Cigarettes - partie 4/8

— C'est Rayan qui t'a fait ça ?

    Céleste releva la tête. Elle n'avait pas entendu Lola-Dolorès approcher. Elle ne répondit rien. Jean avait rendu très clair le fait qu'elle n'avait pas intérêt à parler de ses visites à qui que ce soit. La seule fois où Céleste avait essayé d'avertir quelqu'un, elle l'avait payé violemment. Elle observa longuement la femme qui était entrée en essayant de déterminer si elle jouait avec elle ou si elle était sérieuse. Était-ce seulement possible qu'elle ne soit pas au courant ?

    Lola vint s'assoir en face d'elle et soutint son regard.

— Ce n'est pas Rayan qui a fait ça.

    Céleste ne répondit rien. Elle avait ramené ses genoux contre sa poitrine et appuyait son menton sur ses bras. Lola était différente aujourd'hui. Elle semblait presque plus humaine et Céleste trouvait ça déstabilisant. C'était plus facile de comprendre un monstre plutôt qu'un humain. C'était plus facile de partir du principe que les gens qui lui faisaient du mal ne ressentaient jamais rien. Les voir... exister, les voir vivre et avoir des émotions était une chose que Céleste ne comprenait pas, qu'elle ne voulait pas comprendre.

— Pas de caméras aujourd'hui, Céleste. Tu peux parler comme tu veux. C'est jour de repos normalement, je t'apportais juste de quoi manger. Me dis pas que t'as pas faim.

    Elle poussa le plateau de nourriture vers la Blanche, qui l'éloigna aussitôt d'elle du bout du pied.

— Quand je reviens toute à l'heure, je préférerai que ce plateau soit vide.

    Elle sortit son paquet de cigarette et en alluma une. Céleste l'observa souffler une bouffée de fumée en se demandant combien de fois par jour elle ouvrait ce paquet.

— T'en veux une ?

    Sans attendre de réponse, Lola tendit une cigarette, puis le briquet. Céleste se dit que ce n'était pas prudent de lui donner un tel objet – d'habitude, quand Lola lui proposait de fumer avec elle, c'était toujours elle qui allumait la cigarette. Enfin, Céleste oublia cette pensée quand elle dû s'y reprendre à plusieurs fois pour réussir à faire apparaître une petite flamme hors du briquet. Ses mains étaient abîmées, mutilées et chaque mouvement était douloureux. Elle serra les dents et s'obstina jusqu'à réussir, ignorant le regard de Lola posé sur elle. Non, elle ne demanderait pas d'aide. Lorsqu'enfin elle parvient à allumer la cigarette, Céleste laissa tomber le briquet par terre.

— Tu m'as rendue dépendante de ce truc, dit-elle en portant la cigarette à ses lèvres.

    Sa voix ne lui ressemblait pas. Elle avait beaucoup hurlé, ces derniers jours. Sa voix n'était plus la sienne, elle était trop rauque. Elle rappelait à Céleste le crissement de deux roches frottées l'une contre l'autre. C'était désagréable.

— Je sais, répondit Lola avec quelque chose qui ressemblait à de la fierté.

    Elle se releva pour venir s'assoir près de la blonde et se pencha en direction de son visage. Quand Céleste souffla, la fumée s'écrasa contre sa peau.

— Il a bien fait son boulot, ce connard. Clairement pas Rayan, il t'aurait crevé l'œil, c'est une brute. Je savais pas que Jean était si appliqué. Il doit pas mal t'en vouloir pour faire autant attention.

    Céleste se contenta de lui souffler une nouvelle fois dessus.

    Depuis sa première visite, Jean avait réussi à revenir quatre fois. Céleste commençait à se dire que la sécurité de l'internat n'était pas aussi appuyée chez les scientifiques que chez les internés. Ou alors les scientifiques ne se méfiaient que des internés. Céleste aurait bien aimé leur expliquer que parfois l'ennemi peut aussi se cacher dans le même camp. Elle aurait bien aimé être face à Guillaume et lui expliquer tout ce que Jean lui disait.

