6) Solitude
Hello ! Ce chapitre est un petit bonus que j'ai longtemps hésité avant de publier, simplement parce que le point de vue n'est plus celui de notre héroïne! Je ne vous en dit pas plus et espère qu'être dans la peau de ce personnage vous plaira également ;)
média: Peter Pan (encore, ça s'imposait un peu ahah)
-Peter ! Tu es malade ! me héla Natael.
Je me retournai vers lui avec mauvaise humeur. Le garçon perdu me fixait, une moue indignée peinte sur le visage, ses mains compressant la plaie autour de l'arme afin de limiter l'hémorragie.
-Ne t'adresse pas à moi sur ce ton, sifflai-je. Virez-moi la fille d'ici et démerdez-vous pour la maintenir en vie.
Je jetai un regard amer sur l'assemblée, leur signifiant que je ne tolérerai aucune autre remarque. Les garçons baissèrent les yeux, interdits. S'il savaient que Siam était à l'origine de l'effondrement de leur monde, c'est elle qu'ils dévisageraient avec rancœur. Je serrai les poings de fureur et m'autorisai un dernier coup d'œil au corps inconscient étendu dans le poussière. Le visage de Siam, livide, conservait encore sa mine accusatrice. Je tournai finalement les talons, peu désireux de rester en si mauvaise compagnie. De toute manière, il était plus que temps pour moi de rejoindre le Haut Conseil.
***
-Peter Pan ! On ne t'attendait plus, lança une voix familière.
Les contours du Capitaine James Hook se découpèrent dans l'obscurité de la salle qui servait autrefois de réfectoire aux garçons perdus. C'était à présent le lieu où, depuis trois ans, se réunissait le Haut Conseil pour parler de la chute du Neverland. Jamais auparavant je n'aurais pensé nouer une alliance avec les pirates et les indiens. Mais l'état de l'île devenant de plus en plus critique, nous avions été contraints, quelques années plus tôt, à cohabiter.
-Je faisais connaissance avec notre nouvelle recrue, m'expliquai-je.
Une pathétique lueur d'espoir illumina le regard du capitaine.
-Je n'y croyais pas quand les indiens m'ont dit avoir aperçu ton ombre revenir avec Wendy ! Quelle fabuleuse nouvelle !
Je levai les yeux au ciel avec exaspération. Ce n'était plus Wendy. Wendy était une enfant de neuf ans, morte avec ses souvenirs. La misérable gamine que l'île abritait dorénavant était totalement différente. Elle avait perdu sa candeur de petite fille et sa timidité qui, à l'époque, en attendrissait plus d'un. L'air revêche et le sarcasme dont elle avait fait preuve dès son arrivée étaient diamétralement opposés à sa gentillesse et sa bonté d'antan. Je frémis de colère au souvenir de ses espiègles yeux gris soutenant mon regard avec insolence.
-Comment va-t'elle ? Elle ne se souvient de rien, alors ? insista Hook avec avidité.
-Elle pourrait aller mieux si elle n'avait pas mon poignard dans le ventre, ricanai-je.
Le regard de James se durcit.
-Qu'as tu fait encore ?
Je haussai les épaules avec désinvolture et entrai dans le pièce, bousculant au passage le pirate. Au centre de la grande salle se trouvait une table poussiéreuse autour de laquelle se tenait assis Akecheta, le chef de la tribu indienne, et sa fille Lili dont les larges bandes dépigmentées zébrant sa peau mâte lui avaient valu le surnom de Tigresse. A mon arrivée, cette dernière se leva d'un bond.
-Peter ! Est-ce vrai que tu t'es enfin décidé à ramener Wendy ?
Je m'avachis avec nonchalance sur le bord de la table sous le regard courroucé d'Akecheta probablement désireux de me rappeler qu'il y avait des chaises prévues à cet effet. Il n'en fit rien cependant.
-Ce n'est pas Wendy. C'est Siam, soupirai-je.
