Chapitre 2

Mes pas m'ont finalement mené à la plage se dressant juste derrière la maison. L'air marin, l'odeur des embruns et le bruit des vagues m'ont attiré comme une abeille vers le miel.

Assis dans le sable, les coudes sur les genoux, je tire une nouvelle taffe sur ma cigarette. Trois ans que j'avais arrêté. Il faut croire qu'à la moindre contrariété, je reprends. C'est la quatrième fois en vingt ans que je replonge. Ça me dégoûte, mais dans un sens, j'en ai besoin. Cette sensation qu'une latte puisse faire tout oublier, me faire penser à autre chose. Elle est fausse, évidemment, mais le temps de quelques secondes, j'ai envie d'y croire.

— Vous êtes son portrait craché.

Trop englué dans mes souvenirs, je n'ai pas entendu que quelqu'un approchait. Je sursaute et, du même coup, fais tomber ma clope. Je grommelle pour la forme – elle n'était pas finie –, mais au fond, ça m'arrange ; mon temps de vie aura sans doute une chance de se voir rallongé.

Un coup de canne sur mon épaule me fait pousser un cri.

— Dites donc, qui vous a élevé ainsi ? s'insurge la grand-mère. Votre sœur avait plus d'éducation.

Je retiens de justesse un hurlement douloureux. La boule dans ma gorge ne cesse de grandir et bientôt, je vais manquer d'air. Entendre parler de Debra au passé me fait un mal de chien. Je n'arrive invariablement pas à considérer qu'elle n'est plus. J'aimerai beaucoup la voir courir vers moi, me sauter dans les bras et m'ébouriffer les cheveux, comme elle a toujours adoré le faire.

Je relève la tête pour m'insurger contre cette inconnue qui me juge et se permet de me frapper, mais lorsque je vois son visage jovial et ses yeux pétillants, je ravale ma colère. Ses fossettes qui entourent sa bouche sont tellement mignonnes, que je les regarde avec sûrement trop d'attention. Ce constat me fait glousser, mais je me reprends très vite lorsque je croise ses yeux marron qui se plissent. Son chignon poivre et sel laisse échapper quelques mèches qui encadre son visage, la rajeunissant un peu.

Quand je me rends compte que je l'ai dévisagée beaucoup trop longtemps, je me relève et époussète mon pantalon rempli de sable. Je n'oublie pas de récupérer le reste de ma cigarette, qui a eu le temps de s'éteindre d'elle-même, au contact des grains blancs.

— Vous connaissiez Debra ? demandé-je d'une voix tremblante.

Elle n'a pas le temps de répondre que je me rends compte de ma question bête. Évidemment qu'elle la connaissait ; elles habitaient dans le même village depuis des années. Il est assez petit pour que chaque personne se soit croisée au moins une fois...

— Pardon, c'était idiot de ma part. C'est logique, reprends-je en vitesse.

La vieille dame penche sa tête sur le côté et me lance un sourire rassurant.

— Chaque phrase a son importance et rien n'est bête, tant que l'on s'en rend compte.

Attendri, je soupire malgré tout mentalement. En ce moment, je n'ai pas besoin de trait d'esprit.

— Elle m'a si souvent parlé de vous que j'ai l'impression de vous connaître depuis longtemps.

Je n'ai pas su retenir le ricanement qui sort de ma bouche.

— Croyez-moi, vous ne me connaissez pas. Je ne suis pas comme Debra, loin de là.

— Vous avez raison. Vous êtes vous, unique. Debra était elle, unique aussi. Chaque être humain sur cette terre a ses particularités qui le rend exceptionnel.

— Deb' était cependant meilleure que je ne le suis.

— Ne vous sous-estimez pas, Joshua. Personne n'est mieux qu'un autre. Nous avons chacun nos qualités et nos défauts. À nous de trouver quoi en faire et comment s'en servir à bon escient.

Je ne m'étonne même pas qu'elle cite mon prénom et rumine notre échange car au fond, je sais qu'elle a raison. Néanmoins, je ne peux pas avoir encore cette pensée, quand je reste persuadé que la meilleure partie de moi s'est désolidarisé de moi.

— Il me semble que vous avez une jeune fille ?

Sa question est tellement impromptue, que je sursaute. Les yeux grands ouverts, je la regarde, sans pour autant trouver de répartie. Y'en a-t-il une, d'ailleurs ?

— Comment estimez-vous son éducation ?

Cette fois, je prends le temps de réfléchir. Même si j'ai envie de lui rétorquer quelque chose sarcastique, je comprends vite qu'elle attend de moi que je sois sérieux.

Soit.

— Dans le respect de l'autre.

Elle hoche simplement la tête et laisse son regard voguer vers l'horizon. J'en fais de même et sens l'eau me chatouiller les pieds. La mer est montée et le temps a filé sans que je ne m'en rende compte.

— Donc, vous êtes un homme bon.

Je ne m'attendais pas à ce qu'elle continue notre conversation, alors ses mots sont comme un électrochoc. La bouche grande ouverte, je n'arrive cependant pas à dire quoi que ce soit.

La vieille dame me tapote gentiment la main et coince ensuite son bras dans le mien.

— Voulez-vous bien me raccompagner au centre-ville ? Mes jambes ne sont plus ce qu'elles étaient durant ma jeunesse.

J'acquiesce automatiquement et nous revenons sur nos pas.

— Et puis, se promener en bonne compagnie n'est pas déplaisant, conclut-elle, mutine.

Et pour la première fois depuis des heures je souris honnêtement tandis que mes épaules se délestent d'une partie du poids qu'elles portent depuis des jours.

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