II. Damoiselle Rose, au bal égarée

Elles avancèrent d'un même pas jusque vers l'assemblée, puis Rose adressa un signe de tête encourageant à sa cousine, qui accepta de lâcher son bras pour partir explorer du côté du buffet – sans doute pas une mauvaise idée, une coupe de champagne ne pouvait que contribuer à la rasséréner ! Rose, elle, laissa ses pas la guider à travers la foule, un peu au hasard. Elle ne reconnaissait personne et s'en trouvait soulagée. Malheureusement, cela signifiait également qu'elle ne voyait pas le visage enjoué d'Edelweiss. Sa demi-sœur ne lui ressemblait guère, et pour cause : chacune des deux filles avait hérité des traits distinctifs de son père respectif. Rose était ainsi aussi rousse qu'Edelweiss était blonde, et tandis que la cadette possédait des traits longs et fins, plutôt discrets, l'aînée, avec sa mâchoire un peu trop carrée et ses lèvres un peu trop pleines, attirait généralement les regards.

Cela ne manqua d'ailleurs pas d'arriver tandis qu'elle évoluait au milieu des mondains. Les regards s'arrimaient à sa silhouette pour ne plus la lâcher, et elle se demanda un moment si elle n'avait pas commis une erreur d'appréciation en choisissant une tenue aussi voyante. D'un autre côté, son apparence ne détonait en rien de celle des invités officiels, et lui assurait malgré tout un certain anonymat. Robes et bijoux étincelaient partout autour d'elle, parant de fins poignets et des gorges charmantes. Les hommes n'étaient pas en reste, et tout autour de la jeune fille valsait un ballet constant de haut de formes et de nœuds papillon. Comment Edelweiss, si simple et spontanée, avait-elle réussi l'exploit de se fondre dans pareille réunion ? Rose espéra de tout son cœur ne pas arriver trop tard.

– Je ne crois pas avoir eu le bonheur de vous être présenté, charmante damoiselle. Et pourtant, je puis me targuer de connaître les plus jolies femmes de cette assemblée.

Un élégant jeune homme venait de lui bloquer le chemin. Il lui prit la main sans attendre de réaction de sa part et y déposa un baiser. Rose eut un mouvement de recul lorsque les lèvres de l'importun, étirées en un sourire arrogant, touchèrent la soie de son gant, mais ne parvint à se dégager pour autant. Elle arrima son regard au sien, tâchant de ne pas ciller en découvrant la cicatrice en croissant de lune qui lacérait l'œil gauche.

– Eh bien... hésita-t-elle, avant de se ressaisir. Nous ferons connaissance une autre fois. Si vous voulez bien me permettre de m'esquiver, je dois absolument retrouver ma sœur.

– Vous êtes une créature bien cruelle ! s'émut le jeune homme. M'abandonner de la sorte, sans même un prénom ? Donnez-moi au moins le vôtre, jolie rose.

– Vous venez de le prononcer, s'étonna à moitié la jeune femme. Sur ce, il va falloir que je vous laisse.

Les sourcils roux s'arquèrent en une expression insistante, et le prétendant si peu subtil daigna enfin lui rendre l'usage de sa main. Il rajusta son nœud papillon en la regardant s'éloigner, l'œil brillant de malveillance.

– Le seul problème, délicieuse Rose, c'est que vous n'avez vraisemblablement rien à faire ici. Vous ne perdez rien pour attendre.

Un peu secouée par la confrontation, Rose s'autorisa une pause dans ses recherches. Elle s'éloigna à nouveau de la foule, s'enfonçant dans les ombres légères du jardin. Sur l'Île, la végétation possédait un côté féérique, avec ses plantes exotiques et ses fleurs aux couleurs si vives que l'obscurité ne savait les éteindre entièrement. L'herbe bruissait sous le pas léger de la jeune fille, et une brise venue de l'océan lui portait des embruns salés, qui taquinaient son nez sans toutefois prendre le pas sur les parfums entêtant des bosquets d'aubépines et de lilas. Au travers des branchages, elle percevait toujours les lumières trop vives du bal, et la musique entraînante, mais leur préférait les couleurs fanées par la nuit et le bruissement des feuillages. Rose, délicate fleur domestiquée, jamais ne se lassait de la beauté sauvage dont pouvait se parer la nature – même au fond d'un jardin.