-C'ÉTAIT Siam. A cause de tes tendances meurtrières ce ne sera bientôt plus rien, rajouta Hook qui arrivait furibond, les lèvres tremblantes de colère.
-Qu'est ce que ça signifie ? interrogea le chef indien en me lorgnant de ses yeux cernés de rides.
Je lui rendis son regard en silence. Je n'avais pas à me justifier, je ne devais rien à personne et tout le monde en avait conscience. Seul Hook semblait parfois récalcitrant à accepter le pouvoir que j'exerçais sur le Neverland, mais le temps l'avait rendu plus subordonné. Le climat de peur instauré par la destruction de l'île avait joué en ma faveur. Les pirates, comme chaque âme ici, avait besoin d'un leader pour survivre. J'étais ce leader. Tous plaçaient en moi leurs espoirs de voir un jour l'insouciant paradis qu'ils avaient connu resurgir des méandres du passé, mais j'étais incapable de leur donner ce qu'ils désiraient. A défaut, je maintenais l'ordre interne, car même au Neverland la nature belliqueuse des hommes finissait toujours par engendrer des conflits inutiles si aucune main de fer ne venait la brider. C'était pitoyable d'observer à quelle vitesse se corrompait un faible esprit humain, et plus pitoyable encore la rapidité avec laquelle l'instinct grégaire avait raison des rares personnalités encore exempt de toute perversion.
Hook s'approcha de moi en brandissant son moignon que les sirènes du Lagon avaient eu l'affligeante idée d'agrémenter d'un crochet d'argent de leur création. Ses yeux azur pétillaient de colère.
-Ton "je-m'en-foutisme" dédaigneux commence sérieusement à me taper sur les nerfs, Peter Pan ! aboya-t'il. Pourquoi as tu poignardé cette pauvre enfant ?! C'est à n'y rien comprendre ! Qu'a t'elle fait pour mériter cette haine ?
Un rire s'échappa de ma gorge. Un rire froid, maussade, à l'image de mon cœur.
Insensible, insensé.
Tigresse me couvait d'un regard au fond duquel je lisais une profonde peine. Tous paraissaient désemparés devant le Peter Pan qui leur faisait face, ce Peter Pan qui sombrait avec le Neverland. Ils ne pouvaient comprendre ma souffrance car ce que j'endurais n'avait dans ce monde ou dans l'autre aucun équivalent. C'était un indescriptible supplice, une lente agonie dont personne ne pouvait me sauver. Akecheta se leva gauchement de sa petite chaise en bois et s'avança vers moi. Une fois à ma hauteur, il leva ses mains craquelée par la vieillesse en direction de mes tempes dont perlait une goutte de sueur égrotante. Il ferma les yeux doucement et dans le silence de la salle seul le léger son de ses psalmodies faisaient écho à la rage qui consumait mon âme.
-Ton esprit est malade, Peter Pan, murmura Akecheta. Tu es mourant.
Hook et Tigresse accusèrent cette nouvelle avec un balbutiement abasourdi. Un léger sourire étira mes lèvres.
-Impossible Père, Peter est immortel! Il vit depuis des siècles déjà et pour des siècles encore ! s'exclama Tigresse sous le choc.
Le chef indien regarda sa fille avec tendresse. Elle était tellement stupide. Ne comprendrait-elle donc jamais rien? De gros sanglots soulevaient sa poitrine tandis que les larmes roulaient sur ses joues rosies.
-Oh Peter, tu vas mourir ! hoqueta-t'elle en reniflant bruyamment.
-Ferme là, crachai-je.
Je sautais de la table avec fureur. Ce Haut Conseil n'avait servit strictement à rien. Il fallait que je sorte prendre l'air avant d'égorger par inadvertance Lili pour taire ses pleurnichements geignards. Ils étaient tous tellement lamentables avec leur mine déconfite et leur petit cœur meurtri. L'atmosphère larmoyante de la salle était bien trop toxique pour que je demeure entouré de tous ces incapables.
