1) Hasards
Média: Siam
Mes pieds martelaient le sol avec empressement, laissant autour de moi un écho percutant les murs du long couloir vide. Les lumières d'urgences peu vaillantes vacillaient péniblement et perforaient l'obscurité d'un léger halo vert tremblotant.
Mes joues chauffaient sous l'effort de ma course et mon souffle saccadé semblait vouloir écraser mes poumons. Une goutte de sueur dégoulina de ma tempe pour s'écraser sur le carrelage sale que le temps avait noirci. Mon pied écrasa malencontreusement un jouet qui lâcha un bruit tonitruant.
- Par-là ! s'exclama une voix dans un couloir adjacent.
Des pas précipités accouraient dans ma direction. Merde.
Un vague coup d'œil en arrière m'apprit que je me trouvais dans la partie pédiatrie de l'hôpital. Le panneau vert qui me donna cette information pendait lamentablement au bout de sa vis. J'accélérai le pas, tournant à droite, puis à gauche, puis encore à gauche, me repérant aisément dans ces dédales que je parcourais pourtant pour la première fois. Estimant que mes poursuivants étaient assez loin, je ralentis le pas et entrepris de trotter d'une manière qui ménagerait plus mon souffle. Mes muscles endoloris me criaient de faire une pause, mais les lumières rouges et bleues émanant de l'extérieur du bâtiment me rappelaient que la police n'attendait qu'un moment d'égarement de ma part pour me sauter dessus comme un rapace.
-Siam ! Siam ! chuchota une voix.
Une large main saisit mon avant-bras et me tira brusquement dans une pièce sombre. J'entendis un bruit de verrou qui se ferme puis celui, si familier, d'une allumette que l'on craque. La petite flamme éclaira le visage de mon meilleur ami, Raphaël. Ses yeux bruns me fixaient avec angoisse, donnant à son visage anguleux un air lugubre.
-T'es flippant Raph, lâchai-je avec désinvolture.
-Putain Siam, j'aurais jamais dû t'accompagner.
Je levai les yeux au ciel, agacée. Il ne risquait rien, lui. Si je me faisais prendre, j'étais bonne pour retourner en foyer.
-Je t'avais dit de rester en gériatrie et de t'y cacher, grondai-je entre mes dents. Ils ne savent pas que nous sommes deux, maintenant s'ils mettent la main sur moi ils te trouveront à coup sûr.
Raph posa une main rassurante sur mon épaule.
-Ils ne nous trouveront pas ici, j'ai fermé le verrou.
-C'est bien ça le problème, la porte se ferme avec un verrou, pas avec une clef. S'ils voient qu'elle n'est pas ouverte, c'est qu'il y a forcément quelqu'un à l'intérieur, râlai-je de plus belle.
Raph baissa les yeux, penaud. Il avait omis ce détail. Je retirai le paquet d'allumettes de ses mains et en craquai une à mon tour. La batterie de mon portable était complètement à plat et je ne pouvais pas utiliser la lampe torche au risque de nous faire repérer. Je supposais que mon meilleur ami avait songé à ça également puisqu'il s'éclairait toujours à la flamme.
Je commençai un rapide tour de la pièce dans laquelle nous nous trouvions. Quitte à être enfermés ici, autant explorer les lieux. La faible lumière de l'allumette ne me permettait pas d'accéder à beaucoup de détails du décor, mais je devinais cependant que nous nous trouvions dans un bureau. Il semblait avoir été abandonné précipitamment, sans état d'âme. Un pot garni de stylos prenait toujours la poussière aux côtés d'une pile de dossiers dont les pages jaunies et ternies prouvaient leur authenticité. Je fis glisser mon index sur le papier rugueux, me demandant ce qu'étaient devenus les patients propriétaires de ces documents.
Je sentis le souffle de Raph sur ma nuque. Il lisait probablement par-dessus mon épaule.
"Laetitia Amadia, 9 ans. Service d'oncologie pédiatrique"
Je clignai des yeux, mal à l'aise. Cette enfant avait eu un cancer. Une curiosité un peu morbide me poussa à tourner les pages de son dossier. La petite avait-elle survécu ?
"Date du décès : 19/04/1883.
