5. Rouge
Je déteste le rouge.
Je déteste le rouge depuis que je suis entré dans cette salle aux murs écarlates. Comme si on avait tué quelqu'un avant d'étaler son sang un peu partout. Ça me donne envie de vomir.
Ce que je déteste, aussi, c'est la voisine. C'est de sa faute, si on m'a enlevé ma famille. Pourtant, avant, j'étais bien plus heureux que maintenant.
La dernière fois, j'ai tué plusieurs scientifiques. Pour se venger, les survivants m'ont séparé de 15. Ça m'a complètement détraqué, comme d'habitude. Lui aussi, d'ailleurs, il n'a pas apprécié. On ne supporte pas d'être loin de l'autre. Je ne sais pas expliquer ce que ça provoque, on dirait qu'on m'arrache le cœur, qu'on creuse dans ma poitrine avant de le saisir et de le tirer loin de moi. La douleur est atroce.
Je crois que je suis complètement fou.
Parfois, je me demande si je serais capable de tuer de sang froid. Sans colère, sans tristesse, sans rien ressentir. Parce que, même si je les détestais tous, je regrette d'avoir tué. En fait, c'est plutôt une sorte de colère contre moi-même. Je deviens le monstre qu'ils veulent que je sois.
Ils ne liront pas ça. Personne ne le lira. Je vais le cacher entre ma chaussette et mon pied, ce morceau de papier. Personne ne le lira.
Ici, il a Roméo et Juliette, mais c'est une version simplifiée. Je l'aime bien tout de même, je l'ai lue trois ou quatre fois. Il faut dire que j'en ai, du temps, ici. Maintenant que je suis rouge, ils me fichent la paix : ils ont peur de moi. Je suis apparemment devenu trop puissant, ça leur fait peur. Qu'ils me craignent, ça m'embête aussi, parce que je ne peux pas m'empêcher de me souvenir de ce petit garçon qui n'aurait jamais levé la main sur quelqu'un.
Enfin, je n'ai plus six ans. C'est normal, de changer.
Si j'avais grandi avec mes mères, tout aurait été plus simple.
Il ne faut pas non plus qu'Anubis lise ça, sinon elle va s'énerver en me disant que je ne dois pas ruminer mon passé comme ça. On ne peut pas changer le passé. Je crois que Cal serait d'accord, aussi. Ils ne se laissent pas beaucoup de temps pour être malheureux.
Moi, c'est différent. Je pense que je ne dois pas cacher ça. Le cacher à moi-même, je veux dire. Les autres n'en savent pas grand chose, de mes pensées. En réalité, ils ne sont au courant de rien : pourquoi je suis arrivé là, mon enfance, mes premières expériences...
D'un autre côté, eux non plus ne racontent pas grand chose. Ça doit être un moyen pour nous de garder la tête hors de l'eau, nos souvenirs. Ou pas, je ne sais pas, je ne connais pas les leurs. Pour moi, c'est ce qui m'empêche de me noyer : l'espoir fragile de revoir mes mères un jour.
C'est fou que je sache encore écrire. Ça me rassure. C'est elles qui m'ont appris, d'ailleurs. Romane s'impatientait vite, mais elle adorait regarder quand Amélie m'apprenait. Il y avait une part de magie dans cet apprentissage. Y repenser fait naître une boule dans ma gorge. Au moins, ça montre que je suis toujours humain : j'ai des sentiments.
Trop de sentiments. Tout est toujours emmêlé.
En ce moment, 15 est couché sur mes jambes. Il est un peu lourd. Il respire calmement et ronronne. Quand 15 ronronne, on dirait un moteur qui se met en marche : il est loin d'être discret. Souvent, je me transforme en tigre et on joue ensemble. Il gagne à chaque fois, mais j'établis mes techniques dans l'ombre. La dernière fois, j'étais presque vainqueur. La prochaine sera la bonne.
Je me surprends parfois à adopter un comportement animal, même en forme humaine. Je ne sais plus tout à fait ce que je suis. C'est à cause de mon pouvoir, ces instincts animaux. Heureusement, je ne réfléchis pas encore comme une fougère. Mais en voyant mon évolution, j'imagine que ça ne tardera pas.
Ici, il n'y a même pas de fenêtres. J'oublie ce qu'est la pluie qui trempe jusqu'aux os, j'oublie les coups de soleil, j'oublie le chant des oiseaux. Ça, c'est quelque chose de terrifiant, oublier.
Je m'habille en noir. Ordre des scientifiques. Un jour, j'ai voulu emprunter les vêtements de Cal, qui eux sont blancs, comme tous ceux des autres prisonniers ici. Immédiatement, quelqu'un est arrivé, en armure, le corps tout entier couvert, brandissant deux tasers. J'ai lâché les habits et pris les noirs. Cet événement m'a prouvé que, quoiqu'il arrive, nous étions surveillés. Jamais seuls.
J'ai bientôt quinze ans, ça, je le sais. Ou peut-être mon anniversaire n'est pas encore arrivé. Je ne sais plus trop quel jour nous sommes. En tous cas, je suis le plus jeune des rouges.
Il va bientôt être l'heure de manger. Je vais cacher ce papier dans ma chaussette pour que Cal et Anubis ne le voient pas. Peut-être qu'un jour, ils le liront. Peut-être pas. Sûrement pas.
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