4) Tic,Tac

média: Siam 


Il ne restait de lui qu'un souffle régulier glissant sur l'arrière de ma nuque. 

-Tu vois, Siam... murmura la chose d'une voix désarticulée. Je suis revenu te chercher

-Qui es-tu ? sifflais-je, m'obligeant à garder contenance. 

Une main noire comme la nuit se posa sur mon épaule immobile, répandant une vague de froid dans mon anatomie. Je ravalais douloureusement ma salive, obligeant mes yeux à descendre vers le membre glacé de la créature.

-Tu ne te souviens donc de rien... Comme c'est regrettable... 

Ses doigts sombres s'enfoncèrent dans mon épaule, m'arrachant une grimace de douleur. 

-Qui es-tu ? répétai-je comme un mantra.

-Quelle tristesse, quelle tristesse, quelle tristesse. Vraiment, c'est très regrettable. Que fera-t'il de toi, dans ce cas ? 

La voix caverneuse s'infiltrait dans mes oreilles telle une plaintive psalmodie, vrillant mes tympans et brouillant mes sens. Ma tête tournait et les murs de la ruelle donnaient l'impression de s'écrouler sur moi tant le décors vacillait sous mes yeux. Les doigts glacés de la créature perçaient ma peau sans ménagement, réveillant chez moi une insupportable douleur. Je me détachai vivement de son emprise et, rassemblant mes faibles forces, me tournai vers la sinistre présence. 

-Qui es-tu à la fin! hurlai-je, furieuse.

Je tombai à genoux, tremblant des pieds à la tête.

-Ça va mademoiselle? répondit une voix inquiète.

Abasourdie, je clignai des yeux. Le soleil brillait dans le ciel et l'air doux de ce mois de juin venait réchauffer mes épaules. Un jeune couple accompagné d'une poussette me lorgnait comme si j'étais complètement folle, les sourcils arqués et la bouche entrouverte. La migraine qui m'avait brusquement saisie s'estompa aussi vite qu'elle était arrivée. Je me relevai d'un bond, époussetant mon jean avec le plus de naturel possible. 

-Tout va très bien, merci, toussotai-je, confuse. 

Je baissai la tête avec gêne et sortit en trombe de la ruelle à présent lumineuse et pleine de vie.

C'était quoi ça, bordel ?  

***

Une fois de retour chez moi, je me précipitai dans ma chambre sans un regard pour Philomena qui se dirigeait dans ma direction les yeux noyés de larmes. J'avais d'autres soucis plus urgents à régler que les états d'âme de la femme qui me mentait depuis huit ans. 
Une fois la porte fermée, je déverrouillai mon téléphone et composai le numéro de mon meilleur ami.
- Siam enfin, t'étais passé où? Phila m'a appelée, elle était inquiète à ton sujet ! Pourquoi tu t'es cassée de chez toi comme ça ?!
-Raph, il s'est passé un truc pas normal, le coupai-je d'une voix plus aiguëe que je ne l'aurais souhaité.
-Ça va Siam ? T'as l'air bizarre.
-S'il te plaît, écoute moi quand je te parle! Je te dis qu'il s'est passé un truc bizarre ! Je crois que quelqu'un me cherche, je crois... Je suis dans la merde, bordel Raph je ne sais pas quoi faire.
-Okay princesse, calme toi et explique moi ce qui te met dans cet état.
J'inspirai profondément une grande goulée d'air et expirai longuement, apaisant le sentiment d'insécurité qui me collait à la peau.
-Quelque chose me suit. Je le sens qui m'observe, qui me guette. Je ne sais pas ce que c'est, ça n'a pas l'air humain, mais ça m'a parlé. Ça m'a touché !
Un silence  accueillit mon explication.
-Je ne comprends rien de ce que tu me racontes, me répondit finalement la voix de mon meilleur ami.
Je me mordis les lèvres, en colère. Pourquoi fallait il que tout le monde s'acharne à rendre ma journée encore plus compliquée ?
-Écoute, laisse tomber. On se voit demain, il faut que je réfléchisse à certaines choses okay ? Onze heure devant chez toi ?
Silence.
-Raph ? Raph, t'es là ?
Toujours aucune réponse.
-Bon écoute, si jamais t'es au bout du fil, moi je n'entends rien. Je pense que mon portable bug encore. Je raccroche.
Un grésillement raisonna dans le combiné, signe que la ligne avait bel et bien un problème. Je m'apprêtais à appuyer sur le téléphone rouge quand un toussotement rauque en provenance de l'appareil suspendit mon geste. Je collais à nouveau le téléphone contre mon oreille.
-Tic tac, tic tac, dit au revoir à ceux que tu aimes Siam, car tu n'en auras plus l'occasion...
La même voix désarticulée que dans la ruelle se diffusa dans la pièce, fallacieuse, sinistre, cruelle. Un frisson secoua mon corps, fruit de la rage qui gonflait peu à peu en moi.
-Qui es tu ? Fout moi la paix ! m'époumonai-je dans le combiné. 
-tic tac, tic tac, riait la voix.
Je raccrochai, tétanisée. Mon corps refusait de bouger, ma bouche pâteuse n'émettait plus le moindre son. Tout mon être semblait s'être mis sur pause, refusant même à mes larmes de tracer leurs lignes salées sur mes joues. J'entendis vaguement la porte de ma chambre s'ouvrir, suivit du bruit feutré de pas sur ma moquette. Au loin, une voix prononça mon nom, tout doucement, tel le murmure du bruissement des feuilles d'un arbre. Je sentis un contact sur mes épaules, d'abord faible et délicat, puis de plus en plus pesant. Mon épaule droite me faisait souffrir là où les ongles de l'Ombre avaient écorché ma peau. La douleur brûlait de plus en plus, lancinante, me ramenant brusquement à la réalité. Face à moi, Luc, l'homme qui endossait le rôle du père que je n'avais jamais eu, me secouait vivement par les épaules.

