La Traversée
Bonjour bonjour ^^
Ce texte a été écrit à l'occasion d'un concours d'écriture sur le forum Puissance-Zelda. Le thème était :
Des idées vagabondes aux reflets de ciel bleu
DESCRIPTIF : Les participants doivent concevoir un personnage et un univers exclusifs. Tout univers est accepté qu'il soit fantasy, réaliste, historique, etc. L'histoire devra obligatoirement se dérouler sur un bateau. Des contraintes s'imposent aux participants lors de la rédaction de leur texte : les mots « poupe », « embruns » et « bastingage » doivent apparaître.
Je suis très fière de ce texte, je l'aime énormément et j'espère que vous l'aimerez autant que moi. Je le trouve ridiculement amusant, je me suis vraiment marrée en l'écrivant et j'aime de tout mon coeur Emett, mon petit héros beaucoup trop imaginatif x)
Merci à , ma dévouée correctrice et ma donneuse de motivation pour les concours xD
N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez, si j'ai respecté le thème selon vous (et à la fin je vous dirais ma note et ma place dans ma poule de correction ^^). Bonne lecture !
Bonne lecture !
Au loin, un coup de tonnerre retentit. Emett n'y fit pas attention, peu attentif aux signes avant-coureurs de l'orage qui allait éclater au-dessus de la baie de Margoth. L'esprit bien trop occupé par ce qui allait se jouer dans les instants suivants, il ramait en silence, au milieu de la baie, sur une petite embarcation en bois. Il faisait plutôt bon ce jour-là – ni trop chaud, ni trop froid –, bien que le ciel fût d'un gris un peu terne. C'était la fin de matinée, la mer était calme, Emett n'avait aucune difficulté à ramer.
Il était un jeune homme du village de Margoth, petite bourgade portuaire accolée à de grandes collines vertes. Sa mère ne le considérait plus comme un enfant, pour autant elle ne voyait pas encore en lui la stature d'un adulte. C'était un garçon aux yeux foncés et aux cheveux châtains très bouclés, dont les mèches venaient très souvent lui tomber dans les yeux. Cependant il ne voulait pas se les couper, en tout cas pas depuis qu'il avait entendu dire qu'une certaine jeune fille du village, Abeline, aimait les garçons aux cheveux longs. Car le jeune homme était amoureux, et la veille, il avait décidé qu'il devait avouer ses sentiments à l'élue de son cœur. Ce jour était donc ce qu'il pensait être un grand moment pour sa vie amoureuse ; ainsi, pour que personne ne vienne le déranger dans cet instant solennel, il avait décidé que tout se passerait au milieu de la baie de Margoth, sur un bateau.
La baie était un endroit calme où, les jours de repos, les habitants de la petite ville du même nom que cette dernière aimaient bien se promener. Certains préféraient rester à terre et marchaient simplement dans le sable clair de la plage. D'autres, comme Emett, aimaient emprunter des bateaux pour profiter du calme sur l'eau. Ce jour-là, c'était jour de travail et la baie était quasiment déserte, les bateaux des pêcheurs seuls n'étaient pas suffisamment nombreux pour encombrer tout l'espace maritime.
Le jeune homme était un habitué de la baie et de la mer. Il montait très souvent sur les bateaux des différents marins du village – avec qui il s'était étonnement lié d'amitié – et les accompagnait sur l'eau, tant qu'ils ne quittaient pas la baie, bien sûr. Pour ne pas gêner les marins tout en profitant de l'horizon bleu, il avait sa place attitrée sur quasiment chaque bateau, dans un coin vide, accoudé au bastingage. Etre sur la mer était une chose qui l'apaisait, naviguer faisait partie de ses passe-temps favoris. Ainsi en grand connaisseur de la mer – et surtout pour se rassurer en étant dans un environnement connu –, Emett avait décidé la veille d'emprunter pour son rendez-vous amoureux la petite barque que ses parents utilisaient souvent pour aller se balader, et qui était faite seulement pour deux personnes, pas plus, pas moins.
