60. Deux amis
(Suite de l'histoire précédente)
En quittant le magasin, je passe devant le restaurant du centre commercial.
A une table proche de l'entrée, je reconnais Abdallah. Lui aussi m'a vue et me fait un signe de la main. Je m'approche pour le saluer. Abdallah – dont le nom signifie ''Serviteur de Dieu''- est un Touareg du Hoggar. Dans son enfance, il a eu la poliomyélite et a vécu des années dans un hôpital, très seul et sans beaucoup de traitements. Finalement, une organisation humanitaire a fait le nécessaire pour qu'il soit soigné en Europe. Aujourd'hui, il se déplace difficilement avec deux béquilles et souffre de problèmes de dos. Abdallah est quelqu'un de très paisible malgré les souffrances du passé et l'incertitude de l'avenir. Il aimerait rester ici, ne plus avoir à faire des allers-retours pour se soigner. Tout un réseau de personnes les plus diverses s'est mobilisé pour le soutenir, mais les lois se durcissent toujours davantage et Abdallah a bientôt épuisé toutes les possibilités pour obtenir un permis de séjour.
Aujourd'hui, des papiers sont étalés sur la table et un homme assis dans un fauteuil roulant consulte ces papiers. Je me demande si c'est un journaliste ou un avocat. Il se présente :
- Pierre. Je suis là pour aider mon ami.
Et il enchaîne :
- Pourriez-vous me rendre un service ? Aller me chercher un café et un croissant.
Et il me tend sa carte de crédit pour payer. Je suis médusée. Je n'ai jamais vu cet homme immobilisé dans une chaise roulante et il me donne sa carte de crédit !
Je prends un plateau, fais couler un café, dépose un croissant sur une assiette et me dirige vers la caisse. Avant de payer, je passe ma carte du personnel(*) qui donne droit à 20 % de rabais : ce sera une petite surprise pour Pierre. Le léger accent de la caissière m'intrigue. Je lui demande :
- Vous êtes nouvelle ?
Elle me répond :
- Je suis là depuis un mois.
J'apprends qu'elle vient d'Ukraine et que toute sa famille est là-bas... Après cet intermède, je rejoins Pierre et Abdallah. Au moment où Pierre prend le café, je m'aperçois qu'il a seulement une main. (J'apprendrai un peu plus tard qu'il a été amputé de la main gauche). J'ai un choc en le voyant. Je comprends mieux la difficulté d'aller chercher un café en fauteuil roulant avec une seule main. Abdallah, lui, avec ses deux béquilles, ne peut guère l'aider.
Deux amis handicapés ! Cela me donne à réfléchir. Il y a des handicaps qu'on voit (béquilles, chaise roulante) et des handicaps invisibles (surdité, douleurs chroniques). Si je suis handicapé/e, je peux m'isoler ou choisir de faire confiance aux autres (laisser à l'autre ma carte de crédit, par exemple). Je me demande quelle est ma capacité de confiance avec des inconnus...
(*)Les retraités qui ont travaillé dans cette chaîne de magasins peuvent continuer à faire usage de leur carte du personnel : ils reçoivent 10 % de rabais dans les rayons non alimentaires et 20 % dans les restaurants de la chaîne.
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