4. Lou

Lou adorait l'école, petite. Elle aimait tellement qu'elle s'arrangeait toujours pour arriver le plus tôt possible et repartir tard. En fait, Lou était bien différente des autres. Elle jouait avec les garçons, se passionnait pour la médecine, se faisait mal souvent et ne pleurait jamais. Lou parlait aux maîtresses et aux surveillants, Lou allait même apporter des dessins au directeur. Elle aidait à nettoyer le tableau après la classe, adorait monter sur le tabouret pour écrire la date.

Les autres trouvaient ça bizarre, une petite fille comme Lou.

Le petit train-train quotidien a déraillé le 19 septembre de l'année de CM1. Les garçons ne voulaient plus jouer avec Lou, parce que les filles et les garçons, ça se mélange pas. C'est comme du sel et du sucre ensemble, ça ne va pas. Mais pourtant, le sel et le sucre ont exactement la même couleur.

Alors Lou s'est tournée vers les adultes. Elle leur parlait, de tout et de rien. Surtout avec M. Dolmies, parce qu'il avait fait adorait la médecine lui aussi, mais avait raté le concours deux fois.

Et les autres la trouvaient encore plus bizarre, car parler avec les professeurs, ce n'était pas normal pour eux. Encore plus surprenant que mélanger le sucre et le sel, c'était rajouter du poivre dans le sucre.

Les adultes aussi, d'ailleurs, étaient surpris. Mme Santos a gentiment poussé Lou vers les autres de son âge, en disant que c'était important, aussi, d'échanger avec eux.

Le 19 septembre, donc, Lou s'est retrouvée seule dans la cour de l'école. M. Dolmies n'était pas là, il veillait sur sa femme malade. Mme Santos couvait la petit fille d'un regard encourageant. Elle lui désigna même un groupe de sa classe, que des filles. Lou ne les appréciait vraiment pas, mais, pour faire plaisir à la maîtresse, elle s'approcha. Le sourire de la femme s'élargit, alors la fillette se sentit soulagée.

Toutes les filles se tournèrent vers Lou, qui interrompait sans le savoir le jeu de capture de licorne dans lequel elles étaient plongées. Susie, qui incarnait justement la créature pourchassée, soupira.

— Qu'est-ce que tu veux, Lou ?

Lou chercha longtemps avant de répondre. Qu'est-ce qu'elle voulait, au juste ? Faire plaisir à Mme Santos. Mais elle ne pouvait pas dire ça aux filles, sinon elle allait être immédiatement rejetée. Apparemment, les enfants ne devaient pas être amis avec les adultes. On ne mélangeait pas tout à la fois.

— Je peux jouer avec vous ?

Il y eut un court silence. Ariane, chef des chasseuses de licornes, finit par acquiescer. Les autres suivirent.

— Ça tombe bien, j'en avais marre d'être la licorne, informa Susie.

Sur ces mots, elle enleva le manteau d'Ariane et le tendit à Lou.

— C'est toi la licorne, maintenant. Mets le manteau et cours le plus vite possible pour ne pas être capturée.

Susie échangea un long regard avec Ariane. Naïve petit licorne...

Lou n'ajouta rien d'autre et enfila le vêtement, devenant ainsi la licorne aux yeux des filles. Elle détala ensuite, très vite, poursuivie par les autres.

Plus loin, Mme Santos se sentait rassurée. Cette affaire était réglée, Lou allait enfin s'intégrer. Elle rejoignit les autres adultes avec de petits pas rapides. Poivre et sucre ne se mélangent pas.

De son côté, Lou atteignit un coin reculé de la cour de l'école. Elle n'eut pas le temps de comprendre qu'elle se retrouva cernée et bloquée contre un mur. Devant elle, Ariane croisa les bras.

— Si tu crois pouvoir jouer avec nous, tu te trompes.
— T'es bizarre, comme fille.
— On sait que Mme Santos t'aime bien.

Lou se tendit. Elle voulu s'éclipser, mais Ariane attrapa son bras.

— Si tu retournes voir Mme Santos, elle va venir nous obliger à jouer avec toi.
— Mais nous, on n'a pas envie. T'es nulle. Même en licorne, t'es nulle, fit Johanna.
— Alors voilà ce qu'on te propose. Tu peux rester avec nous, mais tu dois faire exactement tout ce qu'on te dit, d'accord ? Comme ça, Mme Santos sera contente et ne viendra pas nous embêter.

Ariane serrait fort le bras de Lou. Cette dernière tremblait, regrettant d'avoir écouté Mme Santos. Elle voulait juste disparaître, partir loin de tout ça. La gorge nouée, elle fut incapable de prononcer le moindre mot.

— Allez, tu es d'accord ? la pressa Susie.

Lentement, Lou acquiesça. Elle ne voulait pas décevoir la maîtresse en revenant bredouille.

C'est alors que commença l'enfer.

Au début, ce n'était rien de bien méchant. « Fais le chien. » « Fais semblant d'être un canard pendant toute la récréation. » « Fais semblant de dormir. » « Va chercher Susie. » « Va dire à Nathan que je suis amoureuse de lui. »

C'était Ariane qui dirigeait le plus. Mais d'autres lui donnaient des ordres, aussi. Susie, Johanna, Roxane. Puis, ça a été toute la bande.

Et les choses ont dégringolé.

« Mange l'herbe là-bas. » « Va dans les toilettes des garçons. » « Dis à Jules que tu l'aimes. » « Fais le serpent pendant toute la pause de midi. » « Fais semblant d'être mon chien pendant toute la journée. » « Fais un bisou sur la bouche à Mathéo. »

Lou a commencé à refuser. Elle ne pouvait pas, tout simplement. Elle ne voulait pas non plus.

Ce jour-là, Susie avait dit :

— Va baisser la jupe de Lily.

Lou avait refusé. Lily ne lui avait rien fait de mal, puis elle était en CM2. Immédiatement, Ariane était arrivée à la rescousse de son amie.

— Lou refuse de faire ce que je lui demande.

Ariane avait cette force qui poussait les autres à lui obéir. Elle était crainte par beaucoup. Quand elle était en face de Lou, cette dernière ne pouvait s'empêcher de regarder ses chaussures, soumise. Susie aussi, d'ailleurs, était intimidée.

— Regarde, Su'. C'est comme ça qu'on punie les filles pas sages comme Lou.

Le coup était partit, sans que personne ne s'y attende. La gifle avait fait titubé Lou, qui sentit les larmes déborder de son regard.

— Maintenant, tu vas obéir à Susie.

Et Susie avait remercié Ariane, avant de lever la main pour avoir l'attention de Lou.

— Assis.

Lou s'était assise sur le sol boueux.

Mais bien vite, la même scène s'était produite. Ariane avait découvert que frapper les autres, ça lui donnait encore plus de pouvoir. Alors, elle avait commencé à battre Lou, à la rouer de coups, à la traîner dans la boue. Et, toujours, les autres qui regardaient, rabaissaient la fillette, se moquaient d'elle.

Peu à peu, Lou compris qu'elle n'avait le droit de se mélanger avec personne. Elle n'était ni compatible avec le sel, ni avec le poivre et encore moins avec le sucre.

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