Emett se disait souvent qu'il y avait beaucoup de choses faites pour deux personnes dans le monde ; les barques en faisaient partie, mais aussi les lits, les tandems, ou encore les petites diligences que les gens du village conduisaient pour plaire aux riches voyageurs. Tous ces objets rendaient l'univers un peu plus romantique – ou tristes, pour ceux qui étaient seuls. Cependant, il n'y avait pas non plus des montagnes de choses pour deux alors peut-être faudrait-il en créer de nouvelles ? Emett avait l'imagination débordante, donc il commença à penser tout plein d'objets faits pour deux. Et pourquoi pas des chaussures pour deux personnes ? Cela pourrait être une bonne idée. Les amants pourraient donc marcher ensemble, au même rythme, sur le même chemin. Ou alors, des assiettes pour deux, pour manger la même nourriture que l'être aimé. Et si c'était des portes pour deux ? Ainsi, les couples se tenant la main n'auraient plus besoin de se lâcher pour entrer ou sortir d'un bâtiment. Et des vêtements pour deux ? Comme ça, les amoureux pourraient toujours être ensemble, l'un contre l'autre. Emett sourit bêtement ; il avait déjà envie de tester toutes ces choses qui n'existaient même pas avec la belle Abeline. Cependant après réflexion, Emett se dit que finalement, une barque était bien plus romantique qu'une porte pour deux personnes. Toujours est-il que quand il imaginait ce genre de chose faite pour deux pour personne, il ne pouvait s'empêcher de penser à Abeline, et à quel point elle était belle, et à quel point il avait envie d'être avec elle.
Justement, c'était elle, la deuxième personne sur la barque. Elle était une jeune femme de son âge, les cheveux châtains et rêches. Le matin, quand Emett était venue la chercher chez elle, sa chevelure était toute ondulée grâce aux nattes qu'elle s'évertuait à faire chaque soir avant le coucher, pour rendre ses cheveux, qu'elle considérait de paille, plus élégants. Mais à présent, avec l'humidité, les ondulations qui avaient rappelé les douces vagues de la baie à Emett n'étaient plus. Cela n'enlevait pourtant rien au charme de la demoiselle. Abeline s'habillait toujours de grandes robes en vieille dentelle. Elle essayait au village de se faire passer pour plus que ce qu'elle n'était réellement, et Emett voyait clair dans son jeu mais ses airs de fausse bourgeoise ne le dérangeaient pas. C'était une fille très gentille, mais maladroite et qui avait souvent du mal à trouver ses mots – des traits de caractère qui la rendaient adorable aux yeux du jeune homme.
Emett ramait depuis maintenant plusieurs minutes, lui et Abeline étaient arrivés au milieu de la baie. De là, ils n'entendaient rien d'autre que le bruit des vagues, des mouettes, et le son lointain du clocher qui annonçait l'heure. Sur la poupe de la barque, il était écrit son nom : l'Ecume de l'Amour. Emett n'avait jamais vraiment fait attention à ce détail jusqu'à ce jour. En posant le pied dessus pour aider Abeline à y monter, il avait pris cela comme un signe du destin alors que la jeune femme se saisissait de sa main pour ne pas perdre l'équilibre, quelque chose qui prouvait que ce qui allait se passer sur ce petit bateau serait forcément une cascade de bonheur. Le moment était ainsi d'un grand romantisme – du moins pour Emett. Il lâcha les rames, décidé. La barque se mit à dériver. En face de lui, Abeline jouait avec une des rares mèches ondulées de ses cheveux qui tenait encore. Elle observait les nuages d'un air perplexe, comme si elle soupçonnait l'orage qui menaçait depuis le début de matinée d'éclater bientôt. Le regard levé vers le ciel, l'air absent, elle était magnifique aux yeux du jeune homme, et cette vision le convainquit que le moment était venu. Il posa ses mains bien à plat sur ses genoux, inspira un grand coup, puis interpella celle qu'il aimait :
« Abeline. J'aimerais te dire quelque chose. »
La jeune demoiselle posa ses yeux sur lui, intriguée, et il se sentit fondre. Sans rien dire, elle fit comprendre à son admirateur secret qu'il pouvait parler. Ce dernier se figea : c'était maintenant ou jamais. Alors qu'intérieurement son émoi était extrêmement puissant, extérieurement, il ne laissa rien transparaitre de tout cela et déclara simplement, d'une voix qui ne trembla même pas :
« Je t'aime. »
Et voilà, c'était fait. Il avait finalement déclaré les fameux trois mots. A ce moment-là, ce fut comme si le monde s'éteignait. Plus de bruit, plus de vie, à part Abeline devant lui et le son de leurs respirations. Les vagues se figèrent, le souffle du vent s'épuisa, les mouettes ne crièrent plus. La jeune fille, de ses grands yeux foncés écarquillés, le contempla avec surprise. La barque dérivait sans personne pour la remettre dans la bonne direction. Abeline ne répondit pas. Elle paraissait vraiment étonnée, comme si elle n'avait remarqué aucun des signaux que lui avait envoyé depuis le début le jeune homme. Et pourtant, quels efforts il avait fait pour elle... Pour une fois qu'il avait réussi à contrer sa timidité, voilà que tout était passé inaperçu. Dans l'espoir que la jeune fille réalise que toutes les gentillesses à son égard n'avaient pas été faites par pure amitié, il crut bon de rajouter :
« Ça fait... depuis quelques mois, tu sais. »
Il rit timidement, pour cacher son malaise mais sa petite précision n'eut aucun effet bien concluant : le silence s'éternisait, tout comme la dérive de la barque. Un sourire crispé aux lèvres, Emett attendait la réponse d'Abeline, stressé. La jeune fille semblait chercher ses mots, et cela paraissait être très difficile pour elle. Conscient qu'elle avait parfois beaucoup de mal à exprimer ce qu'elle ressentait, Emett, malgré toute son appréhension et son impatience, resta silencieux en attendant qu'elle soit prête à parler. La barque continuait à dériver sur l'eau au gré du vent.
