2) Dix-sept moins Neuf

Média: Raphaël


Lorsque je me réveillais, j'étais dans le lit de Raph.

-Qu'est ce que je fous là ?

Je me redressais un peu, mais une vive douleur au crâne me fit chanceler. Je reposais à nouveau ma tête dans les coussins et jetais un coup d'œil à la fenêtre. Les rayons lumineux filtraient à travers les rideaux, diffusant dans la pièce une douce lumière orangée. J'étais encore en t-shirt, Raph ayant prit soin de retirer mon pantalon mais de me laisser un minimum habillée. Les événements de la veille me revinrent peu à peu.

-Putain dites moi que ce n'était qu'un rêve...

-Ravi de voir que la belle au bois dormant sort enfin de sa torpeur, ricana mon meilleur ami en rentrant dans la chambre.

Je concentrais le peu de force qu'il me restait pour lui lancer un coussin dans la tête. L'attaque fut infructueuse puisqu'il rattrapa le projectile au vol et le cala sous son bras.

-Pourquoi je suis là, maugréais-je finalement.

Raph passa une main lasse sur son visage fatigué. Il me fixa de ses yeux marrons foncés quelques instant, m'arrachant un moue contrariée. Je n'étais pas d'humeur pour son numéro de charme. Résigné, il se lança avec lenteur dans des explications.

-Hier j'ai eu la désastreuse idée de te suivre dans une autre de tes folies d'urbex pour me retrouver coincé dans un hôpital désaffecté avec les flics aux trousses.

J'applaudis avec ironie son résumé.

-Bravo, tu ne pouvais être plus fidèle!

Il me fit un clin d'œil avant de poursuivre.

-Bref, après qu'on soit tombé sur la photo de... de toi -il me jeta un coup d'œil inquiet mais je restais de marbre- , tu t'es évanouie. Par chance la police avait décampé et j'ai pu te porter jusqu'à la voiture sans trop de problèmes, bon à part que c'était vraiment très stressant les couloirs glauques et crades, avec la belle au bois dormant dans les bras et une photo de toi plus jeune dans la poche, surtout que...

-Attends, t'as gardé l'article? le coupais-je.

Raph prit un bout de papier sur le bureau qu'il me tendit. Je m'assis d'un coup, faisant fi de la douleur, et défroissais prestement le papier usé. A la lumière du jour, le doute n'était pas permis. La photo de cette fameuse Wendy Darling ressemblait à s'y méprendre à une photo de moi plus jeune. Les mêmes cheveux châtains, les mêmes yeux que l'on devinait gris bien que l'image ait une teinte sépia peu flatteuse, les mêmes pommettes hautes sur un visage fin aux traits émaciés.

-C'est dingue, murmurais-je. On pourrait vraiment croire que c'est moi.

-Et si ça l'était vraiment ? hasarda mon meilleur ami.

J'ouvris de grands yeux choqués vers lui.

-Mais non ducon, tu vois biens que j'avais pas neuf ans en 1894.

-La ressemblance est troublante tout de même.

Je me tus. La veille, j'avais angoissé en observant que la petite fille de l'article aurait pu être ma jumelle tant ses traits étaient identiques aux miens. Je pense que ma migraine n'arrangeait pas ma lucidité, toujours est-il qu'à présent bien reposée, n'importe quelle personne censée avec un tant soit peu de discernement reconnaîtrait la supercherie dans cette histoire. Ou du moins mettrait cette étrange ressemblance sur le compte du hasard génétique.

je rendis la photo à Raph avec nonchalance.

-Ecoute, c'est bizarre, certes, mais ce n'est qu'une coïncidence. Soit un peu plus pragmatique sérieusement, ton arrière grand-mère n'était même pas née à cette époque.

Mon meilleur ami leva les yeux au ciel en m'aidant à me lever.

-Et toi ma petite Siam, essaye d'être moins matérialiste. Je suis sûre que quelque chose cloche avec ce dossier. Peut-être les Darling étaient-ils des parents à toi ?

-J'en sais rien, râlais-je face à son entêtement.

Raph posa ses deux mains sur mes épaules et me força à me tourner face à lui. Je levais mes yeux vers ses prunelles noires qui semblaient sonder mon âme. Une petite partie de moi ne pu s'empêcher de le trouver beau, avec son air préoccupé et ses cheveux en bataille. Déjà huit ans que je le connaissais et je ne l'avais pas vu grandir. La semaine prochaine, il fêtait ses vingt-et-un an tandis qu'il me faudrait encore attendre un petit mois avant d'être majeure.

-Ecoute Siam, tu ne trouves pas ça surprenant de n'avoir aucun souvenir de ta vie avant tes neuf ans, pile l'âge où ta jumelle du passé a mystérieusement disparue ?

Fatiguée de ses raccourcis idiots dignes d'un petit garçon qui croit toujours aux fantômes, je m'esquivais prestement de sa poigne et sortis en trombe de la chambre. Je saisis mon eastpack noir dans l'entrée, enfilais mon jean et mes timberland et après un bref "salut" à l'attention de Raph, je m'éclipsais rapidement de son studio.

