8) Le Neverland

Média: Paysage idyllique et convivial du Neverland 

  


J'essayais durement d'assimiler toutes ces informations, tout ce qu'elles impliquaient. Ça me paraissait tellement irréel et tellement fictif. Mais si tout ceci était vrai, quelles raisons avaient pu motiver mon départ de l'île, huit ans auparavant ? Quel acte avais-je donc commis pour m'attirer les foudres de Peter ? Et surtout, pourquoi avaient-ils besoin de moi ?  

Hésitante, je posai la question qui me brûlait les lèvres:

-Cela signifie qu'a l'heure où nous parlons, ma famille d'accueil est peut-être déjà morte ?

Un voile de tristesse se posa sur le regard grave de Natael. Quelque chose le contrariait profondément.

-Depuis huit ans le Neverland dysfonctionne. Le temps a reprit un rythme terrestre, les journées s'enchaînent à la même vitesse que dans l'autre monde.

-C'est si grave que ça ? hasardai-je face à l'air angoissé du jeune homme.

Natael soupira. Comprenant que cette discussion était loin d'être finie, il rapprocha le tabouret précédemment occupé par Hook et s'assit dessus, tout le corps tendu comme un arc.

-Je ne sais pas par où commencer. L'île est si complexe...

Le jeune homme se perdit dans ses pensées quelques secondes, cherchant ses mots avec soin, puis il poursuivit:

-Il existe deux choses sur cette île parfaitement inexplicables. La première, c'est ce qu'on appelle "l'Imaginaire". Contrairement à ce que l'on pourrait croire, ça n'a strictement aucun lien avec la faculté d'une personne à être douée d'inventivité. L'Imaginaire est un fluide qui circule à travers tout le Neverland, créant un étroit réseau de filaments énergétiques. Avant, l'Imaginaire était tellement présent que l'on pouvait observer à l'œil nu chacune de ses structures peu importe le lieu où l'on se trouvait. Le paysage était strié de part en part d'un délicat entremêlement doré, créant un halo chaleureux à chaque endroit où notre regard se posait. C'était magnifique.

La voix de Natael s'étrangla sur ces derniers mots. Il paraissait tellement ému de me raconter cela que je n'osai pas couper son explication. Je n'en avais de toute manière pas la moindre envie, buvant ses paroles avec la délectation d'un enfant auquel l'on raconte un conte merveilleux.

-Immergés dans ces flux aux propriétés quantiques incroyables, nous étions capables de choses impossibles. Nous pouvions ainsi interagir avec la matière d'une manière totalement inédite, s'appropriant le caractère tantôt ondulatoire tantôt corpusculaire propre aux particules élémentaires. Il n'était pas rare de traverser un mur plutôt que de passer par la porte, de voler avec les oiseaux au lieu de fouler le sol de nos pieds. Nous jouions avec notre environnement comme s'il s'était s'agit d'un échiquier car nous étions capables d'en discerner chaque événement intriqué l'un avec les autres en un complexe réseau, là où le commun des mortels ne se contentait de discerner qu'un simple objet. Chaque chose du Neverland ne nous apparaissait non pas comme une substance mais comme une relation complexe d'états probabilistes, et nous ne cessions de démonter et reconstruire chaque liaison atomique au bon vouloir de notre esprit, créant au gré de la matière environnante, voyageant d'un état à un autre d'un simple bond dans cette nouvelle dimension pas tout fait spatiale mais pas totalement temporelle non plus. Tout était tellement intuitif que nous en venions à oublier l'existence classique de laquelle nous étions censés répondre, celle-là même que tu expérimentes sur Terre depuis ta naissance.

Le jeune homme reprit son souffle tandis que j'essayai de faire de l'ordre dans mon cerveau. Mes neurones s'efforçaient de comprendre le complexe portrait de ce monde si proche mais pourtant si inaccessible, si surréaliste mais dont la mécanique parfaitement huilée n'avait rien à envier aux théories quantiques complexes établies par les physiciens de la Terre.

-Je ne comprends rien à rien, admis-je finalement en proie à une désagréable confusion.

Natael me sourit avec bienveillance.

-Tu étais pourtant la plus douée, à l'époque. L'Imaginaire était attiré par toi comme un aimant, ton corps de petite fille captait le fluide avec une aisance incroyable. Le monde se pliait à ta volonté, même Peter n'était pas capable des mêmes exploit que toi.