Finalement, Abeline parla, et elle dit alors la pire chose qu'Emett pouvait entendre :
« Ah... »
Ce petit mot était déjà de trop.
Le regard d'Abeline s'échappa sur le côté, il semblait qu'elle voulait s'enfuir. Ses joues étaient roses de gêne, et malgré la terrible réponse qu'elle venait de fournir à Emett, il parvenait à encore trouver ce petit rosissement incroyablement mignon. Cependant, la suite fut encore plus atroce pour lui :
« Tu es gentil, tu sais, mais... Je suis désolée. Ça ne va pas trop être possible. »
La beauté seule d'Abeline ne pouvant sauver le cœur du jeune homme, ce dernier se brisa en mille morceaux instantanément. D'un seul coup, le bruit des vagues n'avait plus rien de romantique, le silence de la baie était devenu complétement sourd, et le nom de la barque – l'Ecume de l'Amour – n'avait plus aucun sens. Même la mer d'ordinaire apaisante n'avait plus aucun effet sur Emett. Tout ce qu'il y avait, c'était la douleur et le vide. Pour ne pas perdre la face et ne pas se rendre encore plus ridicule qu'il ne devait déjà l'être, le jeune homme garda son sourire crispé. Comme réponse à Abeline, il ne fut capable que d'articuler un faible :
« Oh. Je comprends. Pas de soucis. »
Il comprenait ? Non, bien évidemment que non il ne comprenait pas. Comment pouvait-il seulement y parvenir ? La seule idée qui était claire dans son esprit était la fin imminente de sa propre vie. Son cœur anéanti, les larmes au bord des yeux, Emett avait envie de disparaitre quelque part, et de ne jamais sortir de sa cachette. Ce que venait de dire Abeline faisait mal, trop mal, mais la douleur était en même temps mêlée à un sentiment encore très désagréable : la honte. Oui, il avait honte ; honte d'avoir déclaré ses sentiments, honte de ne pas avoir remarqué qu'ils n'étaient pas réciproques, honte d'avoir eu une idée aussi terrible qu'une balade en barque.
Le souvenir d'un jour empli d'une gêne extrême lui revint alors en mémoire. Il s'agissait du jour où sa petite sœur avait volontairement révélé aux adolescents du village entier les sentiments amoureux que nourrissait son frère à l'égard d'une autre jeune fille – tout cela par pure vengeance fraternelle. Lorsque la vérité avait éclaté, la jeune fille concernée avait juste rigolé. Ce rire avait été insupportable pour Emett, qui avait couru se cacher dans sa chambre, tandis que sa sœur et les filles du village souriaient, moqueuses. Est-ce que ce jour avait été pire pour Emett, puisque l'humiliation avait été publique ? Non, car au moins, sur terre, il avait pu s'enfuir pour se cacher. Aujourd'hui, coincé dans sa barque avec Abeline, il n'allait pas pouvoir aller bien loin, et finalement, c'était peut-être ça qui rendait la chose pire. Car à aucun moment, il n'avait pas pensé à ce qui se passerait si Abeline le rejetait dans cette barque, au milieu de la baie de Margoth. Ses sentiments envers elle étaient si forts, si intenses, qu'ils l'avaient rendu aveugle : il n'avait même pas été concevable pour lui qu'elle puisse lui opposer un refus, ce n'avait juste pas été possible qu'il imagine que le rendez-vous puisse prendre une tournure aussi humiliante que son dernier échec amoureux.