-Tu n'as pas répondu à ma question, gamin, s'interposa Hook en me barrant la route, bras écartés.
-Alors répète moi ta putain de question, mon cher James, que je puisse me tirer d'ici en vitesse.
-Pourquoi tu la détestes, la fille ? J'aimerais autant avoir une réponse avant que ton cadavre ne nourrisse le terreau de l'île.
Je secouai la tête en souriant et agrippai le pirate à la gorge. Il continua de me fixer sans se départir de son sourire narquois, prenant un malin plaisir à me provoquer. Je resserrai l'étau de mes doigts jusqu'à ce que, suffocant, Hook abandonne tout air dédaigneux qu'il avait pu arborer quelques secondes plus tôt.
-Vois-tu James, je ne crois pas que ton cerveau atrophié soit en mesure de comprendre la réponse à cette question, susurrai-je.
-Tu... Tu étais pourtant... inconsolable... après... après... son départ, haleta le capitaine.
Je lâchai son cou avec force, l'envoyant rouler par terre sous les yeux horrifiés d'Akecheta et de Tigresse.
-J'avais quatorze ans. J'étais un enfant qui venait d'exiler sa seule véritable amie !
A l'époque je ne comprenais pas encore l'ampleur terrible de l'acte de Wendy, pas assez en tout cas pour la détester comme je la détestais aujourd'hui.
-Tu l'avais exilée ? Mais je croyais qu'elle avait choisit de partir ! Je croyais que...
-Et bien tu croyais mal, coupai-je d'une voix tranchante.
Je posais mon regard orageux tour à tour sur les trois visages ahuris.
-Vous ignorez tout ce qui se passe au Neverland. Alors contentez-vous de subir en silence.
Estimant que le Haut Conseil était clos, je me dépêchai de leur tourner le dos pour ne pas avoir à affronter leur regard aussi inexpressif que celui d'un putois mort. Je me hâtai vers la sortie, échappant ainsi au pénible interrogatoire auquel j'allais inévitablement être confronté.
***
J'étais assis sur un rocher écarté du camps et dissimulé par l'épais rempart d'épines des sapins avoisinant. Autour de moi, le décors terne et maussade ravivait une certaine mélancolie. Partout où mon regard se posait, le paysage du Neverland n'était que désolation. Des carcasses d'arbres morts se dressaient, si menaçantes qu'aucun animal ne risquait à s'y loger. Le sable autrefois blanc et chaud était à présent d'un gris sale et s'envolait dans nos yeux déjà meurtris par l'air ambiant. L'oxygène se raréfiait sur l'île. Il devenait de plus en plus douloureux de respirer et chaque effort nous broyait les poumons, nous faisant tousser et cracher la poussière agglomérée dans nos bronches endolories. Il était devenu effroyablement difficile de vivre ici et tous les habitants du Neverland nourrissaient avec horreur le sombre sentiment que seule la mort nous délivrerait de nos maux.
J'inspirai longuement l'air si précieux, comme s'il était possible de cette manière d'en faire quelques réserves. Le vent caressait mon visage tel un vieil ami, réconfortant dans sa douce brutalité, revigorant par sa fraîcheur et les fragrances nouvelles qu'il laissait dans son sillage.
Avant le déclin de l'île, aucune bourrasque ne venait perturber le si parfait équilibre du Neverland. Sentir s'écraser sur sa peau quelques gouttes d'une pluie orageuse était irréaliste également. Ces changements, je les avais accueillis avec allégresse. Ils étaient l'imperfection qui, avant, faisait cruellement défaut à ce monde dont le cycle sempiternel m'accablait d'ennui décennies après décennies.
