douloureux de les quitter ?
-Pas vraiment, j'étais passionné et en fait je n'ai quitté que ma femme car ma fille je ne l'ai jamais vue en vrai. Je suis parti avant sa naissance.
-Tu ne sais même pas à quoi elle ressemble ?
-Si, ma femme m'envoyait des lettres et des photos, je l'ai vu grandir, sans qu'elle le sache. Sa mère a préféré lui faire croire que j'étais mort au moment où je suis partit.
-Chez moi, aucune mère n'aurait fait ça. Imagine le choc, le jour où le père revient.
-Moi je n'avais aucune chance de revenir. Soit je ne réussissais pas, et je chercherais toute ma vie un passage vers un autre monde ; soit je réussissais, et je ne pourrais plus rentrer dans mon monde.
-Tu as réussi ?
-Je suis ici, c'est une preuve suffisante."
Elle ramène ses genoux contre son menton. Les explosions deviennent moins fortes, moins bruyantes. Aïliona est triste, j'ai l'impression qu'elle pleure bien qu'elle ne puisse pas faire couler de larmes sur ses joues roses. De ses deux mains blanches elle soutient sa tête.
"Tu me rappelles le miens, me dit-elle dans un sanglot.
-De père ?
-Oui... il me manque.
-Il est parti lui aussi.
-Pas vraiment, mon papa était parti avec les autres, défendre le village contre l'armée d'une sorcière. Il est revenu, en plusieurs morceaux. Les gens se souviennent de lui, il avait des intentions nobles. Je suis heureuse qu'il ait eu une mort aussi belle car c'est ce qu'il aurait voulu. Il était bon et intelligent... Dis moi une phrase de chez toi pour lui faire honneur.
-Chez moi on dit parfois que ce sont toujours les meilleurs qui partent en premier.
-Merci." Elle se caresse la joue rosée de sa main de porcelaine et dans un dernier sanglot elle sort un : "Mais malgré tout ça, il me manque"
-Et ta maman dans tout ça ?
-Elle est partie défendre le village. Aujourd'hui. Cette nuit. En ce moment."
Une explosion fait de nouveau trembler le sol, celle-ci est plus puissante que les autres, donc plus proche. On entend une autre maison se briser et tomber en ruine.
Aïliona se lève et vient s'asseoir à côté de moi. Elle se blottit contre mon manteau. Elle murmure : "Je ne compte pas beaucoup sur le fait qu'elle revienne." Elle semble infiniment triste. De ses petits bras fins elle attrape le mien.
"Tu me rappelles beaucoup mon papa...
-Non, ton père était un homme courageux. Moi, je suis un froussard, je le vois maintenant, j'ai fui ma femme car au fond j'avais peur d'être père...
-Je peux t'aider à devenir comme lui. Je sais que je te rappelle ta fille. N'ai-je pas raison ?
-si...
-Deviens mon père et je deviens ta fille. Rattrapons les années qui n'auraient jamais dû être gâchées. Comment est-ce que l'on dit chez toi ?
-Chez moi on dit : "Rattrapons le temps perdu."
Et je pris Aïliona dans mes bras. Nous sommes restés ainsi jusqu'à la fin du conflit. Le lendemain, la mère de cette poupée de porcelaine que je tiens désormais par la main ne rentre pas. J'ai aidé à réparer les dégâts du village. Je me suis fait des amis parmi les survivants, ma fille, Aïliona, m'a présenté à tous ceux qu'elle connaissait et dans la soirée un singe ailé vint me rendre visite. Il m'annonce le décès de la reine de la ville d'émeraude. Il me demande d'expliquer tout ce que j'avais vu là-bas et me promet que si je lui révèle tout, le royaume de la reine des marais me laissera tranquille. Je décide de tout lui révéler car désormais, la reine des marais était la seule personne encore en vie dans ce monde qui pouvait me menacer. Autant lui donner ce qu'elle voulait.
Le singe sort de la maison de porcelaine. Aïliona sirote un thé dans un des canapés. Je prend une tasse et dit à ma fille : "Une phrase de ce monde, prononcée par un homme de l'autre monde : Parfois, la fin est heureuse."
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