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-Est-ce que je peux la voir, s'il te plaît...?
-Je t'ai déjà dit que ce n'est pas le bon moment, Éric !
-Lucie est ma compagne quand même !

La voix d'Éric résonnait dans l'entrée de l'appartement de Fanny. Quand Lucie avait débarqué chez sa grande sœur les yeux rougis et la mine défaite, cette dernière l'avait serrée dans ses bras sans poser de question , sachant que sa petite sœur vivait un véritable dilemme ces dernières semaines.

-Il faut absolument que je lui parle! Réitéra Eric.
-Elle dort , tu peux le comprendre?
-Non! Je dois lui parler, laisse-moi entrer !

Lucie ferma les yeux comme pour occulter tout ce qui se passait autour d'elle. Si seulement elle pouvait être dans une bulle, loin du tumulte. En fond sonore, elle entendait Éric revenir à la charge et Fanny lui refuser l'accès. Sa sœur était un rempart pour elle, une âme aimante et protectrice en l'absence de leurs parents toujours en vadrouille sillonnant le monde par monts et par vaux. Du bout des doigts, elle caressa la dentelle de l'oreiller et soupira, soudain très lasse. Elle avait besoin de repos pour y voir plus clair. Dans le vestibule, Fanny haussa le ton, ce qui n'était jamais bon signe.

-Bon tu vas gentiment t'en aller! S'éxaspéra-t-elle. Si Lucie ne veut pas te parler, elle en a le droit, bon sang! Elle est assez grande à ce que je sache!
-Mais elle...
-Je vais être gentille et refermer ma porte et compter jusqu'à trois! 1,2...
-Tu me prends pour un gamin  ou quoi? Fulmina Éric.
-Il me semble que je suis encore chez moi et jusqu'à preuve du contraire, tu te comportes comme tel!

Et la porte d'entrée claqua. Lucie expira le souffle qu'elle retenait et toute la tension retomba instantanément. Elle ne désirait plus le voir pour le moment ; il lui avait gâché sa soirée. Sa grande soeur ouvrit doucement la porte et vint s'asseoir à ses côtés. Elles se dévisagèrent longuement et Fanny lui caressa la joue pour lui témoigner son soutien et toute sa tendresse.

-Tu as interêt à me raconter Lucie. Je ne suis pas là pour te juger mais il me faut un minimum d'infos pour comprendre.
-Éric a dit à Maël que j'étais enceinte, dit-elle de but en blanc.
-Pardon?!

Abasourdie, Fanny jeta un regard furtif vers le ventre de sa petite soeur.

-Et c'est... c'est vrai?
-Mais non ! Il a menti.
-Pourquoi?!
-Il ne supporte pas Maël et a voulu le blesser.

Lucie soupira de nouveau. Elle s'était sentie bien bête devant Maël. Mais, que faisait-il là, lui aussi? Ne lui avait-elle pas interdit de venir à la soirée?

-Et comment a réagi Maël? Demanda Fanny, à présent curieuse.
-Mal, tu te doutes. Mais je suis partie avant que ça ne dégénère.
-Tu penses qu'il croit ce qu'a dit Éric?
-J'en suis sûre vu sa tête !

Le regard déchirant de Maël l'avait bouleversée et avait fait rejaillir des sentiments enfouis en elle depuis trop longtemps. Elle n'avait su quoi lui répondre en public. Par la fenêtre, Lucie pouvait voir les voitures passer et s'éloigner. Elle voulait s'éloigner, elle aussi. Partir loin de tout...

-Fanny, je crois que j'ai besoin de prendre du recul.
-Tu penses que c'est le bon moment ?
-Si, il le faut. Je pense rejoindre Papa et maman pour quelques jours.

Ses parents se trouvaient dans l'hémisphère sud, là où il faisait bon vivre. Elle avait besoin de ce soleil qui panserait ses inquiétudes, et l'aiderait à ne plus ressasser. Seulement se reposer. Sa soeur sourit et lui ébouriffa les cheveux comme elle l'aurait fait à son fils Enzo dans ses moments chagrin.

-Profite ma Lulu et reviens nous en pleine forme. D'accord?

En pleine forme, elle l'espérait... Sur le trajet du retour, elle prévint ses parents de sa venue et réserva son billet de vol pour la nuit. Une excitation nouvelle l'envahit et elle se surprit à vouloir boucler sa valise pour prendre le large. Une fois au pied de son immeuble, Lucie monta les escaliers avec appréhension. Elle n'avait pas envie de faire face à Maël ; c'était bien la dernière chose qu'elle souhaitait en cet instant. Hésitante, elle ouvrit la porte. L'appartement était silencieux, ce qui la soulagea.

Elle consulta sa montre, consciente qu'elle avait très peu de temps pour rassembler ses affaires. Oui, ces vacances improvisées allaient lui faire du bien. Elle s'activa tant et si bien qu'il lui fallut moins d'une heure pour boucler ses bagages et récupérer son passeport. Dans le couloir, elle passa devant la chambre de Maël. L'entre-bâillement de la porte l'invita à pénétrer dans l'antre de cet adolescent mi-homme, mi-enfant qui était parvenu à dévier, sans le savoir, la trajectoire de sa vie.

La jeune autrice sourit, une chambre qui était bien à l'image de son  propriétaire. Des vêtements étaient vaguement empilés sur une chaise, sur le lit en bataille jonchaient  tee-shirts, cahiers et des feuilles de cours s'étalaient à même le parquet. Dans sa bibliothèque trônaient des livres volumineux et Lucie se demanda s'il les avait vraiment lus. Elle caressa du bout des doigts le bureau de ce futur bachelier, et son cœur s'immobilisa un court instant lorsqu'elle vit son dernier roman qui avoisinait des articles de magasines. Curieuse, elle s'en saisit, non sans marquer un temps d'hésitation, par scrupules sans doute. Mais, elle vit son visage sur ces coupures de presse. De nombreuses photos d'elle : l'une en pleine séance de dédicace, une autre où elle souriait insouciante et encore elle à une soirée littéraire. Prise d'une soudaine tristesse, Lucie remit en place les articles et sortit rapidement de la chambre. L'âme ébranlée, elle quitta hâtivement l'appartement  et se retrouva devant l'immeuble aussi vite que possible. Son taxi réservé au préalable l'attendait face à la porte cochère. Alors qu'elle jeta un dernier regard à la façade de l'immeuble, elle entendit un cri dans la rue :

-Lucie!!

La jeune femme reconnut instinctivement Maël. Alors sans perdre un instant, elle s'engouffra dans le véhicule tandis que ce dernier criait à nouveau son prénom. Ce ne fut qu'une fois installée qu'elle osa un regard à travers la vitre fumée, le cœur serré. L'adolescent courait vers elle, délaissant ses trois amis au bout de la rue. Mais le taxi démarra, abandonnant derrière lui un jeune homme à bout de souffle.

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