9) La guerre des clans
La fille qui se trouvait à présent en haut de l'estrade improvisée avait un physique tout à fait singulier. Sa peau foncée était parcourue de longues plaques blanche dépigmentées, lui procurant une originalité non des moindres. Elle avait une carrure athlétique si bien que l'on voyait les muscles de ses bras saillirent à travers les manches de sa robe de cuire. Ses vêtements n'offraient pas le moindre doute quant à son clan: elle était indienne.
-Lili la Tigresse, chuchota un garçon perdu à ma droite.
Je tournai la tête vers lui. Il devait avoir une quinzaine d'années et son nez rougit par la fraîcheur du temps était agrémenté de petites lunettes rondes au verre brisé. Il me lança un sourire timide auquel je n'arrivai pas à répondre. La douleur de mon abdomen m'en empêchait.
-Bonjour à tous ! clama ladite Lili d'une voix claire.
-Tigresse ! brailla une petite fille indienne d'environ trois ans.
L'intéressée baissa les yeux vers l'enfant et lui envoya un baiser avec sa main, provoquant le rire de la foule. Et bien, le moins que l'on puisse dire c'est que la jeune femme avait du succès.
-Comme vous le savez, reprit Lili, mon clan revient bientôt avec assez de gibier pour nourrir tout le monde et...
-Vous ne ramenez jamais assez de gibier ! beugla un homme qui, au vu de son âge avancé et de son visage balafré, devait probablement être un pirate.
Les yeux de Lili se rapetissèrent de colère, lui donnant un air menaçant que je ne lui soupçonnais pas. Elle n'appréciait pas qu'on la coupe et sa manière condescendante de toiser l'homme me poussa à m'interroger sur son rang au sein de la hiérarchie du camp.
-C'est pour cela que seuls les enfants de moins de quinze ans sont restés au camp cette fois-ci et que les femmes ont exceptionnellement participé à l'expédition, cracha l'indienne avec une moue dédaigneuse. Je disais donc: les chasseurs reviennent et le Haut Conseil m'a confié l'attribution des tâches pour la suite de la journée.
-Pourquoi une catin dans ton genre nous donnerait des ordres ! cria un second pirate par dessus la foule.
Il fut rapidement salué par ses camarades à force de tonitruants sifflements et nombreux rires gras.
-La catin n'hésitera pas à couper ta virilité si tu continues, riposta Lili.
Le groupe de pirates, à présent parfaitement identifiable parmi les quelques deux-cents autres personnes, hua la remarque de la pauvre femme que j'en venais à plaindre.
-Ils sont insupportables, grinçai-je essayant de couvrir de ma voix l'agitation de la foule.
-Pas tous, me répondit Natael, mais la plupart des pirates manque cruellement de délicatesse, effectivement.
-Ça suffit ! s'époumona Lili en tapant du pied sur son rocher. Taisez-vous ! La répartition doit être faite avant le retour des chasseurs.
-Sinon quoi ? Peter Pan te donnera la fessée ? On sait tous que tu en rêves, Tigresse.
Les rires et les piques grossières continuèrent de fuser sous l'œil blasé des garçons perdus. L'indienne ayant eu la présence d'esprit de cesser de répondre à leurs sarcasmes, les rustres abandonnèrent finalement leurs infantilités.
-Bien, reprit-elle avec moins d'aplomb, ainsi donc le dépeçage sera effectué par les pirates, le salage par...
-Non mais ça va pas ! On a déjà dépecé la fois dernière ! C'est le tour des gars de Peter Pan maintenant, vociféra une voix masculine que, sans avoir besoin de me retourner, j'identifiai encore appartenir à un de ces abrutis de pirates immatures.
-T'as raison Owen ! C'est dégueulasse de gruger comme ça ! renchérit un autre homme.
-On va pas obéir à une putain en peau de bête !
Bientôt le camp fut le théâtre d'une cacophonie épouvantable, chacun y allant de son argument ou de sa doléance. Par dessus le bruit Natael m'apprit que les trois clans s'étaient réunis trois ans auparavant et que depuis, chaque situation était prétexte à dispute. J'avais la sensation de me retrouver en plein cœur d'une cour de maternelle, estomaquée par les chamailleries puériles des clans alors que leur monde était à l'agonie.
