55. J'aurais aimé...
« Zut ! J'aurais aimé réagir autrement. J'aurais aimé être réactive au lieu de rester passive. J'aurais aimé ne pas me laisser atteindre par ces reproches. J'aurais aimé maîtriser la situation. J'aurais aimé avoir le dernier mot. J'aurais aimé être la plus forte. » Je prends conscience de tout ce qui monte en moi après un événement un peu désagréable. Petit retour en arrière.
Joli mois de mai... C'est de nouveau la saison des nids. Je marche le long des berges. J'aperçois dans les roseaux une tache blanche. C'est un cygne qui couve. L'emplacement est bien choisi. Depuis le chemin pédestre, le pré descend en pente douce jusqu'à l'eau. Dans cette zone, les roseaux sont nombreux et forment une barrière de protection autour du nid.
Un peu plus loin, un pont relie les deux rives. Tout près du pont, je remarque de l'agitation dans l'eau : c'est toute une famille de poules d'eau. Les parents sont bien occupés à chercher de la nourriture pour les six rejetons qui sont encore minuscules.
En continuant mon chemin, mon regard est attiré par un deuxième nid de cygnes sur l'autre rive. Je poursuis ma route jusqu'au pont suivant, je le traverse et prends le chemin du retour en guettant le nid aperçu de loin. Il ressemble à une île flottante. Le cygne semble dormir. Depuis le chemin, je vois qu'un sentier s'est formé sous les pas des promeneurs qui sont allés observer le cygne de plus près. J'emprunte moi aussi ce petit sentier. Le cygne ne bouge pas... jusqu'au moment où surgit un petit bateau à moteur. Son passage provoque des vagues à proximité du nid. Le cygne relève la tête : peut-être est-il un peu inquiet ? J'en profite pour prendre quelques photos.
Soudain, j'entends des cris derrière moi. Je me retourne. Sur le balcon du bâtiment tout proche, un homme gesticule dans ma direction. C'est donc à moi qu'il s'adresse ! Sans réfléchir, je me retourne en direction du cygne. Je me campe bien droite sur mes deux pieds. A l'inconnu qui crie je présente... mon dos ! « Les gens intelligents restent sur le chemin et ne vont pas déranger le cygne qui couve. » S'ensuit une longue tirade d'injures et d'insanités. Je ne réagis pas. Je laisse cet énergumène crier et je contemple le cygne, apparemment insensible à ma présence et aux cris de l'intrus. Finalement, il me lance : « Espèce de vieille casserole ! » Silence. Comme je suis toujours sans réaction apparente, l'homme dit encore pour lui-même : « Peut-être qu'elle ne comprend pas le français. » Et il recommence de plus belle... en allemand cette fois-ci ! Heureusement pour moi, l'allemand n'est visiblement pas sa langue maternelle et son vocabulaire d'injures est plus vite épuisé. Le silence revenu, je reste encore un moment en face du cygne qui paraît toujours dormir. Quand je me retourne, le balcon est vide. L'homme s'est lassé. Il est parti. En moi subsiste un malaise.
« Zut ! J'aurais aimé réagir autrement. J'aurais aimé clouer le bec à ce malotru. » Je prends conscience de la violence qui m'habite. Comment aurais-je pu réagir ?
Solution 1. Je laisse libre cours à la violence et à la méchanceté. Je crie aussi : « C'est comme ça que vous parlez à votre femme ? Mais vous n'avez sûrement pas de femme. Aucune femme ne pourrait vivre avec un homme aussi colérique et désagréable ! »
Solution 2. J'essaie de faire preuve d'empathie, de compréhension, de non-violence et je lui dis avec un grand sourire : « Bonjour, Monsieur. Je vois que vous aimez les cygnes et vous vous faites du souci pour eux. Comme je vous comprends ! Je n'ai pas l'intention de lui faire du mal... et il ne semble pas trop perturbé par ma présence. Ne pensez-vous pas qu'il est capable de se défendre tout seul ? »
Pendant que je cogite ainsi, un spectacle étonnant attire mon attention. Deux cygnes dansent. Je ne sais pas où est l'orchestre, je n'entends pas la musique. Sans doute obéissent-ils à une musique intérieure. Ce sont des mouvements rythmés, gracieux, élégants. Ce spectacle apporte une touche positive à ma promenade et je commence à me sentir mieux.
https://youtu.be/ZYq9FSzRqXA
Depuis ce jour-là, je suis retournée souvent voir le cygne sur son nid. J'espère – et je crains – de revoir cet homme. J'aimerais lui parler, essayer la méthode non-violente. Peine perdue : le balcon demeure vide...
J'aurais aimé terminer cette histoire autrement. J'aurais aimé écrire : "J'ai revu cet homme et la rencontre s'est bien passée." J'aurais aimé... Mais dans la vraie vie, ce n'est pas toujours comme j'aurais aimé.
Et vous ? Comment auriez-vous réagi ?
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