Je fixai les yeux bleus du garçon avec scepticisme. J'aurai bien voulu pouvoir observer leur fameux "Imaginaire" de mes propres yeux afin de mesurer la véracité de ses dires. 

-Pourquoi je ne les vois pas alors, ces filaments ?

Natael soupira.

-Le Neverland ne possède plus d'Imaginaire. Il s'écroule sur lui-même, devenant peu à peu le tombeau de ce qu'il était avant. La mort glisse sur son sol, l'air se fait rare, le climat se charge de hargne. Cela fait huit ans maintenant que nous sommes spectateurs de sa destruction, que nous sentons l'heure de son anéantissement approcher avec une dramatique fatalité. 

-Mais pourquoi vous ne fuyez pas ? m'exclamai-je. Pourquoi ne pas venir dans mon monde ?! 

Le jeune homme se leva, anxieux. La réponse qu'il s'apprêtait à me donner ne semblait pas lui plaire. Brusquement, les dernières phrases de Peter me revinrent en mémoire: "Tu es comme nous, Siam. Prisonnière de l'île".

-Vous ne pouvez pas partir, c'est ça ? compris-je. 

-Le Neverland fonctionne d'une manière totalement surréaliste comparé aux lois qui régissent l'autre monde, me répondit Natael. Sa nature même reste un mystère pour nous comme pour Peter et certains se plaisent à croire qu'il est vivant. La topologie de ce monde est assimilable à celle d'un univers, continue et sans bord. Cela signifie qu'en prenant le large à la côte Ouest, tu échoueras sur le littoral Est. C'est un cycle sans fin, éternel. Autrefois, une seule direction permettait de quitter ce monde pour parvenir dans le tien, un unique passage que seul Peter Pan était en mesure d'emprunter. Il suffisait de s'élever dans le ciel en direction d'un astre particulier nommé l'Oeil. Tu es la dernière personne qui a réussi à quitter l'île, Siam. Après ton départ, l'Oeil cessa simplement d'exister. Puis quelques années après, l'entière réserve d'Imaginaire de l'île se trouva consommée et pour la première fois depuis le début du Neverland, elle ne se renouvela pas. 

Je fronçai les sourcils. Quelque chose ne concordait pas avec les explications de Natael.

-Comment l'Ombre de Peter a réussit à sortir pour me ramener ici alors ? 

-Je ne sais pas. L'Ombre n'est pas soumise aux mêmes restrictions que nous concernant l'accès à ton monde. Peter a dû trouvé un moyen de la faire quitter l'île pour venir te chercher, mais malheureusement pour toi le voyage était à sens unique.

Je grimaçai avec amertume. Les enfoirés m'avaient piégés ici pour me missionner de quelque chose dont je n'avais aucune idée de la teneur. 

-Et en quoi me ramener change la donne ? Je veux dire, je n'ai aucun souvenir du Neverland, je ne vois pas comment je pourrais être d'une quelconque aide.

-A vrai dire moi non plus, avoua Natael en rougissant. Seuls les membres du Haut Conseil sont au courant de ce qu'il se passe ici et du rôle que tu as à jouer.

Je maugréai. Une désagréable intuition me mumurait que Peter et Hook était membre de ce fabuleux conseil dont le nom était d'une délicate modestie. Devant mon air ombrageux, Natael lâcha un petit rire.

-Ne t'en fais pas, Akecheta et sa fille Tigresse sont également membres du conseil. Il y a aussi Kyoka la Gardienne, mais crois-moi tu n'as pas vraiment envie de la revoir. 

Il n'y avait pas que des garçons sur cette île, donc. J'allais interroger le jeune homme sur les raisons de son dernier avertissement quand la plainte vibrante et profonde d'une corne de brume me coupa dans mon élan. Un sourire illumina le visage de Natael qui se retourna vers moi avec enthousiasme.

-Les indiens sont enfin revenus de la chasse ! Viens !

Il me tendit la main avec une chaleur nouvelle. Je restai un instant interdite devant ce perturbant revirement de situation. Se rendait-il compte des informations qu'il venait de m'apporter ? Comprenait-il ne serait-ce qu'une infime part du désarroi dans lequel je me trouvais ? J'avais besoin de temps. D'air. De solitude. Il fallait que je sorte d'ici, non pas pour acclamer des types déguisés en sioux, mais pour m'apaiser. Je sentais une fois encore l'angoisse monter, me rappelant où j'étais, me susurrant mielleusement que je ne pouvais avoir confiance en personne. 

