2. La folie de Pierre Écorchée.

Il faisait nuit. Pas une nuit noire. Ni une nuit lumineuse. Non, le ciel se teintait d'un éclat céruléen. Quelques étoiles tentaient d'éclairer ce voile si sombre qui recouvrait la forêt. Aucune chance, car la lune refusait d'apporter son aide rassurante.

Une branche tressaillit lorsqu'un écureuil prit la fuite.

Un chat apparut. Les buissons et les fougères semblaient s'incliner sur son passage. Le silence devint presque assourdissant. Aucun oiseau ne chantait. Aucun murmure du vent ne faisait trembler les feuilles.

Il n'y avait que ce chat, les étoiles et la nuit.
Il n'y avait qu'un assassin, des lumières et l'ombre.

On lui disait que la nuit portait conseil. Et pourtant, il ne savait toujours pas quoi faire. Comment réagir à la menace qui planait sur lui ?

Un bruissement dans un arbre déchira l'air. Une arrivée déchira la nuit calme.

Le chat leva la tête. Était-ce bien elle ?

Cervelle de souris, bien sûr que c'est elle !

En effet, une chatte apparut au-dessus du matou. Il tressaillit, immobile. Elle sourit, carnassière.

– Tu viens me tuer, Lys. Je le sais. Tu viens me tuer parce que j'ai tué ta sœur.

La dénommée Lys ne bougea pas. Son sourire, toute son attitude était trompeuse. Au fond d'elle même, elle tremblait. Tenir debout sur cette branche devenait peu à peu un exploit, à mesure que la peur la gagnait.

Elle ne répondit pas.
Il ne bougea pas.

– Qu'attends-tu ? Je suis là, je suis à toi. Qu'attends-tu ?

Sa voix restait calme. Mais ses yeux dévoilaient tout. Ses yeux révélaient son âme, ses pensées, ses sentiments. Seuls ses yeux ne mentaient pas. Ils luisaient de colère, de honte, de regret. Non, il n'avait pas peur. Il attendait ce moment. Il savait qu'il finirait ainsi. Son clan ne voulait plus de lui. Ils étaient partis. Sa compagne le rejetait, le reniait.

Et pour cela, qu'avait-il fait ?
Méritait-il ce traitement ?

Oui. Bien sûr qu'il méritait cette punition. Il méritait plus, même.

Car il avait tué sa sœur.

Et maintenant sa sœur viendrait le tuer.

Lys, adorable.
Lys, innocente.
Lys, naïve.

Lys, cruelle.
Lys, dangereuse.
Lys, tueuse.

Elle avait tant changé !
Pourquoi avait-il tué ?
Pourquoi ?

Lui-même ne pouvait se l'expliquer.

– Lys, fais ce que tu as à faire. Ne perdons pas un temps qui t'es précieux. Tue-moi, Lys. Tue-moi.

Mais Lys ne voulait pas.
Lys ne pouvait pas.

Devait-elle vraiment assassiner son frère ?

Ce frère qui l'avait toujours supporté.
Ce frère qui refusait toujours d'abandonner.
Ce frère qui maintenant ne possédait plus rien.

Oui, ce même frère avait aussi tué une sœur, sans raison apparente.
Il avait menacé le chef du clan. Il avait blessé sa compagne adorée.

Était-il fou ?

Lys se secoua. Elle devait le tuer.

Parce qu'il avait supprimé la vie de sa sœur.
Parce qu'il avait trahi son clan.
Parce qu'il n'attendait que cela.

La mort.

Ce dernier souffle, il l'avait souhaité tant de fois.

Oui, le traître désirait mourir. Il le désirait de tout son cœur, depuis qu'il avait complètement perdu le contrôle sur cette soif de sang qui le terrorisait.

– Lys, je t'en supplies... s'il te plaît, s'il te plaît.

Alors elle se décida.
Et se laissa tomber, griffes sorties, sur son frère.
En ayant l'impression que son cœur se déchirait.
Et qu'une moitié tombait dans un gouffre infini.

Le chat se crispa.
Il voulut se laisser tomber au sol.
Faciliter la tâche à sa sœur.

Mais son corps refusa. La folie le submergea. La soif de sang l'emprisonna.

Il poussa un hurlement, se cabra et roula au sol.

Lys cracha, comprenant à qui elle avait à faire.

Ce n'était plus son frère.
C'était... un démon.

Oui, le mot démon qualifiait bien la créature qui se tenait devant elle : les yeux révulsés, le regard haineux, les pattes tremblantes, les griffes plantés dans la terre, les lèvres déjà recouvertes d'une étrange mousse verdâtre.

Lys esquiva l'attaque suivante. Ses réflexes de guerrière l'aidaient beaucoup. Elle se projeta en avant, griffa le museau sensible de son adversaire, glissa sous son ventre et y laissa une longue entaille.

Ce n'était pas son frère qu'elle combattait. Il ne fallait pas y penser. C'était un traître, un meurtrier, un démon.

Intérieurement, Lys le surnomma Démon de Sang. Car ce n'était pas Pierre Écorchée qui possédait ce regard éteint.

Le mâle, recula, tituba, grogna. Repartit à l'attaque.

Lys gémit en recevant la cruelle morsure à l'épaule. Feula en sentant le sang couler de son oreille à moitié arrachée. Hurla quand il lui tira la patte arrière d'un coup sec, la déboîtant presque.

Elle était à la merci de Démon de Sang.

– Pierre Écorchée... c'est moi. Lys, Lys Fleuri.

Le matou s'arrêta. Dans son regard, la tempête ferait rage. Lys en profita pour se remettre debout. Plus que jamais, déterminée à délivrer son frère de l'emprise de cette soif de sang.

Elle chargea, ignorant la douleur qui explosa dans sa patte arrière. Bondit, s'agrippa au dos de son ennemi.

Il se cabra, prêt à se laisser tomber pour l'écraser sous son poids. Mais Lys s'y attendait, et, aussi vive qu'un serpent, lui attrapa sauvagement la gorge.

Quand il rua dans tous les sens, elle ne lâcha pas.
Quand elle sentit le goût du sang dans sa gueule, elle ne desserra pas les crocs.
Quand la deuxième partie de son cœur se brisa en des millions de petits morceaux, elle ferma les yeux.

Démon de Sang poussa un râle.

Alors Lys le lâcha et ouvrit les yeux.

Pierre Écorchée était de nouveau là. Lys se laissa tomber près de lui, le poil maculé de sang.

– Non, non, non... Pierre Écorchée...

Le matou la fit taire d'un regard qui, déjà, se voilait.

– Merci... Lys, merci.

La chatte fut secouée d'un violent tremblement.

– Ne me laisse pas... ne me laisse pas !

Il sourit, son dernier sourire.

– Tu te débrouilleras très bien... fais attention... à toi.

Il soupira, son dernier soupir.

Et son regard se figea sur une dernière expression de joie sereine.

Lys cria. Elle cria sa douleur, sa colère, sa détresse, sa peur. Et puis, le remord qui la rongeait, plus tôt qu'elle ne l'imaginait. Ce remord qui pourrait bien la détruire aussi.

– Pourquoi ? Pourquoi ! Je suis tellement désolée...

Puis Lys se leva. Les pattes frêles, elle creusa jusqu'à ce que ses griffes lui fassent trop mal. Elle y enterra son frère, sans cérémonie, sans veillée. Elle déposa juste quelques fleurs sur le petit monticule de terre.

Elle était une solitaire à présent.

Et ne désirait plus rien d'autre que la solitude.

Alors elle partit, au hasard.

Abandonnant derrière elle cette tombe si tristement fleurie.

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