Lorsqu'elle se tenait au milieu des arbres et des fleurs, elle se prenait à ressentir bien mieux la rage froide qui animait sa cadette. Aurait-elle hérité du même caractère volontaire – et légèrement suicidaire – qu'Edelweiss, ce serait elle qui se serait trouvée ici, à tenter d'empêcher par tous les maigres moyens à sa disposition l'odieux, le vil, l'infâme Monsieur de Tantale de raser collines et forêts.

– Pourvu qu'Edel ne fasse pas trop de bêtises quand même... soupira-t-elle.

Elle erra un moment encore au sein du jardin, avant de se décider à reprendre sa mission. Pour ce faire, il lui fallut quitter les ombres bienveillantes pour s'offrir à nouveau à la lumière des flambeaux, et ce malgré les frissons qui la parcouraient encore lorsqu'elle songeait à ces lèvres sur sa main, à ce souffle chaud qui traversait le gant pour venir lui embraser la peau. Malgré l'étrange cicatrice sur son visage, le jeune homme qui l'avait arrêtée possédait une beauté froide et racée. Mais il se dégageait de lui une impression inquiétante, comme s'il s'était agi d'un prédateur à la fois civilisé et sauvage, au milieu de l'assemblée.

Rose prit une profonde inspiration, et espéra ne pas le recroiser. Elle songea également à Chardon, qu'elle n'avait pas revue depuis une bonne demi-heure maintenant. Vu son côté pragmatique et son sens des responsabilités, Rose ne s'inquiétait pas trop pour elle – à moins qu'elle ne se retrouve également la proie de l'homme à la cicatrice en croissant de lune. Non, songea-t-elle. Non, aucune raison d'avoir peur ne se profilait assez nettement pour qu'elle prenne ses pressentiments au sérieux. Les deux cousines allaient remettre la main sur Edelweiss, rentrer en catimini, et l'on ne reparlerait plus de cette étrange escapade.

Les évènements ne devaient toutefois pas se dérouler de la manière dont Rose l'aurait souhaité. À peine eut-elle remis le pied dans le cercle orangé que dispensaient les flambeaux qu'elle vit arriver vers elle deux hommes à l'air assez moyennement heureux de la voir, et encore plus moyennement disposé à discuter. Ils se placèrent à sa gauche et à sa droite, pour lui bloquer toute retraite. Cette fois-ci, la jeune fille sentit la panique, jusqu'à présent si efficacement refoulée, prendre possession non seulement de son esprit, mais également de son corps. Elle porta une main tremblante à sa bouche tandis que ses jambes frêles peinaient à la porter. Et les symptômes empirèrent lorsque son prétendant repoussé, le séduisant jeune homme à la cicatrice, fit son apparition, se tirant des ombres comme un diable de sa boîte.

– Je vous l'avais dit, soupira-t-il à l'intention des deux gorilles qui coupaient toute retraite à sa proie. Elle ne pouvait avoir disparu bien loin. Rebonsoir, Rose. Ne vous ayant point trouvé d'homonyme sur la liste des invités, je me suis permis d'aller chercher ces messieurs. Il va falloir que vous nous fassiez grâce de quelques explications. Que faites-vous ici ? Comment êtes-vous entrée ?

– Par la porte, et à mon bras, fit une voix monocorde dans le dos de Rose, qui laissait deviner un indéniable ennui. Cessez donc d'ennuyer cette jeune femme, Janvier. Elle est avec moi.

Le dénommé Janvier caressa la cicatrice sur son œil d'un geste pensif, sans daigner pour autant lever le regard vers l'importun lancé au secours de Rose. Non, ses yeux ne lâchaient pas la jeune fille, appréciant l'affolement qu'il lisait sans doute en elle, la sourde terreur qu'il lui inspirait. Le silence de l'autre dut cependant lui laisser comprendre qu'il s'apprêtait à perdre sa proie, car il suffit d'un mot pour qu'il s'en retourne vaquer à des occupations n'incluant aucune damoiselle à la longue chevelure enflammée.

– Janvier, répéta le sauveteur de Rose dans son dos, sa voix grondant comme un avertissement.