-Siam ! Siam regarde moi ! 

Ne prenant pas le temps d'exécuter sa demande, je bondis vivement loin de lui, brisant le contact de sa main sur mon épaule meurtrie, abrégeant l'excessive torture que me provoquaient les supposées insignifiantes égratignures. 

-Pourquoi tu n'es pas au travail ? m'exclamai-je en m'efforçant de faire abstraction de mon angoisse. 

- Phila m'a appelée. Elle m'a apprit que... Que tu étais au courant. Je suis rentré dès que j'ai pu. 

Dans l'embrasure de la porte j'aperçus Philomena, les yeux rivés sur le sol par la honte.

-Phila, la hélai-je. J'ai besoin que tu me conduises chez Raphaël, c'est urgent. 

Mon ton sec et sans aménité me surprit moi-même. Les aveux de la femme en qui j'avais toujours placé mon entière confiance conservaient encore le goût de l'amertume. 

Luc me regarda abasourdi par la le revirement de situation. Il bégaya quelque chose à mon attention que je ne compris pas, pendant que je m'approchai à grandes foulées de Philomena. 

-S'il te plaît, je ne plaisante pas. Il est peut-être en danger. 

Phila ne répondit rien mais acquiesça du chef face à mon air préoccupé. Je lus l'incompréhension dans son regard. Elle et Luc se demandait probablement pourquoi je ne prenais pas mon vélo, comme à l'accoutumé. La réponse me faisait honte et l'admettre me coûtait. Mais j'avais peur d'y aller seule, et aussi égoïste que cela puisse l'être, j'allais peut-être embarquer ma seule famille dans un coupe-gorge. 

Nous nous dirigeâmes tous les trois vers la voiture dans un silence des plus total. Il devait être aux alentours de quinze heure, mais le temps me paraissait figé tant les infortunes se succédaient depuis la découverte de cette Wendy Darling. 

-Tu as essayé de le joindre? osa soulever Luc.

Quelle idiote. Je n'avais même pas tenté de rappeler Raph. Je composai fébrilement le numéro de mon meilleur ami, mes doigts tremblants ralentissant la manœuvre d'une manière parfaitement affligeante. Tendue comme un arc, je ne pu résister à la tentation de mettre le haut-parleur, au cas où l'Ombre me répondrait. Plus que tout, je désirais des témoins pour me prouver que je n'étais pas folle, chose dont je commençais sérieusement à douter.  Je me rendis compte que, vue de l'extérieur, je devais paraître totalement instable à passer de la colère aux larmes puis des larmes à la détresse, confrontée à une urgence que Luc et Phila n'étaient pas en mesure de saisir.

Le téléphone sonna dans le vide. Une sonnerie. Deux sonneries. Trois sonneries. Quelqu'un décrocha.