Ma tête tournait sous le bruit omniprésent qui vrillait mes tympans. La plainte toujours plus douloureuse de mon abdomen me lacérait de l'intérieur. La souffrance était un véritable supplice et menaçait de me faire tourner de l'œil. Je m'étais déjà évanouie trop de fois depuis ma visite nocturne de l'hôpital, inutile de remettre ça. Je devais pourtant me faire violence car les insupportables beuglements des pirates et de l'indienne n'arrangeaient pas les choses. Dans un vain effort pour calmer la torture, je fermai les yeux en priant pour que tout ceci cesse.
Brusquement, un silence tombal s'abattit sur le camp. Plus un bruit, plus une insulte, plus aucune joute verbale. Le silence, libérateur. Inattendu. Suspect. Que se passait-il encore ? J'ouvris les yeux et comprit. Sur le rocher, au côté de Lili La Tigresse, Peter Pan avait prit place. Il toisait l'assemblée avec son calme froid si angoissant, tel un reptile attendant le bon moment pour se jeter sur sa proie. Au fond de ses prunelles émeraudes luisaient l'éclat d'une incommensurable fureur. Toujours là, son éternelle colère ne semblait vouloir quitter son âme à la manière d'une ombre veillant sur son propriétaire. Je me demandai vaguement quelle était la cause du trouble de son esprit. Il ne pouvait toujours avoir été comme ça, les garçons perdus semblaient bien trop le vénérer, là, accrochés à ses lèvres tels des pantins sans jugement.
Lili toisait le beau diable avec une adoration évidente, ses yeux papillonnant de niaiserie. Je ne pus retenir un rictus dépréciateur devant cette adulation excessive. Natael me lança un regard interrogateur, sans oser briser le silence qui semblait de rigueur en présence du leader tant respecté.
-La fille sur le cailloux, elle regarde Peter comme un poney énamouré, déclarai-je simplement sans m'alarmer d'être entendue par tout le monde.
Natael baissa les yeux vers le sol pour pouffer en silence, retenant difficilement son fou rire. Quand je portai à nouveau mon regard vers le promontoire, j'eus la confirmation que la surdité n'était pas une propriété intrinsèque au Neverland. Lili, rouge pivoine, me jetait un regard assassin tandis que Peter me fixait un léger sourire en coin rehaussant sa pommette droite. Plutôt que de m'en réjouir, je déglutis péniblement. Les sourires de Peter avaient tendance à être tout sauf annonciateurs de bonnes nouvelles.
Il se tourna finalement vers la sombre forêt à l'entrée de laquelle j'aperçus arriver de nombreux hommes et femmes. Leurs visages étaient recouverts de peintures rouges, ocres, brunes et blanches traçant de brutales combinaisons de dessins guerriers. Leurs yeux sombres et leur peau mâte se fondaient avec perfection dans l'obscurité des frondaisons tels des esprits sortis tout droit des limbes. Ils s'arrêtèrent à la lisière, attendant probablement les directives de leur chef. Deux hommes se détachèrent du groupe pour s'avancer dans le large espace vide entre l'entrée du camp et celle de la forêt, puis se positionnèrent sous le promontoire. Je reconnus Hook comme étant l'un des deux. Son épaule avait l'air d'aller mieux et je ne sus pas vraiment si je devais m'en réjouir ou non.
-Comment s'est déroulée la chasse ? interrogea sans détour le personnage en tenue de peau de bête debout à la gauche du capitaine.
Les chasseurs répondirent par un grondement éloquent. Leurs visages fermés et tracassés ne supposaient aucun doute quant à leur expédition: il y avait eu un problème. En regardant mieux, je me rendis compte que certains pleuraient silencieusement, leurs corps traversés de sanglots discrets. Une confusion palpable commença à courir dans la foule, les clans s'alarmant progressivement de l'attitude inhabituelle des Indiens.
-Votre chef Akecheta vous a posé une question ! aboya Lili, remise de son humiliation précédente.