Tous les deux en face à face, ils ne se regardaient pas. Leurs regards fuyaient sur les côtés, et ils ne parlaient plus. L'atmosphère était devenue très pesante, et Emett savait que c'était de sa faute, même si cela pouvait également être dû au ciel qui s'était assombri entre-temps. Qu'allaient-ils faire à présent, coincés sur un petit bateau loin du rivage ? Emett avait trop ramé pour pouvoir faire demi-tour, mais pas assez pour arriver rapidement de l'autre côté de la baie. C'était une horrible situation. La traversée promettait d'être longue.
Un autre coup de tonnerre retentit. Emett n'y fit pas attention. Il regarda par-dessus bord et se dit que tout ce qu'il voulait à ce moment précis était de plonger dans ces eaux sombres et s'y noyer. Se noyer était-il plus douloureux que se faire rejeter par la fille de ses rêves ? Le jeune homme éluda la question quelques instants avant de se rendre compte d'à quel point c'était une pensée horrible. Finalement, il n'était pas assez fou pour se suicider après ce rejet. En revanche, ce qui risquait de le rendre fou, c'était le temps de la traversée...
Pourquoi devait-il subir cela, en plus du refus d'Abeline ? Les dieux voulaient-ils le punir ? Etait-il maudit ? Ces questions le ramenèrent à un jour encore une fois très gênant pour lui. C'était celui de l'anniversaire de sa petite sœur, il avait renversé le gâteau d'anniversaire alors qu'il l'apportait sur la table de la salle à manger. Sa cadette avait eu l'air si malheureux qu'il s'était maudit lui-même sur six générations. Un sentiment de honte l'avait submergé et ça avait été sans doute l'un des pires moments de sa vie – en effet, il ne lui fallait pas grand-chose. Mais le plus important n'était pas là, car : peut-être la malédiction qu'il avait proféré contre lui-même avait finalement fonctionné ?
Le vent souffla, soulevant des embruns salés qui lui piquèrent légèrement les yeux. Emett pesta en silence. En plus de cela, la barque, emportée par le vent, se mit à dériver ; le jeune homme était conscient que cela signifiait quelques minutes en plus en compagnie d'Abeline, alors il se mit à ramer plus vite. Sa précipitation n'eut pour effet que de faire dévier encore plus la légère embarcation. Au moins deux insoutenables minutes de plus.
La berge de l'autre rive était bien loin.
Les gouttelettes salées qui lui étaient rentrées dans les yeux lui donnèrent envie de pleurer. Enfin... Il avait envie de pleurer depuis son rejet, mais, grâce à l'incroyable volonté qui l'animait, aucune larme n'avait coulé jusqu'à présent. Seulement, avec le contact piquant des embruns, il ne pouvait plus se retenir : une petite larme apparut au coin de son œil et dévala sa joue pour arriver à la commissure de ses lèvres. Emett avait toujours besoin, dès qu'il pleurait, de goûter ses larmes lorsqu'elles arrivaient sur ses lèvres, alors c'est ce qu'il fit. Le goût de sel lui rappela celui de la mer ; qui lui rappela qu'il était coincé sur cette barque avec Abeline ; qui lui rappela son rejet ; qui lui donna encore plus envie de pleurer ; et il en vint finalement à se demander s'il était capable, rien qu'avec ses deux yeux et ses larmes, de doubler le volume de l'océan. Pour être totalement honnête, il s'en croyait largement capable, car la douleur était si vive qu'il imaginait déjà passer le restant de sa vie à pleurer. Peut-être que, si cela se passait vraiment, ses larmes inonderaient le village de Margoth et le niveau de l'eau atteindrait alors le sommet des collines contre lesquelles était construit le village. Peut-être que sa tristesse transformerait en île les falaises qui enfermaient la baie, et peut-être que des sirènes viendraient habiter les maisons immergées. Cela semblait être une bonne chose, finalement : ses sanglots donneraient des logements aux créatures marines.
La traversée était terriblement longue, et l'autre rive semblait toujours inaccessible.
Il était presque midi, et Emett avait à peine mangé le matin-même. A la fois excité et angoissé, il n'avait pas réussi à avaler grand-chose avant de partir pour la balade. A présent, il avait faim et son estomac voulut visiblement le faire savoir au monde entier : un gargouillement d'une puissance incommensurable résonna. Sa compagne de fortune ne parut pas l'entendre, ou alors faisait-elle semblant de ne pas avoir entendu. Emett pria tout de même tous les dieux pour que le bruit de son ventre soit passé inaperçu, bien qu'il en doutât fortement car il lui avait paru semblable au bruit du tonnerre, fort et sonore. Et comme une ironie du sort, il se mit à pleuvoir, comme si le son de sa faim avait trompé les nuages.