– Elle est tout à vous, murmura l'interpellé en esquissant un sourire étrange, dérangeant.

Puis, avant même que Rose ne puisse vraiment réaliser ce à quoi elle venait d'échapper, il tourna les talons et s'engouffra à nouveau dans la foule, rapidement suivi par ses deux acolytes simiesques.

Seule et tremblante dans la semi-obscurité, Rose sentit ses jambes la lâcher. Deux mains puissantes vinrent cependant enserrer sa taille pour la maintenir sur pied, lui évitant une chute qui se serait sans doute avérée douloureuse – sans compter que l'herbe aurait indéniablement taché sa belle robe claire.

– M... Merci, balbutia-t-elle.

– C'est tout naturel. Je suis toujours partant lorsqu'il s'agit de contrarier Janvier.

La voix de l'inconnu n'avait plus rien de monocorde à présent, laissant filer une pointe d'ironie tandis que son souffle, si proche, effleurait la nuque de Rose. Elle se demanda si le comportement convenable, pour une jeune femme de son rang, consistait à s'évanouir dans les bras de son sauveur, mais son amour-propre l'en empêcha, tout comme le souvenir d'Edelweiss et Chardon, qui ne manqueraient pas de s'inquiéter si elle ne refaisait pas son apparition en temps et en heure.

Se décidant plus ou moins maîtresse d'elle-même, Rose finit par pivoter sur ses talons, sans se dégager de l'étreinte serviable de son sauveur pour autant. Elle découvrit ainsi un visage jeune – peut-être un an ou deux de plus que les vingt ans qu'elle comptait elle-même – à demi dissimulé sous une masse sombre et désordonnée de cheveux bruns. Grand et dégingandé, il dominait Rose d'une bonne tête et demie – quoique la demie soit sans doute plutôt due à sa tignasse qu'à sa taille élancée. Il portait lui aussi une tenue de soirée, mais son nœud papillon était de travers, et il avait délaissé la veste de son costume pour demeurer en simple chemise, aux manches négligemment retroussées.

– Je vous ai vue avant, qui profitiez du jardin, expliqua-t-il en reculant légèrement, visiblement gêné par la proximité du visage de la jeune fille. Mais vous vous êtes esquivées sans me laisser le temps de vous saluer correctement – et de vous informer que ce cher Janvier avait lancé ses troupes sur vos talons. Rose, c'est cela ?

L'interpellée opina du chef, retrouvant sa contenance maintenant qu'il lui paraissait avoir repris l'ascendant – c'était lui qui semblait embarrassé à présent, non plus elle.

– Et vous, me donnerez-vous également un prénom à murmurer ? osa-t-elle déclamer.

– Volontiers. Cela vous permettra d'ailleurs de constater que nous partageons un point commun : nos prénoms font tous deux référence à des plantes. Je m'appelle Olivier.

Il lui offrit une tentative de sourire – un peu timide, que Rose estima charmant, avant de se rappeler qu'elle devait toujours mettre la main sur sa sœur cadette avant que celle-ci ne puisse s'avancer dans l'exécution de quelque plan machiavélique dont elle avait le secret.

– Vous allez me trouver bien ingrate, soupira-t-elle, mais je vais devoir vous laisser. Il faut absolument que je retrouve...

– J'espérais vous demander une danse. Juste une.

Le jeune homme avait prononcé les mots avec précipitation, comme s'il s'agissait de tenter une action désespérée. Sous le regard inquisiteur de Rose, il eut toutefois vite fait de retrouver sa contenance, et porta une main à son visage pour remettre en place des lunettes qui ne se trouvaient pas là, dans un geste un peu nerveux.

– Pardonnez-moi, grommela-t-il de cette même voix lasse dont il avait usé lors de son entrée en scène. Je m'en voudrais de vous détourner de vos obligations.

– Une danse, reprit Rose. Cela me paraît une demande raisonnable étant donné le mauvais pas dont vous m'avez tirée.

Elle lui tendit sa main gantée, et apprécia le contact de celle d'Olivier lorsqu'il s'en saisit, sans précipitation. Rien d'inquiétant ici, contrairement à sa confrontation avec Janvier. Tout ceci ne constituait rien d'autre qu'un gentil manège, que de sincères remerciements. Ou du moins Rose en était-elle persuadée.