Au terme de longues secondes, un homme s'avança finalement. Il portait un arc en travers du dos et ce qui ressemblait à un lièvre avec des sabots pendu à sa ceinture. Son visage abîmé et strié de pointillés rouges était déformé par la douleur. Il brandit un poing rageur au dessus de sa tête, une expression vengeresse torturant ses traits.
-Vous les avez tué ! C'est votre faute ! Elles sont mortes !
Ses cris se transformèrent en sanglots déchirants, bientôt repris par les autres chasseurs. Certains hurlaient de colère et de peine, brisant le silence par des plaintes qui fendaient l'âme. Les garçons perdus se regardaient sans comprendre, les yeux écarquillés. La peine des Indiens eu tôt fait de gagner les rangs, si bien que rapidement les yeux des plus jeunes se retrouvèrent brouillés de larmes également et que même les pirates parurent attristés par la tragédie que les Indiens vivaient. Qu'était-il donc arrivé ? Personne ne savait vraiment ce qu'il ce passait et pourtant tous étaient affectés par la peine qui transcendait les corps harassés des chasseurs. Seul Peter dévisageait la scène imperturbable, le visage figé dans une attitude de profond mépris. Je regardai ce beau monde stoïque, ne sachant s'il fallait rire ou pleurer de ce déferlement soudain d'émotion. Chacun semblait prendre part à l'émulsion des sentiments des chasseurs mais je n'y arrivais pas moi-même, me contentant de ne ressentir qu'un grand malaise, embarrassée par cette situation grotesque.
-Qui est mort ? demanda enfin Akecheta, vivement agacé par les semi-informations communiquées par l'indien.
Le sanglots diminuèrent, laissant place à une haine fébrile. L'homme qui avait parlé renifla bruyamment et redressa son dos courbé par la tristesse, une pugnacité nouvelle dans le regard.
-Kwishi est morte. Mawala est morte. Sakari est morte. Eyota, Luyana, Chumani, Awanatu, Ayasha, Taima, Sora, Nokomis, Kwanita, Kiona, Kaya, Talasi et l'enfant qu'elle attendait. Elles sont toutes mortes. Tuées par le froid, par la rudesse de la chasse, par les bêtes sauvages, par les puissants Naarnils près du bosquet des Esprits Anciens.
Il se tourna vers la foule attroupée sous les totems, le visage crispé par la douleur, les joues ruisselantes de larmes.
-Elles sont mortes parce que lui -il désigna Peter d'un geste de la main- a voulu que le femmes chassent. Mais femmes indiennes ne doivent pas chasser ! Chasse beaucoup trop dangereuse pour le sexe faible ! Elles sont mortes par l'aveuglement de celui que vous suivez comme les brebis égarées que vous êtes !
Une nouvelle slave de pleurs accompagna les accusations de l'homme. Les garçons perdus sifflèrent de mécontentement face aux invectives de l'indien tandis que, pour une fois, les pirates défendirent les défuntes femmes au côté des chasseurs. A la peine et la détresse se mêlaient à présent la hargne et la fureur. Les premiers coups commencèrent à fuser avec une rapidité alarmante, transformant le camps en une arène où se défoulait la brutalité des trois clans. J'observai cet étrange spectacle avec le détachement de celui qui ne se positionne pas. Tout ceci était ridicule. Ce n'était pas Peter qui avait tué ces femmes, elles étaient mortes de leur incompétence. Une légère panique naquit dans mon esprit. A quelles genre de dangers avaient été confrontés les chasseurs pour qu'autant des leurs perdent la vie ? Ce monde en ruine était impitoyable. Il ne tolérait aucune faiblesse.
Toujours appuyée contre Natael, j'étais bousculée sans ménagement par la cohue et la folie des habitants du Neverland. Jamais je n'avais entrevu une telle sauvagerie chez des êtres humains et je sentais ma blessure se rouvrir au gré des accrochages de la foule. J'avais mal. Je n'avais jamais eu aussi mal de ma vie. J'avais la sensation que mes organes sortaient de mon corps, que mes muscles se déchiraient en lambeaux de chair sanguinolente. Le cœur au bord des lèvres, je tournais la tête vers le promontoire. Peter me fixait. A travers le monde en fureur, mon regard s'ancra dans le sien comme à une bouée de sauvetage.