Heure du décès : 21h56
Cause(s) du décès : Leucémie."
-C'est horrible souffla Raphaël derrière moi.
Je refermai brusquement le dossier, gênée de cette intrusion dans la vie d'une inconnue.
-Ce n'est pas horrible. Ce sont des choses qui arrivent, voilà tout, lâchai-je.
Mon meilleur ami me fixa quelques secondes, interdit. Une mèche blonde lui barrait le visage, rajoutant de la malice à l'air innocent qu'il arborait. Un léger sourire redressa le coin gauche de ses lèvres.
-C'est du passé de toute façon, Siam. 1883, tu te rends compte ! C'est géant !
Je souris à mon tour, prise par son enthousiasme contagieux. C'est vrai que je ne pensais pas me retrouver avec de telles reliques devant les yeux.
On feuilleta encore quelques dossiers médicaux, craquant toujours plus d'allumettes. Seul le frottement régulier des feuilles de papier venait briser le silence qui nous enveloppait.
-Je pense que les flics sont partis. Ça fait vraiment longtemps qu'on est là, murmurai-je à l'intention de Raph.
Il leva la tête du dossier qu'il épluchait avec attention et me fixa de ses yeux sombres. Je sentis le rouge me monter légèrement aux joues, comme chaque fois qu'il posait sur moi ce genre de regard indéchiffrable qui n'appartenait qu'à lui. Heureusement, l'obscurité cacha mon malaise et je me raclai légèrement la gorge pour lui signifier qu'il était un peu gênant.
Son rire léger emplit la pièce.
-J'aime bien quand tu rougis Siam.
-Je ne rougissais pas, idiot. Et c'est pas avec ta petite allumette que tu aurais pu voir quelque chose.
Il haussa les épaules avec nonchalance.
-J'ai deviné que tu rougissais.
Je lui assénai une petite claque derrière la tête.
-Allez bouge-toi, il est déjà trois heures du matin.
Je me dirigeai vers la porte d'un pas souple, mais Raph ne semblait pas décidé à me suivre. Il était penché sur une pile de dossiers découverts dans un tiroir du bureau. L'allumette qu'il tenait du bout des doigts éclairait ses sourcils froncés et la ride qui barrait son front.
-Viens voir, Siam.
Perplexe je me dirigeai vers lui.
-Regarde le nom, ici.
Il pointait du doigt de fins caractères noirs indiquant l'identité du patient. Je plissai les yeux pour déchiffrer l'écriture du médecin.
-Wen... Wendy... Datdin.. Non, Wendy Darling. Wendy Darling?
Je laissais s'échapper de ma gorge un petit ricanement.
-Attends, comme la gosse dans Peter Pan ? continuai-je, éberluée. C'est dingue ! Tu crois que l'auteur s'est inspiré de cette petite fille pour écrire son histoire ?
Raph fit une moue avec sa bouche signifiant clairement qu'il n'en avait aucune idée.
Je lui arrachai le dossier des mains et entrepris de le feuilleter. A l'endroit où aurait dû se trouver la photo d'identité de l'enfant, seul des résidus de colle subsistaient. Dommage, pensai-je déçue. Je parcourus rapidement les premières lignes, peu intéressantes et tournai les pages à la volée. Son dossier, épais, témoignait d'une maladie compliquée ou bien de nombreuses visites à l'hôpital.
-Ecoute ça, m'exclamai-je. Wendy était apparemment schizophrène. Elle assurait voir chaque soir un petit garçon lui rendre visite. Peter. T'y crois toi ? Peter ! C'est obligé, le gars qui a inventé Peter Pan connaissait la petite. Elle racontait que Peter venait du Neverland, et qu'il l'obligeait à l'y rejoindre. Flippant.
Je passai une main sur ma tempe. Un mal de tête commençait à poindre, m'informant qu'il était plus que temps de rentrer. Pourtant, ce dossier si étrange me maintenait clouée sur place. Il fallait que je termine la lecture. Comment était décédée Wendy ? On ne meurt pas de schizophrénie. Peut-être était-elle mort de vieillesse après avoir passé sa vie à tenter de faire croire aux gens qu'un type venait lui rendre visite tous les soirs.
