56. Les mules

Définitions du Larousse :

Chaussure légère d'appartement laissant le talon découvert.

Hybride femelle, presque toujours stérile, produit par l'accouplement d'un âne et d'une jument. (Le mâle est le mulet.)

Passeur de drogue qui transporte la marchandise d'un pays à un autre pour le compte d'un narcotrafiquant (capsules de cocaïne ingérées par exemple).

Un fait divers publié dans les actualités fait remonter en moi de vieux souvenirs...

Non, je ne parlerai pas des mules commandées chez Zalando. Je ne dirai rien des mules que les paysans de nos campagnes utilisaient autrefois. Je pense aux mules qu'on arrête dans les aéroports, porteuses de poudre blanche.

Dans les années 80-90, un tiers des détenues de la prison près de chez moi étaient des mules, pour la plupart originaires d'Amérique du sud et du Nigeria. Un tiers des prisonnières étaient des toxicomanes, condamnées pour des infractions liées à l'argent : elles avaient besoin d'argent pour se procurer la drogue. Les autres femmes étaient sanctionnées pour des délits divers : vol, escroquerie, meurtre...

Iris venait de Bogota. Elle avait deux enfants qu'elle élevait seule. Ses parents l'aidaient comme ils pouvaient. Quand les parents âgés sont tombés malades, l'argent manquait pour acheter des médicaments. Que faire ? Iris a mis une annonce dans le journal. Elle proposait de vendre son rein. On peut vivre avec un seul rein, n'est-ce pas ? A la suite de cette annonce dans le journal, quelqu'un lui a téléphoné : « Pourquoi veux-tu vendre ton rein ? Il y a d'autres moyens de se procurer de l'argent. Si tu fais un voyage pour moi en Europe, tu seras bien payée. » Iris a accepté cette proposition inattendue qui l'arrangeait bien. Elle a pris l'avion : tout s'est bien passé. Au retour, son patron lui a dit : « Je te paierai quand tu auras fait un deuxième voyage. » Comment refuser ? Iris est retournée à l'aéroport. Malheureusement pour elle, il n'y a pas eu de voyage de retour : elle a été arrêtée à son arrivée en Europe. Dans les mois – et les années – qui ont suivi, le peu d'argent qu'elle gagnait par son travail à la prison était envoyé à la famille, là-bas, à Bogota.

Udoka a eu de la chance dans son malheur. Elle avait 23 ans quand elle a été arrêtée, en provenance de Lagos. A la prison, elle s'est inscrite à des cours de langue et des cours de poterie. Elle était douée et elle apprenait vite. On lui a proposé de suivre une formation plus poussée en poterie. Elle réalisait de beaux objets qui étaient vendus en ville. C'est par une petite annonce dans le journal qu'elle a connu celui qui allait devenir son mari. Udoka a beaucoup lutté avant de pouvoir vivre avec son mari en Europe. Son mari l'a toujours soutenue. Aujourd'hui ils ont deux enfants adultes. Comme au début de son mariage, Udoka continue de faire le pain elle-même pour sa famille.

Mercedes, elle, venait de la campagne. J'avais de la peine à la comprendre. L'espagnol qu'elle parlait était dans doute un dialecte local.

Luz était enceinte à son arrivée. Elle a pu garder son enfant avec elle, dans un quartier spécial de la prison, réservée aux mamans avec leurs bébés. Au retour dans son pays, sa petite fille lui réclamait du lait.

Sandra et Maribel ont pu prendre la fuite. Elles avaient repéré un petit espace entre le grillage de clôture et le sol. Ce soir-là, elles ont prévenu les gardiennes qu'elles se touchaient tôt. Elles ont arrangé leurs lits comme si elles étaient en train de dormir. Quand les gardiennes sont venues pour la fermeture des portes, elles ont fermé la cellule sans vérifier. Mais il n'y avait personne dans la cellule. Les deux amies, qui étaient jeunes et minces, avaient réussi à se glisser sous le grillage. Pour la suite du voyage, elles ont probablement bénéficié de complices à l'extérieur.

Mélissa n'appartenait pas au groupe des latinos. Elle avait grandi à Brooklyn. Son père était mort du SIDA. Elle avait deux petites sœurs, des jumelles. Sa maman n'avait pas le temps de lui écrire. Mélissa en souffrait. Elle n'avait que 21 ans et cachait sa sensibilité sous des dehors de « dure ».

Je me souviens de toutes ces femmes emprisonnées pour avoir transporté de la drogue. C'était souvent des femmes courageuses, des femmes fortes, qui luttaient pour elles-mêmes et pour leurs familles. Quand elles arrivaient en Europe, elles étaient en bonne santé. Quand elles repartaient dans leurs pays, une fois leur peine accomplie, elles étaient devenues dépendantes des somnifères ou d'autres médicaments.

Aujourd'hui, les narco-trafiquants qui recrutent les mules ont-ils changé de tactique ?

Voici l'histoire de Pierre et Brigitte. Récemment retraités, ils coulaient des jours tranquilles dans un petit village tranquille. Pierre passait son temps sur internet, à la recherche de bonnes affaires. Un jour, un e-mail l'informe d'un héritage important : un lointain parent qui avait émigré en Colombie. Pierre convainc Brigitte de l'accompagner pour aller chercher cet héritage. Ce sera un beau voyage pour leurs 30 ans de mariage ! Les billets d'avion leur sont fournis gratuitement. Ils reçoivent même mille dollars pour leur semaine de vacances. Quand ils rencontrent leur contact au restaurant, celui-ci leur explique qu'il y a un problème : il faudra retourner en Europe pour encaisser l'héritage. Il est tout désolé, mais ce n'est qu'un contretemps. Il leur demande seulement d'emmener un cadeau pour un de ses amis. Brigitte à un doute : « C'est légal, tout ça ? » On apaise ses craintes. Brigitte et Pierre vont à l'aéroport. Dans l'avion, Brigitte se met à l'aise, enlève ses chaussures. Elle se réjouit de rentrer chez elle. Une hôtesse de l'air s'approche :

- Madame B. ?

- Oui.

- Suivez- moi, s'il-vous-plaît.

Le voyage de retour s'est terminé là pour Brigitte. Le cadeau emmené dans ses bagages contenait trois kilos de cocaïne ! Pierre n'a pas été inquiété. Pourtant, c'est lui qui avait tout organisé et entraîné Brigitte dans l'aventure. Mais la cocaïne se trouvait dans les bagages de Brigitte.

Brigitte a été incarcérées à la prison « el buon pastor » à Bogota. Elle ne parle pas un mot d'espagnol. Son procès a eu lieu en mars 2023. L'avocat lui a recommandé de plaider coupable pour éviter une trop longue peine. Brigitte a « pris » cinq ans et quatre mois et une amende de 140 000 dollars !

Pierre est de retour en Europe, libre. Il se sent coupable. Sa femme ne veut plus entendre parler de lui...

Autrefois... Aujourd'hui... Avec des méthodes différentes, les narcotrafiquants profitent de la naïveté et de la vulnérabilité de leurs victimes. Je leur souhaite de tomber de temps à autre sur de vraies « têtes de mules » qui les mettraient aussi en difficulté...🤔

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