-Tic tac, tic tac, tic tac, chantonna la voix perverse. Je te manque déjà, Siam ? 

Cette fois, ce fut la créature qui raccrocha. Livide, je me tournais vers Luc et Philomena qui me fixaient sans comprendre. 

-Par pitié, implorai-je, dites moi que vous l'avez entendue ?

-Entendu quoi, ma puce? s'alarma le couple. La communication a coupé avant que Raphaël ne décroche !

C'était dorénavant avéré: ma vie était actuellement un cauchemar. 

***

Arrivée devant l'immeuble de mon meilleur ami, j'intimais au couple de m'attendre en bas dans la voiture. Je gravis quatre à quatre les escaliers menant au cinquième étage et fonçait en direction de la porte du petit studio. J'entrais comme un ouragan, sans autre forme de procès et me retrouvai nez à nez avec un Raph complètement perdu, une serviette de bain nouée autour de la taille. 

-Euh, okay Siam, c'est quoi le plan foireux ? 

Je sentis mes joues rosirent légèrement face à la tenue minimaliste du jeune homme, qui dévoilait tout de sa musculature. Raph arqua un sourcil amusé en remarquant mon état contemplatif. Je secouais la tête pour reprendre mes esprits. Force était de constater que mon ami se portait à merveille et qu'aucune Ombre maléfique ne s'en était prit à sa personne.

-Désolée, marmonnais-je gênée. 

-Que me vaut l'honneur de ta présence, princesse ? 

-Je... J'ai cru que... 

Je faillis m'étouffer quand mon regard s'arrêta sur la chose. Elle était là, derrière Raphaël, assise avec nonchalance sur le canapé en simili cuire. Noire comme le ténèbres malgré la luminosité de la pièce. La créature n'était qu'obscurité et pourtant je savais qu'elle me fixait, je sentais même son sourire moqueur sur ce visage impénétrable qui n'était qu'ombre. Elle semblait me narguer, immobile, attendant probablement le moment opportun pour me sauter à la gorge. 

-Raph, soufflai-je, dit moi que tu la vois toi aussi.

L'intéressé suivit mon regard et se tourna lentement vers le canapé. 

-Voir quoi ? demanda-t'il perplexe.

Je déglutis péniblement. 

-L'Ombre, sur le canapé. 

Face au silence de mon ami, je détournai mon attention de la créature pour me focaliser sur lui. Aussi immobile qu'une statue, il regardait à présent dans le vague, les lèvres légèrement entrouvertes. Je claquais des doigts devant son visage, désespérée.

-Non, non, non, s'il te plaît reste avec moi, j'ai besoin d'aide Raph, suppliais-je. 

-Il ne te répondra pas.

La silhouette sombre se leva avec souplesse, surplombant le petit studio de son imposante stature. 

-Il est figé dans le temps.

Paniquée, je n'esquissai pas le moindre geste tandis que l'Ombre se rapprochait de moi. Avec lenteur elle déposa sur un tabouret le téléphone de mon meilleur ami.

-Intéressante, cette technologie, observa-t'elle.

-Que lui avez-vous fait ?

Paraissant se rappeler soudainement ma présence, la créature tourna la tête vers moi.

-A lui rien. C'est le temps entier que j'ai ralenti. Il ne pouvait ni me voir ni m'entendre de toute manière, alors estime toi heureuse. Grâce à moi tu ne passeras pas pour une tarée qui parle toute seule. 

Tétanisée, je ne répondis rien. La voix de qui sortait de l'Ombre était différente de celle crissante et mécanique qui glaçait mes membres d'habitude. La créature s'adressait à moi d'une voix masculine, grave et sourde. Étonnamment familière.

Je reculais de quelques pas à mesure que l'Ombre s'avançait dans ma direction. Mon bassin rencontra la surface dur du bureau de Raph. Sans réfléchir, je saisis à tâtons une paire de ciseaux et la lançai sur la chose qui glissait vers moi telle la lave fumante d'un volcan. Le ciseau traversa la masse sombre sans plus de difficulté que s'il n'y avait eu que de l'air et se ficha dans le mur derrière. 

-Joli tir, Siam, siffla la créature avec dédain. 

Je restai coite face à l'incongruité de la scène qui venait de se dérouler sous mes yeux. Mon esprit se déchirait en deux, une partie assénant que toutes ces conneries étaient physiquement et chimiquement impossibles, la seconde, plus discrète murmurant dans les limbes de mon esprit qu'une telle démonstration de surnaturel ne m'était pas étrangère. Mais j'avais beau chercher dans mes souvenirs les plus intimes, je ne savais dire pourquoi tout ceci me semblait étrangement commun. 