Ce n'était pas une petite pluie agréable, comme il pouvait y avoir parfois en été, une de ces averses qui rafraichissaient lors des chaudes et étouffantes soirées. Non, c'était une pluie intense, les grosses gouttes d'eau s'écrasaient sur les deux jeunes gens et en quelques minutes, ils furent totalement détrempés.
Le rendez-vous était, comme dirait l'hilarante petite sœur d'Emett, « tombé à l'eau ». La berge de l'autre rive était encore trop loin. Elle était comme un arc-en-ciel : on la voyait de loin, mais ne pouvait s'en approcher. La traversée s'éternisait.
La barque craqua. C'était bien évidemment dû aux vagues qui s'écrasaient de plus en plus violemment sur sa coque, mais Emett se demanda si ce n'était pas un poulpe géant qui entourait de ses tentacules la frêle embarcation. Cette idée était étrange, mais ce qui l'était encore plus, c'était qu'Emett souhaitait que ce soit vraiment le cas, juste pour mettre fin au supplice de la traversée. Mais y avait-il seulement la place pour un poulpe géant dans la baie ? C'était une petite baie, pas très profonde, car quand Emett montait sur les collines derrière le village, il voyait bien que la couleur de l'eau y était plus claire que dans le reste de la mer. Cela signifiait que l'eau n'était pas assez profonde pour accueillir un poulpe géant... ... sauf si le jeune homme pleurait et que ses larmes inondaient la région, sans compter la pluie qui lui mâcherait le travail. Sangloter de toute son âme semblait être une double bonne solution, même devant Abeline.
La berge commençait à être plus nette, dans le lointain.
La mère d'Emett – une femme très douce, certainement – le menaçait souvent en lui disant que s'il n'était pas un bon garçon, que s'il ne faisait rien de gentil, il irait en enfer, où il subirait diverses tortures plus pires les unes que les autres. Finalement, c'était peut-être ça, la torture que lui réservaient les dieux pour toutes les fois où il avait caché les jouets de sa sœur juste pour le plaisir de la voir paniquer. En tout cas, si le supplice de l'éternelle traversée n'existait pas, ce qui l'attendait là-bas ne pouvait certainement pas surpasser ce qu'il vivait actuellement. Mais au moins, il pouvait se dire pour se réconforter qu'où qu'il aille après sa mort, il était à présent immunisé contre les pires tortures.
La berge se rapprochait finalement.
Etait-il possible de la rejoindre à la nage ? L'idée traversa l'esprit d'Emett. Cela pouvait être une bonne idée ; un effort physique contre une intense libération. La fuite était une action lâche, mais la tension sur la barque était insupportable. Cependant, le jeune homme s'en voudrait grandement d'abandonner Abeline au milieu de la baie sous la pluie pour fuir à la nage ; la pauvre fille ne pourrait jamais faire de même avec ses couches de jupons, et Emett était encore trop amoureux d'elle pour lui fausser compagnie de la sorte. Sans compter que la honte était un sentiment épuisant. Chaque mouvement de plus que faisait Emett était un effort incroyable ; jamais il n'aurait la force de rejoindre la berge par la seule force de ses bras et de ses jambes.
Heureusement la rive était de plus en plus proche. Plus que quelques efforts à fournir.
*
Les minutes qui passèrent furent très clairement les plus longues de la vie d'Emett. Jamais ramer, pour un garçon habitué des bateaux, n'avait été aussi difficile. Heureusement, comme toutes les bonnes choses ont une fin, les mauvaises aussi, et ce fut avec soulagement que le jeune homme sentit la barque heurter la berge. Alors qu'il était à moitié absent de son esprit, il aperçut sans la voir Abeline poser pied à terre en marmonnant un timide :
« Merci de m'avoir ramenée. »
Emett répondit par ce qu'on pouvait assimiler à un gémissement. La jeune fille s'enfuit vers le village avec une démarche peu naturelle pour se mettre à l'abri de l'averse. Tout en la regardant partir rapidement, il soupira. Son rendez-vous avait été un désastre, et pour le conclure, une belle ironie du sort : il resta assis dans sa barque au nom célébrant l'amour, faite pour deux personnes et seulement pour deux, à ruminer seul sous la pluie son échec sentimental.
Pour ce texte, j'ai été première de ma poule avec une note de 18,25/20 ! ^^ J'ai donc pu accéder à la seconde manche, puis à la finale mais je n'ai pas gagné, mon concurrent était bien trop talentueux. Je suis tout de même heureuse d'avoir écrit ce texte, il est l'un de mes préférés ^^ J'espère que ça vous a plu, à bientôt !
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