Oui, on me mentait, encore. C'était une nouvelle fois la seule hypothèse plausible. Des flux quantiques serpentant le monde ? Une étoile qui servait de portail magique entre deux dimensions ? Je secouai la tête, désolée. J'aurais voulu y croire. J'aurais voulu penser que ma venue ici n'était pas que le fruit des délires pervers d'un groupuscule vivant reclus dans la forêt. Mais c'était impossible ! Qui pourrait être berné par ce genre d'histoire ? Probablement l'héroïne d'une histoire fantastique, ce que je n'étais pas. 

-Allez Siam, ça fait déjà trois jours que tu te reposes ! Il est temps de sortir. 

Je sortis brusquement de mes songes et avisai la main toujours tendue de Natael. Trois jours ?! J'étais persuadée n'avoir bénéficié que d'une poignée d'heures de sommeil bienfaiteur. Luc et Philomena devait se faire un sang d'encre. Espérons que la police ne tarde pas trop à me faire sortir de ce merdier. 

Je levai les yeux vers le garçon. Il fallait me rendre à l'évidence, le meilleur moyen de survivre en attendant les secours était de me fondre dans la masse. Je rechignais cependant à saisir sa main, trop peu désireuse de laisser une nouvelle fois la douleur de ma plaie vriller mon abdomen. 

-On a pas toute la journée majestée. 

Résolue à ne pas me démonter devant le garçon qui arborait à présent un air moqueur chargé de malice, je me levai le plus dignement que je pus. Je n'osais même pas imaginer l'apparence de mes cheveux châtains et de mon visage habituellement bronzé qui, à l'image du reste de mon corps, devait probablement être d'un blanc cadavérique.

-Je te suis, bougonnai-je. 

Il se dirigea vers la porte, toujours ma main dans la sienne. Alors qu'il s'apprêtait à tourner la poignée, il me regarda avec inquiétude.

-Ça va aller ?

J'allais probablement revoir la gueule de Peter mais oui, tout allait merveilleusement bien. Je hochai la tête et nous sortîmes.

Dehors, les vastes espaces entre les cabanes étaient bondés de monde. Je n'imaginais pas qu'autant de personnes peuplaient le Neverland. Je ne vis cependant aucune femme bien que Natael m'avait assuré qu'il en existait bien.

-Le clan de Peter est uniquement constitué de garçons, les Garçons Perdus. Chez les Pirates, il n'y a que des hommes également. Seuls les Indiens ont des représentantes féminines, fort heureusement d'ailleurs, compléta-t'il en m'adressant un clin d'œil lourd de sens. 

Je levai les yeux au ciel sous son rire moqueur. 

Nous descendîmes les quelques marchent qui nous permettaient d'atteindre le sol, la cabane étant sur pilotis à l'instar de toutes les autres habitations. Ce n'était pas pour éviter les inondations comme j'avais cru au début. Natael m'apprit que le sable constituant le sol était trop meuble pour construire directement dessus. Ils avaient donc recours à ce procédé, parfois même allaient-ils jusqu'à percher les petites maisons dans les arbres. 

Plus nous avancions dans la foule, plus je sentais les regards converger vers moi. La douleur dans mon abdomen ne cessait pas et les dizaines d'yeux fixés sur ma personne n'arrangeaient pas ma mauvaise humeur. Je décidai de détourner mon attention des curieux en me renseignant auprès de mon guide improvisé sur les différentes ethnies qui se partageaient le Neverland. 

-Au camp nous sommes exactement cent soixante-dix-sept Garçons Perdus, sans compter Peter. Il doit y avoir à peu près le même nombre d'Indiens, peut être un peu plus. Les Pirates ne sont que quatre-vingt ce qui complique beaucoup les expéditions de chasse. Ils doivent être secondés de Garçons Perdus la plupart du temps car ils ne supportent pas les Indiens et c'est malheureusement réciproque.  

J'écarquillai les yeux face à ces chiffres. Je ne pensais pas avoir affaire à un si grand nombre d'individus.

-A combien partez-vous chasser généralement ? 

-On essaye cent cinquante. Nous sommes assez nombreux comme tu peux le constater et nous ramenons généralement de la nourriture pour un mois entier. Il nous faut suffisamment de bras pour ramener le gibier nécessaire en trois semaines. 