Je ne me souvenais plus de la vie que je menais quand je n'étais pas encore Peter Pan. Les années passées dans cette hypocrite prison dorée avaient eu raison de ma mémoire, et chaque enfant, chaque pirate, indien, sirène n'était dans mon esprit qu'une ombre interchangeable avec les milliers d'autres âmes qui avaient croisé mon chemin. Au début, je m'amusais de cette capacité à être immuable dans un monde qui ne l'était pas, à être le cœur qui faisait vivre le Neverland, la pièce indispensable sans laquelle aucun rouage ne pouvait fonctionner. Les garçons perdus se succédaient toujours avec la même redondance dans cette cloche hors du temps qui ne répondait d'aucune loi physique habituelle. Je régnais avec empirisme sur mon monde, jouant quand il fallait jouer, chassant quand il fallait chasser, tuant quand il fallait tuer. Avec tout mon insouciance d'enfant de quatorze ans, j'étais joyeux, innocent et profondément sans cœur. Je n'avais rien d'humain: un garçon figé dans le temps, une carapace vide incapable d'aimer ou d'être doué de compassion. L'étrange créature que j'étais n'étais ni bonne, ni mauvaise. Il fallait simplement que je sois là, car sans ma présence le Neverland n'était qu'un mot sans sens.
Puis un jour, je croisais la route de Wendy Darling. Frêle, chétive, terrorisée par l'individu espiègle que j'étais, elle fut la première et la dernière fille perdue du Neverland. Ensemble, nous étions inséparable. Était-ce de l'affection ? De l'attendrissement ? Aujourd'hui encore je ne saurais dire pourquoi Wendy n'était pas une enfant parmi tant d'autre. Le jour où je dû la renvoyer dans son monde, la douleur de mon cœur fut plus vive qu'aucune autre douleur physique endurée durant ma longue vie d'errance. C'était la première fois que j'éprouvais un sentiment.
Je mis du temps à comprendre ce que signifiait ce changement. La réponse, d'une funeste évidence, conservait encore aujourd'hui un gout amer dans mon esprit. J'étais devenu humain. Le Neverland s'effondrait pendant que moi, adolescent de quatorze ans depuis toujours, je vieillissais enfin. Les saisons reprirent leur cours dans ce monde en deuil et le fluide quantique nervurant l'île de son magnétisme vibrant cessa d'exister. C'était la fin de ce que l'on appelait "L'Imaginaire". La multitude de sentiments dont j'avais toujours été privé m'assaillirent avec une violence inouïe, me transmettant l'empathie nécessaire pour rassurer ce groupe d'enfants terrorisés qui voyaient leur univers ne devenir que cendres de son flamboiement d'antan.
Mais le Neverland était malade, et moi, j'étais son cœur.
Il m'arrivait encore d'entendre, au détour d'un bosquet ou d'une cabane, l'éclat de voix masculines regrettant la bienveillance paternel que je cultivais autrefois. A présent, mon esprit n'avais plus rien de l'innocence et de la gaieté de l'ancien Peter Pan. Je n'étais que rage et haine, et je souffrais de ne savoir me départir des sombres sentiments qui déchiraient mon être. C'était de sa faute à elle, toujours de sa faute. L'intersection de tous les problèmes avait un nom.
-Siam, murmurai-je avec haine.
Une part de moi détestait viscéralement celle qui autrefois nourrissait de joie chaque enfant du Neverland. Mais une seconde part, plus discrète, se demandait si les lambeaux de ténèbres qui enserrait mon cœur n'était pas à l'origine de cet acharnement, telles les ridules à la surface de l'eau trouble déformant le reflet de celui qui regarde.
Absurde, m'intimai-je. Complètement absurde.
Je levai les yeux vers le ciel à présent teinté de l'obscurité de la nuit, adressant aux astres câchés par les nuages une prière silencieuse.
Plus que tout au monde, je souhaitais que la fille meurt.
Fin du chapitre 6!
Vos avis m'intéressent beaucoup pour ce chapitre un peu différent des autres.
Qu'avez-vous pensez de Peter Pan?
De celui qu'il était avant et de celui qu'il est devenu?
De son lien avec Wendy/Siam ?
De Capitaine Hook ?
Du chapitre en général?
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