J'étais persuadée que mon ami délirait complètement avec ses spéculations de science-fiction. Oui, il délirait. En étais-je vraiment convaincue ? Une part de moi persistait pourtant à trouver tous ces événements fâcheusement préoccupants.

***

En rentrant chez ma famille d'accueil, je faillis percuter de plein fouet Camille, le fils du couple qui avait choisit de s'occuper de moi jusqu'à ma majorité. Oui, le fils. J'ai mis un certains temps avant de l'appeler Camille sans pouffer de rire, le pauvre m'en veut toujours je crois.

-Hey Cam', lançais-je.

-Hey Siam.

Il me détailla sans gène de haut en bas. Agacée, je croisais les bras devant ma poitrine et m'approchais de lui.

-Ça va je te dérange pas j'espère, l'apostrophais-je.

Il ricana bêtement, comme savent si bien le faire les ados de son âge.

-Je me disais juste que ta tenue était assez originale pour quelqu'un supposé rentrer de soirée.

J'avisais rapidement mes vêtements boueux et parfaitement anti-glamour.

-T'es trop jeune pour comprendre la mode, Cam, lançais-je avec un clin d'œil.

Sans se départir de son air goguenard, le sale gosse de quinze ans m'offrit un splendide majeur levé soulignant ainsi la délicatesse et la répartie sans limite de sa tendre personne.

Blasée, je me dirigeais vers la cuisine. Il était un peu plus de onze heure et comme nous étions samedi seul Luc était au travail. Philomena, sa femme, rodait probablement quelque part dans la penderie pour étendre le linge.

-SIAM ! QU'EST CE CA VEUT DIRE ? C'est une heure pour rentrer ça ?

Philomena débarqua telle une furie dans la pièce, diffusant sur son passage des effluves de lessive à la lavande. Ses cheveux roux étaient relevés par un foulard aux motifs orientaux qu'elle avait ramené de Djibouti l'an passé. Une multitude de tâches de rousseur constellaient son visage rond et joviale. La chaleur que dégageait ce petit bout de femme était tellement contagieuse que même fâchée elle rayonnait. De profondes rides d'expression striaient le contour de ses yeux verts et partout où elle allait, les gens retrouvaient le sourire. J'avais eu une chance inespérée d'atterrir dans cette famille, huit ans plus tôt.

De leur côté, ils ne pouvaient pas se targuer d'avoir écoper de l'enfant la plus facile à vivre du foyer. Oh j'étais loin d'être une terreur, mais disons qu'à mon arrivée, on pouvait penser parler à une adulte emprisonnée dans un corps d'une fillette de neuf ans. Je portais sur les gens et sur le monde un regard bien trop différent des autres, mettant souvent mal à l'aise mon auditoire. En plus de mes manies à toujours me la ramener, j'avais également un don pour la témérité mal gérée, si bien que l'année de mes dix ans l'on m'avait fait cadeau d'un magnifique bracelet de cheville qui bipait la police dès que je mettais un pieds dehors sans l'autorisation préalable de Luc et Philomena. Cependant, étant par nature très débrouillarde, il m'avait fallut peu de temps pour me débarrasser de l'objet tant redouté et ainsi multiplier les escapades nocturnes.

A treize ans, je devenais peu à peu ce que les gens nommaient "une belle jeune femme", et le regard des garçons coulaient vers moi avec de plus en plus d'insistance. Agacée, j'avais tenté de castrer le fils du voisin avec un sécateur mais je fus coupée dans mon élan par Luc et le voisin Charles, l'un vociférant, l'autre composant le numéro des pompiers. Le fils fut détaché de l'arbre qui m'aidait à le maintenir, puis emmené fissa aux urgences, alors que je ne l'avais même pas encore touché.

Ce jour là, j'avais faillit retourner au foyer. Les services sociaux, fatigués de l'enfant violente et effrontée que j'étais, avaient tenté de m'expliquer longuement pourquoi c'était mal et ce que signifiait vivre en communauté. Je savais déjà tout ça, simplement à cette époque je m'en fichais éperdument d'autant plus que Raphaël mon ami de toujours devenait bien trop protecteur à mon égard. Quelque part, je cherchais à le convaincre que je savais me débrouiller seule.

"Arrête de toujours vouloir prouver quelque chose aux autres" m'avait-il dit un jour. "On le voit à des kilomètres que t'es la plus courageuse, la plus forte, la plus belle et la plus intelligente de toutes les filles du monde. Je sais pas ce qu'il s'est passé les neuf premières années de ta vie, mais en tout cas ça t'as rendu vachement badass" avait-il rajouté avec un clin d'œil.

Je n'ai jamais su s'il disait ça pour me rassurer ou s'il le pensait vraiment. Toujours est-il que ça avait soulevé un autre problème, le genre de problème qui me mettait généralement dans une colère sourde, aveugle. J'avais bondit sur lui telle un cyclone, le frappant avec fureur de mes petits poings de jeune adolescente, tandis qu'il se rendait compte qu'il venait de rouvrir une plaie encore sanguinolente. Il m'avait entouré de ses larges bras, bridant mes mouvements sauvages mais ravivant encore plus profondément la rage viscérale qui me prenait aux tripes comme un étau de métal. Il avait attendu de longues minutes que je me calme, que le flot de mes larmes se tarisse, que ma poitrine cesse de se soulever au rythme saccadé de mon cœur en détresse.

