51. Isabelle Courage

« Chère sœur Myriam, Je vous prie de m'excuser pour ma vilaine écriture. Mes yeux sont très affaiblis par la « macula » et ne voient presque plus. Je ne peux plus peindre non plus, mais j'ai encore trouvé une petite lithographie pour vous... » (photo ci-dessus)

Ainsi commence la missive que j'ai trouvée dans notre boîte aux lettres. Pas de timbres sur l'enveloppe. Madame Courage l 'a apportée elle-même. Un petit article à mon sujet avait paru dans le journal local. Madame Courage a tenu à réagir et m'écrit un très gentil message.
Cette petite dame mesure à peine un mètre cinquante. Dans le quartier, tout le monde connaît « la dame aux fleurs ». Grâce à elle, notre rue est fleurie.Madame Courage plante, arrose et soigne les bordures des entrées 9 à 15.D'abord viennent les perce-neiges, puis les pensées et les jonquilles. Plus tard, les tulipes sont un régal pour les yeux. Au plein été, les taches rouges des coquelicots s'aperçoivent de loin...

Madame Courage a quatre-vingt-cinq ans. Elle souffre d'asthme et il n'est pas rare qu'elle peine à respirer. Elle transporte toujours avec elle un spray qui l'aide en cas de crise. Parfois je la rencontre quand elle revient des courses en tirant son chariot à commissions. Il lui arrive de faire une pause en s'appuyant à la barrière de la rivière. Elle regarde l'eau couler en reprenant son souffle. Tous les jours et par tous les temps, elle sort aussi avec son petit chien...
Sa lettre m'a touchée et je l'invite à venir un après-midi prendre le thé avec nous.


Pour ce goûter, je prépare une tarte aux pommes. Elle apporte un « Streusel» et une crème à la vanille.
- Un « Streusel » ? Vous l'avez fait vous-même ? C'est une spécialité d'Autriche, n'est-ce pas ?
- On le fait aussi en Hongrie. Quand j'ai été retraitée, nous avons passé beaucoup d'années en Hongrie, avec mon partenaire. Nous y allions de mars à octobre et nous revenions ici pour l'hiver. La voisine m'apprenait le hongrois et je lui donnais des cours d'allemand...
Madame Courage nous raconte sa vie. Institutrice pour l'école primaire, elle a enseigné pendant vingt-cinq ans dans des classes à trois degrés (9 à 12 ans). Parfois, la classe comptait plus de quarante élèves ! « Il fallait toujours occuper une partie de la classe avec des travaux écrits pendant que je donnais cours aux autres. » Vous imaginez les préparations... et la quantité de travaux à corriger ? Pendant quatre ans, elle a travaillé avec des enfants handicapés : « J'ai arrêté, parce que je n'avais pas assez de forces physiques.Ces enfants étaient lourds parfois. » Elle tente ensuite une toute nouvelle expérience : gardienne dans une prison pour femmes. Très vite, elle va devenir la cheffe des gardiennes. C'est elle qui doit trouver une solution quand une gardienne ne peut pas venir travailler. Elle nous parle aussi d'une détenue jugée dangereuse qu'elle a accueillie longuement dans son bureau sans réaliser que la situation aurait pu devenir critique.
Après onze ans à la prison a sonné l'heure de la retraite... et le temps des séjours en Hongrie.
Madame Courage nous parle encore de sa famille. Veuve, elle a deux enfants. Son fils ingénieur vient de mener à bien les travaux de réfection du pont au-dessus des gorges. « Les parties métalliques du pont étaient rouillées. Les usagers n'ont pas réalisé le danger. Le pont aurait pu s'écrouler comme celui de Gênes.»

Quant à sa fille, elle a suivi ses traces. Maintenant, elle est dans la formation d'adultes et donne des cours de langues.
Madame Courage a des soucis pour son partenaire actuel. Son état de santé est fragile après trois infarctus.
« Je me réjouis toujours quand je vous vois. » Ainsi se terminait la lettre de Madame Courage. Moi aussi je me réjouis quand je la vois. Après une vie déjà bien remplie, elle soigne son partenaire, elle soigne les fleurs, elle soigne la vie. Elle me donne du courage.

PS. "Madame Courage" est un pseudo, bien sûr.


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top