J'ouvris la bouche sous le coup de la surprise.

-Cent-cinquante ! Mais les animaux doivent vous entendre à des kilomètres !

Ma remarque fit naître un sourire amusé sur le visage du jeune homme.

-On se sépare généralement par groupe de dix pour morceler l'île. Elle est immense, tu sais. Le camps est à l'extrême nord alors il nous suffit de descendre jusqu'au sud dans des directions différentes. Au retour, nous nous donnons généralement rendez-vous à la Cascades du Gémeau, à trois jours d'ici. 

J'écoutais toutes ces indications avec beaucoup d'attention, stupéfaite de la rigueur du déroulement des expéditions. Je me demandai si l'entièreté du quotidien était régi avec la même solidité. 

-J'ai une question un peu stupide, déclarai-je soudain.

Natael haussa un sourcil, une lueur de malice dans le regard.

-Encore une ? 

Je haussai les yeux au ciel devant sa vanne. Je n'étais pas d'humeur.

-Nous ne sommes pas en Amérique du Nord ?

Il écarquilla les yeux, perplexe.

-Non...

-Ni en Asie ?

-Euh, non plus.

Je croisai les bras devant ma poitrine et le dévisageai 

-Alors pourquoi vous les appelez les "Indiens" ? 

Natael ouvrit la bouche, la referma puis la rouvrit encore, ne sachant quoi répondre. Il éclata finalement d'un grand rire franc qui me tira un sourire.

-Bordel Siam, on ne me l'avait jamais faite celle là. Je crois que tu viens de toucher du doigt un problème bien plus complexe que celui de l'Imaginaire !

Il agrémenta sa réponse d'un clin d'œil taquin puis nous continuâmes à traverser la foule. 

Nous nous arrêtâmes à l'entrée du camp qui, à mon plus grand bonheur, était à quelques pas seulement de la cabane. Je souffrais le martyr mais essayais de ne rien laisser paraître bien qu'à mon sens trois jours étaient trop peu pour se remettre d'une telle blessure. 

La limite entre le camps et la forêt était indiquée par d'énormes totems de bois représentant des animaux exotiques donc je ne connaissais pas les noms. Certains ressemblaient à s'y méprendre à des espèces terrestres mais quelques détails anatomiques me faisaient douter. Les imposantes sculptures devaient toiser les six mètres de haut et étaient suffisamment espacées pour qu'une trentaine d'homme se tiennent côtes à côtes entre elles deux. Natael et moi avions gagné le premier rang sans grandes difficultés, chacun s'écartant sur mon passage avec une déférence qui m'embarrassa. Partout autour de moi couraient de légers murmures qui, dans le calme de l'attente, me parvenaient parfaitement audibles. Tous les discussions étaient dirigées vers moi.

-Ne fais pas attention à eux, chuchota Natael à mon oreille, c'est juste qu'ils te connaissent et sont vraiment contents de ta venue. Le bruit court déjà que tu es ici pour nous sauver.

-S'ils savaient à quel point ils se trompent, marmonnai-je en retour.

La main du jeune homme me pressa amicalement l'épaule pour me rassurer. Éreintée par les élancements de mon ventre, je m'agrippai à la sienne. Il me regarda quelques secondes, surprit, mais reporta rapidement son attention sur la forêt. 

La rumeur des voix et des pas tant attendus nous parvenait maintenant bien distinctement. Je me demandai subitement où se trouvait Peter, mais sans doute était-il allé accompagner les chasseurs indiens jusqu'au camp. Un énorme amas de rochers se dressait à proximité de l'attroupement de la foule, typiquement son genre de promontoire de prédilection. Pourtant, ce fut une toute autre personne qui grimpa dessus. 


Fin du chapitre 8)

Ok ok le début est compliqué à comprendre, je plaide coupable. Et si vous n'avez pas entièrement saisi l'explication de Natael, c'est pas important. J'essaye de faire un Neverland qui peut se justifier scientifiquement dans le livre, ça complique le bordel eheh

Bref, dites moi tout, qu'avez vous pensé du chapitre ?

De ce qu'est le Neverland ?

De Natael ?

Autres remarques ?

Petite question d'un autre ordre, pensez-vous que je devrais fragmenter mes chapitres ? Les trouvez-vous trop longs ?

A plus :)

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