Quand il jouait, le temps s'arrêtait. Ses doigts habiles couraient le long du manche sans aucune hésitation, à un rythme parfaitement maîtrisé.

La tête baissée dans une attitude concentrée, il laissait ses cheveux noirs glisser sur son front jusqu'à recouvrir entièrement son visage.

L'espace d'une seconde, il les voyait. La scène, les projecteurs, la salle pleine à craquer...

Et tout déraillait.

Ses mains s'embrouillaient avant de lâcher l'instrument qui s'affaissait sur ses maigres épaules. Entraîné par son poids comme par le désespoir qui l'accablait, il se laissait tomber lourdement sur la moquette gris sombre de sa chambre.

Il ne pouvait pas.

Serrant les dents pour refouler les larmes qui perlaient au coin de ses yeux bleu orageux, il se maudissait.

Il maudissait ses traits féminins, il maudissait la poitrine que même son large sweat noir ne pouvait cacher, il maudissait les regards moqueurs ou méprisant des autres, il maudissait tous ceux qui l'appelaient encore « mademoiselle », il maudissait ses parents de lui avoir donné vie.

Il ne supportait plus d'être « elle ».

Il ne pouvait hurler, alors il jouait.

Il jouait et chantait, s'écorchait les mains et la voix, s'acharnait sur sa guitare jour et nuit, son casque enfoncé sur ses oreilles.

Un jour, peut-être, cette dernière le sortirait de sa solitude.