A présent, seule une poignée de centimètres me séparaient de l'oppressante silhouette. Je m'étais trompée. La créature n'était pas totalement obscure. Tel un voile sombre, je pouvais distinguer au travers de son corps éthéré les contours du canapé et du tabouret, comme si le studio avait été recouvert d'une fine pellicule de cendre.

-Tu es quoi, au juste? trouvais-je le courage de demander, mettant à l'épreuve toute ma concentration pour éviter à ma voix de chavirer. 

Le visage sans traits ni relief se baissa à ma hauteur, amenant à sa suite des langues de vent frigorifiant qui s'enroulaient autour de mes épaules nues. 

-Je pense que tu le sais, susurra la chose de sa voix profonde et vibrante.

-Tu es une Ombre.

Ce n'était pas une question. Je le savais, au fond. Ça sonnait comme une évidence alors qu'une telle prise de conscience aurait du me donner le vertige. Jamais je me serais doutée que mon esprit terre à terre puisse admettre avec autant de fatalité quelque chose d'aussi... incognoscible. Sans même le voir, je sentis qu'un sourire cruel fendait le visage de l'Ombre. Elle était viscéralement malfaisante, il fallait que je me tire de là. Allez, Siam, connecte tes deux neurones. Tu dois te casser d'ici, et vite.

Une idée fusa dans mon esprit, simple mais diaboliquement efficace. Il fallait que ça fonctionne.

Vivement, je reculai mon bras droit et saisis avec l'énergie du désespoir le froid pied métallique de la lampe de bureau derrière moi. Je brandis avec fureur mon arme de fortune devant ma tête, puis priant silencieusement pour que mon plan fonctionne j'actionnais l'interrupteur, déversant sur l'Ombre un flot de lumière éblouissante. 

L'Ombre poussa un cri déchirant de douleur tandis que son corps se cambra sous l'effet toxique du halo blanc. 

-Arrête ça, par pitié ! m'implora la créature de ténèbres.

Stoïque, j'écoutais ses supplications se muer soudainement en rire franc.

En rire ?! 

L'Ombre s'était à présent redressée et paraissait très en forme. Elle riait en se tenant le ventre, hilare. Complètement perdue, je continuais de la fixer avec incompréhension. Elle se redressa finalement puis me fixa de son visage noir.

-J'ai rarement vu quelque chose d'aussi pathétique, bourdonna la voix grave autour de moi. Allez, assez perdu de temps. Repose ta lampe, tu as l'air totalement stupide. 

J'étais pétrifiée de honte et de rage. Elle m'avait ridiculisé d'une manière parfaitement humiliante avec son cinéma digne des plus grands acteurs De nouveau sérieuse, l'Ombre saisit mon poignet. Je tentai de me libérer de ses doigts aussi rigides qu'un cadavre mais n'eus comme résultat que de m'esquinter l'épaule en tirant comme une forcenée. 

-J'espère que tu as fait tes adieux à ce monde, pathétique petite gamine. 

Je n'eus pas le temps de comprendre l'ampleur de ses paroles qu'un coup me saisit aux côtes, m'arrachant un cri de douleur. Titubante, je m'accrochai désespérément au bord du bureau en nourrissant le faible espoir que Luc et Philomena seraient alertés par le bruit et viendraient me sortir de ce cauchemar. L'Ombre était toute proche, à présent. Elle attrapa mon crâne de ses deux mains sans que je ne puisse me défendre, comme si tous les muscles de mon corps s'obstinaient à ne pas vouloir m'obéir. Un mal de tête insoutenable explosa à ce simple contact, puis un froid glacial vint engourdir mes membres déjà amorphes, avant de laisser mon esprit se faire engloutir par une nappe de ténèbres. 


Fin du chapitre 4) !

Je n'en suis pas vraiment satisfaite mais j'espère qu'il vous aura plu quand même :)

Que pensez-vous de l'ombre ? 

Du comportement de Siam face à tout ça? 

Où pensez-vous qu'elle se réveillera ?

J'attends vos avis !

Je poste beaucoup de chapitres en ce moment comme c'est les vacances, mais je pense qu'en période scolaire ce rythme sera considérablement réduit ;)

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