    Parce que Jean était très bavard. Il n'aimait visiblement pas le silence et même s'il se répétait beaucoup, Céleste en avait appris énormément sur l'internat grâce à ses monologues incessants. Au moins, elle pouvait se concentrer sur ça quand elle ne voulait pas être consciente du reste.

— Céleste ? Je suis désolée de pas avoir été là ces derniers jours. Je sais que je t'ai pas manquée, mais si j'avais été là, au moins Jean aurait eu moins de possibilités de te voir.

    Céleste haussa un sourcil et désigna son cou. Elle pouvait sentir la cicatrice sur sa peau. Jean lui avait dit que ça ressemblait à des fleurs. Des espèces de roses parce qu'il y avait des épines à certains endroits. C'était Lola qui lui avait fait ça. À quoi pensait-elle en essayant de s'excuser ainsi ?

— Quel dommage que je sois si rancunière. J'aime pas beaucoup pardonner. Je m'en fous de tes excuses et tu peux les ravaler ou te les mettre dans le cul, aller les servir à quelqu'un d'autre qui te croira. Si tu voulais vraiment m'aider, tu préviendrai que Jean vient ici.

    Lola sourit doucement. Elle sembla réfléchir à ses prochains mots, sans être blessée ou vexée par ceux de Céleste.

— Pas si simple que ça. On m'aime pas beaucoup. Ils ont peur de ce que je peux faire. Parce que je suis une femme, parce que j'ai de l'imagination, parce que je suis lesbienne, j'en sais rien, je m'en fous. Ils me pensent plus dangereuse et folle que n'importe quel violeur. Je t'aime bien, mais je suis pas prête à perdre mon job pour toi.

    La plus jeune passa sa main au niveau de son œil droit. Elle avait déjà fait des tests, mais elle avait sans cesse cette peur panique de se rendre compte qu'elle ne voyait plus d'un œil. Lola n'avait pas tort : Jean s'était appliqué lorsqu'il avait dessiné cette espèce de croix autour de son œil au couteau. Son œil en était le centre, comme une cible. Frappez juste ici. Lancer la flèche au centre si vous savez viser. C'était ce que Jean avait dit alors qu'elle hurlait de douleur.

— Tu es sûre qu'il n'y a personne qui regarde ?
— Sûre. C'est le jour de repos, je t'ai dit. Personne est censé venir te voir à part moi pour te donner à manger. Et je n'ai pas le droit de te faire quoique ce soit. Personne qui veut vivre ne va insister pour te surveiller, ils sont tous flippés par ton pouvoir. Déjà qu'en temps normal, quand c'est nécessaire, on a du mal à trouver des gens... Non, personne surveille. Et aucune caméra n'enregistre actuellement. Ça, je suis allée vérifier.
— Pourquoi ?
— J'imagine que j'avais besoin de te parler librement. Te dire que t'es pas seule. Et je sais que c'est super hypocrite, parce que c'est mon travail du moment de te torturer. Mais moi aussi j'ai...
— T'es juste une connasse.

Céleste lança un regard en direction d'une caméra. Elle lui sourit, puis se retourna vivement vers Lola, qui eut un mouvement de recul incontrôlé.

— Dommage qu'il n'y ai pas de caméras. Je peux parier que ces pervers auraient adoré pouvoir voir ça, annonça la blonde.

    Elle ne réfléchit pas à ce qu'elle allait faire. Elle en avait envie. Non, pas envie, elle en avait besoin. Elle en avait besoin parce que c'était un moyen de reprendre le contrôle sur son corps. Un moyen de chasser la peur avant qu'elle ne puisse s'installer. Tous les autres corps n'étaient pas des menaces. Seul celui Jean en était une. Elle ne voulait pas craindre les autres. Elle ne voulait pas qu'on lui arrache le droit de se sentir en confiance dans son corps.

    C'était son moyen de récupérer ce droit arraché et de s'y accrocher fort. Son moyen de se rendre invincible malgré la douleur, malgré la peur, malgré la colère, malgré l'injustice et le viol. Elle ne pouvait pas attendre, elle ne pouvait pas s'enfoncer plus longtemps dans les sables mouvants dans lesquels Jean l'avait mise.

    Céleste embrassa Lola-Dolorès.

    Lola-Dolorès embrassa Céleste.

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