Olivier l'emmena vers la piste, mais changea de direction au moment où ils allaient pénétrer dans la masse mouvante des danseurs, pour l'entraîner à nouveau vers l'obscurité.

– Où m'emmenez-vous ? murmura-t-elle en réprimant un sourire.

– Voici une impatience toute féminine... Attendez un peu.

Rose progressait à petits pas derrière lui, savourant le contact ténu de leurs doigts entrecroisés. Ils contournèrent la scène où se produisaient les musiciens, pour trouver refuge sous les longues tiges pendantes d'un saule pleureur, lesquelles taquinaient le croissant de lune dans la petite mare attenante.

Rose sentit son cœur se serrer lorsqu'Olivier écarta le feuillage pour lui frayer un passage, mais résolut de se taire et ravala les quelques larmes cruelles qui lui piquaient les yeux. Si sa soirée se trouvait irrémédiablement gâchée par la chasse à l'Edelweiss – ainsi que la nommait Chardon – elle entendait profiter de ces instants volés. Elle laissa Olivier se placer face à elle, esquisser une menue révérence et s'emparer à nouveau de sa taille.

– Rien qu'une danse, lui rappela-t-elle d'un air faussement sévère.

– Une seule, et je considérerai votre dette payée. Mais je demeurerai à votre service si vous en souhaitez une seconde.

Le visage d'Olivier adoptait des expressions plus énigmatiques dans la pénombre, et sa voix égale empêchait Rose de lire en lui aussi bien qu'elle l'aurait souhaité. Elle se fia donc à ses sensations, appréciant le contact de leurs deux corps malgré la chaleur de cette nuit d'été, le laissant la guider dans une lente ritournelle. Elle ne tarda pas à remarquer que le jeune homme n'avait rien d'un bon danseur. Il manqua de lui écraser le pied une première fois, et se confondit en excuses à la deuxième. Rose ne répondit que par un éclat de rire.

– La pénombre devait dissimuler mes talents médiocres en la matière, mais je crains que cet artifice ne soit pas suffisant pour parer à ma maladresse, pesta-t-il doucement à l'oreille de sa cavalière.

– Je suis certaine que vous possédez d'autres qualités, lui chuchota Rose en réponse.

– Certes. Je construis de merveilleuses structures en allumettes et n'ai pas mon pareil pour assaisonner le canard à l'orange. Mais en règle général, cela n'impressionne guère la gent féminine.

Il lui offrit un nouveau sourire en coin, qui fit valser le cœur de la jeune fille dans sa poitrine, tant et si bien qu'elle craignit un moment qu'il ne s'en aperçoive, tellement ils se tenaient proches l'un de l'autre. Puis la musique cessa, et avec elle la magie de l'instant. Rappelée à ses obligations, Rose brisa leur étreinte, à regret, et recula de quelques pas.

– Merci encore, murmura-t-elle. Grâce à vous, cette soirée si mal commencée s'achève sur une note exquise.

Olivier haussa un sourcil moqueur, sans doute pour dissimuler son trouble. Il laissa ses doigts se perdre le long de l'une des boucles rousses de Rose, mais ne chercha pas à la retenir, fidèle à sa promesse. La jeune femme s'enfuit sans se retourner, abandonnant son sauveur dans les ombres du saule.

***

Genèse 2.0

Susi dit : Il est tout trouvé le scénar : la fille, ben elle s'inscrit au fan club de Francis Lalanne pour quand même vivre sa passion, tu vois, pis là elle rencontre le président du fan club, et il est juste trop beau et tout et c'est le coup de foudre. Sauf que la méchante cousine, ben elle lui montre l'intégrale des disques de Francis Lalanne, et du coup, ben le Président il décide de sortir avec elle quoi

Susi dit : Et là, c'est dur tu vois

Spes dit : Déjà faudrait deux filles ou deux mecs, pour l'hésitation tu sais

Spes dit : J'ai quatre meuf, laquelle je choisis ? :P

Susi dit : Un mec, cinq filles, mieux !

Susi dit : Ou le contraire... une fille, cinq mecs ! Ça me plaît plus !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top