-Stop, suppliai-je dans un murmure imperceptible.
Il détourna son regard sombre et le posa quelques secondes sur le camp, paraissant s'ennuyer de l'euphorie maladive de ses disciples.
-Taisez-vous, ordonna-t'il.
Sa voix grave se perdit un instant dans le vacarme, puis progressivement les visages convergèrent vers lui. Le silence s'imposa de nouveau, me laissant ahurie devant le pouvoir d'autorité dont disposait Peter. Il m'avait écoutée.
Il sauta de son perchoir avec une grâce féline et atterrit au cœur de la foule. Pirates, Indiens, Garçons perdus, tous s'écartaient sur son passage tandis qu'il avançait vers l'homme à l'origine de cette guérilla. Une fois devant sa victime, plus aucune trace d'ennui ne venait chevaucher l'expression de profond mépris qu'il revêtait à nouveau.
-C'est de votre faute ! cria Peter pour se faire entendre des quatre-cent-cinquante personnes présentes. Il enfonça son index dans la poitrine de l'homme avec fureur. Vous, les Indiens, ne voulez pas partir à la chasse avec d'autres que votre petit clan de merdeux. Ce n'est pas en léchant des cailloux et en chantonnant des incantations qu'on nourrit un peuple !
Il se tournait à présent vers l'assemblée, dévisageant tour à tour les personnes qui l'entouraient. Son regard ombrageux s'arrêta sur moi alors qu'il reprenait:
-Les femmes ont autant le devoir de chasser que les hommes. Faites de vos femmes des guerrières et elles ne mourront plus. Faites de vos enfants des chasseurs et nous n'auront plus jamais faim. Mais si vous vous obstinez comme les idiots que vous êtes à mener des petites guéguerres entre vous, alors partez, je ne vous retiens pas. N'oubliez jamais que n'ai pas besoin de vous mais que sans moi vous n'êtes rien.
Il reporta son attention sur l'indien qui, au fur et à mesure du blâme de Peter, s'était recroquevillé sur lui-même d'une manière parfaitement pathétique.
-Le Neverland n'a jamais été aussi proche de l'effondrement que ces derniers jours. Alors crois-moi petit idiot d'indien nombriliste, savoir que dix, quinze ou même trente de vos femmes ont péri sous la main de leur incapacité est le cadet de mes soucis. C'est ce qu'on appelle la sélection naturelle.
Peter était à présent à quelques centimètres de l'homme terrorisé. La foule entière retenait son souffle tandis qu'un vent de peur survolait les nombreux visages. Tous attendaient le jugement de leur chef. Je restai coite devant les mots de Peter, réalisant peu à peu quel genre de leader il était. Il manquait cruellement d'éthique et de sentiment, mais son jugement était impartial et ne s'embarrassait pas des états d'âmes du peuple. Alors que la destruction de leur monde semblait si proche, j'admettais avec amertume que les meilleurs décisions n'étaient pas nécessairement les plus humaines. Peter endossait un bien cruel rôle mais c'était probablement le seul moyen d'éviter à cette si mince alliance de se transformer en une anarchie.
-Je ne veux pas de rebelles au sein du camps, reprit le jeune homme. Et sais-tu ce que je fais à ce genre de parasites fauteurs de trouble ?
-N... Non, bégaya l'indien.
Un sourire cruel fendit le visage de Peter. Tout le monde retenait son souffle à présent et même le vent semblait torturer un peu moins fort les branches des arbres.
-Je les tue.
Fin du chapitre 9 !
J'ai vraiment beaucoup trop galéré à le rédiger, je ne sais pas si le résultat est là...
Avez-vous aimez ce chapitre ?
Que pensez-vous de la réaction de Peter ?
Des Indiens et des Pirates ?
N'hésitez pas à me dire tout ce que vous pensez, ça m'aide pour la suite (et un peu d'aide gratos c'est pas de refus aha)
J'ai reprit les cours lundi 3 sept donc je posterai beaucoup moins souvent, j'espère une fois pas semaine !
A pluuus
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