J'avais finit par lui pardonner. Il ne pouvait pas comprendre la douleur, personne ne le pouvait. Se réveiller un beau matin sans savoir qui l'on est, où l'on est, découvrir le monde qui nous entoure pour ce qui semble être la première fois de notre vie. Inhaler des odeurs inconnues, se demander qui sont ces visages penchés sur nous, découvrir son reflet dans une flaque. Vaciller de peur, prendre conscience que quelque chose cloche. Chercher dans les tréfonds de son esprit une explication rationnelle puis se rendre compte que son esprit est totalement dépourvu de tout souvenirs. Jeter un second coup d'œil vers la flaque. Accepter que l'image que nous renvoie l'eau calme est celle d'une petite fille de neuf ans. Se demander où se cachent ces putains de neuf années.

N'avoir jamais su qui j'étais fut très douloureux les premiers mois de ma vie. Les médecins certifiaient que jamais ils n'avaient eu le privilège d'observer un tel cas. Il faut dire que ma mémoire avait bien fait le tri. Tous les souvenirs s'attachant à la motricité, à la parole, aux sons, aux couleurs, à l'environnement, à l'interaction sociale, tout ça mon cerveau l'avait précieusement conservé. Il ne demeurait cependant rien concernant mon identité, ma vie d'avant. Certains indices dans mon comportement révélaient néanmoins que mon passé n'était probablement pas des plus agréables. J'avais une dextérité particulière dans les sports de combat, le tir à l'arc, l'escalade, autant de domaines dans lesquels j'excellaient. La Moi du passé pratiquait sans nul doute ces sports. J'étais également dotée d'une fâcheuse prédisposition à la violence. Non pas que je m'emportais pour un rien ou de manière excessive, mais j'avais tendance à gérer les problèmes avec un esprit stratège très prononcé qui conduisait relativement souvent mes bourreaux à expier leur mauvaise conduite en criant de douleur. La présence de Philomena, Luc, Cam, Raph et quelques autres personnes de confiance avait, à l'usure, eu raison de mes affinités avec la violence. J'étais à présent une fille posée et réfléchie. La plupart du temps, du moins.

-SIAM ! Tu m'écoutes quand je te parle ?!

Je secouais vivement la tête pour sortir de mes pensées brumeuses. Philomena me fixait l'air furibond, les deux mains posées sur ses hanches.

-Désolée, tu disais ? osais-je, piteuse.

Celle que je considérais comme une mère leva les yeux au ciel.

-Tu m'avais promis que tu rentrais cette nuit vers deux heures ! Je me suis fait un sang d'encre, Siam, tu ne répondais même pas à ton téléphone !

-Désolée, soufflais-je entre mes dents. J'avais plus de batterie, et puis personne ne pouvait me ramener de chez Alicia alors j'ai dormi chez Raph.

Philomena me lorgna de haut en bas, sceptique.

-Tu es vraiment allée à la soirée de ta copine dans cette tenue ? Tu me prends pour une idiote ?!

Lassée, je pris une brioche dans le placard et entamais de remonter dans ma chambre. Prétexter une soirée pour pouvoir explorer un hôpital à l'abandon n'était peut-être pas l'idée la plus lumineuse que j'avais eu, et j'estimais qu'il valait mieux esquiver cette conversation plutôt que de me vautrer plus encore dans l'incrédibilité de mon mensonge.

-Tu as fait tomber quelque chose de ta poche! me rappela Philomena et brandissant un bout de papier froissé.

Merde. L'article.

Je descendis d'un bond les quatre marches que j'avais déjà montées et me précipitais sur l'objet de ma convoitise. Trop tard, ma "mère", bien trop curieuse comme à l'accoutumé avait déjà entamé la lecture de la page. Je sentis mes mains devenir moites tandis que le stress formait progressivement une boule au creux de mon estomac. Ses sourcils se froncèrent d'un coup et sa bouche se tordit dans une grimace singulière entre l'amusement et l'effroi. Elle leva les yeux vers moi, complètement perdue.

-S'il te plaît Siam, confirme moi que tu n'étais pas à l'hôpital Saint Jean-Baptiste Les Veules cette nuit, me pressa Philomena, le visage pâle et les lèvres tremblantes.

-Comment... comment tu sais ?

Elle posa sur moi un regard doux, chargé d'une si grande détresse qu'un frisson me parcouru l'échine.

-Je crains qu'une discussion s'impose, ma fille.


Fin du chapitre 2! J'espère qu'il vous aura plu même s'il est un peu long et qu'il ne s'y passe pas grand chose. On découvre surtout qui est Siam.

Que pensez vous de ce que vous venez de découvrir sur son passé?

De la réaction de Philomena à la fin?

Que croyez-vous qu'elle va apprendre à Siam?

N'hésitez pas à donner vos avis ! A plus :)


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