-Chaque matin les médecins la retrouvaient avec des griffures sur tout le corps, des traces de sang et des contusions autour des poignets, comme si quelqu'un l'avait saisie. Mais apparemment ils ont estimé qu'elle se mutilait. C'est atroce. Elle a dû tellement souffrir.
-Et comment est-elle morte ? S'informa la voix grave de Raph dont j'avais presque oublié la présence à mes côtés.
Je tournai les pages du dossier, en vain. Rien n'indiquait les causes du décès de la jeune Wendy. Un morceau de papier froissé virevolta du dossier et tomba aux pieds de mon meilleur ami. Il se pencha pour le ramasser et le déplia avec précautions pour ne pas déchirer la page usée.
-Qu'est-ce que c'est ? m'enquis-je.
-C'est un article de journal datant de février 1897. Avec un avis de recherche. "3 ans après le drame, le mystère plane encore quant aux circonstances de la disparition de Wendy Darling, pensionnaire à l'hôpital de Saint Jean-Baptiste les Veules en Île de France. Rappelons les faits : la petite fille se serait tout simplement volatilisée durant la nuit du 3 au 4 février 1894 alors qu'elle occupait une chambre parfaitement close et verrouillée de l'aile de psychiatrie infantile. Le personnel médical affirme que la porte était toujours verrouillée au petit matin et qu'aucun bruit suspect n'est venu alarmer les infirmiers surveillant les couloirs la nuit. Depuis 3 ans, aucun indice n'a su éclairer les policiers sur cette affaire et la chambre est à ce jour condamnée. Le corps de la victime n'ayant jamais été retrouvé, il est encore trop tôt pour exploiter l'hypothèse d'un meurtre ou d'un suicide. Rappelons que l'enfant avait seulement 9 ans au moment des faits." Incroyable, murmura Raph. Elle a juste... Disparu. Sans laisser de traces.
Un frisson me traversa la colonne vertébrale. Le léger mal de tête de toute à l'heure me vrillait à présent le crâne, me rendant nauséeuse. C'était beaucoup trop inhabituel pour ne pas m'alarmer.
-On se tire, claqua ma voix, sèche, lointaine, comme si elle avait appartenu à quelqu'un d'autre.
-Putain... Attends Siam, regarde-moi ça. La petite, il y a une photo dans le journal. C'est dingue.
Il brandit l'article sous mes yeux en le remuant comme un forcené, n'arrangeant rien à mes maux.
-Regarde sa tête, continua Raph avec une pointe d'angoisse dans la voix.
Je descendis les yeux vers la photo terne du journal, que la faible lumière de la flamme tremblante rendait encore plus trouble. Il était tout de même aisé de discerner les traits juvéniles de Wendy. Elle avait de longs cheveux châtains ondulés, la peau qui paraissait légèrement bronzée sur la page jaunie. Ses grands yeux gris cerclés de cernes bleutés semblaient me fixer avec terreur. Elle paraissait exténuée, presque possédée tant le désespoir qui transcendait son visage auréolait l'image d'une atmosphère sinistre. C'était impossible. Cette gamine ne pouvait être Wendy Darling.
Je plaquais une main devant ma bouche, abasourdie. Ma tête semblait sur le point de se fissurer, je sentais le sang pulser dans mes tempes. Mes yeux ne pouvaient se détacher de cette photo. Tout autour de moi la pièce tanguait. Prise de vertige, je sentis le sol se dérober sous mes pieds. Les bras puissants de Raphaël me rattrapèrent avant que mon corps ne heurte le carrelage froid. Il me serra contre son torse, si fort que j'entendais son cœur battre la chamade. Ce n'étais pas Wendy Darling, sur cette photo.
-C'est toi, souffla Raphaël d'une voix chavirante.
Je levais vers mon meilleur ami des yeux chargés de toute l'incompréhension qu'il était possible de faire passer à travers un regard, puis les ténèbres m'engloutirent.
J'attends vos avis pour ce premier chapitre de Peter Pan!
Que pensez-vous de Siam?
De Raph?
De la ressemblance entre Siam et Wendy, et de la disparition de cette dernière?
A plus ;)
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